"L'éloge de l'infini" qui clôturait le Festival La voix est libre est-il compatible avec la peau de chagrin sur laquelle s'inscrit la baisse de subventions de l'État, véritable trou noir où se perd une gauche qui n'en a plus que le nom ? Face à l'assassinat programmé de la culture dans notre pays un appel à contribution est donc lancé sous la forme d'un crowdfunding pour qu'une treizième édition du festival existe l'an prochain.
Faisant fi de ces considérations terre à terre l'astrophysicien Aurélien Barrau ouvre la soirée dans une des plus belles salles de la capitale, le Théâtre des Bouffes du Nord, sas entre le monde ancien rappelé par l'usure des murs et le monde nouveau que rêvent tous les artistes qui en foulent les planches. Le public suspendu aux lèvres du jeune scientifique, qui arpente la scène comme un lion en cage, oscille de la 9ème dimension à la théorie des cordes, comprenant probablement qu'entre la science et la poésie l'espace est étroit.
Le pas de deux de Josef Nadj et Ivan Fatjo renvoie à la systématique et pitoyable destruction de toute chose, marque propre à l'humanité. Derrière leurs masques impassibles, les deux danseurs brisent leurs instruments de musique dans un ballet de fossoyeurs où le son bouge encore malgré l'entropie qui se profile.


Livrée à elle-même, la chanteuse Violaine Lochu, très présente dans cette édition tant à Paris qu'à Tunis, est au meilleur de sa forme, jouant du soufflet de ses accordéons comme d'un comparse qu'elle porte sur le ventre ou sur le dos, respiration explicite partagée par tous les protagonistes de la soirée, qu'ils l'évitent ou s'y baignent. Faisant fi du chaos de l'infini, les musiciens comme les scientifiques nient le silence du cosmos, question sans réponse aussi bruyante que recueillie. Dans cet univers qui ne sera probablement jamais pour nous que légendaire, Violaine Lochu convoque les sirènes auxquelles peu de marins savent résister.


La première partie s'achève avec la colère du Congolais Dieudonné Niangouna, habilement soutenu par la guitare électrique de Julien Desprez et la trompette d'Aymeric Avice. Le comédien décortique notre monde dans une langue si effilée que ses mots dessinent des guillotines qui coupent sérieusement. Je ne peux hélas assister à la seconde partie, concert de Mounir Troudi, Wassim Halal, Erwan Keravec et Manu Théron, que j'attendais avec impatience, Françoise étant partie aux urgences de la Fondation Rotschild pour un décollement de la rétine. Pas d'affolement, l'opération par le Docteur Le Mer s'est bien passée et, à l'heure qu'il est, elle se repose sagement... Vive le service public !