Ma réponse m'a été dictée en mémoire de camarades très proches avec qui j'ai partagé les expériences des années 60-70, mais qui ont glissé vers l'héroïne jusqu'à en mourir. Comme j'interrogeai Philippe sur les raisons de sa descente aux enfers il m'expliqua que cette drogue résorbait l'angoisse. Je l'avais accompagné plusieurs fois chez le Dr Olievenstein à Marmottan, m'étais fait prescrire pour lui des ordonnances de produits de substitution, l'avais ramassé dans le caniveau, j'avais tenu son garrot en tournant la tête, l'avais conduit payer ses dettes au dealer du Palace, mais il était revenu en me racontant que le type était vraiment cool puisqu'il lui avait fait un shoot gratuit ! C'était toujours la dernière fois. J'ai fini par le laisser à son terrible sort après qu'il m'ait plusieurs fois trompé, ou plutôt qu'il se soit lui-même berné. Lorsque je pense à tout ce gâchis, Éric avait déjà succombé, je suis pris de la plus grande tristesse. Ils n'avaient pas trente ans.
Suite à mon article sur la disparition de Jacques Thollot où j'évoquais accessoirement l'alcool et les joints, un lecteur se saisit de ce détail qui le choque. Il pense y lire que "les drogues (alcool, joint, etc.?) sont autorisées pour les Artistes." Puce à l'oreille, le A majuscule ressemble d'emblée à une critique du statut prétendument privilégié de cette profession, si peu qu'elle en soit une. Il ajoute : "Le cultivateur, le distilleur, le trafiquant, le marchand d'alcool, les dealers, n'existent que parce que le Client existe: La loi du Marché dans un monde capitaliste. Mon propos n'est pas Politiquement Correct mais c'est la réalité de notre monde. Vieux débat sur la légitimité des drogues pour les artistes car... Ils créent eux. À part cela cela devait être un bon batteur mais on peut battre sans produits non ?" Mes articles prenant déjà énormément de temps à rédiger, j'évite autant que possible de répondre aux commentaires qu'ils suscitent, même si je les lis. Il m'arrive néanmoins de déroger à cette règle, comme ici.

"Bonjour,
je vais essayer de répondre à votre question.

Votre commentaire ignore les raisons qui poussent un individu à se droguer, artiste ou pas. Je ne parle pas de boire un verre de vin ou de fumer un joint de temps en temps. Leur importante consommation avec dépendance physique n'est que le fruit d'une angoisse. La drogue libère de cette angoisse, même si elle en crée de nouvelles, c'est son piège diabolique. Mais en amont il y a un mal-être terrible qui n'a rien à voir avec le plaisir de l'ivresse.

Votre commentaire n'est pas politiquement correct ou incorrect. Il n'est pas aussi politique que vous le croyez, car purement mécaniste. Il ignore totalement les processus psychologiques qui nous animent.

Vous semblez méconnaître aussi bien ce qui fait plonger un individu dans "la drogue" que les raisons qui le poussent à créer des œuvres artistiques. L'art est une des manières de se créer un monde à soi lorsque celui qui nous est imposé est inacceptable. La drogue peut être une manière très perverse d'échapper à ce monde impossible. La délinquance et la folie sont d'autres voies parmi les plus dangereuses pour celles et ceux qui les empruntent. On ne choisit pas forcément. Parfois destruction et construction cohabitent chez le même individu.

Le Marché n'intervient que sur la commercialisation, la prohibition, l'exploitation. Car il est en aval de l'angoisse qui pousse une personne à fuir le monde qu'on tente de nous imposer, et le Marché en fait partie. Chacun trouve sa voie parmi les possibles. Certains courbent l'échine et condamnent ceux qui ne s'y prêtent pas, d'autres se suicident. Certains sombrent, d'autres y font naître la lumière. Certains y trouvent matière à transcender.

On peut être un bon batteur (Jacques Thollot était bien plus que cela) ou un mauvais, que l'on ait recours à des expédients divers ou pas. Ce n'est pas la question. Je n'ai pas écrit que la drogue donnait à Thollot son inspiration... Ni la société qui veut formater chaque individu, dans sa tête et dans son corps ! La résistance qu'on lui oppose mène parfois à la mort, parfois à la vie. La vraie vie. Ailleurs. Les deux sont intimement liées.

Cela répond à votre méconnaissance du processus de création. Les artistes ne sont que des résistants. Il n'y a pas de légitimation de l'usage des drogues, mais un terrain propice à l'asociabilité.

Nous sommes tous et toutes des produits de notre société. Il y a tant de manières de l'accepter ou de la refuser..."