Depuis quelque temps je me réveille plusieurs fois par nuit, d'abord trois heures après m'être endormi, puis une heure plus tard, enfin chaque heure qui suit si j'arrive à rester au lit. La semaine dernière, après la lecture assidue du livre Rock, Pop, un itinéraire bis en 140 albums essentiels de Philippe Robert (Ed. Le Mot et le Reste), j'ai placé sur la platine en automatique quatre des premiers albums de Harry Nilsson dont j'ignorais jusqu'à l'existence. Si j'ai glissé illico dans les bras de Morphée comme d'habitude, je me suis laissé bercer pour ne me réveiller que le lendemain matin.
Comment ai-je pu passer à côté de ce chanteur auteur-compositeur que les Beatles adulaient ? Le cousinage est évident tant dans les mélodies que dans les orchestrations dont George Martin était friand, cousines de celles de Van Dyke Parks. Il collabora d'ailleurs avec les quatre Beatles, en particulier John Lennon et Ringo Starr dont il fut très proche, ainsi qu'avec Parks, comme avec Randy Newman, Nick Hopkins, Klaus Voormann, Bobby Keys, Peter Frampton, Chris Spedding, Paul Buckmaster, Keith Moon, Jim Keltner, Leon Russell, Lowell George et tant d'autres. Phil Spector et Brian Wilson en avaient fait également leur chanteur préféré. Sa voix couvrait trois octaves. J'ai fini par reconnaître quantité de morceaux repris par d'autres ou entendus dans les films Skidoo, Head, Midnight Cowboy, Popeye, Me Myself and I, Reservoir Dogs, Forrest Gump, Casino, The Ice Storm, High Fidelity, Punch-Drunk Love, etc. Les afficionados connaissent One (1968), Everybody's Talkin' (1969), Without You (1971) ou Coconut (1972), mais plus que par ces tubes je suis fasciné par l'invention et la cohérence des albums Pandemonium Shadow Show (1967) et Aerial Ballet (1968) qui ne déparent pas Pet Sounds, Sergent Pepper's ou Their Satanic Majesties Request. À se demander sérieusement s'il n'influença pas en retour les uns et les autres ! Dévasté par la mort de Lennon, comme lui issu de la classe ouvrière, il milita contre les armes à feu. Les paroles de ses chansons pouvaient être graves, drôles ou sarcastiques sous une apparence désuète avec des passages off qui rappellent que l'on est en studio, distance brechtienne très années 60. Je suis passé à l'intégrale, un coffret de 17 CD paru récemment chez RCA. Tous ses albums recèlent des pépites, même si la musique se banalise au fil du temps, constante qui a touché presque tous les artistes de cette époque exceptionnelle. En 2010 John Scheinfeld réalisa un biopic typique du genre, Who Is Harry Nilsson (And Why Is Everybody Talkin' About Him?), où l'on apprend son manque de confiance en lui et qu'il évita les concerts toute sa vie. Grand buveur, Nilsson mourut le 15 janvier 1994 d'une attaque cardiaque, c'était il y a vingt ans.