Francis Poulenc est en France un compositeur largement sous-estimé. Quasi autodidacte préférant jouer sur l'instinct plutôt que suivre les règles d'une école, il oscille entre écrire des œuvres sacrées et des pièces impertinentes casquette sur l'œil. Mouton noir de la famille Rhône-Poulenc, homosexuel déclaré à une époque où régnait le machisme des surréalistes, digne héritier de la musique française en opposition au wagnérisme puis au dodécaphonisme, Poulenc composa trois opéras remarquables et radicalement différents. Les mamelles de Tirésias est certainement le seul opéra surréaliste (le mot fut inventé par Guillaume Apollinaire pour la pièce qu'il met en musique), drôle, enjoué, complètement loufoque. Le dialogue des Carmélites d'après Georges Bernanos raconte le martyre d'une jeune femme au moment de la Terreur, sobre, bouleversante évocation de l'échafaud. La voix humaine est la mise en musique du monologue sublime de Jean Cocteau, kaléidoscope d'émotions exprimées par une femme que son jeune amant vient de quitter. La réussite de ces trois opéras doivent énormément à leur interprète, Denise Duval, cantatrice atypique issue des Folies Bergère !


Dans Denise Duval, ou la Voix retrouvée, long bonus de 1998 accompagnant le film réalisé par Dominique Delouche en 1970, la soprane montre ses qualités de comédienne en donnant une leçon d'interprétation passionnante à la jeune Sophie Fournier. En 2004, saisi par le toupet de Denise Duval interviewée dans Libération par Éric Dahan, j'avais acheté sa biographie rédigée par Bruno Berenguer (ed. Symétrie). Je possédais également l'enregistrement vidéographique d'un savoureux récital donné avec Poulenc au piano, mais je rêvais depuis quarante ans de la voir dans le rôle que je ne connaissais que par le disque. Or Dominique Delouche l'avait filmée en 35 mm couleurs pour la télévision dans des décors et costumes de son fait. Ayant perdu sa voix, elle chantait là en playback sur l'enregistrement de 1959, concentrant toute son énergie sur son jeu dramatique. Nous avons donc Georges Prêtre, à la tête de l'orchestre de l'Opéra Comique où l'œuvre fut créée, suivant la cantatrice tel que le rôle l'exige, à l'inverse de la pratique usuelle où les chanteurs s'adaptent à l'orchestre ! Delouche redouble de virtuosité en découpant le film, imaginant des angles que seul le cinéma permet, transformant le décor 1925 en toiles de Klimt au gré des plans. En écoutant l'œuvre on comprend ce que les "comédies" musicales de Jacques Demy lui doivent, comme on entend d'où vient la chanson française à l'écoute de Bizet, Massenet ou Gustave Charpentier. Poulenc et Cocteau ne pouvaient rêver meilleure interprète que cette femme moderne pour jouer l'amoureuse éconduite pendue au fil de son téléphone face à un amant terriblement absent. Sa diction parfaite permet de jouir du texte de Cocteau et son intelligence de la musique de Poulenc. Le DVD publié par Doriane (extrait ici) est un must absolu que vous soyez ou non fan d'opéra.