En recevant les pourcentages des origines des droits d'auteur que la Sacem va répartir le 7 juillet, je me suis demandé si la musique était à ce point liée à l'image. En additionnant la télévision, Internet, le cinéma et l'exploitation vidéographique on obtient 54%. Si je ne me trompe, les usagers communs (15%) sont les perceptions forfaitaires provenant des magasins qui diffusent de la musique en fond sonore, les petites radios, les irrepartissables, etc., et les droits généraux (11%) correspondent aux spectacles en public. Restent 20% pour la radio et l'édition phonographique. Ce camembert est à prendre avec des pincettes, car n'y figurent pas, par exemple, ni les perceptions de l'étranger, ni la copie privée. Les résultats affichés ne me semblent néanmoins pas correspondre à la réalité des usages, mais aux conséquences des contrats passés entre "ma" société d'auteurs et les exploitants.
On sait par exemple que la télévision est majoritairement regardée par le troisième âge et que la Sacem n'a jamais réussi à moraliser les exploitants des nouveaux médias ni à comprendre la logique régissant Internet. Je n'ai pour ainsi dire rien touché de la cinquantaine de CD-Roms dont j'ai fait la musique alors que les éditeurs étaient florissants et la gratuité de la Toile n'engrangeait aucun revenu. Le choix de la répression via le ridicule Hadopi plutôt que le système de la licence globale (en gros, redevance forfaitaire sur le modèle de celle de l'audiovisuel) aboutit à des contrats iniques entre la Sacem et les gros diffuseurs comme YouTube qui ne profitent qu'aux majors. La perception est biaisée par l'absurdité du choix qu'ont fait la Sacem, la SACD et la Scam contre l'avis des sociétés d'interprètes comme la Spedidam et l'Adami, ne permettant pas aux usagers de comprendre l'économie du secteur. Pendant ce temps la gratuité devenait la norme, la loi transformant l'iPartage en piratage. Puisque les auteurs doivent être rétribués pour leur travail, encore fallait-il trouver les moyens de la répartition, deuxième étape de la fonction des sociétés d'auteurs. Comme toujours on marche sur la tête et les responsables ont préféré plancher sur une loi inapplicable plutôt que d'imaginer un système qui convienne aux usagers comme aux artistes.
J'ai dit et répété que je défendais les sociétés d'auteurs à l'extérieur, mais que je me battais contre leurs statuts à l'intérieur. J'ai acheté ma maison grâce à mes droits d'auteur sur un film passé régulièrement sur TF1 tandis qu'un millier d'autres œuvres ne m'a rapporté que des broutilles. Nous avons fait passer l'improvisation jazz, la cosignature, le dépôt sur bande, mais nous n'avons pas réussi à convaincre les responsables qui ont ignoré l'importance de la circulation des œuvres au profit de leur protection. Certains sites illégaux sauveront pourtant probablement de l'oubli quantité des chefs d'œuvre ignorés en leur temps.
Face à la prolifération des auteurs qui rêvent de gloire et s'inscrivent à la Sacem, la problématique de la gestion pousse la société à statufier en protégeant les mieux lotis. Cela ne diffère pas du reste de notre système social. Les indépendants n'ont rien à gagner aux lois actuelles. Elles profitent essentiellement aux gros et l'action culturelle qui subventionne projets artistiques ou festivals est loin de rééquilibrer la logique du profit. Sous prétexte de juste répartition on oublie que seule la solidarité avec les plus fragiles permettrait d'avancer de manière cohérente. Les irrepartissables devraient être exclusivement attribués à des fonds de soutien et non être distribués entre autres au prorata des revenus assurés. Le problème vient du fait que les statuts sont pondus par des auteurs qui ont atteint une certaine notoriété et défendent leurs privilèges. Dans les sociétés d'auteurs la hiérarchie est fonction de la quantité d'argent perçue. Devant les détracteurs des droits d'auteurs qui font lobby à Bruxelles il est indispensable de faire front commun, mais pour que ce soit effectif il est indispensable que la solidarité s'exerce à plein. Or les sociétés d'auteurs fonctionnent sur des schémas du siècle précédent, au détriment du plus grand nombre. En campant sur des positions conservatrices, elles risquent hélas de disparaître. Comme pour nos institutions publiques (rappelons que ce sont des sociétés privées quasi monopolistes) il est nécessaire d'inventer de nouvelles règles, généreuses et cohérentes avec les nouvelles pratiques.

P.S. : toute allusion du titre à une fable de La Fontaine est purement fortuite.