70 avril 2015 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 30 avril 2015

Minor Dispute de Petros Klampanis


Même si les disques de jazz proprement dit me barbent, j'ai toujours une oreille qui traîne lorsqu'un compositeur s'adjoint un quatuor à cordes.
Si j'apprécie les enregistrements historiques des différentes époques du Dixieland au free le plus débridé en passant par la jungle et le be-bop, le jazz comme musique de répertoire ou clone d'un temps révolu ne m'a jamais passionné. J'ai le plus souvent l'impression de consommer un plat réchauffé. Les revivals de pop ou de tango, la chanson française et les compositions contemporaines me font le même effet si je n'y décèle pas une démarche originale, un recul critique ou un mariage contre nature. Le jazz style piano bar est probablement celui qui me fait le plus penser à de la musique d'ascenseur et n'entendez pas par là un clin d'œil à Erik Satie dont la musique d'ameublement était largement en avance sur son temps. Car, pour s'approprier une culture qui n'est pas la sienne il faut justement y mettre une sacrée dose de soi, en particulier en y mêlant ses propres racines. Je crains donc le jazz actuel comme tout ce qui porte une étiquette exclusive.
Quant à l'adjonction d'un quatuor à cordes à un projet dit jazz, il s'agit justement toujours d'un désir d'écriture, l'arrangement se mâtinant forcément de musique "classique", épousailles du nouveau monde et de l'ancien. Pour beaucoup le quatuor est la forme réduite d'un rêve symphonique. Associé aux vertus de l'enregistrement ou de l'amplification, ce fantasme est devenu monnaie courante et ces expériences toujours riches d'enseignement. Il n'est pas rare non plus qu'un terroir s'y glisse ou plus sûrement y sème son engrais. Comme me le rappelait André Ricros, "pour être de partout il faut être de quelque part."


C'est donc avec intérêt, puis avec plaisir, que j'écoute Minor Dispute, le nouvel album du contrebassiste grec Petros Klampanis dont les talents d'arrangeur s'ajoutent à sa sensibilité d'instrumentiste. Les Balkans dessinent ainsi un trait d'union entre le classique et le jazz. En plus de Gilad Hekselman à la guitare, Jean-Michel Pilc au piano, John Hadfield à la batterie et aux percussions, les cordes des violonistes Maria Manousaki et Megan Gould, de l'altiste Lev "Ljova" Zhurbin (ou Matt Sinno) et du violoncelliste Yoed Nir (ou Colin Stokes) ouvrent une fenêtre sur la Méditerranée. Pour ne pas avoir lu préalablement les notes de pochette je suis tout à coup surpris de reconnaître Thalassaki dans un inventif arrangement où le quatuor est tout indiqué. Rien d'étonnant puisque c'est un morceau traditionnel grec que je connais par le groupe Odeia dans lequel chante ma fille Elsa (en écoute ici)... Les deux albums ont d'ailleurs bénéficié de crowdfunding pour leur production. J'en profite pour saluer le courage de Aléxis Tsípras et son parti SYRIZA qui résistent à la politique ultra-libérale de la Communauté Européenne propulsée par l'Allemagne d'Angela Merkel ! La musique fait partie des formes de résistance.

→ Petros Klampanis Minor Dispute, Cristal Records, dist. Harmonia Mundi, sortie le 19 mai
→ Odeia Escales, Label Wopela, dist. L'autre distribution

mercredi 29 avril 2015

Hip Hop à l'IMA


Excellente initiative de l'Institut du Monde Arabe de présenter l'exposition HIP-HOP, du Bronx aux rues arabes dont le rappeur Akhenaton est le directeur artistique ! L'événement devrait attirer de nombreux jeunes qui se reconnaissent dans ce mouvement et de moins jeunes, curieux de cette culture de la rue dont les paroles ont le mérite d'être un des rares miroirs de notre quotidien social et politique. Critique, subversif, revendicatif, le Hip-Hop est, depuis 1973, progressivement sorti de l'underground pour gagner tous les médias. À l'I.M.A. sont exposées les racines du mouvement (free jazz lié aux revendications des Afro-Américains comme Max Roach et sa Freedom Now Suite, slam new-yorkais des Last Poets...) jusqu'à ses appropriations récentes lors des différents printemps arabes révolutionnaires. Si le graphisme s'accroche d'emblée, la musique est omniprésente par des diffusions avec ou sans casque d'écoute, la présence aléatoire de DJs et quantité de pochettes de disques. Derrière les vitrines, des objets et vêtements ont été prêtés par des artistes mythiques comme Afrika Bambaataa, Public Enemy, IAM, Omar Offendum et The Narcicyst. Manuscrits, affiches, quelques sculptures et installations vidéographiques complètent ce petit tour axé sur les États-Unis, la France et le Maghreb. La partie arabe est probablement la plus intéressante, car la moins connue ici.


Les artistes JonOne, JayOne, Meen One, Ammar Abu Bakr, Evol, Yazan Halwani, Mode 2, Nassyo ont créé des œuvres spécialement pour l'occasion. L'installation Allonger le son est composée d'un cours de DJ'ing avec Cut Killer, de vinyles des Beatmakers Imhotep (France), Stormtrap (Palestine) et Gal3i du groupe Armada Bizerta (Tunisie). On retrouve partout les termes spécifiques qui accompagnent le mouvement Hip-Hop : sampling, graff, tag, Mc'ing, break dance, rap, flow, ghetto-blaster, mixtape, scratch, sneakers, etc.


Rentré à la maison j'écoute Never Better de P.O.S. et Midcity de clipping. sur les conseils de Léo Rochard ! Je suis en effet plus intéressé par le rap politique des enfants des Black Panthers que par le gangsta rap hyper macho. Il y a d'ailleurs hélas très peu de filles exposées à l'IMA. Le Hip Hop est majoritairement mâle. Alors j'enchaîne avec To Pimp a Butterfly, le dernier album de Kendrick Lamar dont le succès est phénoménal. Aux USA la révolte gronde parmi la communauté noire, ce n'est même plus une question politique. Ils ont simplement marre que la police les assassine...

En marge de l'exposition HIP-HOP, du Bronx aux rues arabes qui se déroule à l'I.M.A. jusqu'au 26 juillet 2015 ont lieu rencontres, ateliers, concerts et performances chorégraphiques, dont certains dans le cadre du Festival Paris Hip Hop (19 juin-6juillet). Aisha, l'illustration de Noe Two orne l'affiche d'aKa de Marseille.

mardi 28 avril 2015

ONJ : Europa Berlin (CD)


La machine vous embarque, vous écrase ou vous porte, mais jamais ne caresse. Moteur à explosions composé de pistons, de cordes bandées et de frappes unanimes, Europa Berlin est la deuxième station du périple ferroviaire entrepris par l'Orchestre National de Jazz dirigé par Olivier Benoit. La première n'avait pas plus l'air du Paris éternel où je suis né que celle-ci ne réfléchit la résurrection berlinoise. L'ensemble fait si mâle que j'ai l'impression d'être sur le terrain d'entraînement d'une armée d'enragés prêts à en découdre avec le monde entier. Est-ce un clin d'œil carré au Globe Unity éclaté d'Alexander von Schlippenbach ? Car Berlin n'est pas Vienne. Olivier Benoit choisit d'en faire une marche plutôt qu'une valse ! La ville a pourtant tenté d'effacer le souvenir du Reich en constituant une mosaïque d'initiatives libertaires qui redonne des couleurs à la capitale. Si vous aimez l'avancée kolossal des tanks qui gravissent les collines et dégringolent les pentes vous serez ravis, mais si vous préférez le Sehnsucht, intraduisible vague-à-l'âme chanté par Goethe et Schubert évoquant la délicatesse de la poésie allemande que la seconde guerre mondiale a balayé en détruisant toutes ses marges, alors vous verrez probablement les filles baisser le son de votre ampli en vous demandant si vraiment vous aimez cela.
Difficile d'identifier les références à l'architecture annoncées par le guitariste-compositeur-chef d'orchestre tant à Paris qu'à Berlin. Je me demande ce que donnera la prochaine escale prévue à Rome, où la musique contemporaine devrait prendre le pas sur le jazz et le rock en rendant hommage à Luciano Berio, Luigi Nono et Fausto Romitelli, trois compositeurs résolument variés, mesurés, curieux, qui surent réconcilier le passé avec leur époque en revendiquant les recherches les plus inventives tout en assumant les musiques populaires. Les compositions sont brillantes, les onze musiciens de l'ONJ font tous preuve d'une virtuosité exceptionnelle tant individuelle que groupée, mais la musique, toute en tension, est si dense et homogène qu'elle ne laisse aucune place à la détente et à la dialectique, ressort dramatique qui m'est vital. Question de goût, de point de vue ou de capacité respiratoire !
(ONJAZZ Records, L'Autre Distribution, sortie le 27 avril)

lundi 27 avril 2015

Elektro Moskva, un portrait de la Russie


Elektro Moskva ravira tous les amateurs de musique électronique, les fans de circuit bending, les adeptes de l'improvisation libre, les curieux de la Russie d'hier et d'aujourd'hui, d'autant que le film plonge les résistants bidouilleurs dans une ambiance post-apocalyptique très à la mode dans les récits d'anticipation actuels. Les rêves sonores de ces musiciens russes puisent leurs sources dans la misère quotidienne d'un peuple qui en a vu de toutes les couleurs avant, pendant et après la révolution. Le montage des documents d'archives soviétiques, leurs commentaires aussi épiques que romantiques, les témoignages des acteurs passionnés, l'utilisation du 5.1 adéquate au sujet placent le film de Dominik Spritzendorfer et Elena Tikhonova parmi les meilleurs documentaires musicaux à côté de Step Across The Border ou Straight No Chaser. Ajoutez-y Leon Theremin filmé et interviewé en 1993 par Sergey Zezjulkov quelques mois avant la mort du génial inventeur, document exceptionnel d'un film qui ne verra jamais le jour et qui aura mis vingt ans à nous parvenir et vous aurez tout ce qu'il faut pour que Elektro Moskva devienne incontournable.


La citation de Lénine "Le Communisme, c'est le gouvernement des Soviets plus l’électrification de tout le pays" trouve son écho dans les fantasmes des musiciens électroniciens russes. L'histoire de leurs synthétiseurs devient une allégorie de la vie quotidienne au temps des Soviets. Ils trouveront d'abord dans les poubelles de l'Armée rouge les composants qu'ils assembleront empiriquement, puis ils voleront des pièces détachées au KGB, arpenteront les marchés aux puces pour finir chez les marchands de jouets chinois qu'ils détourneront !


Les musiciens russes abhorrent les instruments occidentaux formatés pour préférer la bidouille de l'objet unique. Ils privilégient la surprise de l'expérimentation à la sécurité et revendiquent l'improvisation qui place le processus au dessus du résultat. La répétition les ennuie, ils veulent se coltiner à la matière. Les musiciens Alexey Borisov, Stanislav Kreichi, Dmitriy Morozov a.k.a. Vtol, Richardas Norvila a.k.a. Benzo sont les acteurs passionnants de ce documentaire de création.


Mais le clou du film est évidemment le vieux Lev Sergueïevitch Termen dit Leon Theremin qui n'est pas seulement l'inventeur du premier instrument de musique électronique en 1920. Rappelons que l'on joue du Theremin sans le toucher, en bougeant les mains dans un champ électromagnétique émis par deux antennes. Mais Lénine est plus intéressé par sa déclinaison, le Signalling Apparatus, une alarme anti-voleurs. En 1926 Theremin construit secrètement un système de télévision pour l'armée pour surveiller les frontières. En 1931 il construit pour Henry Cowell le Rythmicon, première boîte à rythmes électronique. En 1932 c'est le Terpsitone qui convertit les mouvements des danseurs en notes de musique. Le KGB lui commande un système d'écoute indétectable qui permettra entre autres d'espionner l'ambassade des États Unis à Moscou. Dans le film Theremin parle de ses dernières inventions, un traitement permettant de rajeunir et un autre rendant la vie aux trépassés !


Dans Elektro Moskva les musiciens russes érigent un hymne au bruit, étudiant le chaos indéfiniment en se servant d'instruments faits de bric et de broc et enregistrant des field recordings complètement destroy. Leur morale reflète l'état du pays : "rien ne fonctionne, mais tirons-en le meilleur parti !" Loin d'être en arrière, leurs propos sont peut-être prémonitoires de ce qui nous attend, que ce soit due à la crise économique fabriquée par de cyniques financiers qui assèchent la planète ou parce que la décroissance est écologiquement inéluctable.

Elektro Moskva, 12,90€ téléchargeable avec sous-titres français sur leur site très bien documenté - 16,89€ version avec bonus

vendredi 24 avril 2015

Il ne se passe rien...


Ma mère, âgée avec des difficultés pour se déplacer, passe son temps devant la télévision à regarder des programmes insipides. Alors qu'elle était férue de littérature ses seules lectures sont celles du Nouvel Obs et de son magazine télé. Chaque jour ou presque, elle me passe un coup de fil et me demande "quoi de neuf ?". C'est la question des gens qui tournent en rond et dont chaque journée ressemble à la précédente. Comme elle trouve le passé inintéressant et refuse de l'évoquer, comme l'avenir est annihilé par la répétition quotidienne des mêmes gestes obsessionnels, il y a peu de chance que cela s'arrange. Elle a une tablette, mais ne s'en sert pas. Aucune curiosité, même pour son fils qui écrit un blog quotidien. Cela pourrait peut-être l'amuser, mais non, elle vit dans un no man's land temporel propre à beaucoup de vieilles personnes. Sa phrase la plus déprimante, pour elle comme pour moi, mais pour des raisons différentes, est "il ne se passe rien" lorsqu'elle évoque l'actualité. Cette remarque est la résultante des infos télévisées où les faits divers occultent l'état du monde. Paradoxalement, si un évènement fait la une pendant plusieurs jours elle critique le fait que l'on ne parle que de cela, mais au détriment de quoi ? Lorsque j'étais enfant et que la télévision est arrivée dans notre famille, mes parents étaient persuadés que cela permettrait d'éduquer les masses. L'optimisme des années 60 a périclité depuis belles lurettes ! Les faits divers, particulièrement, influent sur l'opinion sans ne jamais analyser les causes. Ils sont pourtant révélateurs de notre société, mais sans travail de réflexion leur écran de fumée cache les vrais problèmes et leur éventuelle et nécessaire résolution. Si cette opération de décervelage n'était pas rigoureusement planifiée il y a longtemps que les citoyens auraient renversé leurs oppresseurs au lieu de penser que l'on ne peut rien faire, sentiment inculqué par la répétition immuable de faits présentés comme inéluctables. Pourtant, une chose est certaine, il ne se passe jamais "rien", bien au contraire, du pire et du meilleur. Partout sur cette planète les hommes continuent à tuer ou à résister, à détruire ou à inventer, à vivre et à mourir. CQFD, mon billet l'atteste, aujourd'hui il ne se passe rien.

jeudi 23 avril 2015

Playlist des enchanteuses


Sur la platine tournaient déjà les albums Older de Yael Naim, 69 battements par minute de Claire Diterzi, celui d'Ibeyi, The Way de Macy Gray, et puis Michel Musseau me conseille d'écouter Modern Ruin de Kyrie Kristmanson, et comme je l'en remercie il en ajoute un autre de déjà douze ans d'âge, Exile de Sidsel Endresen, deux petites merveilles.
Les chansons pop de Yael Naim composées avec David Donatien (ici live) passent et repassent avec une évidence surprenante. Sur Irma la chanteuse Leyla Mac Calla, au violoncelle et au banjo, rejoint Yael Naim qui tient le glockenspiel, mais l'émotion la plus forte s'exprime probablement sur le très Bachien Coward avec les chœurs des 3SomeSisters. La variété n'étant pas mon fort, je ne l'avais pas entendue avant l'album Around Robert Wyatt de l'ONJ où elle interprète Just As You Are avec Arno et Guillaume Poncelet au banjo, et Shipbuilding dont Antonin-Tri Hoang est le soliste au sax alto. Son cheveu sur la langue produit justement le même effet de fragilité que pour Robert Wyatt !


Claire Diterzi est trop personnelle pour emporter tous les suffrages à la première écoute. C'est pourtant probablement l'auteure-compositrice-interprète-multi-instrumentiste la plus originale de sa génération, la plus complète certainement (N.B. : Camille ne cumule pas tous ces postes). Son dernier album est le meilleur depuis son chef d'œuvre Tableaux de chasse. Six textes sont cette fois signés du dramaturge argentin Rodrigo Garcia, provocateur avec ses hauts et ses bas. Diterzi a toujours soigné le spectacle, consciente de l'importance de l'image chez une artiste. Aux seize chansons de l'album doivent correspondre seize clips-vidéo. Dans celui de Infiniment petit le géant est joué par Denis Lavant !


Je ne m'attarde pas sur Ibeyi, duo franco-cubain composé des sœurs jumelles Lisa-Kaindé et Naomi Diaz, ni sur le dernier album de Macy Gray aussi chouette que ses précédents, voix enrouée aussi craquante que Billie Holiday, parce que d'un côté le soleil me fait de l'œil et de l'autre le boulot arrive via WeTransfer...


Modern Ruin de la chanteuse et compositrice canadienne Kyrie Kristmanson est façonné par Clément Ducol, le compagnon de Camille à la vie comme à la scène. Il a choisi l'excellent Quatuor Voce pour l'accompagner sur ces chansons d'amour écrites par des femmes troubadours du Moyen-Âge. Sa connaissance de la musique contemporaine lui permet de faire sortir des cordes les coups les plus ressassés pour envoyer des timbres étonnants sans mettre de gants. La transversalité des genres envahit la variété avec bonheur.


Enregistré en 1993 chez ECM, Exile est le plus beau disque de la chanteuse norvégienne Sidsel Endresen avec Nils Petter Molvær à la trompette, Django Bates au piano et au cor, Jens Bugge Wesseltoft aux claviers, David Darling au violoncelle et le percussionniste Jon Christensen. L'album s'ouvre au fur et à mesure que l'on avance dans le temps. Depuis, elle continue de flâner entre jazz, musique improvisée et musique électronique.
De plus en plus d'artistes femmes écrivent ou composent leur propre répertoire. Peut-être le faisaient-elles déjà dans le passé, mais dans la clandestinité du machisme tenace elles restaient dans l'ombre, ou plutôt sur le devant de la scène en proie au désir du public.

mercredi 22 avril 2015

Deux films hilarants et saignants de Damián Szifrón


Damián Szifrón n'a pas attendu Les Nouveaux Sauvages (Relatos salvajes, 2014) pour nous faire rire, mais rire jaune, car ses films sont des pamphlets acérés qui découpent notre monde cynique et insensé à la machette. Le montage est d'ailleurs aux petits oignons, comme le reste des ingrédients de tous ses films, une cuisine savoureuse et fortement épicée où la frontière entre le drame et la comédie ne sont qu'une question de point de vue. Le réalisateur argentin manie l'humour buñuélien comme un sale gosse qui aurait compris les ressorts de la vie des adultes.


L'enthousiasme ressenti à la projection de ses histoires sauvages nous a donné envie de voir ses films précédents. À noter que la sauvagerie a gagné les personnages dans la traduction française du titre ! Tous partent d'abord en déliquescence pour trouver ensuite le moyen de se reconstruire, mais à quel prix ? Si Relatos salvajes rassemble une série de courts récits sans passerelles narratives, leur air de famille unifie l'ensemble dont les pièces disparates constituent un film de long métrage avec un rythme qui lui est propre.
Tiempo de valientes (2005) nous a semblé encore plus hilarant. Il est rare qu'un thriller fasse rire aux larmes. Szifrón s'empare des lois du genre ou des références culturelles pour les détourner et les dynamiter avec une veine anti-machiste salvatrice et un talent fabuleux pour faire avaler les pires invraisemblances. Sans déflorer Relatos salvajes, l'actualité récente a montré que les pires scénarios, les plus incroyables, sont à puiser dans le réel, encore qu'ici Szifrón l'a anticipé !
El fondo del mar (2003) n'a pas l'éclat des deux suivants, mais on y reconnaît le thème de l'infidélité, l'hyper-réactivité des personnages, la corruption de la police ou des élites, la fragilité des hommes et l'équilibre des femmes, la moquerie de la psychanalyse, la conscience des rapports de classe et des ressorts psychanalytiques !
Hélas, pas moyen de trouver les sept courts métrages et la série Los Simuladores réalisés entre 1992 et 2002, ni la série Hermanos & Detectives de 2006, ou du moins autrement qu'en espagnol non sous-titré, langue qui m'est étrangère...

mardi 21 avril 2015

Arnaque aux chatons


Comme nous cherchons un chaton de deux mois à adopter (gratuitement évidemment, car nous n'encourageons pas la traite des animaux), j'ai répondu à quelques annonces spécifiant Paris et la région parisienne. Or la plupart des retours sont rédigés à peu près dans les mêmes termes. On invoque d'abord une allergie (bizarre que la maman des chatons ne pose pas ce problème !), un déplacement à l'étranger (ou sur l'île corse !) et évidemment l'urgence. Le courriel se termine chaque fois par la proposition d'envoyer l'animal par avion (en général 200 euros par animal en nous suggérant évidemment d'en prendre au moins deux !). Petit détail : ce sont souvent des chats "de race" (ou du moins qui y ressemblent... Sacrés de Birmanie, chartreux, etc.)... Voici deux exemples, tels quels, de l'arnaque contre laquelle les sites spécialisés nous mettent en garde : "Attention aux fausses annonces, ne payez jamais de frais à l'avance (transport, vétérinaire ou autre)."

Bonsoir, merci pour votre courrier concernant nos chatons, ils sont toujours à la disposition d'une personne de bien disposé à leurs fournir suffisamment de soins et d'amour, les chatons sont vaccinés, vermifuges et possèdent une garantie de santé d'un an et ont déjà été vérifiés. Donc voici les photos ci-joint, ils ont un très bon tempérament avec les enfants et les autres animaux domestiques , ils adorent jouer avec les enfants, ils arriveront chez vous avec tous leurs papiers de santé, les raisons pour lesquelles nous les donnons pour adoption est dû au fait que mon mari travail a l'ONU nous sommes maintenant en Belgique car mon mari et moi sommes parti de la France il y a deux semaines pour raison professionnelle sur une durée d'environ 5 mois. Nous sommes venus avec les chatons sans savoir que nous serions trop occupés et maintenant nous n'avons pas assez de temps pour eux.en plus de cela je suis enceinte et mon mari lui il travaille a plein temps.Je veux les renvoyer uniquement en France par-ce-que j'aurai la possibilité de leurs rendre visite de temps en temps quand je serai de retour car j'ai vraiment envie de voir l'évolution de ces chatons puisse qu'ils sont vraiment adorable.Les chatons resteront avec vous pour toujours.Ils ont les passeports et les carnets médicaux sont à jours .Ils peuvent donc être chez vous dès demain. Vu que nous nous sommes déplacés pour la Belgique on pourra arranger soit un rendez-vous dans les plus bref délai ou encore une transporteuse vétérinaire . ils arriveront avec les accessoires suivantes ;1 ans d'assurance médicale, Certificats d'adoption, Certificats de bonne santé établi par vétérinaire, Tout les vaccins mis a jours, Menu alimentaire, Quelques jouets. NB: comme seule condition de cette adoption,nous promettre que vous aller en prendre très bon soin des chatons.Les frais de transport sont a ma charge( tout frais compris pour une livraison a votre domicile) Il y a pas de souci si vous n'allez pas pouvoir me rembourser .Ils arriveront en France par avion et seront directement livrés a votre adresse par une transporteuse vétérinaire..le voyage ne met pas long ( 3 heures de temps pour une livraison complet a domicile ) et les chatons voyagent dans des bonnes conditions.ils ne seront même pas fatigués a leurs arrivées chez vous car ils voyagent avec une transporteuse qui prendra bien soin d'eux durant tout le voyage . les chatons sont âgées de 3mois. Donc si vous êtes vraiment capable d'en prendre soin d'un de nos chatons alors répondez moi avec votre choix sur les deux et aussi vos informations comme stipulé ci-dessous, puisque c'est avec ça que j'irais faire la réservation du voyage de Minette ( la Femelle ) ou de Minou ( le Mâle ). (...)
Mais avant tout nous voulons être sure que Minette ou Minou ira entre des bonnes mains,car nous ne voulons pas donner un de nos loulous a une personne n'ayant pas le temps de s'occuper d'eux . Une personne retraité ou un couple disposant d'un terrain ou jardin serait l'idéal pour eux,C'est pourquoi nous aurons quelques questions à vous poser.êtes vous éleveur?Ou vous situe vous ?Avez vous déjà eu d'autre animaux?Quel sont vos horaires de travail ?êtes vous sure que votre temps et votre revenu vous permettra de prendre soin de Minette ou Minou? Quel couleur de chaton cherchez vous?
PS: J'ai mes collègues ailleurs(aussi étranger) qui ont des pareille problèmes qui peuvent vous contacter puisse qu'ils ont aussi mit leurs annonces sur le site concernant leurs chatons.Ne soyez pas étonné si vous voyez un mail pareille. Merci de bien vouloir leurs faire comprendre que vous avez déjà trouvé votre bonheur puisse que je compte vraiment vous donner l'un de nos chatons pour adoption contre bon soin.
Ou encore si vous êtes contacté avec les même photos par ma petite sœur qui m'aide aussi à trouvé une famille qui pourra adopter nos chatons le si vite possible,veillez l'ignorer et communiquer directement avec moi car je vais lui faire comprendre que je suis déjà en contacte avec vous puisse que je lui est demandé de communiquer avec vous car je croyais que je devais être occupé pour vous répondre.
En espérant que cet adoption nous apporteras de l'amitié..."

Variante :

La raison pour la quelle nous les donnons est que nous n'avons plus assez de temps pour nous en occuper parce que nous nous sommes déplacés pour Manchester pour de travailler et je suis enceinte. Nous sommes un élevage familial mais actuellement nous n'avons pas d'autres choix que de trouver des meilleurs foyer pour les chatons puisse que nous ne pouvons plus nous occuper d'eux à cause de manque de temps pour ne pas être égoïstes et faire souffrir les chatons à cause de peu de soins vue notre emploi de temps nous avons décidé de les trouver des foyer où ils pourrons être mieux Car ils sont en effet orphelins depuis deux semaines leur maman a trouvé la mort à la suite d'une bastonnade que lui on infligé les jeune du quartier je ne voudrais pas que cela se répète sur les petits. Ce sont des chatons très rare et cher, mais puisse que nous savons qu'ils y a des gens avec peu de moyens qui pourrons mieux s'en occuper grâce à leurs disponibilités nous les donnons à titre Généreux avant tout nous voudrions que vous répondez aux question suivantes (...)

Autre variante :

Bonjour,
ravis de vous lire au sujet de l’adoption de nos deux chatons Alex et rami ils sont encore disponible comme vous l'avez vue sur l’annone il s'agit d'un mâle et d'une femelle âgé de 3 mois mon conjoint étant malade le médecin a déconseillé la présence des animaux dans la maison ce qui pourrais aggraver sa maladie tel est la raison de notre don qui doit se passé le plus rapidement possible (même si cella nous fait mal de donner ces petits qui sont pour nous des enfants) pour des raisons de travail dans notre zone nous avons été coupé du réseau donc impossible de passer un appel ce qui nous aurais faciliter les choses mais nous allons nous contenter de vous écrire tout en vous faisans confiance avant de commencer pouvez vous nous décrire votre environnement afin que nous sachons si cella conviendra a nos petit boule de poil pouvez vous venir les voir et les chercher de vous même? nous somme sur Carquefou dans le 44 au cas ou la distance vous causera un probleme de déplacement ou vos horaire surchargé a cause de votre travail par exemple nous avons entrepris de vous envoyer les petits chez vous par un transport d'animaux réunissant sécurité confort et calme pour les chatons pour ce qui est des frais de voyage des chatons nous pourrons payé la moitié de nous même et nous vous demanderons juste de contribué pour l'autre moitié et sa sera tout nous pouvons aussi les donner séparément car le vétérinaire nous a fait comprendre que la séparation ne causera pas un probleme a l'age qu'ils ont actuellement nous voulons juste que vous prenez bien soins des chatons chez vous !

Etc. Toutes les réponses sont du même acabit. Quant à la photo, toute ressemblance avec de vrais chats serait purement fortuite.

lundi 20 avril 2015

Art Sonic et l'Orchestre Éphémère


Il y a des occasions qui ne se manquent pas. À défaut elles se racontent ou se partagent par la magie de la reproduction, un disque par exemple puisqu'il s'agit de musique. C'est du moins à espérer, car en clôture du Festival Banlieues Bleues, l'Atelier du Plateau accueillait l’Ensemble Art Sonic et ses invités. Le quintette à vent s'était multiplié par deux en invitant cinq musiciens exceptionnels à jouer sur des instruments rares et plutôt encombrants ! Sous la direction du flûtiste aux mains d'argent Joce Mienniel et du clarinettiste sautillant Sylvain Rifflet, le hauboïste Cédric Chatelain, la bassoniste Sophie Bernado et le corniste Baptiste Germser avaient été rejoints par la harpiste Hélène Breschand, Thomas Bloch au cristal Baschet, Claudio Bettinelli aux bols et percussions métalliques tandis que Ève Risser et Benoît Delbecq avaient troqué leurs pianos respectivement pour le clavecin et le célesta.


Pour cette nouvelle aventure intégralement acoustique, Mienniel & Rifflet ont repris l'ascenseur pour des étages élevés, d'une hauteur plus contemporaine que leur album Cinque Terre, mais tout aussi lyrique et riche en timbres incroyables. Leurs goûts éclectiques sont chaque fois recentrés par un traitement puissant et délicat d'arrangements originaux comme lors du rappel où Art Sonic et l'Ensemble Éphémère interprétèrent Il Casanova de Nino Rota. Il se murmure que la prochaine étape serait un programme autour de l'accordéoniste Jo Privat, star disparue du jazz musette. En attendant, la marqueterie sonore et les sculptures métalliques amplifièrent merveilleusement le souffle multiphonique du quintette à ressort, mêlant habilement l'écriture traditionnelle et l'improvisation où chacun/e put s'échapper sans que la virtuosité ne cache jamais l'évocation dramatique et sensible.


Grâce au dispositif orchestral inhabituel imaginé par Mienniel et Rifflet nous eûmes le privilège de voir Benoît Delbecq de face tandis qu'il se faisait les muscles sur le célesta, touches raides pour un pianiste habitué à caresser son clavier. Même enjeu pour Ève Risser qui arpégea des clusters dignes du concerto de Manuel de Falla. La puissance de la harpe préparée de minuscules pinces à linge par Hélène Breschand est aussi enthousiasmante que les dés à coudre et les barbotages dans des cuvettes accordées du percussionniste italien Claudio Bettinelli. Frottant les tiges du cristal Baschet, Thomas Bloch tenait le rôle de la basse et des voix célestes, enveloppant le reste de l'orchestre dans un halo merveilleux. La rose des vents d'Art Sonic nous fit perdre la boussole, des slaps cinglants au souffle continu, accords exaltés et sereins suggérant la cohésion humaine au delà des notes.

vendredi 17 avril 2015

Charade


Après avoir longuement surveillé la mésange, le geai finit par comprendre (à) quelle image le miroir renvoie. Plutôt qu'imiter les sauts de zébulon du petit passereau le geai agite ses ailes en se regardant du coin de l'œil. Ses mimiques schizophréniques renversent la célèbre scène de Duck Soup où Pinky (Harpo Marx) qui a cassé le miroir singe les gestes de Firefly (Groucho Marx) dont il a pris l'apparence, gag inventé par Max Linder douze ans plus tôt en 1922 pour Sept ans de malheur. Superstitions et maladresses peuvent accoucher de merveilleux scénarios ! Ici le geai se dédouble, son reflet prenant son indépendance pour jouer d'un effet de distanciation que B.B. aurait adoré.


Le geai résonne en moi comme un suffixe, rime riche que mon père avait noté dans sa charade nominale : "Mon premier est un apéritif, mon second est un oiseau et mon tout est un homme délicieux". Mon souvenir avait laissé la marque d'un "oiseau des cieux", pléonasme que j'attribue seulement à la démarcation grivoise du terme "petit oiseau" auquel mon père avait donné des ailes. Le qualificatif délicieux rend mon interprétation d'autant plus crédible. Pendant ce temps le geai des chênes se déchaîne en battant des ailes sur ses échasses.

jeudi 16 avril 2015

À plat


Erreur de perspective. L'homme porte les branches, l'arbre une perruque. L'image se lit comme un oracle. Quelle précision ! Je dors debout. Dans la boîte : le miaulement d'un gros chat, une aspiration, l'ampoule flash d'un appareil argentique, toute une jungle, des percussions, un orchestre, une guitare préparée avec des grains de riz et la clarinette d'Antonin. Autant de notes, autant de phrases à découper ensuite. Pour la seconde vinaigrette j'ai mélangé de l'huile d'olive, de l'huile de sésame, du vinaigre turc à l'ail, de la moutarde, de la pâte de curry, du poivre de Tasmanie. Après cinq heures de cuisson les souris fondaient dans la bouche. Terminus au mastica.

mercredi 15 avril 2015

Hors Cadre[s]


Découverte de la revue Hors Cadre(s), observatoire de l'album et des littératures graphiques, qui en est déjà à son seizième numéro, consacré à La création et le numérique. Mise en page aérée, articles de fond sous des angles d'approche variés, enquêtes sérieuses, la publication destinée à la littérature jeunesse, rare lieu où la création littéraire et graphique s'épanouit encore, donne envie de retourner voir les précédents numéros. Sur le site Internet chacun reproduit son sommaire et les 48 pages que l'on peut feuilleter au format swf, mais la lecture de l'objet original reste indispensable à moins d'être radin au point de se crever les yeux et d'attraper la migraine en tentant de décrypter ce généreux avant-goût (L'Atelier du Poisson Soluble, 11€ le n° ou abonnement).


Ce n'est pas un hasard si je suis tombé sur cette belle revue, mais tout simplement parce que j'y suis cité plusieurs fois ainsi que certaines œuvres auxquelles j'ai participé. Ainsi Séverine Lebrun (Ceci n'est pas un livre - À la découverte des acteurs d'un nouveau monde) m'interroge sur le design sonore en s'appuyant sur Boum, roman graphique et sonore conçu avec l'illustrateur Mikaël Cixous et à paraître début mai chez Les Inéditeurs, et Marianne Berissi (On peut faire défiler le texte ?) évoque mon roman augmenté USA 1968 deux enfants réalisé avec la même équipe qui comprend également Sonia Cruchon et Mathias Franck. Et Yann Fastier de rappeler les antécédents du CD-Rom Alphabet créé avec Murielle Lefèvre et Frédéric Durieu à partir des illustrations de Květa Pacovská ; car ce fut bien l'âge d'or de la création numérique, avec des budgets considérables en regard de ce qui se pratique aujourd'hui et donc la possibilité de se plonger dans une recherche inventive encore inégalée, même par les superbes œuvres que l'équipe de Hors Cadre(s) recadre au fil des pages.


Dans son édito Sophie Van der Linden s'étonne que les créateurs insistent systématiquement que "l'ordinateur n'est qu'un outil". À chaque nouvelle révolution technologique il a pourtant fallu rappeler que les nouveaux instruments ne chassent pas forcément les anciens, mais qu'ils les complètent, offrant de réaliser des créations jusqu'ici seulement rêvées. À chaque support correspond des œuvres particulières et chaque œuvre doit trouver le support qui lui est le mieux adapté. Il aura ainsi fallu l'invention de la peinture en tube pour que les impressionnistes puissent glisser les couleurs dans leur poche et aillent peindre sur nature. De même la création numérique offre les ressources de l'interactivité, du partage entre lecteurs, des lumières inédites, des animations ou, en ce qui me concerne, la joie d'utiliser le son de mille manières inventives et complémentaires, loin des illustrations redondantes que tant de médias audiovisuels ont banalisé à force de rentabilisation, de marketing "ciblé", d'inculture et de perte de mémoire. Associer par exemple du son "hors cadre" aux images élargit l'espace en laissant deviner ce que l'on ne voit pas, et ses évocations laissent vagabonder l'imagination comme aucun autre artifice.

mardi 14 avril 2015

Deux poids, deux mesures


À huit heures du matin à Bobigny deux cents personnes font déjà la queue, certains pour réclamer huit euros dix sept septimes qui leur permettront peut-être de boucler le mois. Sur la porte une affiche menace : "Frauder c'est voler. Celui qui fraude sera sanctionné. Frauder c'est porter atteinte à la solidarité nationale. L'État et la Sécurité Sociale intensifient leurs actions et renforcent les sanctions encourues par les fraudeurs. La fraude on a tous à y perdre."
L'affiche ne serait-elle pas plus à sa place devant une banque ? Tandis que la queue s'allonge à Bobigny, d'autres placent leurs millions dans des paradis fiscaux et s'offrent les services d'un conseiller fiscal pour ne payer aucun impôt. 60 à 80 milliards échappent ainsi à l'État Français. La fraude fiscale pratiquée par les riches équivaut à plus de 2000 milliards pour l'ensemble de la Communauté européenne. Ils jouent sur les vides juridiques de la loi, placent leur argent à l'étranger, trichent sur leurs déclarations, etc. Et le secret règne.
Regardez la famille Mulliez : la première fortune de France, possédant Auchan, Décathlon, Leroy Merlin, Flunch, Norauto, Kiabi, Kiloutou, etc. appartient à 650 cousins, employant 500 000 salariés dans 8 000 magasins dans le monde, soit 80 milliards d'euros de chiffre d'affaires. "Chaque année, en France, 10% des dépenses courantes et d’équipement de l’ensemble des foyers atterrissent dans les caisses d’une même famille." Avec leur défiscalisation l'Irlande, les Pays Bas, le Luxembourg sont dans le collimateur, mais sur toute la planète c'est la même histoire. Une poignée de cyniques se sont accaparés toutes les richesses et ils ne lâcheront rien. C'est eux qui ne lâcheront rien. Jusqu'où iront-ils ? Seule la famine accouche sûrement de révolutions. Elle est à nos portes. Au Portugal on meurt dans les rues de certains quartiers. Faudra-t-il couper des têtes devant tant d'arrogance et d'injustice ? Les capitalistes d'aujourd'hui ne sont plus seulement coupables de crimes contre l'humanité, ils mettent en péril la planète toute entière.
L'État français qui valide les paradis fiscaux et le secret bancaire est complice des financiers qui dictent leur loi et gouvernent de fait. Ces puissants ruinent la planète en créant un désastre écologique, pensant probablement y échapper, mais comment ? Leur nouvelle station galactique est plus loin qu'ils l'imaginent. Leurs enfants pâtiront tout autant de la catastrophe annoncée (je suis en train de lire Tout peut changer de Naomi Klein). C'est une sorte de perversion narcissique à l'échelle de la planète. Et les pauvres de voter pour leurs bourreaux par l'entremise de politiciens corrompus sous couvert de "démocratie" ! La misère et l'absence de réflexion politique poussent les plus démunis vers la haine de l'autre, droit dans les bras de la réaction qui incarne alors une contestation identifiée du système.
Comment peut-on accepter que ce sont ceux qui font la queue toute la journée pour trois francs six sous à la Caisse d'Assurance Maladie que l'on taxe de fraudeurs ?

Photo © Christophe Biet

lundi 13 avril 2015

Rap News en direct de l'EuroDivision


Le nouvel épisode des Rap News présenté par The Juice Media est consacré ce mois-ci à l'austérité qui sévit en Europe. Ils taillent un short à Angela Merkel et Christine Lagarde avec le soutien de Slavoj Žižek ! Au concours de l'EuroDivision la Grèce, l'Espagne et l'Irlande semblent bien placées. Les Australiens Giordano Nanni et Hugo Farrant émettent depuis leur home studio situé dans une arrière-cour de la banlieue de Melbourne avec toujours le même entrain.


N'oubliez pas de cliquer sur les sous-titres parce que ça va vite et si cela vous a plu regardez les épisodes précédents ! De temps en temps un véritable témoin, tels Julian Assange, Noam Chomsky, Kristinn Hrafnsson, Sage Francis, Abby Martin, Norman Finkelstein, participe "sérieusement" à l'émission...

vendredi 10 avril 2015

Les mots de Musseau et les mets de Caron


Michel Musseau pèse ses maux en nous renvoyant aux nôtres. Avec ses allures de clown triste le compositeur se prête à l'exercice de la chanson en s'accompagnant seul au piano. Chaque mot est à sa place comme dans une valise cent fois ouverte et refermée. Entre ses mains les riens du tout deviennent des vérités universelles. Les accords restent souvent suspendus comme si aucune résolution ne pouvait être prise sans que le clavier se cabre. Les aphorismes servant d'introductions sont déjà des courts métrages où l'absurde frise le bon sens. Chaque chanson, française comme le béret de Brunius dans L'affaire est dans le sac de Pierre et Jacques Prévert, met en voix une historiette métaphysique où l'humour révèle "la difficulté d'être" avec une tendresse exceptionnelle.


Seconde partie de la soirée. Sous une fausse insouciance c'est bien la tendresse qui domine dans le tour de chant d'Élise Caron accompagnée par le pianiste Denis Chouillet. Le mélo dit que l'amour ne peut être que spirituel, entendre l'intelligence du cœur. "Et mon cul c'est du Poulenc ?" avais-je écrit à la sublime divette en 1996 pour signifier l'enfance de l'art et du cochon. À l'écoute de son merveilleux récital j'ajouterais aujourd'hui les facéties de Jean Constantin, les mélodies de Michel Legrand ou l'influence toute contemporaine qu'Élise Caron semble avoir eu sur Camille. Autant de réminiscences déplacées qui nous embarquent pour un nouveau voyage orphique où il est dangereux de se retourner. Denis Chouillet, compagnon de scène depuis le début des années 90, sautille d'une main sur l'autre entre piano et électrique tandis que la chanteuse passe du clavier à la guitare. Le public en redemande. Au fond du Triton, des amoureux se roulent des pelles. C'est bon signe.

Deux autres représentations ce soir et demain samedi à 21h au Triton, Les Lilas.

jeudi 9 avril 2015

La nuit Scat était gris, mais le jour aussi, était gris


En épluchant les annonces de chatons à donner je suis tombé sur une fratrie de chartreux gris souris à croquer. Pas question d'acheter un animal évidemment. Nous souhaitons adopter un petit de deux ou trois mois élevé sous la mère, espérant éviter ainsi les conséquences des traumatismes des pauvres bestioles abandonnées. C'est aussi une question de coup de foudre car l'aventure commune peut durer vingt ans (si je tiens le coup jusque là !). Il est donc indispensable de voir les chatons avant de nous décider. Nous connaissions ainsi les pédigrées de chats de gouttières de Lupin, Scat, Snow et Scotch pour avoir rencontré leurs mamans.
Les donateurs hypothétiques des chartreux répondirent par une série de questions: "Êtes vous éleveur ? Où vous situez vous ? Êtes-vous sûr que votre temps et votre revenu vous permettent de bien prendre soin de nos chatons ? Surtout ne pas les vendre." Suivies de conditions : "Me permettre de visiter les chatons disons deux fois par an, me donner les nouvelles des chatons avec les photos aussi, leur donner tout l'amour dont ils auront besoin, prendre bien soin d'eux, il faudra que les bébés restent avec vous toute leur vie." Enfin la description des caractères de chacun donnait envie d'adopter aussitôt les deux. Je répondis comme il se doit à chaque question avant de m'apercevoir que les chatons ne vivaient pas à Paris comme stipulé sur l'annonce, mais à Londres ! Il fallait donc aller les chercher ou payer les frais de transport de 200 € par chaton par une agence spécialisée dans la livraison animalière. J'avoue avoir fait machine arrière alors que nous aurions pu passer le week-end en Angleterre (pour moins de 400€!) et ramener la marmaille avec nous dans l'EuroStar, mais les formalités douanières se sont un peu durcies depuis peu...
La photo des chartreux m'a évidemment fait penser à Scat, mort à quatre ans, empoisonné par un voisin maladroit ou mal intentionné. Guy Le Querrec l'a immortalisé sur un fameux cliché paru dans son recueil Jazz, un petit format italien de 400 pages où notre héros m'épaulait au Theremin pendant que Bernard Vitet jouait du cornet dans le jardin de Clamart (Federico Motta Editore, 2001). Sa photo est également parue quatre ans plus tard dans Le Chronatoscaphe, album exceptionnel commémorant le 25e anniversaire du label nato (3 CD, illustré par une douzaine de dessinateurs de BD et une soixantaine de photos de Le Querrec, avec des textes d'une vingtaine de journalistes) ; j'en avais écrit et composé les 53 intermèdes sonores avec la participation des comédiens Nathalie Richard et Laurent Poitrenaux à la demande de son producteur Jean Rochard, grand serviteur de la gente féline...

P.S. : lire "Arnaque aux chatons"

mercredi 8 avril 2015

Tofu, Têt et rillettes


Hier pré-jury Design Sonore à l'École des Beaux-Arts du Mans avec Sacha Gattino et Ludovic Germain. Deux projets vraiment formidables, un autre sympa. En rentrant je ne pouvais faire autrement que de rapporter un pot de rillettes de Conneré, mais cela ne suffisait pas pour remplir le réfrigérateur vide depuis six semaines. Halte à Belleville chez Super Tofu pour deux bols de tofu nao à emporter et des brioches à la pâte de riz (je ne me souviens plus comment cela s'appelle : enveloppées dans un petit sachet transparent elles sont plus petites que les paotze) et Paris Store pour de délicieux rouleaux (Tet) et des pyramides (Ù tè) de riz gluant au porc enveloppés dans des feuilles de bananier et fabriqués par les Trois Frères. Dans mon panier j'ai ajouté un chou chinois, de longues aubergines violet clair, des petites aubergines rondes et vertes, des eddoes ou malangas (sorte de taro poilu), des pousses de petits pois, du poivre vert et du curcuma frais. On y trouve aussi quelques produits indiens et japonais. J'ai du mal à résister devant une nouvelle sorte de piment. De même que je n'accepte de travail à l'étranger que s'il y a autant de jours de tourisme que de boulot, je ne peux imaginer faire un saut en province ou dans le quartier d'une communauté sans rapporter quelque spécialité culinaire...

mardi 7 avril 2015

Kronos Quartet : Tundra Songs


L'insatiable curiosité du Kronos Quartet le mène cette fois dans le Grand Nord. Tundra Songs, publié par Centrediscs, le label du Centre de Musique Canadienne, est l'un de leurs albums les plus originaux. Composé entièrement par le jeune Canadien Derek Charke, il pose quantité de questions qui font souvent défaut à la musique contemporaine comme son ancrage dans les musiques populaires de la planète, son immersion dans les sons du monde, son rapport à la voix et à la narration, sa générosité lyrique, l'improvisation...
La chanteuse inuk (singulier de inuït !) Tanya Tagaq, révélée par le Medúlla de Björk, montre la voie aux cordes qui imitent à leur tour les jeux du Katajjak, en faisant faire des cercles aux archets qui les attaquent verticalement ou les pressent jusqu'au grincement. "Pour accroître les effets, on peut utiliser des mini-pinces à linge. On les place près du chevalet et sur les cordes. De la même façon, les notes d’un piano préparé (des vis sont insérées entre les cordes) émettent un son différent, plus rocailleux. Les mouvements circulaires de l’archet possèdent de manière inhérente un temps fort et un temps faible, l’accent étant donné non par la tête mais par le talon de l’archet. Le temps fort sera soit ferme, soit délicat ; cela dépend si le mouvement circulaire va dans le sens des aiguilles d’une montre ou dans le sens contraire des aiguilles. Le mouvement vertical de l’archet donne un son plus léger mais le rapport temps fort - temps faible demeure." Les nouvelles techniques croisent les pratiques ancestrales.
Dans Cercle du Nord III Charke fait fondre ses field recordings dans les sons du quatuor : la nature avec les oiseaux, les aboiements des chiens et glissements des traîneaux, les pas sur la neige, le vent, mais aussi la vie moderne avec le vrombissement des motoneiges, les camions sur les routes glacées et le bourdonnement omniprésent de la centrale électrique d’Inuvik. Le compositeur cherche à refléter la modernité de ce paysage social en mutation, quitte à ajouter un son de synthétiseur, mais toujours avec la subtilité de son analyse. Pourquoi les musiciens résistent-ils à considérer tous les sons sur un plan d'égalité ? La musique est-elle autre chose que l'organisation des bruits, des évocations qu'ils suscitent, sans hiérarchie, un pont dressé entre nature et culture ? Dès les années 60 je mêlais les bruits du quotidien ou certains sons exotiques aux instruments traditionnels et électroniques, cherchant à fabriquer des univers mentaux ou à recréer des espaces imaginaires que seul le son fait naître. L'infini.
Pour les Tundra Songs Charke enregistre les crevettes, les krills, les phoques avec un hydrophone. La glace craque. On pense au travail de Chris Watson. Les corbeaux fondent sur la viande. Il fabrique un capteur de bourdonnements constitué d’une boîte en plastique avec un trou pour le microphone, puis y introduit un moustique pour l'enregistrer ! Chacun des mouvements explore un monde sonore précis : la glace (hiver), l'eau (printemps), une histoire contée par Laakkuluk Williamson Bathory de Iqaluit au Nunavut (été), les hurlements des chiens de traîneau (automne), le croassement des corbeaux (hiver).
Sous les archets du Kronos se dessine l'histoire du Groenland, un voyage dans le temps qui ne néglige ni le passé ni le futur, une épopée des grands espaces où le jeu est une des clefs de l'énigme.

lundi 6 avril 2015

La Ciotat 2015


Retour. Déjà. La Ciotat se transforme. D'un côté une superbe médiathèque et la rénovation de l'Eden (salle historique où les Frères Lumière projetèrent pour la première fois un film en public), toutes deux avec des programmations exemplaires. De l'autre des constructions immondes pullulent, l'acculturation se sent partout depuis que la droite a repris la ville. Le dimanche, le marché du port est devenu un traquenard pour touristes et gogos locaux adeptes de la junk universelle. Il faut se frayer un chemin pour trouver d'authentiques petits commerçants ciotadens. Nous achetons de jolis poissons frais de la veille ou du matin-même. Et puis il y a la mer. Immense. Calme. Qui bêle doucement. En surface elle semble immuable. J'ai mis ma capuche et mes lunettes noires. Le Mistral glace les os. Le soleil les réchauffe.
Retrouvé Nicolas pas vu depuis deux ans. Il revenait tout juste d'un périple qui l'avait mené de New York à Hanoï en passant par Barcelone, Bogota, Alexandrie, l'Inde du Sud, Séoul et Pékin. Je suis impatient de découvrir Agora(s), son projet pharaonique autour de grands espaces urbains qui prendra forme à Marseille à l'automne, “anthropologie poétique entre esthétique des foules et chorégraphie documentaire”.


Jean-Claude libère les canetons de la dernière couvée après avoir raccourci les plumes d'une de leurs ailes pour qu'ils ne s'envolent pas. Il cueille les herbes sauvages du jardin pour composer une salade colorée (lilas d'Espagne, crannié, cardelle, engraisse pouarc, doucette, roquette blanche, jeunes feuilles de blettes sauvages, coquelicot, pissenlit avec ses fleurs jaunes, fleurs de bourrache violettes, pétales de rose...) que nous agrémentons d'une sauce épaisse dont il a le secret (aïoli, moutarde, coulis de tomate, pignons de pin et noix de cajou pilés, miel, vinaigre balsamique, huile d'olive, piment, ail des ours, sauge...). Maurice a apporté les oursins et les poulpes qu'il a pêchés et des asperges sauvages pour l'omelette. Et puis Glacier du Roi à Marseille. Colline de sable à St Cyr...
Mais déjà le train entre en gare...

vendredi 3 avril 2015

Les mille yeux du Dr Mabuse


Tandis que nous nous promenons dans le quartier du Panier à Marseille Simon pointe les caméras dissimulées sous le globe en verre fumé accrochées au coin des rues. Big Brother is Watching You. La CIA nous écoute. Coucou c'est nous ! Après le cambriolage chez Elsa la police scientifique prend l'empreinte de mes paumes parce que les voleurs en ont laissé "une belle" sur la vitre brisée. J'ignore qui me renifle, mais je ne me sens pas bien. Il n'y a rien de rassurant dans Les mille yeux du Dr Mabuse. Et The Peeping Tom rend malade son propre fils au point d'en faire un criminel. Les home movies révèlent parfois des monstres, Capturing The Friedmans. Pensons-nous vraiment éviter les angles morts ?


Pendant que nous avons le nez en l'air constatons que les étages les plus élevés ont une hauteur parfois deux fois moindre que les rez-de-chaussée. La différence de classes s'exerçait progressivement sur les quatre niveaux. Le dernier étage est souvent minuscule, offrant une terrasse réduisant d'autant la profondeur. Je me souviens qu'à Phnom Penh les rez-de-chaussée sont recherchés, confortables, voire luxueux, et plus on monte vers le ciel plus les conditions de vie se détériorent. Tout en haut des familles vivent sur un chantier ou dans une sorte de bidon-ville.


Comme partout l'ancien trouve de nouveaux amateurs. À proximité du Vieux Port le quartier populaire du Panier avec ses ruelles pittoresques et escarpées se boboïse. Les concept-stores et les brocanteurs remplacent les petits commerces de jadis. Heureusement les enfants continuent à faire les singes tandis que les touristes mitraillent. Ce sera bientôt Montmartre, un Disneyland poulbot transformant la vie de ce quartier populaire livré aux piétons. Nous n'échappons pas à la règle.


La roue tourne. Mais le Mistral empêche les âmes de s'élever. Il souffle. Comme Le K de Buzzati. Rien ne sert de faire des rondes, les soupirs marquent le tempo. Dans le ciel bleu la lune pleine qui rend fou est translucide comme un œil vitreux...

jeudi 2 avril 2015

Avez-vous des hippopotames ?


Dans le TGV pour Marseille des gamins sud-africains de la chorale gospel du collège et lycée Mitchell House me posent trois questions : "avez-vous des malls ? Y a-t-il des coupures d'électricité ? Est-ce qu'il y a des hippopotames ?" Les malls sont des supermarchés géants à l'Américaine, les coupures électriques seraient dues aux grèves de mineurs (!), la même question animalière portait sur les grizzlis ! De toute manière il n'y a plus d'hippopotames en France depuis que nous avons soigneusement planté à intervalles réguliers des piquets rouges et des piquets bleus le long des nationales. Si l'on me fait remarquer que nous n'avons aucun hippo dans notre pays, je répondrais, comme mon père me le racontait pour les éléphants, que c'est la preuve que le dispositif est efficace. En repensant à mes voyages en Afrique du Sud pre et post Mandela, je constate à quel point les séquelles de l'apartheid puis le pardon lié à l'évangélisation empêchent les populations noires de se sortir de la pauvreté. Arrivé à la Gare Saint-Charles je prends une photo du lion en haut des escaliers avec Notre-Dame de la Garde qui se découpe dans le contre-jour.

mercredi 1 avril 2015

Changement de régime


Non, ce n'est pas un poisson d'avril, mais aujourd'hui je change de régime. Ce n'est pas un régime politique, mais social. Oui, aujourd'hui je passe du régime des intermittents du spectacle, jamais quitté depuis 42 ans, pour celui de la retraite, qui ne durera très probablement pas aussi longtemps ! Je n'ai pas écrit que j'étais à la retraite, car je vais devoir continuer à travailler quoi qu'il en soit. J'ignore encore dans quelles mesures, car la CNAV ne m'a pas envoyé son évaluation ni la "notification de pension vieillesse du régime de base", bloquant ainsi ma "demande de retraite complémentaire et Agirc" auprès d'Audiens. S'il est conseillé d'envoyer sa demande quatre mois avant, je comprends maintenant pourquoi : la CNAV n'étudie votre dossier que quatre mois plus tard. Ah, les rouages administratifs français, quel poème ! On m'a trimbalé de fausses adresses en faux horaires, mais, comme tout le monde, j'ai fini par y arriver, en perdant du temps et en en faisant perdre à tous les préposés aux fausses pistes.
Quel gâchis économique et humain que ces courses d'obstacles auxquelles se livrent les intéressés, traiteurs incompétents et traités circulant d'impasse en impasse. Notre système est entièrement à revoir. C'est sans compter l'absurdité kafkaïenne des habitudes. C'est sans compter les lobbys industriels qui en croquent. Je passe du coq à l'âne. Changement de régime. Dans tous les secteurs. Simplifier les démarches ferait-il perdre tant d'argent à l'État ? C'est probablement le contraire. Tant d'énergie dépensée de chaque côté du guichet pour rien. Ailleurs et dans le désordre, développer les transports en commun pour limiter les véhicules individuels, les rendre gratuits pour économiser les portillons automatiques et leur entretien, les contrôles et les sanctions. Faire pousser des légumes en créant des espaces verts au lieu des terrains vagues en bas des immeubles. Dépénaliser les drogues pour détruire le marché parallèle dont le banditisme et les banques font leurs choux gras. Arrêter la fabrication et la vente d'armes. Transformer les médias pour qu'ils deviennent formateurs au sens de formation plutôt que de formatage. Etc.
La société est malade. Nous sommes en présence d'un malaise social beaucoup plus profond que la crise politique. J'évite ici d'évoquer les grands profiteurs dont il faudra bien couper les têtes. Le cynisme des dirigeants de la planète, ivres de profit indu, se répercute sur toutes les couches de la société, si bien que le manque de conscience professionnelle, de passion au travail, et par conséquent de compétence, touche tous les secteurs. Françoise a raison : le revenu de base pourrait résoudre bien des problèmes. L'argent ne serait plus lié au travail, mais à la personne. Mon métier m'y a évidemment habitué : mes revenus n'ont jamais été cohérents avec la quantité et la qualité de mon travail. Quelques jours peuvent générer un fric considérable tandis qu'un an de boulot peut accoucher d'une souris. Seul l'amour de mon métier m'a permis de tenir. Mais est-ce un métier ? Lorsqu'on lui demanda sa profession, Cocteau écrivit : "sans (toutes)". Je l'ai depuis longtemps adopté. Mon père m'avait expliqué que même si je devais balayer la rue, le faire bien est moins ennuyeux que de le bâcler. Les machines sont stériles et polluantes. À qui rapportent-elles ? Bien entendu, je n'ai jamais balayé que devant chez moi, mais je partage régulièrement le fruit de mes réflexions et toutes les informations dont j'ai pu hériter grâce à la générosité des anciens ou de mes camarades.
Le régime de la retraite va me permettre de sortir de l'humiliation que Pôle-Emploi distille à ses bénéficiaires. Je saurai où je vais. I know where I'm going est un film sublime de Michael Powell. À 60 ans et 9 mois, sans devoir justifier des 43 cachets j'ai touché mes indemnités de chômage d'intermittent, une sorte de pré-retraite ? Puis ayant atteint le total de trimestres travaillés requis je prends ma retraite à taux plein. Déjà la Sacem me gratifiait d'une somme trimestrielle, mes points comptant pour de vrai parce que j'y étais monté en grade. Pour les petits ils sont simplement perdus. Pourquoi notre société aide-t-elle toujours ceux qui ont le moins besoin d'être secourus ? Les autres ont le droit à une misère programmée.
En France, la gauche a failli. Je ne parle pas de la droite bien pensante du PS, mais du PCF par exemple. En 1972 le Parti Communiste a abandonné l'idéologie au profit de la stratégie. Cela aurait pu éventuellement se comprendre si cela avait marché, mais ce fut une catastrophe et le Parti a persisté à s'associer aux sociaux-démocrates jusqu'à pratiquement disparaître. L'extrême-gauche semble incapable d'incarner le vote contestataire que l'extrême-droite récupère chez les déshérités. Dans notre ville c'est un noir et une arabe qui représentaient le FN aux élections ! Il y aura des lendemains qui déchantent. Créer de nouvelles utopies est absolument indispensable, et, pour ce, il faut revoir tout le système, bouleverser nos manières de penser, réapprendre à respirer, savoir pour quoi nous combattons. On n'a qu'une vie.