Depuis Le trésor de la langue, son chef d'œuvre de 1989, je suis avec le plus grand intérêt les activités du Québéquois René Lussier, compagnon de Fred Frith, en particulier dans le célèbre film Step Across The Border. Lussier est le réalisateur du dernier album de Keith Kouna, Le voyage d'hiver d'après Franz Schubert. Ce Winterreise avait déjà inspiré avec bonheur Hans Zender et l'Ensemble Modern en 1993.
Dans un genre radicalement différent les arrangements de Lussier et du pianiste Vincent Gagnon révisent Schubert en proposant une orchestration moderne où l'on est surpris de découvrir l'influence du compositeur autrichien sur des contemporains comme Kurt Weill ou Danny Elfman ! Utilisant un vocabulaire populaire (le texte est le grand gagnant de l'entreprise) Kouna a adapté en français actuel les poèmes de Wilhelm Müller qui inspirèrent les 24 lieder pour piano et voix composés par Franz Schubert un an avant sa mort en 1827. Sa voix rapeuse rappelle étonnamment celle de Serge Hureau ou Marianne Faithfull. Le premier a su réhabiliter les faces B des plus grands chanteurs de variétés en les affublant d'orchestrations inhabituelles, la seconde a donné une nouvelle jeunesse à maints standards en leur rendant leur fragilité ou leur rage. Il aura donc fallu quatre ans de travail pour accoucher de cette incroyable adaptation pour chanteur punk-rock et quinze musiciens qui montre ce que les musiques actuelles doivent au passé. Comme le clamait Bertolt Brecht, il n'existe ni forme ancienne ni forme nouvelle, mais seulement la forme appropriée.
Ambiances Ambiguës propose une version numérique téléchargeable et une version physique en édition limitée, agrémentée d'un livre de 64 pages avec 24 aquarelles et encres sur papier 12x12 de Marie-Pascale Hardy.