La 46e édition des Rencontres d'Arles, dirigées depuis cette année par Sam Stourdzé qui signe le commissariat de nombre des expositions, est une sorte de "changement dans la continuité". L'offre est variée et considérable, éventail de 35 expositions de photographie, sans compter les off, diffusant un peu de fraîcheur à l'ombre d'un soleil harassant.
On retrouve les lieux habituels, même si le chantier de l'architecte Frank Gehry initié par la Fondation Luma évoque une immense plaie ouverte à l'endroit des anciens entrepôts SNCF. En longeant les travaux pharaoniques j'ai eu l'impression de revivre le traumatisme de la destruction des Halles Baltard à Paris en 1971. N'y avait-il aucun projet futuriste qui s'appuie sur l'ancien pour inventer du nouveau ? Ce qui reste des entrepôts paraîtra dérisoire et pitoyable face à la tour et ses annexes, comme si l'on avait voulu effacer une partie de la mémoire ouvrière de la ville.


J'ai retrouvé ce choc de sociétés dans deux lieux adjacents situés Place de la République, le Cloître Saint-Trophime et le Palais de l'Archevêché. Le premier expose L'esprit des hommes de la Terre de Feu de Martin Gusinde, missionnaire allemand qui, au début du XXe siècle, photographia au sud du Chili des tribus depuis disparues. Les masques et les peintures corporelles accompagnent d'étranges rituels d'initiation masculinistes, comme le Hain, qui semblent avoir inspiré les couturiers du Ku Klux Klan ou la Confrérie des Pénitents, sauf que les Selk'nam, Yamana et Kawésqar, souvent nus ou enveloppés de peaux de bêtes, n'avaient aucune ambition hégémonique. Ils se prêtent étonnamment au jeu, acceptant de poser devant l'objectif de l'anthropologue avant d'être avalés par la "civilisation".


La seconde exposition y répond de manière terrible et catastrophique, incarnant ce qu'il y a de plus monstrueux dans l'ordre nouveau imposé par les très riches de la planète et leurs cabinets-conseils. Avec Les paradis, rapport annuel, Paolo Woods et Gabriele Galimberti tirent le portrait de cette caste cynique et arrogante qui exploite sans vergogne le reste de l'humanité. En plaçant leur argent dans des paradis fiscaux ils échappent à l'impôt, solidarité indispensable à l'équilibre d'une société. L'argent "travaille" à leur place. La brutalité des images banales de ces paradis offshore, où la loi contourne la morale, tranche avec les dernières images, clichés insupportables de la pauvreté entretenue. Pour leur investigation Woods et Galimberti ont créé, dans l'état nord-américain du Delaware, une société qu'ils ont baptisée avec humour The Heavens, son siège social se situant dans le même bâtiment qu’Apple, la Bank of America, Coca-Cola, Google, Wal-Mart et 285 000 autres entreprises ! Faut-il réinterroger la violence révolutionnaire pour se débarrasser de ce sinistre cauchemar sous allures de rêve exotique, à moins que cette avidité sans limites s'enferre dans l'autodestruction, entraînant avec elle le reste de la planète ?
Il est logique que je sois plus sensible à certaines expositions qu'à d'autres, tant l'ensemble propose d'angles différents de la photographie. Les jours prochains j'aborderai celles qui ont trait à la musique, en particulier en rassemblant des centaines de pochettes de disques vinyles ou encore l'installation cinématographique de Tony Oursler présentée par la Fondation Luma sur les ruines de l'Atelier des Forges...