Il n'y a pas que le cinéma américain pour dévoiler les coulisses du pouvoir en mettant en scène les acteurs politiques au sein d'affaires historiques qui ne font pas forcément honneur au pays. Guillaume Nicloux, Matthieu Kassovitz, Raoul Peck, entre autres, ont réalisé des films montrant comment les gouvernements français successifs dirigent les affaires de l'État indépendamment des citoyens qui les ont élus. Prétextant l'intérêt suprême de l'État le pouvoir exerce une manipulation totale, privilégiant des intérêts économiques ou personnels en faisant fi des conséquences sur la population. Grâce au téléviseur, fenêtre ouverte sur un passé décliné au présent, Nicloux et Peck mêlent les documents d'archives aux comédiens qui rejouent ou réinventent l'action. Le film de Kassovitz est un thriller qui emprunte les ressources du cinéma de divertissement sans sombrer dans les exercices démonstratifs stériles. Le travail d'enquête et l'intégrité face à l'Histoire sont à souligner dans tous les cas. La qualité de l'interprétation également ! L'école du pouvoir de Raoul Peck court de 1977 à 1986 quand commence L'affaire Gordji de Guillaume Nicloux, qui se termine lui-même en 1988, juste avant L'ordre et la morale de Matthieu Kassovitz !

En 2009 Guillaume Nicloux réalise donc L'affaire Gordji qui retrace l'histoire des attentats parisiens de février 1985 à septembre 1986. À l'époque la population ignore que l'Iran a déclaré clandestinement la guerre à la France. Le gouvernement Chirac sait parfaitement que l'État n'a pas payé la dette Eurodif ; l'Iran réclame en plus qu'on lui vende des armes comme à l'Irak et que soit libéré Anis Naccache, condamné à perpétuité pour la tentative d'assassinat sur l'ancien premier ministre du Chah, Shapour Bakhtiar. En pleine cohabitation, le duel entre le président François Mitterrand et Jacques Chirac, alors premier ministre, se joue sur la libération des otages au Liban et l'arrêt des attentats meurtriers attribués au FARL dirigées par Georges Ibrahim Abdallah. Charles Pasqua réussira à juguler la crise, à laquelle il n'est pas étranger, en échangeant les otages Roger Auque et Jean-Louis Normandin détenus par le Hezbollah contre Wahid Gordji, traducteur à l'Ambassade d'Iran à Paris, soupçonné d'avoir commandité les attentats. Après un débat historique contre Chirac qui dément les allégations de Mitterrand, celui-ci sera malgré tout réélu, mais le juge Boulouque, chargé de l'affaire, se suicidera suite aux insinuations sur son absence d'indépendance. Les comédiens, ressemblant seulement de loin aux personnages qu'ils incarnent, transforment l'Histoire en fable ou en leçon de realpolitik.


Quant à cette réélection de Mitterrand en 1988 il faut absolument réhabiliter le passionnant film de Matthieu Kassovitz, L'ordre et la morale, sur le sanglant règlement de la prise d'otages de la grotte d'Ouvéa qui eut lieu entre les deux tours des élections. En voyant le film on comprend les difficultés et obstacles que les institutions infligèrent à Kassovitz pour l'empêcher de tourner en Nouvelle Calédonie, et la colère du cinéaste après sa déprogrammation de la compétition au Festival de Cannes. Son film, digne et précis, ne respecte évidemment pas la version officielle totalement mensongère et gêne beaucoup de monde, l'armée en prenant pour son grade.


Puisqu'ils en sont à révéler le dessous des cartes, saluons également L'école du pouvoir de Raoul Peck, tourné pour la télévision comme celui de Nicloux. En 2012, Peck réalise un film de quatre heures sur la promotion Voltaire de l'ENA (1977-1980). Faisant la synthèse de différents personnages, en particulier de certaines intimités, Peck ne peut livrer les noms des protagonistes qui l'ont inspiré, mais on sait que les condisciples étaient François Hollande, Ségolène Royal, Dominique de Villepin, Renaud Donnedieu de Vabres, Michel Sapin, Henri de Castries (PDG d'Axa), Jean-Pierre Jouyet (ex-ministre, directeur général de la Caisse des dépôts), Pierre-René Lemas (secrétaire général de l'Élysée), Raymond-Max Aubert (prédécesseur UMP de Hollande à la mairie de Tulle)... Le film montre l'écueil entre les aspirations de cette jeunesse et les compromissions qu'impose la raison d'État. Dans le film on sent poindre dès le début l'évolution probable de chacun. Les figures de Ségolène Royal et François Hollande sont particulièrement bien croquées, et le personnage joué par Robinson Stévenin incarne brillamment la rigueur morale et la difficulté de rester fidèle à ses convictions.

Comprendra-t-on qu'il faut peut-être remettre en cause les accès au pouvoir et ce qu'il engendre. La démocratie montre ses limites tant et si bien que, par exemple, les propositions d'élections par tirage au sort commencent à être prises au sérieux comme celles limitant à un seul mandat, et sans cumul, ceux qui représentent le peuple et dirigent la nation.
Si L'affaire Gordji et L'ordre et la morale existent en DVD, L'école du pouvoir n'est accessible qu'en VOD sur Arte.