Étant le plus souvent catastrophé par l'utilisation de la musique au cinéma j'ai pensé que ces dialogues coordonnés par N.T. Binh, José Moure et Frédéric Sojcher pourraient peut-être éclairer ma lanterne magique sur les raisons qui poussent les cinéastes à souligner pléonastiquement leurs effets avec des marqueurs fluos. Les orchestrations originales d'Ennio Morricone ne pouvaient qu'augurer ses réflexions passionnantes recueillies en 1979. Les autres entretiens datant tous de l'an passé nous apprennent comment travaillent les uns et les autres. Nombre d'entre eux insistent pour la complémentarité des images et des sons, fuyant la plate illustration à la manière holywoodienne en vigueur. Les compositeurs Vladimir Cosma, Carter Burwell, Alberto Iglesias évoquent les éternelles questions : faut-il composer en amont ou en aval du tournage ? L'utilisation de musiques préexistantes. Les thèmes récurrents. La nécessité ou non de musique. Sa justification dans le plan (exemple, in situ). La chanson sur toutes les lèvres. Le risque d'entendre conserver les maquettes temporaires. La gestion artistique du budget... La liberté octroyée par le réalisateur est également abordée par les duos compositeurs/cinéastes, ici Jean-Claude Petit et Jean-Paul Rappeneau, Bruno Coulais et Benoit Jacquot, Atom Egoyan et Mychael Danna. Certains ne craignent pas les pléonasmes ou ressassent des formules éculées, d'autres se renouvèlent sans cesse en fonction des émotions à susciter ou du sens à affiner. Claire Denis et Stephen Frears closent le débat sur des positions fortes, de contrôle pour l'une, de distance pour l'autre.
En lisant Cinéma et Musique : Accords Parfaits (ed. Les Impressions Nouvelles) au début de l'été j'avais noté avec intérêt les positions variées de chacun, mais deux mois plus tard je mélange tout et ne me souviens plus de rien. Chacun a sa manière de faire. Lorsque je compose la musique d'un film je laisse le monteur ou la monteuse libre de faire ce qu'ils veulent de mon travail. Si je trouve le résultat nul je ne retravaille plus avec le réalisateur ou la réalisatrice, un point c'est tout. Je gagne beaucoup de temps lorsque le décideur est dans le studio pendant l'enregistrement. Comme pour tout je prépare énormément, mais fabrique vite. La première prise est souvent la bonne. Je me méfie des musiques de placement, dites provisoires, comme de la peste. Je ne livre donc jamais de maquettes, mais du définitif provisoire. Entendre qu'il faut avoir la foi, être passionné pour bien travailler, mais comme je suis un bon gars il m'arrive tout de même de faire des corrections, voire tout reprendre si j'ai mal compris quelque chose. Je déteste aussi faire écouter la musique d'un autre projet pour convaincre, car cela n'a strictement rien à voir. Libre au réalisateur ou au producteur de juger de l'adéquation de mes travaux antécédents en rapports avec les films qu'ils accompagnent. Dans tous les cas je cherche à être utile, complémentaire plutôt qu'illustratif. Les idées d'instrumentation sont issues de l'ambiance générale, du découpage, de l'unité et de la confrontation. Les plus réussies ont été faites en confiance dans la plus grande liberté, surtout si les discussions avec le réalisateur ont été précoces, parfois au stade du scénario. Il m'est aussi arrivé de recycler des compositions anciennes pour retrouver un parfum d'antan, mais en général je préfère innover. Le plus intéressant est de considérer la musique comme partie intégrante de la partition sonore, de travailler les bruitages ou de composer en fonction de ceux-ci. Le choix des collaborateurs est aussi crucial.
Les compositeurs et réalisateurs interviewés ne livrent donc pas de recettes, mais leur expérience à chacun intéressera plus d'un jeune musicien ou cinéaste, leurs commentaires se complétant ou se contredisant astucieusement.