Les codas de deux chansons me trottent trop souvent dans la tête quand vient l'heure des tractations contractuelles avec des producteurs. La première, de l'auteur vaudois Charles-Ferdinand Ramuz à la fin de Renard, mon œuvre préférée composée par Igor Stravinski, arrive comme un cheveu sur la soupe : "Si ma chanson vous a plu, payez-moi ce qui m'est dû !". La seconde est celle de Charles Trenet dans sa merveilleuse Java du Diable : "Parce que le Diable s'aperçut qu'il ne touchait pas de droits d'auteur. Tout ça c'était de l'argent foutu puisqu'il n'était même pas éditeur !"


Suite à mon article sur la répartition de juillet j'ai reçu une curieuse réponse d'un des administrateurs de la Sacem, déplacée et menaçante. Cette réaction m'a fait m'interroger sur l'association des créateurs et des producteurs dans diverses sociétés d'auteur. Les intérêts des uns sont-ils vraiment liés à ceux des autres ?
À la SACEM, auteurs (A) et compositeurs (C) fabriquent des œuvres de l'esprit tandis que les éditeurs (E) les exploitent. Du temps où chansons et musiques ne pouvaient voyager que par le papier, petits formats que les gens chantaient en chœur dans la rue ou partitions pour instrumentistes, les éditeurs prenaient en charge le coût du copiste et de l'impression. Pour ce travail ils récupéraient 33% ou 50% des droits selon les circonstances. Aujourd'hui, les taux n'ont pas changé, mais le papier n'a plus la même importance. La musique se fait plus souvent qu'elle ne s'écrit. Les éditeurs se sont transformés en impressarios, chargés de placer la musique, en particulier sur les images. Leur pourcentage étant considérable, nombreux artistes ont eu l'intelligence d'annexer l'édition à leur panoplie. Une autre raison m'a poussé à refuser de signer certains contrats d'édition : lorsque dans le passé j'ai voulu exploiter ma musique sur un autre support que le film pour lequel elle avait été composée j'en ai été empêché par l'absence de réponse de mon éditeur (même pas son refus !). Un autre éditeur indélicat n'a jamais déposé les partitions qu'il m'avait réclamées alors que ma musique accompagnait un spot de 30 secondes diffusées sur une vingtaine de chaînes de télévision... Un éditeur m'avoua que le pourcentage qu'il récupérerait équilibrerait son budget. En d'autres termes, ce qu'il dépensait d'une main en me commandant de la musique, il le récupérait en droits d'édition.
L'association des créateurs et des producteurs au sein d'une société d'auteurs est ambiguë, car les producteurs et éditeurs ne sont nullement des auteurs, et nos intérêts divergent. Ainsi à la SCAM les producteurs ont fait leur entrée. Si la spécialité des artistes est de rêver et de donner corps à leur imagination, celle des producteurs et éditeurs est de les faire fructifier. Or sur le terrain économique l'artiste n'est pas de taille à lutter avec un virtuose comptable et communiquant. Comme partout dans notre société capitaliste l'exploitation prend les atours du secours alors qu'elle est trop souvent le ver dans le fruit.