À la boutique du Souffle Continu des gamins demandent si l'on y vend des vinyles de 185 grammes. La musique passe après le support. N'est-ce pas ce qui se passe avec le flux radiophonique ou la playlist d'iTunes ? Certains se connectent néanmoins sur le Net pour identifier ce qui leur a plu sur FIP ou une autre station. Ce marécage où nos oreilles s'embourbent en poussent d'autres à refuser cette logorrhée sonore et ne plus se vouer qu'au retour du vinyle. Le CD a fait long feu, mais le nouvel engouement pour les 30 cm a poussé les majors à s'en goinfrer jusqu'à saturer les rares usines de fabrication européennes. Les délais de plus en plus importants limitent à leur tour l'essor des galettes noires dont on peut craindre que le revival ne soit qu'un passage.
Ces considérations poussent le musicien-producteur Franck Vigroux à ne publier son dernier album que sous cette forme. Plus question d'être noyé dans le flux. Celles ou ceux qui ne possèdent pas de platine tourne-disques seront privés de galette. Chaque face dure une quinzaine de minutes. Il faudra quitter sa position avachie pour aller retourner l'objet. L'écoute redevient active.
La pochette de Ciment représente un chalet dans les bois. Au verso l'autre photographie de Umut Ungan est un parking qui ressemble à Rungis. Vigroux a ressorti sa première guitare électrique, un instrument rudimentaire de quelques dizaines d'euros qu'il a rebranché avant de mettre en route l'enregistrement paradoxalement numérique. Le silence avait un peu déserté son œuvre. Ici il prend son temps. La valeur de son temps. La noise croise le fer avec le blues. Les titres laissent imaginer des lambeaux de mémoire. Réminiscences d'un guitariste passé depuis au drône de synthèse. Une manière de se poser quand les amis vous rappellent que rien n'existe sans la respiration. Ce Ciment n'est pas la pâte dure des édifices, mais plutôt le lien, un trait d'union entre le passé et le futur qui redonne des couleurs au présent. (Dac Records)