Les mails sont devenus si nombreux qu'ils ne sont plus un moyen certain d'atteindre leurs destinataires. J'en ai récemment fait la pénible expérience en participant à la promotion de mon nouveau roman USA 1968 deux enfants conçu exclusivement pour iPad. Pour ne pas succomber à la paranoïa parce que la majorité des journalistes, à qui Les inéditeurs proposaient un code-promo en vue de télécharger gratuitement l'application, ne répondaient pas, nous avons eu recours au logiciel MailChimp. Il permet de savoir si le destinataire d'un courriel l'a ouvert, a cliqué sur le lien, et si oui quand ? Résultat : la grande majorité l'avaient zappé sans l'ouvrir, son expéditeur leur étant inconnu parmi les centaines de mails reçus ce jour-là. J'ai moi-même plusieurs fois retrouvé un message capital dans la boîte des indésirables ou glissé distraitement dans ma poubelle. Une solution consiste à prévenir l'intéressé qu'un courriel va suivre, mais encore faut-il avoir son numéro de portable. L'annuaire qui compilait les numéros fixes n'est plus d'aucune aide. Seul le réseau des connaissances peut nous sauver, mais là réside l'inégalité entre les individus ! Contrairement au monde anglo-saxon ouvert à l'inconnu, la société française n'a d'oreille que pour celles et ceux qui lui sont recommandés. Cette barrière explique que les "fils et filles de" sont mieux lotis que d'autres. On pourra toujours tenté de faire ami-ami sur FaceBook, tâté du réseau professionnel LinkedIn, mais en l'absence de recommandation ou de notoriété on risque fort de prêcher dans le désert. C'est rageant car quantité d'œuvres ne pourront atteindre leur cible. Leur public existe, mais le contact ne se fait pas.
J'en suis venu à me demander si je n'allais pas revenir au courrier postal, mais une journaliste de Libé me répond que là aussi elle croule sous la pile des lettres timbrées. À une époque j'envoyais une carte postale de L'origine du monde de Courbet pour obtenir à coup sûr une réponse, l'image choc attirant l'attention.
En définitive il n'y a que le téléphone ou le contact direct qui soient aujourd'hui véritablement efficaces. D'où l'importance du réseautage. Cela explique les adhésions opportunistes à un parti, une loge, une communauté, une famille, une église, une école, une association, et point de salut pour les ours et les indépendants ! Tout est cloisonné. La curiosité n'est pas motrice. À l'heure d'Internet on se rend compte que rien n'a vraiment changé. L'absurdité règne toujours en maître. Notre vieux monde ne fonctionne que sur ses acquis alors que l'inconnu est le sang neuf dont toute société a besoin pour évoluer et se réinventer sans cesse.