Les films Lilith (1964) de Robert Rossen et Mickey One (1965) d’Arthur Penn sont deux chefs d'œuvre absolus où la folie se fond avec la magie du cinéma. Pas encore la star d'Holywood qu'il deviendra à partir de Bonnie and Clyde, Warren Beatty y incarne deux personnages fragiles et attachants. Presque autant que la sublime Jean Seberg dont Lilith est probablement le plus beau rôle. L'éditeur Wild Side sort en même temps en DVD ces deux joyaux méconnus qui ont pour cadre l'un la schizophrénie, l'autre la paranoïa. Tout en nuances, la folie prend le spectateur dans ses filets contrairement à son rôle symbolique de McGuffin chez Alfred Hitchcock ou voyeuriste comme dans Vol au-dessus d'un nid de coucous. Le pouvoir de fascination et d'attraction est tel qu'il interroge chacun d'entre nous sur la ligne étroite qui dans certaines circonstances nous sépare de la folie.


Mickey One est une sorte de polar déjanté où les improvisations du saxophoniste Stan Getz sur les cordes d'Eddie Sauter soulignent le noir et blanc très jazz du film kafkaïen. La séquence où l'artiste muet joué par Kamatari Fujiwara rend hommage à Jean Tinguely, avec la sculpture monumentale Yes qui s'autodétruit, me fait l'effet d'un solo de batterie où les cymbales explosent comme le personnage part en morceaux à force de courir sans savoir pourquoi. Ce troisième film d'Arthur Penn est un échec comme Lilith, le dernier de Robert Rossen, cinéaste communiste blacklisté par le maccarthysme.


Lilith est un film à part, un film de somnambule où la poésie qui s'en dégage nous fait basculer dans une zone que nous ne faisons qu'appréhender, l'inconscient. Jean Seberg n'y est pas qu'une sorcière érotomane, c'est une femme dont la liberté est incompatible avec la société. Son rôle rappelle douloureusement sa propre vie que Mark Rappaport a su magnifiquement mettre en scène dans l'étonnant From the Journals of Jean Seberg, un autre film injustement méconnu. Là où la nature semble apaisante et merveilleuse les êtres humains y évoluent avec difficulté, en proie à des démons que la psychanalyse ne sait qu'effleurer. Les autres acteurs sont fantastiques, Warren Beatty en infirmier influençable, Peter Fonda en pensionnaire de l'institut psychiatrique. La lumière d'Eugen Schüfftan a la magie des contes de fée, noir et blanc diabolique comme celui de Ghislain Cloquet dans Mickey One. Que les deux films soient associés ne tient pas qu'à la présence de Warren Beatty, ils ont été tournés à la même époque, réponse de Penn à la Nouvelle Vague, chant du cygne de Rossen, hommage sublime au cinématographe, un art entièrement basé sur le système d'identification où la fascination reste inexplicable sans s'enfoncer dans les zones sombres de notre psyché.