Le Souffle Continu, excellent magasin de disques spécialisé dans des musiques que l'on ne peut pas trouver ailleurs et dont 80% des ventes sont passées aux vinyles, se lance dans la réédition vinylique de 45 tours et 33 tours épuisés depuis belle lurette. Red Noise, Mahogany Brain, Heldon dessinent le rock français alternatif de mon adolescence. Influencés par la musique répétitive de Terry Riley ou les élucubrations de Frank Zappa, ils incarnent une version minimaliste de ce qui se tramait de l'autre côté de l'Atlantique. Mai 68 encore tout frais, les musiciens d'alors tiennent des discours radicaux qui laissaient entrevoir des lendemains qui chantent, et puis déchantent. Les compositions laissent libre cours à l'improvisation, preuve que le jazz n'en détenait pas l'exclusivité. La réédition de ces albums est conforme aux originaux publiés à l'origine par Gérard Terronès chez Futura pour les deux 30 centimètres et par Richard Pinhas pour les trois 45 tours. La matière plastique est cette fois chiquement colorée pour la version luxe de Red Noise (bleu transparent) et Mahogany Brain (parme transparent), et tout transparent, mat rouge et mat orange pour les petits formats de Heldon.

Son Schizo invite le philosophe Gilles Deleuze à lire un texte de Nietzsche intitulé Le voyageur sur fond de guitare, basse, batterie, et le pianiste Patrick Gauthier offre une composition jazz-rock avec Torcol (1972). Sur chaque face de ses petits 45 tours Richard Pinhas alterne guitare électrique et synthétiseur, le second disque exprimant son Soutien à la RAF (1975) pour leurs scandaleuses conditions de détention et le troisième des Pespectives instrumentales (1976). On y sent l'influence de Rainbow in Curved Air, mais dans un ostinato plus raide que sa source d'inspiration. C'est à cette époque qu'au sein de Lard Free je me retrouvai jouer de l'ARP 2600 avec Pinhas et Gilbert Artman sur la scène du Gibus et du Bus Palladium ! Je déclinai ensuite l'invitation à participer à la création de Urban Sax, intéressé par des formes plus dialectiques que l'on retrouvera en 1975 sur mon premier album, Défense de, avec Francis Gorgé et Shiroc, vinyle réédité cette fois par Wah Wah à Barcelone.

Le romantisme rimbaldien passé à la moulinette Burroughs de Mahogany Brain se fond dans un bordel ambiant franchement réjouissant en comparaison de ce qui se passait à l'époque. Sur With (Junk-Saucepan) When (Spoon-Trigger) (pochette toute noire) les balbutiements du groupe de Michel Bulteau et Patrick Geoffrois ouvrent la porte à une figure libre du rock, précurseur des impros débridées où il n'est pas nécessaire d'être un virtuose pour s'éclater et partager ses expériences lysergiques avec un public complètement défoncé.


Je lui préférai pourtant l'éclectisme de Red Noise, à la saine provocation anarchiste et à l'humour ravageur. Sarcelles-Lochères (qui figure sur la liste Nurse With Wound comme Mahogany Brain et Défense de) fait se rencontrer fortuitement un parapluie et une machine à coudre sur une table de dissection, des bruitages, du rock, du jazz, du free, des flonflons du bal dans une ambiance narquoise que j'eus la chance de partager pour avoir souvent réalisé le light-show du groupe. En 1970 le guitariste Patrick Vian (fils de Boris), le saxophoniste Jean-Claude Cenci, le bassiste Daniel Geoffroy et le batteur Philip Barry, ici augmentés de l'organiste John Livengood et du percussionniste Austin Blue, créent un petit théâtre zappien à la française qui me rappelle mes premiers pas dans le monde de la musique.


La plongée dans ces années formatrices me permet de retrouver deux affiches, celle des deux concerts que nous avions organisés au Lycée Claude Bernard, avec notre groupe Epimanondas, Red Noise + Planetarium sous le nom du Grand Berthoulet, et Dagon, l'orchestre des frères Lentin avec Daniel Hoffman et Fabien Loupignat, le tout arrosé par les lumières de H Lights que j'avais fondé avec Michel Polizzi, Thierry Dehesdin, Antoine Guerrero (qui a probablement dessiné l'affichette de la Maison des Mines) et Luc Barnier (qui me remplaçait lorsque j'étais sur scène).

P.S.: découvert un entretien récent avec Patrick Vian...