La vogue des installations sonores s'amplifiant, du moins quand les budgets ne sont pas contraints à la peau de chagrin sous les coups de butoir d'un gouvernement de plus en plus en rupture avec sa culture, leurs conditions d'exposition me tarabustent. Si la spatialisation sonore offre une expérience immersive passionnante, j'ai toujours été gêné par la présence exclusive des hauts-parleurs. On aura beau en disposer de toutes les formes et toutes les tailles l'acousmonium de l'INA-GRM m'a toujours semblé reposer sur un manque, au même titre que les musiciens vivants ne soignant pas leur image. Car le minimalisme est un choix pictural comme un autre, à condition même qu'il soit délibéré.
Dans les expositions-spectacles dont j'ai eu la chance de composer la partition sonore telles Il était une fois la fête foraine à La Grande Halle de La Villette, The Extraordinary Museum au Japon, Jours de Cirque à Monaco, Le Siècle Métro à Paris, L'argent au Pass en Belgique, le Pavillon Français de l'Expo Universelle d'Aïchi, Les Monuments aux morts dans la Chapelle des Frères-Prêcheurs à Arles, etc., j'ai toujours cherché à camoufler les hauts-parleurs pour jouer au maximum de l'illusion. Dans ces exemples la scénographie validait évidemment ce choix. Dans certaines conditions on pourrait imaginer que mettre en valeur les enceintes soit cohérent, mais la question se pose chaque fois que l'installation est purement sonore. Les artistes devraient-ils repenser leur œuvre en y adjoignant une image appropriée, collaborer avec des scénographes ou s'en ficher en méprisant cette réflexion ?
La semaine dernière je suis entré dans le cercle des 40 hauts-parleurs sur pieds de la Canadienne Janet Cardiff. The Forty Part Motet (2001) est présenté dans les anciens ateliers de la SNCF par la Fondation Luma en marge des Rencontres d'Arles jusqu'au 20 septembre. L'artiste ou la technicienne, je m'interroge, a enregistré en multipistes chacune des 40 voix indépendantes du Chœur de la cathédrale de Salisbury et les diffuse en cercle sur autant d'enceintes. On peut ainsi s'approcher de la voix de chaque chanteur ou jouer du mixage en s'approchant ou s'éloignant de tel ou tel haut-parleur tandis qu'est interprété Spem in Alium Numquam Habui de Thomas Tallis (1505-1585). Les enceintes sont si moches que j'ai l'impression de plonger dans des glottes, les banquettes sont si inconfortables que j'ai du mal à me laisser aller, le système est si banal que j'ai l'impression d'avoir assisté un nombre incalculable de fois à de telles absences de mise en scène. Il ne suffit pas de spatialiser le son pour rendre réelle la virtualité.
Quitte à jouer de cette proximité avec une foule d'individus je préfère naturellement Nabaz'mob, l'opéra que j'ai composé avec Antoine Schmitt pour 100 lapins communicants. Les jeux de lumière des leds et les ballets d'oreilles font partie de la composition au même rang que la musique qui s'échappe des 100 petits ventres où sont cachés 100 synthétiseurs. De plus, il s'agit d'une création et non d'une diffusion, et là je reviens vers le travail des électroacousticiens du GRM qui ont su mettre à profit leurs talents de compositeurs d'aujourd'hui. De nos jours on confond trop souvent artisans, techniciens et artistes. Ce n'est qu'une dénomination, mais elle a une répercussion directe sur les œuvres et leur perception.


P.S. : les œuvres du compositeur Céleste Boursier-Mougenot me réconcilient avec les installations sonores. Il y en a justement deux à Arles, présentées par Asphodèle / Espace Pour l'Art. La première, Persistances, est un euphonium dont le pavillon déborde de mousse à l'approche du silence. La seconde, i0, capte la fréquence de Jupiter, drône dont le timbre varie avec les positions de la planète par rapport à la Terre. À suivre.