70 octobre 2015 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 30 octobre 2015

Anthropique, sur les routes de Bourgogne


En évoquant hier Vol pour Sidney j'ai immédiatement pensé à un autre vol, parabolique cette fois, que le violoncelliste Didier Petit exécuta récemment avec son cosmocelle, un instrument réduit par le luthier Laurent Paquier. L'expérience en apesanteur alimentera probablement un prochain album, mais aujourd'hui sort celui du trio Anthropique formé avec la chanteuse Lucia Recio et le percussionniste Edward Perraud qui sillonnèrent les routes de Bourgogne.
Didier Petit, véritable humaniste, généreux et partageur, absorbe les rencontres et les paysages à grandes embrassades. L'album du trio Anthropique est un petit coffret rouge rempli à ras bord de pépites. D'abord quatorze pièces réparties en quatre mouvements, autant que de départements traversés et dont quatre livrets rendent "conte" par les rencontres avec treize êtres humains croisés pendant la tournée : éducateur et luthier de vielle à roue, boulangère bio, garde-forestier en Côte d'Or, peintre, tourneur sur bois, potière dans l'Yonne, restauratrice photo, vigneron, actrice en Saône-et-Loire, calligraphe, directeur de salle de cinéma, conservateur, restauratrice dans la Nièvre. Les photos des livrets sont de Edward Perraud dont c'est la passion lorsqu'il pose ses baguettes. Ensuite, en suite, la musique délicate est ciselée avec le même amour que chacun fait son métier. Elle les réfléchit, les textes dits par Didier les accompagnant en ami, sans chichi, comme on parle. Lucia chante les Doors, Gainsbourg, Baudelaire, Billie Holiday... Edward caresse ses fûts en artisan du son, Didier frotte ou pince ses cordes avec tendresse ou fermeté, toujours dans la plus grande sincérité... L'ensemble fait conversation, mais c'est une road-music à laquelle ils nous convient par ce magnifique objet qui nous réconcilie avec le support physique du CD.

→ Anthropique, CD Sur les routes de Bourgogne, label in situ, dist. Orkhêstra

P.S. : sur Mediapart où ce blog est publié en miroir, Pipotin indique deux liens, d'abord un reportage en images du Centre Régional du Jazz en Bourgogne, ensuite Comme un boomerang à écouter en ligne sur SoundCloud...

jeudi 29 octobre 2015

Retour du Vol pour Sidney


Sidney Bechet fut un des plus grands musiciens de jazz avec Louis Armstrong, Duke Ellington, Charlie Parker, John Coltrane, Charlie Mingus ou Miles Davis. Soixante ans après que les spectateurs, excités par sa musique, aient cassé les fauteuils de l'Olympia, le label nato réédite Vol pour Sidney (aller), disque collectif rendant hommage au génial saxophoniste dont le soprano reste la référence, instrument que seul Steve Lacy sut renouveler tout en sachant ce qu'il lui devait, tout comme quantité de musiciens, dont ceux, et non des moindres, qui participèrent à ces enregistrements.

Lol Coxhill, héritier direct du style de Bechet, commence avec le tube Petite fleur, accompagné par le claviériste Pat Thomas dont les percussions électrisent la Nouvelle Orléans originelle. Le groupe British Summer Time Ends évoque le ballet La nuit est une sorcière dans une interprétation rappelant Morricone et Moondog. Troisième façon d'actualiser radicalement la musique de Bechet, le saxophoniste Michel Doneda s'associe à Elvin Jones, le batteur de Coltrane, pour une Egyptian Fantasy démontrant d'où vient naturellement le free jazz. Retour aux racines du blues de Sidney avec Taj Mahal avant que The Lonely Bears, qui réunissent Tony Hymas, Terry Bozzio, Hugh Burns et Tony Coe, ne rappellent la tendresse de Si tu vois ma mère. Steve Beresford funkise la frivolité caribéenne de Lastic, d'abord avec la chanteuse martiniquaise Francine Luce, puis avec le percussionniste hollandais Han Bennink où le duo déjante en humour batave. Surprise d'entendre Charlie Watts, le batteur des Rolling Stones, avec Lol Coxhill et Evan Parker, tous deux sopranisant sur Blues in The Cave, puis un délirant Laughin' in Rhythm. La guitare d'abord électrique, puis acoustique de Hugh Burns accompagne la chanteuse pop soulifiante Pepsi sur Blue For You Johnny avant que Lee Konitz n'entame sagement As-tu le cafard ? avec Ken Werner au piano. La chanteuse polonaise Urszula Dudziak reprend la voix du futur en transformant la sienne électroniquement pour un Make Me A Pallet On The Floor des plus bizarres. Bechet est éternel. Enfonçant le clou en reprenant Petite Fleur dans une "version non contrainte" Lol Coxhill et Pat Thomas ferment le ban. Ce n'est pas un hasard si en 1995 je demandai à Lol de venir enregistrer le clown du CD-Rom Au cirque avec Seurat !

Vol pour Sidney (aller) fait partie des grandes réussites du label nato comme tous ses disques à thème autour de Satie, Durruti, Godard, Spirou ou Hitchcock. Si la couverture de Pierre Cornuel est la même qu'à sa sortie en 1992, clin d'œil tintinesque du producteur Jean Rochard fan de bandes dessinées, le nouveau livret est illustré par Thierry Alba, Jazzi et Chistian Rose. Y figure un texte magnifique du saxophoniste Lol Coxhill publié en 1984 dans Jazz Ensuite, revue indispensable que Rochard ne put hélas faire durer au delà du cinquième numéro.

Mais évoquer cet hommage à Bechet sans raconter mon propre attachement eut été incomplet. Je venais d'avoir cinq ans lorsqu'en janvier 1958 mon père produisit au Théâtre de l'Étoile l'opérette Nouvelle Orléans dont Sidney était la vedette. Avec son orchestre il traversait la salle en jouant et chantant "Les oignons, c'est pas cher, mais c'est bon...", lançant de vrais oignons le soir de la première, puis des répliques en cotillon les représentations suivantes. Premier musicien que je rencontrai, on peut tomber plus mal, je fus certainement séduit par son lyrisme, son invention et son humour. Il me prenait sur ses genoux pour faire des combats de boxe dont je sortais à tous les coups vainqueur. Sidney adorait le catch et il lui est même arrivé d'annuler une représentation pour assister à un match Salle Wagram située à côté du théâtre. Imaginez la colère de mes parents le voyant au premier rang s'époumoner en criant "Tue-le !" alors qu'il avait prétendu être souffrant. Accessoirement et pour des raisons qui n'avaient rien à voir avec le spectacle, mon père fit faillite avec cette production et il remboursa ses dernières dettes jusque trois ans avant sa mort en 1984. Je dois aussi à Sidney le premier son que je produisis de mon histoire de musicien : le vieux monsieur à l'immuable sourire m'apprit à souffler dans son saxophone soprano ! Je ne l'ai jamais oublié et lorsque j'écoute cet album je revis ces merveilleuses années de l'enfance qui nous insufflent la passion de construire et reconstruire pour retrouver les premiers émois du jeu.

Vol pour Sidney (aller), réédition CD label nato, dist. L'autre distribution

mercredi 28 octobre 2015

Un petit coin à Saint-Michel


La fenêtre de mon kinésithérapeute donne sur un petit coin où les hommes incontinents font régulièrement leurs besoins. Un riverain a eu l'amusante idée d'y déposer une cuvette de WC. C'était risqué ! Mais quelques minutes plus tard un énorme chauffe-eau est venu lui tenir compagnie. J'imagine qu'avant la fin de la matinée on aura le droit à toute la salle de bain, et probablement le reste de l'appartement d'ici demain matin. En fait d'humour le plombier incivique s'est déchargé d'appeler les encombrants. Les ordures appellent les ordures. Dès qu'un individu jette un objet dans la rue d'autres indélicats viennent gonfler la décharge sauvage. Très vite l'endroit est régulièrement envahi par les détritus sans que l'on sache quoi faire pour enrayer cette fâcheuse habitude. Nos voisins d'en face ont trouvé une astucieuse parade en créant un parterre de fleurs autour de l'arbre où les poubelles s'accumulaient depuis des années. Sauf que maintenant c'est devant chez nous ! Tant que personne ne jette rien, l'endroit reste propre, mais aussitôt le premier pli l'empilement se construit à une vitesse étonnante.
Il en va de même pour toutes les affaires de la cité : il suffit que le pouvoir donne le mauvais exemple pour que toute la population s'y engouffre. Il est terrible de constater que cette épidémie fonctionne beaucoup mieux avec les mauvaises actions qu'avec les bonnes. On se lâche. "Si un gros dégueulasse (j'emploie ce terme parce que les filles sont bien obligées de se retenir) a pissé, pourquoi m'en priverais-je ?" Tous ne suivent heureusement pas le mouvement, mais quelques uns suffisent à polluer l'air ambiant. N'est-ce pas un trait typique des indigènes de notre pays, l'indiscipline faisant partie des coutumes françaises ? Cela n'a pas que des inconvénients, mais c'est fou le nombre de questions que l'on peut se poser à partir d'une cuvette de chiottes !

mardi 27 octobre 2015

Résurrection de la femme-bourreau


Mais qui est Jean-Denis Bonan ? Un provocateur ? Un humoriste ? Un héraut de son temps (y aurait-il aussi un os dans l'air ?) ? Certainement tout cela et bien d'autres, mais d'abord cinéaste et plasticien dont les points d'interrogation trouvent leurs réponses dans le bonus En marge, entretien palpitant avec le réalisateur de La femme-bourreau figurant sur le DVD que publie enfin Luna Park Films accompagné de trois courts métrages aussi sulfureux que ce film mythique tourné au printemps 1968 et pendant les événements de mai. Là encore les questions se bousculent, les qualificatifs allant de thriller à surréaliste en passant par expressionniste et nouvelle vague. Ajoutons que sa réputation de film maudit précède cette sortie qui aura attendu 45 ans dans le noir.
Pourtant Jean-Denis Bonan est l'opposé d'un triste sire. Lutin facétieux, il tourna ces films un peu potaches de 1966 à 1968 avant de fonder le collectif Cinélutte en 1973, de créer Métropolis avec Pierre-André Boutang sur Arte, également en charge de divers magazines sur France 2 et France 3 dont Aléas, ainsi que Histoires d’Amour, Les Moments de la Folie et Traces qu'il initie.
Ma compagne, Françoise Romand, fut son assistante, et il fut mon professeur de montage et le responsable des études pour la première année lorsque je suis entré à l'Idhec en 1971 (il formait un triumvirat avec Richard Copans et Jean-André Fieschi à l'appel de Louis Daquin). Chaque matin, le sourire aux lèvres, il nous racontait le rêve incroyable qui avait meublé sa nuit, courts métrages imaginaires qui l'inspiraient probablement ensuite. Avec quelques années de décalage les coïncidences s'accumulent. Mon camarade Bernard Vitet compose la musique de La femme-bourreau et Daniel Laloux (qui sera le narrateur de notre K et de Jeune fille qui tombe... tombe pour Un drame musical instantané) les chansons ; il est l'ami de Jean Rollin, le pape du porno-vampire que j'assistai sur Lèvres de sang (vous n'êtes pas au bout de vos surprises !) et Nicolas Devil, l'illustrateur de Saga de Xam, bande dessinée culte et fondatrice qu'ils réalisèrent ensemble et dans laquelle figure Bonan, éclairant mon adolescence et m'initiant au genre, dessine l'affiche et le générique de son court métrage Tristesse des anthropophages.
C'est avec ce court métrage que les ennuis ont commencé ! Cette farce politique et sociale, plus scatologique qu'anthropophage, est interdite en 1966 par la censure gaulliste. Le film sera projeté au cinéma Les 3 Luxembourg occupé par les étudiants contestataires de mai 68. Le fast-food où l'on sert de la merde est tout à fait prémonitoire, "dans un monde où tout est interdit sauf ce qui est obligatoire". Dès La vie brève de Monsieur Meucieu en 1962, on reconnaît la fantaisie débridée de Bonan et Une saison chez les hommes, détournement d'images des Actualités cinématographiques, enfoncera le clou en 1967.


Dans La femme-bourreau les travellings en caméra portée profitent à l'enquête policière de cette histoire de tueur en série et au sentiment de poursuite hantant tous les films de Bonan qui a fui enfant la Tunisie. Les décalages entre le commentaire froidement informatif et les images souvent sensuelles renforcent la distance critique. Le montage explosé déglingue la continuité. L'invention musicale de Vitet, grinçante et tendue, répond aux chansons ironiques de Laloux et aux bruitages ostensiblement décalés. Claude Merlin (père de Blaise !) tient le rôle principal aux côtés de Solange Pradel, Myriam Mézières, Jackie Raynal, Jean Rollin... La variété de tons, policier, poétique, absurde, érotique, pamphlétaire, comique, genre, reportage, citations, empêche le film d'être catalogué dans aucun genre si ce n'est celui de l'hétéroclicité, caractéristique fondamentale de son époque où l'imagination prenait le pouvoir, mais que la réaction n'eut de cesse de brider ensuite.

La femme-boureau, Jean-Denis Bonan, avec en bonus En marge, Tristesse des anthropophages, Une saison chez les hommes, La vie brève de Monsieur Meucieu, Un crime d'amour..., tous remarquablement restaurés, DVD Luna Park Films (à paraître le 18 novembre)

lundi 26 octobre 2015

Un caviar totalement indédit


Je lis les livres de cuisine comme des romans et j'improvise ensuite en faisant jouer le bon sens avec l'excitation de l'improvisation. Comme en musique, il est nécessaire d'acquérir en amont un bagage sérieux pour être libre d'inventer dans l'instant. L'acquisition récente d'un robot multifonction m'incite à faire des expériences amusantes dans le domaine des jus, purées, soupes dont l'onctuosité m'était impossible avec le vieux mixeur qui avait suivi mes rares déménagements. Le Magimix 5200 XL permet également de râper, broyer, trancher, presser, battre, centrifuger, smoothier, monter en neige, que sais-je, et n'a que l'inconvénient de son encombrement et de la petite vaisselle qu'il est conseillé d'opérer aussitôt après pour éviter que les aliments collent en séchant. Un large choix d'ingrédients tels qu'épices, sauces, sels, poivres, piments, huiles, vinaigres, alcools, etc. est la condition indispensable pour se renouveler dans l'expérimentation des associations.
Samedi midi j'ai donc composer un nouveau caviar d'aubergines : à la confiture d'algues, au fromage de chèvre et aux légumes setchuanais. Pendant la cuisson à four très chaud des aubergines entières, afin d'en extraire la pulpe avec une cuillère, en même temps qu'une tête d'ail à mixer avec, je place dans le grand bol du robot une cuillère à soupe de confiture d'algues japonaise (gohan desuyo), des petits légumes setchuanais (attention c'est très relevé), deux billes de fromage au yaourt de brebis turc, une quantité colossale de persil, des feuilles de shizo (j'en ai dans le jardin, mais on en trouve chez Paris Store à Belleville, moins cher que dans les magasins du quartier de l'Opéra, j'en profite pour conseiller néanmoins le coréen ACE rue Sainte Anne), beaucoup d'huile d'olive et du vinaire de dattes syrien. Vrrrroum ! Le bol devient une mappemonde dont on fait le tour en moins d'une minute. J'ai servi cette crème onctueuse avec deux onglets de bœuf, mais cela peut se consommer sur du pain par exemple. Tous les ingrédients sont remplaçables par des équivalents en conservant comme base les aubergines, l'ail, le persil, l'huile, le vinaigre, un élément salant, et même à partir de là, on peut imaginer d'autres recettes.

vendredi 23 octobre 2015

Arlequin est en ligne !


L'excitation est à son comble. Enregistré lundi, livré vendredi, l'album Arlequin est en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org. J'ai passé trois jours à améliorer le mixage des dix pièces que nous avons conservées avec la bassoniste-chanteuse Sophie Bernado et la vibraphoniste-percussionniste Linda Edsjö. La Suédoise m'envoyait ses suggestions depuis Copenhague et la Gersoise lorsqu'elle réapparaissait à Montreuil. L'annonce de la nouvelle sur FaceBook avait déjà fait son petit effet, probablement grâce à ma garde-robes prêtée à mes deux comparses. Le quart d'heure chiffons est aussi indispensable que le menu de midi et que la photo prise par Françoise pour détendre l'atmosphère. L'ambiance était ludique et enjouée, mais enchaîner autant d'improvisations entre l'installation et le rangement du matériel demande une concentration épuisante. Ce fut donc soupe de cresson, saumon bio accompagné de trois sortes de navets et sorbets. Quant aux vestes, j'ai acheté 20 euros le bibendum rouge à une vente jeunes créateurs, trouvé la disco à New York dans une friperie et acquis ma première doudoune deux jours plus tôt en connaissance du thème de nos improvisations.
Arlequin vient d'un jeu de mots de Sophie à propos d'Arles où j'avais engagé Linda pour accompagner le photographe Elliott Erwitt. J'ai saisi la balle au bond et proposé que nous improvisions d'après des couleurs. Dans le feu de l'action nos arlequinades ont souvent mélangé les tons sur la palette, mais l'ensemble montre une incroyable unité alors que ni Linda ni moi-même n'avions jamais joué avec Sophie que nous ne connaissions que par son travail avec Art Sonic, mais dont j'avais regardé maintes vidéos sur le Net. La complicité tient essentiellement aux échanges informels que nous avions eus en amont. Linda et moi avons déjà réalisé plusieurs performances en trio avec la chanteuse Birgitte Lyregaard que l'on peut retrouver sur l'album La chambre de Swedenborg (également en vidéo) et sur le site vidéo de France Musique. La séance de Paris a donc entériné nos accords nord-sud, quitte à en voir de toutes couleurs.
Si je connaissais les talents de chanteuse de Linda, j'ignorais ceux de Sophie. Elle passe sans temps mort de la voix au basson tandis que Linda avait apporté quelques percussions en plus de son vibraphone. De mon côté je me concentrai sur le clavier, ajoutant ça et là une contrebasse à tension variable et une trompette à anche plongée dans une cuvette remplie d'eau (lutherie Vitet), hou-kin (c'est un violon vietnamien), harmonica et flûte. Comme d'habitude je n'ai pas la moindre idée de la manière dont cette musique sera entendue, mais nous nous sommes bien amusés. Que rêver de mieux ?

jeudi 22 octobre 2015

Née dans une famille de musiciens...


Elsa est partie à Rome pour un mois. Elle y interprète Micaëla dans l'opéra Carmen de Bizet adapté par l'Orchestra di Piazza Vittorio jusqu'au 9 novembre au Teatro Olimpico.
"Née dans une famille de musiciens...". Lorsque j'ai lu les premiers mots de sa biographie je suis resté songeur. De quelle famille parle-t-elle ? J'ai d'abord pensé à mes parents. Papa adorait l'opéra, Karajan et le jazz de la Nouvelle-Orléans ; Maman n'est sensible qu'aux marches militaires ; je ne vois personne dans la famille à part ma grand-mère maternelle qui était soprano dramatique et avait chanté sous la baguette de Paul Paray, une qualité des jeunes filles de bonne famille au début du XXe siècle. Papa et Grand-Maman auraient adoré écouter Elsa. Du côté de mon père, ma cousine Susy joue du steel drum, de la flûte, du ukulele, etc., son fils David du piano et je crois que son frère Christopher était basson dans l'Armée de l'Air. Dans la généalogie de la maman d'Elsa c'est pareil. Mais voilà, Michèle est accordéoniste et elle compose de très belles mélodies. Quant à moi, je vis dans un monde sonore où tout ce qui passe par le conduit auditif constitue une partition universelle qui ne se taira qu'à ma mort. Qu'il s'agisse de la musique proprement dite ou de tous les bruits du monde je les vois comme je les entends, privilégiant leur organisation et leur sens aux lois du solfège et de l'harmonie.
Mon statut de père me saute alors à la figure. Et celui de sa maman évidemment. Elsa avait eu la sagesse de commencer sa vie d'artiste en devenant trapéziste, histoire de prendre son envol sans notre appui. La contorsion en haut du chapiteau lui a esquinté le dos et elle est revenue à la musique où elle s'épanouit de manière épatante. Elle dit que c'est sa maison. Je suis bêtement ému, sans penser que j'y sois d'ailleurs pour grand chose. Nous écoutions de tout, mais je n'ai pas souhaité lui léguer mes maladroites manières d'autodidacte. Elle a choisi les belles mélodies, celles qui fichent le frisson. Lorsque je l'ai vue sur la scène des arènes de Fourvière dans le rôle de Micaëla, j'ai aussitôt pensé aux films de Jacques Demy qui avaient bercé son enfance. Comme elle chante en voix naturelle on entend très bien l'influence de Georges Bizet sur Michel Legrand. Son goût pour les musiques du monde qui s'épanouit avec Odeia reste mystérieux, mais dans le spectacle Comment ça va sur la Terre ? ou dans Chroniques de résistance composé par Tony Hymas avec François Corneloup et le trio Journal Intime on retrouve son goût pour la chanson française, et là j'ai repensé à Papa, pour d'autres raisons qui n'avaient plus rien de musicales...

mercredi 21 octobre 2015

Nina Simone et Ray Charles pour les enfants


Quelle meilleure manière de faire grandir les enfants que de les inciter à poser mille questions ? Le pourquoi à tiroirs si horripilant à la longue est la question essentielle que nous ne devrions jamais oublier. La cassure se produit à l'entrée au cours préparatoire lorsque les réponses anticipent les questions. Plus tard les informations entérineront la catastrophe en évacuant le sujet sous le flot des faits divers. Il n'y aura même plus de réponse imposée, juste un épais brouillard. Que surtout l'on ne se pose plus aucune question, et la loi deviendra la vérité ! "C'est comme ça... Que voulez-vous qu'on y fasse ?... C'est trop compliqué..." sont devenues les phrases récurrentes de la plupart. Et quand j'entends "Y a pas de souci !" à tout bout de champ je m'en fais beaucoup au contraire. D'autant que l'inconscient, justement, les ignore, ces contraires.
Le racisme fait partie de ces a priori basés sur rien d'autre qu'une absence de pensée. La haine de l'autre en soi se reporte sur la différence. Le bouc émissaire est le bouquet de misères dont l'odeur vous colle à la peau et vous empêche de vous fondre dans la masse anonyme, cette population "normale" qui finit pas ériger des murs dans ses replis communautaires. Gallimard Jeunesse publie deux livres pour les enfants qui abordent ce fléau sous l'angle de la musique, portraits de deux chanteurs noirs américains qui se sont révoltés contre l'injustice.
Nina de Alice Brière-Haquet et Bruno Liance raconte en images l'enfance de Nina Simone, courte berceuse aux délicates touches noires et blanches qui demande un accompagnement parental pour que les questions ne restent pas sans réponse. Il n'est jamais trop tôt pour se révolter !
Plus consistant, le petit volume consacré à Ray Charles dans la série Découverte des musiciens est comme chaque fois aussi musical que pédagogique. Après Louis Armstrong, Django Reinhardt, Charles Trenet, Ella Fitzgerald, Elvis Presley, la biographie écrite par Stéphane Ollivier et dessinée par Rémi Courgeon comporte un CD audio qui reprend le texte, cette fois dit par Daniel Lobé, avec quantité d'extraits et de chansons complètes. Il y a aussi, en marge du récit, plein de petits jeux qui poussent à la réflexion et à la rêverie...
Là où Nina se lève pour protéger sa maman, Ray doit faire face à la perte de ses parents et de son petit frère, et à la cécité qui intervient lorsqu'il est âgé de sept ans. Les deux enfants sortiront vainqueurs de l'adversité grâce à la musique que leurs voix porteront tout autour du monde. Sans devenir des stars internationales, tous les musiciens savent ce qu'ils doivent à leur art, une passion qui leur a souvent permis de s'échapper de la voie tracée par ceux qui n'œuvrent qu'à noyer les questions. Car la musique est incapable d'être péremptoire. Comme la poésie elle tourne autour du pot, son abstraction ne l'empêche pas de raconter des histoires ou d'exprimer des émotions, souvent sans paroles. Pour Nina et Ray les chansons portent leurs voix. La voix dresse un pont entre le corps et l'esprit, un mystère que l'on n'en finit pas d'apprivoiser. En tout cas c'est une bonne question !

Nina, texte de Alice Brière-Haquet, illustrations de Bruno Liance, Gallimard Jeunesse Giboulées, 6-10 ans (j'aurais pensé beaucoup moins), liens Deezer sur des titres de Nina Simone et de sa fille Lisa, 14,90€
Ray Charles par Stéphane Ollivier, illustrations de Rémi Courgeon, avec la voix de Daniel Lobé, Gallimard Jeunesse Musique, 6-10 ans, 16,50€

mardi 20 octobre 2015

Écoute ! il y a un éléphant dans le jardin...


Le podcast de l'émission du 14 octobre de Véronique Soulé sur Radio Aligre, Écoute ! il y a un éléphant dans le jardin, est en ligne. Vous pouvez donc écouter son entretien avec les Inéditeurs autour de l'application pour tablettes BOUM !. Il y a des extraits sonores et nous sommes là tous les quatre avec Sonia Cruchon, Mikaël Cixous et Mathias Franck. Ce matin je cède la place à Véronique Soulé dont le texte d'introduction a su nous mettre à l'aise. Son émission est un magazine culturel présentant l’actualité culturelle des enfants, de 0 à 13 ans en région parisienne. Il est si agréable d'avoir face à soi une journaliste qui connaît son sujet et pose les bonnes questions.

« 2 euros 99, soit à peine l’équivalent d’un canon de vin rouge ou de trois œufs durs au comptoir d’étain… », peut-on lire sur la page Facebook des Inéditeurs, annonçant la sortie de leur nouvelle application numérique pour tablette, BOUM !, parue cet été. Voilà une jolie façon de rappeler le prix très modique d’une appli, mais surtout de faire un petit clin d’œil poétique à Jacques Prévert, à l’écriture, l’humour et l’inventivité duquel cette application semble faire référence avec subtilité, même si le nom du poète est à peine évoqué, et encore seulement sur le site des Éditions. En filigrane de l’application BOUM ! il y aurait le poème de Prévert Le temps perdu :
« Devant la porte de l’usine / Le travailleur soudain s’arrête / Le beau temps l’a tiré par la veste / et comme il se retourne / et regarde le soleil / tout rouge tout rond / souriant dans son ciel de plomb / Il cligne de l’œil familièrement / Dis donc camarade soleil Tu ne trouves pas que c’est plutôt con / de donner une journée pareille à un patron ? »
Au-delà du poème dont s’inspire peut-être le récit graphique qui compose l’application BOUM !, imaginé et illustré par Mikaël Cixous, de Prévert on retrouve aussi l’inventivité sous une apparente simplicité. L’histoire, d’abord. Celle d’un homme ordinaire, en route pour une nouvelle journée routinière au bureau, et qui se va se révéler pleine d’imprévus et lui offrir une aventure inhabituelle. Mais rêve ou réalité ? Sans un mot, les scènes se suivent en un long travelling horizontal qui sollicite seulement un simple glisser du doigt, pour suivre ce drôle de bonhomme noir, son chapeau sur la tête. Des images graphiques très épurées, où dominent surtout un noir et blanc et rouge très denses, mais pas seulement. Sérigraphie, gravure ou tout simplement numérique, je n’en sais rien, mais la force des images et la variété de leur composition impulsent du mouvement. Un simple glissé du doigt, donc, rien d’autre, ce qui, pour une application numérique, est pour le moins inhabituel. Mais il faut prendre le temps pour avancer dans ce superbe récit graphique afin de profiter pleinement de la bande sonore qui lui donne tout son sens, ou plutôt ses multiples sens. Extrêmement raffinée, en particulier dans les enchaînements, elle mêle sons naturels, musique instrumentale et bruitages. Qu’on avance lentement ou rapidement, qu’on revienne en arrière ou qu’on reste sur place, la bande sonore semble s’adapter et se renouveler à chaque fois, provoquant de nouvelles sensations propices à faire galoper l’imagination du lecteur. Il faut dire qu’elle est réalisée par Jean-Jacques Birgé, musicien, compositeur, designer sonore, auteur multimédia, je suis sûre que j'en oublie, depuis de nombreuses années. Les plus anciens parmi vous se souviendront peut-être du superbe CD-Rom Alphabet, d’après l’œuvre de Kvĕta Pacovská, sorti en 1999, dont il avait composé la bande sonore, et de mon point de vue on n'a rien fait de mieux depuis. Pas pour les enfants, pas pour les adultes, mais pour tous : avant tout œuvre de création artistique, picturale, musicale et interactive, comme le sont encore trop rarement les applications numériques.
BOUM ! est la quatrième réalisation numérique des Inéditeurs, qui sont d’ailleurs quatre et nous font le plaisir d’être tous là, autour de la table, ce matin. Mikaël Cixous, Jean-Jacques Birgé, mais aussi Mathias Franck, le développeur, et Sonia Cruchon aux manettes du projet. Bonjour à tous les quatre et bravo pour BOUM !, qui je le précise tout de suite, est disponible pour tablette iPad et Androïd...

le podcast de l'émission
mon blog sur BOUM !
→ L'illustration représente l'aide de l'application, sans paroles comme tout ce qui fait BOUM !

lundi 19 octobre 2015

Après Eden à La Maison Rouge


La scénographie est un élément primordial de chaque exposition de La Maison Rouge. L'espace est chaque fois restructuré pour immerger le visiteur dans une fiction propre aux œuvres d'art. Pas plus qu'ailleurs le réel n'y a sa place, même lorsqu'il s'agit d'une exposition de photographies comme ici, Après Eden, accrochage de 800 œuvres d'une cinquantaine d'artistes de la fin du XIXe siècle à nos jours, issues de La Collection Walther. L'objet exposé adopte un nouveau statut sous le regard de chacun, libre interprète cadré par la vision du commissaire.


Le banquier d'affaires allemand Arthur Walther a confié à Simon Njami le soin de choisir et organiser les photographies qu'il a accumulées depuis vingt ans. S'il a commencé par son pays avec le couple Bernd et Hilla Becher et August Sander, il s'intéresse d'abord à la Chine, puis à l'Afrique, peu présents dans les collections contemporaines. Les Sud-Africains sont particulièrement nombreux dans Après Eden qui offre un panorama incroyable de ce pays sur plus d'un siècle... J'ai gardé en mémoire l'image de Mikhael Subotzky où un homme noir nettoie la plage tandis que sortent de l'eau de jeunes blancs, les 12 Projections from Windows, Ponte City qu'il a filmées avec Patrick Waterhouse, les musiques accompagnant certaines projections ou les plus anciennes photographies de Samuel Baylis Barnard.


L'exposition commence avec l'herbier de Karl Blossfeldt où la nature rivalise avec les plus grands sculpteurs et les architectes de l'art nouveau. Très vite on est saisi par la rigueur allemande des accumulations (les Becher) comme si le collectionneur avait cherché à dégager un ordre à la confrontation de l'humain face au paysage (portraits de divers photographes / panoramique de la Fruchtstrasse à Berlin le 27 mars 1952 de Arwed Messmer). Mais cet ordre est morcelé, décomposé, restructuré, réagencé, réfléchissant comme pour chaque collectionneur ses angoisses et sa vision d'un autre monde (Ci-dessus Jodi Bieber, Candice Breitz... Ci-dessous un ensemble de Luo Yongjin).


En creusant dans le passé, on découvre les interrogations des photographes ou de ceux qui les ont mandatés. Les mouvements de Muybridge, les fiches anthropométriques de Bertillon, les grimaces des possédés ou les clichés ethnographiques forment la base d'une étude du portrait photographique qui nous renvoie une image contemporaine de nous-même dans le miroir. Face à eux les étendues désertiques, les no man's lands ou les machines semblent nous échapper.


Le titre de l'exposition qui se réfère à la chute plutôt qu'au paradis m'a évidemment fait penser à Alain Robbe-Grillet. Dans les éclats d'un miroir brisé, son film L'Eden et après réfléchit l'immensité des paysages sous un soleil brûlant où la sensualité des corps renvoie à un désir inassouvi. Au sous-sol de La Maison Rouge sont encadrées 101 photographies de Nobuyoshi Araki et d'autres images sulfureuses pour terminer par une installation de Yang Fudong composée de six écrans vidéo de l'Est du village de Qué où le décharné et l'absence mettent en perspective l'autoportrait que les artistes s'escriment à répéter inlassablement depuis la nuit des temps.

Après Eden, la collection Walther à La Maison Rouge jusqu'au 17 janvier 2016 (9€, tarif réduit 6€ ; gratuit pour les moins de 13 ans, chômeurs, handicapés, etc.)

vendredi 16 octobre 2015

Occupe-toi du chapeau de la gamine...


(...) la scène se passe à Zanzibar, autant que la Seine passe à Paris...
Cancan quand les collègues se chamaillent au lieu de former un front uni, leur propos se dissout dans l'eau du fleuve des égos qui font semblant de savoir nager. Si j'agis en sous-marin pour calmer le jeu, les donneurs de leçon étalent leur culture comme du saindoux sur une tranche de pain rassis. Aux uns la provocation stérile, aux autres la susceptibilité mal placée. À ce rythme tous leurs nouveaux amis seront bientôt à la rue.
Comme il perdait au Zanzibar Monsieur Presto a perdu son pari puisque nous sommes à Paris...
On aura beau se méfier de la parole des édiles, on doit bien faire semblant de les croire. Sinon l'on ne bouge pas, on fait le mort, on se met aux abonnés absents, on disparaît, mais la merde continue de fumer.
Monsieur Lacouf n’a rien gagné puisque la scène se passe à Zanzibar, autant que la Seine passe à Paris...
Il n'y a plus de frontières. Du moins pour tout ce qui est virtuel, comme l'argent, la (dés)information ou les marchands de canons. 421 ! Les êtres humains qui n'obéissent pas aux mêmes lois se pressent contre les barrières qui finiront par craquer.
Et d’abord Zanzibar n’est pas en question vous êtes à Paris...
Je pense à toi, Guillaume, et ton cœur renversé, chaque fois que je marche à pied vers l'autre rive. Je ne suis plus pressé, m'arrêtant devant la beauté de cette ville aussi merveilleuse qu'ingrate. Sous les ponts de Paris coule la SeineFluctuat nec mergitur ? Ou comme ou bien. L'accent grave est capital. J'y suis né, j'y ai grandi, mais je reste un touriste, ponctuel ou global, tant sa lumière m'enchante. Me parvient alors la voix de mon père :
Occupe-toi du chapeau de la gamine... Et laisse flotter le ruban !
Je l'écoute...

jeudi 15 octobre 2015

Speedy moi-même


Le temps file sans que je prenne le temps d'écrire. Après les souvenirs du voyage sud-américain d'Edward Perraud, c'était hier soir au tour de Médéric Collignon de vernir son expo de vues de sa fenêtre au Triton, Les Lilas. Le prochain accrochage d'un musicien-photographe sera celui de Louis Sclavis. Bonne idée de Anna Sanchez Genard de leur avoir proposé chaque mois de montrer leurs fantaisies iconographiques ! J'enchaînai avec l'inauguration du café-restaurant L'entr'acte à Bagnolet, près du Cin'Hoche, que Caroline Rossignol a décoré sur le thème du cinématographe, en particulier un beau bar à tiroirs et des lustres en film celluloïd perforé...
Tout avait commencé tôt le matin avec une émission en direct à Radio Aligre qui avait réuni toute l'équipe des Inéditeurs pour évoquer le poème graphique Boum ! dont j'ai composé la partition sonore. Courses à Belleville avant le déjeuner, à Paris Store pour les légumes exotiques et les herbes fraîches, de grandes bouteilles de Tsing Tao et les délicieux rouleaux de la Pâtisserie Têt composés de riz gluant, poitrine de porc et fleur de banane, puis chez Super Tofu (demandez leur tofu nao salé ou leurs brioches de riz, mais tout y est bon comme là-bas et incroyablement pas cher).
L'après-midi je bouclai avec Francis Gorgé la proposition de morceaux pour le vinyle que doit publier Le Souffle Continu de notre duo pré-Défense de, à savoir des pièces de 1974 et 1975 d'une énergie invraisemblable. Francis avait sa guitare Gibson SG Standard des origines et moi mon ARP 2600, le plus beau synthé analogique que je connaisse. J'écoutai aussi un autre futur vinyle, cette fois le master des remix d'Un Drame Musical Instantané par Jorge Velez, Tuff Sherm, Eltron John et Thurston Moore, que sortira DDD/La Source au début de l'an prochain. Comme ce n'était pas suffisant je fis les dernières corrections de l'application pour tablette La Famille Fantôme avec les Éditions Volumiques pendant que Sacha Gattino se concentrait sur l'exposition Darwin dont nous réalisons ensemble le design sonore pour La Cité des Sciences et de l'Industrie qui a rouvert ses portes depuis l'incendie de cet été (les dates de Darwin ont été de ce fait repoussées). Ma fille Elsa est également passée me voir avant son départ pour Rome où elle reprend son rôle de Micaela dans le Carmen de Bizet adapté par l'Orchestra di piazza Vittorio.
Une journée bien remplie qui ne m'a pas laissé un instant pour écrire...

mercredi 14 octobre 2015

Un cheveu sous la voix


Un cheveu sur la langue n'empêche pas de chanter. Il participe même au charme de l'artiste, personnalisant sa voix, d'autant qu'il dessine l'enveloppe de son timbre. La plupart du temps je ne fais pas attention. J'y ai seulement pensé en écoutant le beau concert de Yael Naim sur arte studio (écoute libre) et en la regardant. De la même manière j'ai mis des années à me rendre compte que Robert Wyatt en était affublé et que ce chuintement, reste de l'enfance, produisait une fragilité délicieuse à celles et ceux qui ne s'en étaient pas débarrassés. Akhenaton, Freddie Mercury, Donald Fagen, Tom Waits, Elton John font ainsi partie des zozoteurs lyriques. Au cinéma Humphrey Bogart ou Sean Connery à ses débuts portaient eux aussi le cheveu sur la langue et Darry Cowl en fit son style. Il existe d'autres dyslalies plus handicapantes comme le bégaiement qui peut disparaître justement en chantant. Ou des timbres de voix comme celui de Bob Dylan dont la faille signale l'originalité. La difficulté pour chacun est d'accepter sa voix, trouble né seulement avec le premier système de reproduction lorsque l'on a pu l'entendre sans la résonance de son crâne. Comme en haïkido, mieux vaut renverser l'adversité pour en faire sa force !

mardi 13 octobre 2015

Cette machine tue les fascistes


Très belle surprise de découvrir This Machine Kills Fascists, le nouvel album de Francesco Bearzatti, hommage au folk singer américain Woody Guthrie qui avait écrit cette phrase sur sa guitare. Le saxophoniste italien ne l'a pas gravée sur son saxophone, mais sur son CD... Comme on aimerait que les marchands d'armes se recyclent luthiers pour chasser la vermine au lieu d'exciter les rivalités ! Pour son Tinissima 4et Bearzatti, qui joue parfois de la clarinette, a réunit le trompettiste Giovanni Falzone, le bassiste Danilo Gallo et le batteur Zeno De Rossi. Il a également invité la chanteuse Petra Magoni sur le titre dédié aux anarchistes Sacco et Vanzetti injustement condamnés à la chaise électrique par le gouvernement américain en 1927. Il signe toutes les compositions sauf la dernière, This Land is Your Land, un classique de Woody Guthrie écrite en 1940 et qui pourrait servir d'hymne à tous les réfugiés du monde entier.
En s'inspirant de la vie et de l'œuvre du folk singer politiquement engagé Bearzatti joue le blues d'une manière étonnante qui rappelle l'Art Ensemble of Chicago dans ses pièces les plus populaires. Les musiciens ont cette manière urgente de prendre leur temps en affirmant les notes comme des slogans. Le son de la trompette de Falzone y participe aussi pour beaucoup. Après une introduction très imagée de l'Oklahoma, ils chevauchent le vent, embarquent à bord des trains avec les hobos, des SDF de l'époque, et raillent la chasse aux sorcières, tous ces mouvements en instrumentistes fameux et solidaires.

→ Francesco Bearzatti Tinissima 4et, This Machine Kills Fascists, CamJazz, dist. Harmonia Mundi

lundi 12 octobre 2015

Les couleurs danoises de l'école noire


En danois Den Sorte Skole signifie L'École noire, mais j'ignore les raisons du choix de ce nom de groupe si ce n'est que la pochette de leur album III est de cette couleur sans aucun signe extérieur ni sur les six faces du vinyle. Mais le noir est-il une couleur ? Le peintre Claude Monet ne le pensait pas. Vendredi soir, leur show à La Gaîté Lyrique, dans le cadre du Festival d'Île-de-France, plongé dans le noir était au contraire fortement coloré, tant la musique que les projections sur les quatre murs encerclant le public.


Sur la scène Martin Højland et Simon Dokkedal ressemblaient plus à des percussionnistes qu'à des DJ, leur musique sonnant très différente des martelages répétitifs de la techno ou de l'électro. Leur culture générale en matière musicale est suffisamment étendue pour qu'ils osent emprunter leurs samples à tous les courants, et en particulier à ceux des musiques du monde, conférant au concert un effet de rituel magique. Seraient-ils à l'électro ce que Pharoah Sanders fut au jazz ? Ils diffusent les parfums bruts de l'Afrique ou de l'Asie en les habillant de l'écrin de la technologie occidentale. La musique de Den Sorte Skole est aussi construite comme une série de chansons ou plutôt de petits scénarios très architecturés, ne craignant ni les cassures ni les surprises. On est très loin de la forme vectorielle A vers A' de nombreux concerts de techno. Dans deux ou trois semaines sort leur quatrième album, Indians & Cowboys, dont ils livrèrent l'exclusivité au public parisien. Comme les précédents, il sera donné gratuitement en téléchargement, pâle reproduction de l'original en vinyl qui, lui, sera vendu.

vendredi 9 octobre 2015

La Maison Fantôme voit le jour


Les Éditions Volumiques publie enfin La Maison Fantôme, application pour tablette (iOS et Androïd) à l'usage des (pas trop) petits et des grands (restés petits), ce qui signifie "à partir de 4 ans". Les joueurs (de 2 à 4) doivent tendre des pièges aux sept membres de la famille fantôme qui veulent rentrer dans la petite maison en carton posée sur l'écran. Il faut être rapide, le premier joueur ayant capturé trois fantômes a gagné ! C'est un jeu de reconnaissance par les sons, car chaque fantôme a sa propre identité sonore associée à un comportement personnel. Il fait bien travailler la mémoire !


J'ai écrit "enfin" parce que Sacha Gattino et moi avons livré les sons des fantômes il y a maintenant trois ans et qu'il a fallu que nous soyons extrêmement patients pour découvrir le magnifique travail de nos amis Volumiques, soit Étienne Mineur qui les a dessinés et en a réalisé le game design, et les trois développeurs, Tristan Genevet, Ryad Godard et Julien Hognon. Sacha et moi nous sommes amusés comme des petits fous pour créer les voix des fantômes et composer la musique de l'appli et de la bande-annonce. Nous avons imaginé des voix pour le niveau facile, des bruits pour le niveau moyen et de courtes phrases musicales pour le niveau diabolique. Notre panoplie était constituée d'ondes Martenot, célesta, harmonica de verre, plaques de métal, boîte à musique, cadre de piano, rhombe et un terrible coup de tonnerre.


La Maison Fantôme procède de la même logique économique que les autres applications de la collection Zéphyr dont Sacha et moi avons également réalisé le design sonore. L'application est gratuite, mais le fin du fin est le joli livre qui l'accompagne avec la maison en carton à monter soi-même et à placer au centre de la tablette.

La Maison Fantôme, application gratuite pour tablette (iOS ou Androïd), Volumique, 7,50€ avec le livre

jeudi 8 octobre 2015

God at The Casino


Décidément ça explose dans tous les sens ! Les jeunes musiciens ont la rage. Qu'ils soient sereins ou excités selon les pièces ils tranchent d'avec leurs aînés empêtrés dans leur amour dévot pour le jazz américain. Comme pour les exilés de tous les continents, les frontières de style ne veulent plus dire grand chose quand il s'agit de vivre. Au lieu de poireauter dans un couloir sans fenêtres ils arpentent toutes les pièces avec un bagage incroyable, amoureux de toutes les musiques, qu'elles soient classique, pop, punk, jazz ou innommable. Il n'empêche que les instrumentistes doivent tout de même au jazz leur liberté d'improvisation. Il aura fallu tant d'arabesques, de variations tricotées autour du thème, il aura fallu la révolution du free jazz et le groove du funk pour que s'épanouisse cette nouvelle génération de voyageurs. Les recherches de la musique contemporaine ont également éclairé leur chemin, donnant naissance à des généralistes dont les spécialités ne sont qu'accessoires, costumes et décors.


Le trio Hermia Ceccaldi Darrifourcq est de cette trempe. Ils sortent un album riche en timbres, rythmes et mélodies hirsutes sur le label anglais Babel, montrant aussi que l'humour est une affaire grave lorsqu'ils détruisent l'horloge sans casser le tempo. Le saxophoniste Manuel Hermia, le violoncelliste Valentin Ceccaldi et le percussionniste Sylvain Darrifourcq jouent une musique de groupe où la solidarité s'exprime sans fard. Et lorsqu'il lance les dés, ils aiment les voir se fendre parce que le hasard fait partie du jeu et que leurs gestes sont dictés par des forces inconscientes que seul leur art canalise.

→ Hermia Ceccaldi Darrifourcq, God at The Casino, cd Label Babel

mercredi 7 octobre 2015

La manie Picasso au Grand Palais


On peut aimer un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, et même pas du tout Picasso, l'exposition présentée au Grand Palais rappelle l'extraordinaire influence que l'artiste exerça sur son temps et sur les générations suivantes. Exposant quantité d'œuvres d'autres artistes que le maître, Picasso Mania a l'avantage d'offrir un large éventail de styles, miroirs déformants des diverses périodes du génie espagnol dont les thématiques épousent explicitement la chronologie. Après un mur d'interviews vidéo de Laura de Clermont-Tonnerre et Diane Widmaier Picasso où témoignent Adel Abdessemed, John Baldessari, Frank Gehry, Jeff Koons, Bertrand Lavier, Philippe Parreno, Richard Prince, Julian Schnabel, Frank Stella, Sara Sze, Agnès Varda, etc., Salut l'artiste ! accumule les portraits de Picasso réalisés par d'autres (en photo par Maurizio Cattelan et Pei-Ming Yan). Le cubisme, un espace polyfocal ne peut représenter que l'original, puis David Hockney est la première des salles monographiques avec des montages Polaroïd, des toiles inspirées du cubisme et l'installation de 18 films synchronisés The Jugglers...


Grand Palais oblige, Picasso Mania s'attache plus aux artistes plasticiens qu'aux signes du quotidien, mais le cinéma est bien présent grâce à une installation audiovisuelle très godardienne, Le Tricycle de Fabrice Aragno et Jean-Paul Battagggia. Sur trois écrans s'entrechoquent des plans de Basic Instinct, F For Fake, Children of Men, Été précoce, Guernica, Indiscreet, Jules et Jim, Midnight in Paris, La pointe courte, Les plages d'Agnès, Le Mystère Picasso, Les rendez-vous de Paris, Persepolis, Suspicion, Zazie dans le métro et une demi-douzaine de films de Jean-Luc Godard ! Des extraits vidéographiques (Averty, des pubs...) et chorégraphiques (Preiljocaj, Maguy Marin, Martha Graham, Kader Belarbi...) s'y mêlent dans un ballet aléatoire où se réfléchit l'influence kaléidoscopique de Pablo Picasso.


Les demoiselles d'ailleurs décline celles d'Avignon à toutes les sauces, prostituées du monde de l'art. Avec C'est du Picasso ! on reconnaît l'influence de l'art africain dans ses portraits qui, retour à l'envoyeur, inspirent les masques de Romuald Hazoumé. Ambiguïté du post-colonialisme incarné Faith Ringgold, Robert Colescott, Leonce Raphael Pettibone...


Plus loin, Picasso Goes Pop ouvre sur des salles consacrées à Lichtenstein, Oldenburg, Erro, Warhol et aux Quatre saisons de Jasper Johns. La banalisation de l'art moderne passe par Picasso. Son nom seul est devenu le symbole de la création contemporaine, fracas hirsute où les couleurs explosent et où les pointes angulaires crèvent la toile des a-priori. Une installation vidéo de Rineke Dijkstra interroge de jeunes enfants sur La femme qui pleure, contrechamp laissant seulement imaginer le tableau.


Guernica, icône politique est une salle sombre où trônent une projection d'un film de Kusturica, un agglomérat d'animaux naturalisés d'Abdessemed (Who's afraid of the big bad wolf ?) et une monumentale table ronde de Goshka Macuga, sous une photo de la tapisserie ornant les murs du Conseil de sécurité des Nations Unies, où l'on est invité à prendre place, à débattre avec ses voisins puis à envoyer sa photo ou son témoignage au site de La nature de la bête... Après une salle consacrée à un hommage impertinent de Martin Kippenberger et aux "gribouillages" d'Un jeune peintre en Avignon, la dernière s'intitule Bad Painting où sévissent Georg Baselitz, Malcolm Morley, Basquiat, Vincent Corpet, George Condo, Antonio Saura, Julian Scnabel, Thomas Houseago dans une nouvelle figuration, retour de la narration, provocation du réel qui convie le sexe et la mort.


Je plaque des mots, j'accumule des listes, mais franchement c'est à voir !

Picasso Mania, Grand Palais, jusqu'au 29 février 2016

mardi 6 octobre 2015

Des madeleines dans la galaxie


Le corniste Nicolas Chedmail a inventé un instrument diabolique qui aurait plu à mon camarade Bernard Vitet. Début 2001 Chedmail, spécialiste du cor naturel, soit un cor sans pistons utilisé en musique baroque où l'on sélectionne les notes en enfonçant la main dans le pavillon, a l'idée de fabriquer un instrument à plusieurs pavillons qui dirige l'air par un système d'aiguillage contrôlé par les pistons de son cor d'harmonie. En 2003 il décide de monter un orchestre basé sur ce principe, ce sera le Spat'sonore. Trente ans plus tôt on avait vu Vitet jouer d'un cor multiphonique à trois pavillons sur la scène du Festival de Châteauvallon avec le Portal Unit, mais cette fois ce sont huit musiciens et un écheveau de tubes qui place le public au centre de l'orchestre.
Le cor spatialisé de Chedmail possède quatre pavillons, l’un à deux mètres à droite, un autre à deux mètres à gauche, un à deux mètres devant en douche au dessus du public. Sur ce principe sont construits de nouveaux spat' à partir du saxophone, du trombone, du tuba et même du banjo et des percussions ! Les musiciens peuvent transformer les sons habituels, toujours purement acoustiquement, sans aucune amplification, avec différents accessoires, anches doubles, anches battantes, sourdines à eau, appeaux, ballons de baudruche, etc., multipliant les possibilités timbrales de leurs instruments. Sur le principe du jeu d'orgue les tirettes sont remplacées par les pistons.


La pénurie de partitions contemporaines pour le cor a incité Chedmail à inventer son propre instrumentarium après un séminaire avec le compositeur et trombone Vinko Globokar invité au CNSMD de Lyon par Jacques DiDonato. La magie des concerts du Spat'sonore tient à la multiphonie acoustique qui encercle et surplombe le public assis au centre de la pieuvre. Le dispositif rappelle un peu le Zwei-Mann-Orchester de Maurizio Kagel (il y a également trente ans !) pour la loufoquerie de cette nouvelle lutherie, mais avec, en plus, l'immersion acoustique où fermer les yeux emporte ici les auditeurs dans un paysage musical totalement inouï. Les compositions offrent des plages d'improvisation aux musiciens, de même que chaque lieu implique des ajustements pour les faire sonner. En s'adjoignant un chanteur de hardcore des années 80, Jean-Michel Pupin (ex GI Love), la musique, éminemment collective interprétée avec Thomas Beaudelin, Philippe Bord, Giani Caserotto, Julien Desprez, Roméo Monteiro, Maxime Morel et Joris Rühl, place une cerise sur le gâteau ! Alors offrez-vous, comme disait Jean Renoir, mieux qu'une tranche de vie, une tranche de gâteau !

Jeudi 8 octobre le Spat'sonore est à L'Archipel, 26bis rue de Saint-Petersbourg à Paris (séances à 18h, 18h55 et 20h45) dans le cadre du Festival "Le Classique c'est pour les Vieux") pour Des madeleines dans la galaxie.
Puis vendredi 9 (séances à 18h30 et 20h) et samedi 10 (séances à 15h, 16h30 et 18h) les huit musiciens seront au squat L'amour, 24 rue Molière à Bagnolet.

lundi 5 octobre 2015

Objets inanimés, avez-vous donc une âme ?


Lorsque nous avons refait la cuisine ma fille l'a trouvée très belle, mais un peu trop moderne. Lorsqu'elle a besoin de quelque chose elle préfère fouiner chez Emmaüs ou Neptune à Montreuil. Ce n'est pas seulement une question d'argent, mais les objets formatés n'ont pas d'âme, il leur manque une histoire. Et cette histoire peut continuer pour peu que l'on y soit sensible ! Françoise pense la même chose, aussi adore-t-elle chiner de temps en temps, à Troc de l'île, dans un vide-grenier ou à Emmaüs comme la semaine dernière à Marseille. Sur la photo on la voit mettre la main sur des chaises modernes à huit euros les trois. Elle craque pour les années 60 qui me rappellent trop l'appartement de mon enfance. Une fois par mois, le samedi matin, ils mettent en vente les objets précieux et l'on trouve des bijoux incroyables pour une bouchée de pain. Parfois nous allons chez Bravo, un brocanteur spécialisé en mobilier de café indiqué par Raymond ou bien sur LeBonCoin.


Françoise est ravie d'avoir dégoté ce superbe plat à poisson de soixante centimètres de long en porcelaine de Limoges pour sept euros. Il ne me reste plus qu'à aller au marché et inviter des copains pour l'étrenner ! Ulysse s'est porté volontaire pour la vaisselle... "Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ?"

vendredi 2 octobre 2015

Histoires du temps qui passe


Nous sortons de l'eau qui semble plus chaude qu'en plein été. Françoise me dit que c'est la douceur de septembre sans se rendre compte que nous sommes déjà en octobre. Dans nos métiers il n'y a ni samedis ni dimanches, alors pourquoi connaitrions-nous le mois dans lequel nous sommes ? L'année est juste bonne à savoir pour les quelques chèques que nous signons. La plupart des gens de notre génération sont-ils seulement conscients que nous sommes depuis quinze ans au XXIe siècle ?
C'est la première fois que je prends une photo depuis l'autre côté de la villa des tours. Le matin les surfers s'en donnent à cœur joie tandis qu'au bord les vagues nous massent. Plus loin j'ai le choix entre les crever ou me laisser porter. Tout dépend de la phase où je les aborde. Le vent est tombé. Je remonte en maillot à bicyclette.
Ulysse se cache dans les broussailles pour dormir. Voilà donc ce qu'il fabrique à Paris lorsqu'il disparaît pendant des heures.


Le soir nous sommes allés au Lumière voir le dernier film de Paolo Sorrentino. J'ai du mal à comprendre l'agressivité de la critique branchée, que ce soit Libé ou Les Cahiers du Cinéma, contre ce cinéaste. Peut-être est-il à la fois trop moderne et baroque à la fois ? Youth est une réflexion philosophique sur la vie, l'âge, l'art, le cinéma, filmée avec beaucoup d'invention et de rigueur. Michael Caine, Harvey Keitel, Paul Dano, Jane Fonda, Rachel Weisz y sont formidables. L'univers concentrationnaire du somptueux hôtel pour riches suggère plus qu'il ne montre, alors qu'il expose quantité de sentiments, d'ambiguïtés et une dialectique qui souligne la poésie de la création. La musique de David Lang (co-fondateur de Bang On A Can) nous accompagne jusqu'à la fin du générique avec un Just qui rappelle le merveilleux Lost Objects tandis que la partition sonore recèle quelques passages mémorables dont un sublime concert champêtre. Youth ne dépare pas de la filmographie de Sorrentino. Si vous avez une bonne raison d'avoir détesté les précédents, n'y allez pas. Sinon, c'est du cinéma comme on ne sait plus beaucoup en faire !

jeudi 1 octobre 2015

Comme un blog


Le plumbago a certes des qualités médicinales, mais Ulysse s'en est collé plein les poils et je ne suis pas certain d'arriver à l'en débarrasser sans les couper ! La faculté des chats à comprendre les limites d'un terrain est étonnante. Il suffit néanmoins qu'il nous suive chez les voisins pour qu'il annexe aussitôt ces nouveaux territoires. Journée calme. J'écris un long article sur la musique, Internet et la qualité des différents supports que me demande Jean Rochard pour le Journal des Allumés du Jazz. Cela me fait plaisir, d'autant que l'association des labels indépendants continue de boycotter mes albums virtuels comme le reste de la presse papier. Depuis que j'ai mis en ligne 63 albums libres en écoute et téléchargement mon audience s'est pourtant considérablement accrue alors que celle de la presse papier décline inexorablement. Cette surdité face à ce "nouveau" support est incroyable...


L'après-midi, nous allons à Marseille visiter l'exposition Prétexte #2 à la Friche Belle de Mai où Nicolas Clauss expose Agora(s). Je reconnais instantanément son travail au bégaiement de ses images, scratch génératif produisant de drôles d'effets lorsque les figures s'envolent. En me promenant au milieu des cinq grands écrans j'ai parfois l'impression de participer à cette longue marche de l'humanité. Le corps de chaque individu semble interrogé par la caméra de Nicolas. Il a filmé ses foules dans une douzaine de lieux très fréquentés de la planète, donnant à l'ensemble de sa fresque une impression d'universalité. Ce travail de fourmi(s) me renvoie au calme de la solitude face à mon écran ou ébloui par la couleur verte du jardin qui m'entoure.
Le soir je m'ennuie terriblement devant Marguerite, le nouveau film de Xavier Giannoli qui avait pourtant si bien réussi À l'origine. Les films réduits à une situation ne sont pas ma tasse de thé. Il ne suffit pas d'avoir de bons acteurs, une débauche de décors et de costumes, une anecdote amusante. J'ai besoin de rebondissements dans le scénario. Comme dans la vie j'aime les surprises, les bonnes surtout. J'anticipe les mauvaises nouvelles pour que celles-là ne me surprennent pas, comme un client qui ne paie pas ce qu'il me doit. Heureusement ici les éléments naturels ont raison du reste. L'horizon oscille entre le mystère et le rappel à l'ordre. Un fort vent d'est secoue les vagues...