70 décembre 2015 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 31 décembre 2015

Birgé Contet Hoang - dernière livraison vidéo


Dernière livraison vidéo du concert du 12 novembre dernier au Triton, Les Lilas, du spectacle Un coup de dés jamais n'abolira le hasard avec l'accordéoniste Pascal Contet et le clarinettiste-saxophoniste Antonin-Tri Hoang, dont on retrouvera la version audio quasi intégrale sur drame.org en écoute et téléchargement gratuits. J'avais déjà proposé cet exercice de voltige, soit improviser le thème tiré au hasard par les spectateurs parmi le jeu de cartes imaginé par Brian Eno et Peter Schmidt, à d'autres musiciens et musiciennes avec qui nous nous étions déjà bien amusés. Ainsi se succédèrent Ève Risser et Joce Mienniel (album Game Bling), Birgitte Lyregaard et Linda Edsjö (Radio France et Atelier du Plateau), Médéric Collignon et Julien Desprez (Le Triton)...


Il n'est pas certain que nous ayons vraiment évité de briser le silence, mais nous l'avons cajolé. 5'02 dont le ton est donné par la trompette à anche, repris par la clarinette et l'accordéon avant que le H3000 enveloppe l'ensemble de ses nappes faussement électroniques. Elles ne sont en réalité que le prolongement de mon souffle...


Pas de doute ici, nous avons obéi scrupuleusement à la carte Be Dirty ! Jouer salement, c'est y mettre tous les doigts et la langue, lécher son assiette, envoyer la purée pour commencer en se disant que les deux autres devront bien s'en accommoder, c'est péter, roter, éructer, alors franchement en 5'17 nous aurions pu être plus crades...


Si certains jours les cartes sont avec nous, d'autres fois elles nous jouent des tours. Ainsi elles ne nous ont jamais posé autant de chausse-trappes que ce jeudi-là. "Utilisez des personnes non qualifiées !" annonce le dernier tirage, et nous voilà essayant de convaincre des spectateurs de se joindre à nous... Xavier Ehretsmann n'est pas musicien, il n'a jamais soufflé dans un saxophone, mais il connaît la musique pour être le producteur des Disques DDD et le disquaire du magasin La Source. Courageux, il grimpe sur scène et Antonin lui prête son alto tandis qu'il conserve sa clarinette. J'amorce au hou-kin, un violon vietnamien, avant de convoquer tout l'orchestre auquel se joint Pascal Contet. Dans ces occasions soit tu joues free, soit tu joues tzigane ; Xavier n'a pas vraiment le choix, et grâce lui soit rendue car il nous permet de terminer le concert en soulignant la participation formidable du public à ce projet acrobatique qui me fit grimper et dévaler l'escalier du balcon à toute vitesse entre chaque pièce.

Dernière livraison vidéo de notre trio improvisé, dernière livraison du blog avant la fin de l'année, je vous souhaite un bon réveillon, mais ne mettez pas de musique pendant le repas, cela gâche la nourriture, si elle est trop faible elle ne fait que brouiller les échanges, si elle est trop forte elle empêche les convives qui ne se connaissent pas de s'immiscer dans les conversations, si elle est créative elle doit s'écouter pour elle-même comme on lit un roman, comme on regarde un film... Plus tard, si vous aimez danser, alors ce sera le moment de choisir la musique qui convient, mais ce ne sera pas la mienne, à moins que vous attendiez le 29 janvier lorsque j'inviterai Bumcello à me rejoindre au Triton !

Photo © Gérard Touren
Vidéo : Françoise Romand et Armagan Uslu (caméras), JJB (montage)

mercredi 30 décembre 2015

Crépuscule de l'Histoire


J'ai longtemps revendiqué de ne pas m'intéresser à l'information au profit de l'Histoire. Cela avait justifié que je ne regarde plus la télévision, me désabonne des quotidiens et me coltine Le Monde Diplomatique de la première à la dernière page, épreuve douloureuse mais nécessaire !
Une déconvenue personnelle concernant ce fameux mensuel m'a plus démoralisé que de découvrir la personnalité paranoïaque du candidat Front de Gauche après les élections présidentielles. Un surprenant storyrtelling me concernant m'a empêché de continuer d'y publier des articles pourtant déjà commandés (en particulier une énorme enquête sur la vie des musiciens de jazz en France), jetant un doute profond sur les coulisses de la pensée (le fait que mes articles soient souvent en une de Mediapart n'y est pas non plus complètement étranger). Mon implication aux élections municipales a de même révélé que l'arène politique ressemblait plutôt au marché de l'embauche. Je me suis naïvement consolé en me souvenant que pendant le Siège de Sarajevo personne n'y parlait jamais politique, mais philosophie et poésie... Les rapports de pouvoir minent les rapports humains et éclairent la réécriture de l'Histoire comme de nos petites histoires.
Le nouveau livre de Shlomo Sand pulvérise mon approche de l'Histoire en analysant le storytelling à l'œuvre depuis que l'homme sait écrire. L'Histoire n'échappe nullement à la règle de la désinformation, bien au contraire elle grave dans le marbre les récits de ceux qui tiennent les rênes du pouvoir. Je savais qu'elle était écrite par les vainqueurs, mais je n'avais pas forcément perçu à quel point elle était l'apanage exclusif de la classe dirigeante qui ne relate que ses hauts faits. Elle oblitère totalement la vie du peuple en relatant essentiellement celle des têtes couronnées et les grandes batailles. Ceux qui écrivent dessinent le passé tandis que la mémoire s'éteint doucement. De génération en génération la fiction devient le réel, inoculant la culture sans que l'analyse puisse en relever les incohérences. Les religions sont le meilleur exemple de cette mécanique de l'oubli et de la foi. Pour Crépuscule de l'Histoire Shlomo Sand remonte le temps et déplie la longue suite des historiens qui s'interrogèrent progressivement sur la véracité de leur transmission.
La rigueur ne semble pas de mise en Histoire ! Pour la comprendre il faudrait d'abord envisager tous les angles, à savoir s'échapper de la mythistoire nationale, sorte de coup d'État sur la mémoire. Aujourd'hui mettre en doute l'histoire officielle revient à être traité de complotiste, terme inventé par les Américains au lendemain du 11 septembre 2001. Il suffirait pourtant de comparer par exemple les informations télévisées françaises, américaines, russes, syriennes, turques, saoudiennes, iraniennes, israéliennes, libanaises, libyennes, etc. pour se faire une idée du conflit au Moyen Orient. Mais cette diversité contradictoire ne suffirait pas, il faudrait accumuler les témoignages de celles et ceux qui sont sur le terrain, qu'ils y vivent quotidiennement ou le fuient, etc. Pour se faire une idée un peu plus juste il ne suffit pas de comprendre de quoi il s'agit, mais de regarder qui en parle. À quelle classe sociale appartiennent les historiens qui nous ont transmis ces informations ? Par exemple, les prêtres longtemps, la bourgeoisie plus récemment...
Face aux réflexions de Shlomo Sand, professeur à l'Université de Tel-Aviv, qui se demande si l'on peut encore enseigner l'Histoire, on se met à douter de tout ce que l'on nous a appris dans les livres scolaires. À qui profitait ce qui nous était inculqué, du sentiment national au fantasme social de la réussite ? Existe-t-il même une réalité ou l'Histoire est-elle un fantastique récit de fiction servant les intérêts des uns et des autres ? Une étude scrupuleuse des textes, un regard large et non exhaustif sur les sources, entendre plurinationales, une interrogation pluridisciplinaire du passé, associant par exemple la sociologie, la psychanalyse, l'éthologie, permettrait probablement de nous approcher non seulement des faits, mais également de leur manipulation systématique, instrument de contrôle des peuples par une poignée de marionnettistes agissant sous couvert de science, ce que l'Histoire n'est définitivement pas.

→ Shlomo Sand, Crépuscule de l'Histoire, Flammarion Documents et Essais, 23,90€

mardi 29 décembre 2015

Trois objets insolites


J'ignorais tout de l'objet central avant que Sacha Gattino me raconte sa visite chez Mora à Paris, spécialiste des ustensiles de cuisine. Il s'agit d'un toqueur à œuf "clack inox" permettant de découper de façon parfaitement nette la coquille des œufs. On couvre l'œuf avec la calotte qui est en bas de la potence et on laisse tomber la bille dessus. Manière élégante de casser un œuf cru ou de le présenter à la coque, sans émietter les bords ! J'ai trouver l'objet beaucoup moins cher sur un site Internet...
Sur lequel j'ai évidemment acheté un autre gadget, à gauche sur la photo ! Il s'agit d'un casse-noix qui évite qu'on se pince les doigts ou que l'on s'escrime contre une coque récalcitrante. C'est un peu le même principe, mais la boule surmonte cette fois un ressort. On la tire et la relâche au-dessus de la noix, l'amande ou la noisette...
Le troisième machin argenté est beaucoup plus onéreux et ne sert pas à grand chose en cuisine. J'avais un problème avec les instruments de musique virtuels, parfois extrêmement longs à charger lorsque je suis en concert. En acquérant un disque dur externe SSD, sur les conseils cette fois de Francis Gorgé, j'ai considérablement accéléré le processus. De plus, l'objet autoalimenté est de la taille d'une clé USB alors qu'il contient 1 To de données ! J'ai donc recopié les banques que j'utilise le plus souvent en concert, soit le quart de mon abondante sonothèque.
Il ne me reste plus qu'à acheter des œufs, des noix et à trouver des concerts. On achète les premiers à un monsieur de notre commune qui a des poules qui courent en liberté. Des amis nous apportent en général des noix des jardins de leurs proches. Ne faisant moi-même aucune prospection et les programmateurs n'ayant pas beaucoup d'imagination, je ne joue pas souvent en dehors du studio. Raison de plus pour noter sur vos tablettes le concert que je donnerai le 29 janvier au Triton, Les Lilas, avec Bumcello, soit Vincent Segal au violoncelle et Cyril Atef aux percussions !

lundi 28 décembre 2015

Second stade du miroir


Ulysse découvre la tête qu'il a, affublé de la collerette qui l'empêche de se gratter l'œil. Il a pris un coup de griffe, à moins que ce ne soit une brindille. Toujours aussi téméraire, il grimpe à toute vitesse en haut des arbres, sur les branches les plus fines, mais l'églantier est plein d'épines et le yucca fabrique des piques acérées. Comme si cela ne suffisait pas, question congénitale ou résultat d'une infection, il manque de larmes. Notre jeune chat ne pleure pas, même lorsqu'il se fait mal. Conclusion, nous devons lui mettre des gouttes pour humecter sa cornée. Depuis hier il rigole pourtant un peu moins. Il marche à reculons, rase les murs et fait des bonds comme s'il avançait sur des braises. Interdit de sortie il tourne en rond ou s'affale les pattes pendantes au bord du lit, lui dont les fugues quotidiennes sont légendaires dans le quartier, je devrais dire les visites tant il a annexé nombreuses demeures de notre rue, y compris le squat des Baras chassés de Lybie par l'intervention armée de la France et toujours sous la menace d'une expulsion. Hier matin j'ai heureusement été réveillé par ses cabrioles : il avait réussi, mauvaise idée, à retirer partiellement son corset de plastique, se coinçant douloureusement la mâchoire. Il est pourtant indispensable de l'empêcher de se gratter l'œil. Nous lui faisons maintes caresses et gratouillis, le brossons et le câlinons en comptant les jours qui le séparent de la libération. En attendant il se regarde dans la glace, offusqué par ce que l'ophtalmologue l'oblige à porter. Mais ce qu'il voit dépasse l'artifice et le laisse perplexe.

vendredi 25 décembre 2015

Le Surnatural Orchestra, un remède contre le cynisme ambiant


D'abord une bûche, c'est Noël ! Le coup de hache du Surnatural donne le la d'une Ronde qui figurerait bien une nouvelle Carmagnole dans le climat liberticide de l'ultralibéralisme aux alibis sécuritaires...
Le Surnatural serait un orchestre festif, inventif, approximatif, collectif, if, if, si, si, s'il n'était d'abord joyeusement surnaturel, fanfarement pop et fanfaronnement conceptuel ! Chaque terme de cette pièce montée devrait être décortiqué, analysé, détaillé pour que l'on puisse goûter ce plat de résistance généreusement accompagné d'une cohorte de hors d'œuvre. Orchestre de scène, plus circassien que collet monté, le Surnatural ne rêve que plaies et bosses, numéros de voltige où le collectif retombe chaque fois sur le bon nombre de pieds. Passé à la fixation sur support pérenne, la bande imagine des objets uniques qu'aucun pirate ne pourra s'approprier sans perdre l'essence de leur démarche motrice.
Ainsi leur Profondo Rosso était inséré dans un somptueux et épais carnet graphique rempli d'images et de textes, notes sur un ciné-spectacle, où il y avait autant à boire qu'à manger. Cette exubérante gourmandise est peut-être leur principal défaut, car il faut parfois du temps pour ingurgiter et digérer ces plats du terroir, avalés d'une traite en apnée. Ronde, leur nouveau CD, est livré sur un tourillon de bois entre deux disques de feutre avec sérigraphie de Camille Sauvage. L'artisanat renvoie définitivement l'industrie à son stérile formatage.


Les 18 membres de cet orchestre solidaire, artistiquement dirigés pour l'occasion par le trompettiste Izidor Leitinger, ont cette fois fait appel à un directeur artistique extérieur, le néerlandais Ferry Heijne du groupe De Kift, histoire de rassembler les énergies sur un vecteur identifiable. Ainsi leur démarche collectiviste, fondamentalement politique dans une époque où l'individualisme atomise les velléités rebelles, est à l'image d'un réveil populaire indispensable pour lutter contre la maladie d'une société qui a perdu ses repères, hypnotisée par l'appât du gain jusqu'à y perdre la vie. Cette Ronde est de saison, "nous dansons sur un volcan !".

→ Surnatural Orchestra, Ronde, Collectif Surnatural, sortie seulement le 20 janvier 2016, CD-objet ou double vinyle à tirage limité... En concert les 20 et 21 janvier au Carreau du Temple, Paris, dans le cadre de Jazz Fabric

jeudi 24 décembre 2015

Birgé Contet Hoang - 2ème livraison vidéo


Jouer avec Pascal Contet et Antonin-Tri Hoang c'est s'attendre à l'imprévisible. Dit autrement, et c'est visible dans les vidéos du concert du 12 novembre dernier au Triton, Les Lilas, improviser avec ces deux musiciens incroyables c'est ne s'attendre à rien. Être surpris, découvrir, répondre, proposer, échanger, partager... J'aime rappeler que l'improvisation n'est rien d'autre que raccourcir le temps au minimum entre composition et interprétation.


Regardez Pascal jouer de son accordéon en intégrant tout ce qui le constitue tandis qu'Antonin outrepasse la consigne "Face à un choix jouer les deux" en alternant sans cesse ses trois instruments, clarinette, sax alto et clarinette basse. De mon côté j'associe des ambiances humaines et naturelles à un triple piano programmé en quarts et demis tons...


Après 7'30 de Faced With a Choice Do Both, je vous propose 1'49 de Destroy: Nothing... The Most Important Thing où je passe la voix de ma fille à la moulinette du Tenori-on pendant que Pascal Contet massacre quelques pièces du répertoire accordéonistique et qu'Antonin-Tri Hoang brise en petits morceaux une de ses anches préférées. Je ne suis pas sûr de n'avoir rien détruit, mais nous avons certainement attaqué ce à quoi nous tenons le plus !


J'illustre le blog d'aujourd'hui avec trois pièces d'un coup pour ne pas abuser du feuilleton musical, même si cela peut paraître un peu copieux aux oreilles non averties ;-) Ainsi Don't Be Afraid of Things Because They're Easy To Do, 3'30 où nous ne craignons pas de faire des choses faciles, clôt cette seconde mise en ligne de cette énième version originale du spectacle Un coup de dés jamais n'abolira le hasard dont on peut écouter et télécharger l'album complet sur drame.org. Face à mes rythmes électroniques attaqués au clavier, Antonin décide de ne jouer qu'une seule note et Pascal répète inlassablement ses gammes. La suite au prochain numéro...

Photo © Gérard Touren
Vidéo : Françoise Romand et Armagan Uslu (caméras), JJB (montage)

mercredi 23 décembre 2015

Refondation, thème du n°9 de la Revue du Cube


La Revue du Cube continue de sonder l'avenir sous le regard d’artistes, de chercheurs, de personnalités et d’experts les plus variés, sous la houlette de Nils Aziosmanoff. En croisant celle du précédent, la thématique de chaque numéro finit par lui ressembler, parce que les enjeux sont, heureusement et hélas, clairement définis. De perspectives (cette fois Dominique Bourg, Georges Chapouthier, Bernard Chevassus-au-Louis, Nathalie Frascaria-Lacoste, Françis Jutand, Ariel Kyrou) en points vue (ici Franck Ancel, Étienne-Armand Amato, Hervé Azoulay, Emmanuel Ferrand, Maxime Gueugneau, Étienne Krieger, Bertrand Laverdure, Dominique Sciamma, Joël Valendoff, Clément Vidal, Guillaume Villemot et moi-même) les rêves et les craintes dessinent utopies et dystopies, possibles et impossibles, dans un fragile équilibre qui tend chaque jour un peu plus vers la rupture. Des (presque) fictions (là de Philippe Chollet, Laurent Courau, Michaël Cros, Vincent Lévy, Yann Minh, Linda Rolland, Susana Sulic, Technoprog), une rencontre avec Francis Demoz et les liaisons heureuses des Liens Qui Libèrent terminent le tableau de ce neuvième numéro (téléchargeable gratuitement ici), travail d'anticipation où la curiosité l'emporte sur la catastrophe, d'autant que cette "refondation" qui interroge notre immortalité annonce notre disparition.
Sur la surface du globe ne se confrontent plus alors que pessimistes (lanceurs d'alertes) et optimistes (de moins en moins nombreux), renvoyant chacune et chacun à sa propre histoire psychanalytique pour justifier sa pensée. Car aucun de nous ne verra se réaliser sa prophétie, laissant le bilan de nos incohérences aux générations futures, quel qu'en soit leur nombre. Cet héritage passe, non par un recentrage, mais par un décentrage de l'humanité, dans les relations qu'elle entretient à l'intérieur de sa communauté comme de son rapport à la nature. Les apprentis-sorciers aux ordres de marionnettistes cupides nous laissent peu d'espoir... Il n'y a pourtant de salut que dans le partage.

Tandis que je découvre les écrits passionnants des autres rédacteurs je livre ci-dessous ma modeste contribution.

LA QUESTION SANS RÉPONSE
par Jean-Jacques Birgé

J’ai attendu le dernier moment pour écrire sur le thème de la refondation par crainte de me répéter. Empathie, utopie, confiance, après l’humain, créativité, partager, agir, révolution positive ont toutes évoqué des questions sans réponse. J’entends la musique de Charles Ives, phrase suspendue au dessus des cordes. Ou bien les idées que ces notions génèrent en moi font résonner mes marottes et je n’ai pas envie de me relire. Comment arriver à me transporter dans le futur alors que ma fin se rapproche chaque jour ? C’est pourtant le lot de chacun et chacune. Comment comprendre la refondation de l’humanité alors que je suis passé cette année au régime de la retraite ? Si cela ne change rien à mes activités, je ne peux m’empêcher de saisir la balle au bond pour imaginer autre chose.
Ne suis-je pas déjà né plusieurs fois, même si ces naissances n’avaient rien à voir avec quelque révolution technologique ? Je crois me souvenir de la première lorsque j’aperçus des parallélépipèdes rectangles qui se contractaient et se dilataient au rythme d’un cœur comme s’ils allaient m’avaler. Mais que venait y faire le chiffre 7 ? Je n’ai jamais réussi à l’interpréter. La seconde fut sociale. Le vendredi 10 mai 1968, je demandai au proviseur de mon lycée s’il y aurait des sanctions à notre grève. À sa réponse négative on me porta en triomphe et nous filâmes enfoncer les portes du lycée de filles. Je passai le mois qui suivit dans la rue, ne portai plus jamais de cravate et décidai de faire dès lors seulement ce qui me plairait et que je croirais juste. La troisième fut moins joyeuse. J’avais quarante ans pendant le siège de Sarajevo et j’en revins en ayant résolu ma peur de la mort. J’y avais connu l’horreur et le meilleur de l’homme, lorsqu’il ne reste plus rien à partager que la poésie. Chacune de ces révolutions transforma ma vision du monde et ma manière de vivre avec mes congénères. La quatrième est la rencontre de mon actuelle compagne il y a quinze ans. Ces naissances accouchèrent de prises de conscience, with a little help from my friends, dont on peut affirmer qu’elles tinrent lieu de refondation.
Ces remarques quasi métonymiques frisent un existentialisme de bazar qui interroge l’endroit d’où je pense. En tant qu’artiste ne brigue-je pas une certaine immortalité et mon absence de foi mystique n’annonce-t-elle pas ma disparition biologiquement inéluctable ? Immortalité et disparition ressemblent ainsi à deux chimères inséparables, sauf lorsqu’elles concernent l’humanité.
La puissance technologique quelle qu’elle soit ne saurait en effet s’opposer aux forces cosmiques et l‘histoire de l’humanité « restera » insignifiante à l’échelle de l’univers. Il suffit d’une comète, d’un changement climatique ou je ne sais quoi pour pulvériser notre monde fragile. Notre orgueil nous pousse à des questions absurdes et des suppositions qui ne le sont pas moins. Est-il même souhaitable que l’espèce soit préservée à terme lorsque l’on constate son incessante barbarie ? Évidemment nous ne pouvons souhaiter qu’une amélioration des conditions de vie sur Terre pour nous enfants et petits enfants. J’accumule les paradoxes, perdu entre la raison et mes désillusions.
J’ai commencé par exprimer ma crainte de la répétition. Or toute vie n’est qu’un empilement de cycles de fréquences différentes, comme les ondes qui se superposent pour fabriquer un timbre harmonique. Nul ne peut y échapper si ce n’est par l’entropie. Les notions de moins ou plus l’infini sont-elles même encore envisageables dans cette perspective catastrophique ?
La science ne peut être d’aucun secours tant qu’elle servira une classe sociale au détriment des autres. Il y aura de nouvelles révolutions, un cycle succédant au précédent, provoquées par l’arrogance des élites perdant systématiquement le sens des proportions. Et puis cela recommencera. Jusqu’à l’ultime catastrophe. L’extraordinaire vient que nous soyons à même de nous poser la question, fut-elle éternellement sans réponse.

mardi 22 décembre 2015

Birgé Contet Hoang "Accumulation"


Jean Renoir racontait qu'il ne filmait pas des tranches de vie, mais des tranches de gâteau. J'ignore quel est le nom de la pâtisserie que nous confectionnons à l'énoncé du thème tiré au hasard par un spectateur le 12 novembre dernier au Triton, mais Accretion signifiant Accumulation, nous cuisinons illico un soufflet qui nous met en appétit.


En effet Pascal Contet attaquant à l'accordéon me souffle qu'il aimerait que je transforme le son de son instrument avec mon Eventide H3000. C'est un processeur d'effets extrêmement puissant dont j'ai préparé les programmes il y a près de trente ans et que j'utilise lors de presque tous mes concerts. Antonin-Tri Hoang bat aussitôt les œufs en neige avec sa clarinette basse qu'il délaissera pour la clarinette après que j'ai ajouté une radiophonie à l'édifice. Ce sont des extraits radiophoniques très courts datant d'il y a encore plus longtemps que l'Eventide. En musique le recyclage prenant des formes insoupçonnées, la cuisine nous offre des timbres inédits qui se superposent dans le temps, terminant cette pièce montée qui se déguste aussi vite qu'on l'a élaborée. Le tourbillon ne laisse ainsi rien voir qu'un envol de notes sucrées.

Photo © Gérard Touren
Vidéo : Françoise Romand et Armagan Uslu (caméras), JJB (montage)
Album Un coup de dés jamais n'abolira le hasard 2 en écoute et téléchargement gratuit sur drame.org

lundi 21 décembre 2015

Y aura-t-il de la neige à Noël ?


Carlotta publie en DVD et Blu-Ray le premier film de Sandrine Veysset dans une superbe copie restaurée en 4K qui magnifie le Super-16 d'origine. J'ignore ce qui m'avait retenu de voir Y aura-t-il de la neige à Noël ? il y a bientôt 20 ans, mais c'était une erreur de ma part. Parfois le titre ou l'affiche font fuir ; ici la question me fit peut-être penser à ces films misérabilistes qui plaisent tant aux bien-pensants programmateurs de festivals, critiques de cinéma, jurys du CNC, alors que la fantaisie est souvent assimilée à la grande consommation, vulgaire ou cul-cul-la praline. Comme si une comédie était incapable de réfléchir le réel... Pourtant, malgré la gravité du sujet, nous sommes plus en présence d'un conte de fées que d'un énième drame larmoyant. La résistance à l'absurdité et à la méchanceté tire vers le haut les histoires les plus dures, ici une femme élevant seule ses sept enfants face à un père tyrannique déjà marié à une autre famille.


Mais l'héroïne et ses sept "nains" partagent l'affiche avec la campagne. On n'a jamais aussi bien filmer le travail de la terre. Rien d'étonnant à ce que Sandrine Veysset ait été élevée dans une ferme provençale comme celle-ci où sont cultivées tomates, salades, persil, poireaux, navets, potirons... ! Dans l'excellent complément de programme (comme Carlotta nous en gratifie souvent sous la responsabilité de Nicolas Ripoche), la réalisatrice, accompagnée de sa chef-opératrice Hélène Louvart, raconte son mélange d'autobiographie et d'invention scénaristique. De même, la comédienne Dominique Reymond, dont c'était le premier grand rôle au cinéma, évoque sa découverte du monde rural, son formidable partenaire Daniel Duval et les enfants. La direction d'acteurs est encore là exceptionnelle. Les contes de fées ont souvent un fond terrible qu'il s'agit de surmonter. Y aura-t-il de la neige à Noël ? rejoint les grands films initiatiques comme La nuit du chasseur, Les contrebandiers de Moonfleet ou, plus près de nous, Spartacus et Cassandra.

→ Sandrine Veysset, Y aura-t-il de la neige à Noël ?, DVD/Blu-Ray (et VOD), Carlotta, 20,06€

samedi 19 décembre 2015

Entrechats


En primeur, notre photo avec BUMCELLO qui seront mes invités au TRITON (Les Lilas) le 29 janvier 2016. Vincent Segal, Cyril Atef et moi-même jouerons ENTRECHATS... Pensez à RÉSERVER à l'avance car la salle est petite, même si on supprime les chaises du rez-de-chaussée pour faire un DANCE FLOOR !
Si vous préférez être assis les fauteuils du balcon offrent une vue plongeante sur le spectacle...

vendredi 18 décembre 2015

Le fantôme de John


Mathilde Morières a mis en ligne une première mouture du film sur son père, le musicien Jean Morières, compositeur, improvisateur et inventeur de la flûte zavrila, disparu brusquement en janvier 2014. Elle a découpé ce très bel hommage en trois parties : Épreuve #1-Rien n'est vraiment perdu, Épreuve #2-Depuis que je voyage en musique..., Épreuve #3-La mort tout le monde s'en fout, le vide qu'elle laisse, ça... Il commence avec le concert auquel neuf d'entre de ses amis participèrent un an plus tard avec le pianiste Florestan Boutin. Dans les parties suivantes Mathilde s'inspirera de la musique jouée ce jour-là pour s'enfoncer dans les archives qu'elle a filmées les années précédentes lorsque Jean était là. Le fantôme de John joue des strates du temps qui communiquent par des portes que l'on peut croire imaginaires, quatrième dimension où la musique prend la clef des chants. Cette première partie respire le silence : un solo de Jean à la flûte zavrila, l'enregistrement à Radio France d'Un bon snob nu avec sa compagne chanteuse Pascale Labbé qui rejoint ensuite le clarinettiste Sylvain Kassap avant que ne résonne la harpe de porte que j'ai accrochée sur celle des toilettes...


Agnès Binet et Jean à la zavrila entament la seconde partie, mais il est ensuite remplacé par le saxophoniste François Cotinaud à la clarinette, le guitariste Jérôme Lefèbvre et la même accordéoniste tandis que nous partons en ballade, tant dans le montage qui s'accélère que dans les paysages géographiques et musicaux qui se succèdent. La fantaisie de Jean se révèle alors autant que ses préoccupations philosophiques et poétiques. Mathilde nous interroge tous les deux à Bagnolet sur l'époque de notre adolescence, avec Scotch entre nous deux qui se laisse caresser voluptueusement. Antoine et Fani, frère et sœur de Mathilde, se joignent à la délicate sarabande...


Jean accorde ma harpe de porte avant que nous répondions à Mathilde sur la créativité et la liberté. Jean aimait inventer des aphorismes et déconner sérieusement. À mon tour j'adapte l'une de nos interminables discussions pour clavier sampleur. La mort rôde sans que nous y prenions garde. Les bestioles le sentent. Eddy Bitoire, le double moqueur de Jean, ne fait que de brèves apparitions, pas assez à mon goût, tant ses provocations caricaturales étaient spirituelles et drôles. En clôture du concert au Conservatoire de Clichy-la-Garenne nous soutenons tous ensemble Pascale qui craque de la cruelle absence de Jean. Mais Mathilde le fait revivre par ses images et par la musique, une lande éternelle où nous allons de temps en temps voir là-bas si nous y sommes ou comment nous y serions, accostant alternativement aux rives du deuil et des naissances.

jeudi 17 décembre 2015

Une nouvelle Semaine du Bizarre


La Semaine du Bizarre organisée au Studio Berthelot à Montreuil s'est achevée cette année par une série de concerts épatants, terme qui sied à ces spectacles inattendus qui sortent de l'ordinaire. Tandis qu'Arnaud Rivière triture les boutons de ses machines bruitistes ou fait grincer des plaques de métal Thierry Madiot insuffle un courant d'air à des trompes les plus diverses, du trombone basse à d'immenses tuyaux télescopiques. L'air comprimé s'engouffre dans des ballons de baudruche qu'il pince ou vient frapper ses lèvres, sculpté comme si c'était une guimbarde. Je ne suis pas un grand amateur de noise, mais l'expérience est intéressante, même s'il manque à mon goût une forme globale qui échappe à cette accumulation d'instants expérimentaux.


La performance de Vania Vaneau fait d'abord souffrir tant elle pousse son corps au delà du raisonnable. Inspirée des transes chamaniques brésiliennes la danseuse construit une suite de rituels où elle joue sa peau quitte à la recouvrir d'une épaisse couche d'oripeaux dont elle renaît comme d'un cocon après l'avoir transformé en linceul. La nudité qui suivra se devine hélas alors, parcours formaté qui affaiblit la plupart des prestations qui y ont recours. Les poudres aux couleurs éclatantes lui permettent néanmoins de nouvelles mutations démoniaques pendant que Simon Dijoud continue à jouer imperturbablement de sa guitare électrique avec un calme olympien qui contraste habilement avec l'hystérie chorégraphique. Au milieu du spectacle une très belle accumulation sonore, cette fois enregistrée, renvoie à l'afflux de sens qui monte à la tête...


Pour composer sa Mnémotechnie sonore et musicale Vincent Epplay a superposé deux montages d'archives cinématographiques dont il traite le son en temps réel avec des pédales d'effets qu'il joue avec les mains. Les films entretenant tous un rapport au son, ils forment duo avec le musicien qui a structuré sa prestation en plusieurs séquences s'enchaînant sans temps mort. Epplay a choisi des extraits où les instruments de musique à l'écran semblent sortis d'un vieux film de science-fiction, propulsant la performance live hors du temps, comme si l'anticipation était l'affaire du passé ou que l'avenir n'avait jamais existé. L'humour qui s'en dégage est souvent symptomatique de la recherche du bizarre.

mercredi 16 décembre 2015

Darwin l'original à la Cité des Sciences


Non je ne me suis pas laissé pousser la barbe comme le hipster de l'affiche dont le slogan clame "je descends de Darwin" ! J'ai bien essayé cet été, mais cela me faisait descendre trop bas... En revanche l'exposition Darwin l'original qui vient d'ouvrir à la Cité des Sciences tire les consciences vers le haut, démontrant comment les théories de Darwin restent d'une brûlante actualité. La scénographie, où les murs ressemblent à un pop-up géant d'animaux et de plantes colorés derrière un tulle noir, rend la visite intime et studieuse en soulignant la ludicité des installations interactives auxquelles Sacha Gattino et moi avons participé en tant que designers sonores.


Le premier écran présente Le monde de Darwin, son époque contrastant avec les aventures qui l'attendent. Les sons de piano accompagnent les glissés, déposés, retournements des cartes qu'il faut regrouper par famille. Vient ensuite l'ambiance maritime d'Un long parcours où j'avoue avoir du mal à situer géographiquement les étapes. Dès Les livres de bord le parti-pris du design sonore de l'exposition se précise, bestiaire retravaillé pour que l'identité des animaux s'efface devant une modernité électro-acoustique actualisant la pensée darwinienne ; les transfigurations sonores échappent aux références initiales pour l'ouvrir à de nouvelles applications... En tournant la molette un tuyau virtuel vient aspirer le contenu littéraire entassé sous les cloches de verre. On peut scanner Les Publications du voyage, comme plus loin, les Caricatures aux sonorités plus comiques. Il faut savoir reconnaître les différents pigeons parmi les Variations à l'état domestique et naturel ; nous traitons les roucoulements et les bruissements d'ailes qui envahissent la volière. L'expression des émotions est une installation humoristique, chacun pouvant imiter un animal et envoyer sa grimace sur l'écran. De L'instinct à La Filiation ou l'origine de l'homme les interfaces varient, multitouch, mollette, scan, mouvement du bras capturé par une caméra (kinekt), etc. Nous cherchons des sons qui rappellent les gestes des visiteurs et les animations projetées tout en unifiant l'ensemble pour créer un univers cohérent.


Le concepteur des dispositifs interactifs, Yassine Slami, sous la direction duquel nous avons imaginé ce design sonore*, a su interpréter les intentions du commissaire de l'exposition, Éric Lapie. Libre ensuite à nous d'inventer les couleurs et les formes sonores qui se fondent dans le décor, en soulignant de manière la moins illustrative possible les enseignements scientifiques dont la beauté tient finalement de la poésie, quand l'art et la science ne font plus qu'un.

* nous ne sommes par contre ni l'un ni l'autre responsables de la jolie musique björkienne façon SonicCouture du trailer reproduit ci-dessus, pas plus que des apaisantes ambiances forestières diffusées sur les grands écrans vidéo.

→ Exposition Darwin l'original, Cité des Sciences et de l'Industrie (en partenariat avec le Museum National d'Histoire Naturelle), jusqu'en août 2016.

mardi 15 décembre 2015

D'Edison à Internet


Faut-il le voir pour le croire ? Pour la plupart des auditeurs la propagation du son reste un mystère. Y a-t-il une différence qu’il soit produit par un instrument de musique, sorte d’une enceinte ou soit dématérialisé sur Internet ? Porté par quantité de supports qui ont fait leur temps et continuent d’évoluer en fonction des découvertes scientifiques et des lois du marché, une chose est sûre, le son nous transporte !
Edgard Varèse ayant suggéré il y a un siècle qu’il y a musique dès lors que le son est organisé, on y assimilera donc toute création sonore, composition et improvisation, enregistrement de studio et concert live, field recording et soundscape, comme son apport aux autres arts dans ses diverses formes appliquées.
La révolution informatique et le bouleversement social qu’initie Internet permettent d’envisager des formes nouvelles de diffusion de la musique, voire des créations d’un genre nouveau. Condamnent-ils pour autant des systèmes qui ont fait leur preuve et dont les qualités n’ont pour l’instant pas été remplacées ? Les enjeux sont considérables, les décisions économiques influant directement sur la création. Que gagne-t-on et qu’y perd-on ?

Good Vibrations

Il s’agit d’abord de vibrations, des bonnes vibrations ! Les ondes sonores se propagent et se déforment en traversant un fluide, l’air en ce qui nous concerne. Notre cerveau les interprète selon des principes de psychoacoustique, savant mélange de science et de culture. La variation de pression se propage dans l’espace, mais aussi dans le temps. La durée est ainsi l’élément que nous percevons le mieux dans notre appréhension de la musique. Et lorsque l’on parle de durée il est indispensable également d’envisager sa pérennité, les supports qui la font voyager devenant une question aussi fondamentale que les œuvres de l’esprit qui les nécessitent.
Longtemps la musique ne s’est transmise qu’oralement. L’improvisation était courante puisque chacun et chacune devait s’approprier ce qu’il entendait, et ce qu’il ou elle imaginait était transformé à la manière du conte arabe. L’invention du papier et celle de l’imprimerie ont révolutionné les expressions artistiques. La notation permit de la faire voyager toute seule dans le temps comme dans l’espace. L’enregistrement et sa reproduction changèrent une nouvelle fois la donne. Depuis le début du XXème siècle la musique peut s’affranchir du papier, de la partition, pour se propager sur toute la planète. Le cylindre et le disque, la radio et la télévision ont élargi les audiences, et les transports rapides ont permis de jouir partout des musiciens en concert. La révolution d’Internet constitue, comme pour les autres arts et la circulation des idées et des biens en général, une nouvelle étape dans l’histoire de la musique. Mais comparons d’abord ce qui l’a précédée et qui reste à notre portée…

Une brève histoire de la musique enregistrée

Comparons donc les supports encore accessibles en remontant le temps.
Le MPEG-1/2 Audio Layer 3, dit mp3, que les jeunes privilégient, compresse les informations de manière fort différente selon les taux qui lui sont appliqués. À 128 kbit/s la destruction est parfaitement audible, plus difficile à percevoir à 320 kbit/s. Le principe revient à supprimer les fréquences qu’on n’entend pas, soit les détails pas vraiment importants. Or ce sont ces finasseries qui donnent sa réalité à un enregistrement, son humanité à un artiste devenu virtuel par le biais de la reproduction. Les transitoires, comme les sons de percussion, en prennent un bon coup. Ce modèle psychoacoustique de compression est basé sur un effet de masque qui supprime des fréquences lorsque deux sont présentes simultanément et sur des effets de temporalité comme les artefacts du pré-écho sur les attaques. Aujourd’hui la musique de grande diffusion est conçue aussi bien pour être compressée pour le format mp3 que pour sa diffusion radiophonique. Les musiques qui jouent sur la finesse du timbre comme le classique ou les courants issus de l’improvisation s’en tirent beaucoup moins bien. Les audiophiles qui adorent s’imaginer transportés dans la salle de concert sont forcément déçus. Il existe d’autres modèles de compression plus ou moins destructifs comme l’AAC ou l’OGG, mais leur avantage est avant tout l’allègement de leur poids quant à leur stockage et les débits d’envoi qu’ils nécessitent, sans compter l’ajout des métadonnées apportant les informations tels que titre du morceau et de l’album, interprète, pochette, paroles, etc.
Le CD comportait déjà une réduction d’informations par rapport au microsillon. Il découpe le son en 44100 échantillons par seconde limitant à 20kHz les fréquences les plus hautes alors que le disque noir offre une réponse linéaire qui peut monter à 30kHz, ce dont profitent certains instruments comme les trompettes ou la percussion. L’enregistrement numérique procède d’un échantillonnage, d’une quantification et d’un encodage qui transforme le résultat en une séquence binaire de 0 et de 1. L’analogique reproduit mécaniquement le signal électrique qu’elle représente en gravant le sillon. Le CD a été vendu abusivement comme inusable, alors que la moindre pétouille l’envoie à la poubelle. Si le microsillon intègre les bruits de surface et les petites rayures, il est objectivement plus résistant. Obsolescence programmée, le neuf reste neuf jusqu’à ce qu’il meurt alors que dans le passé on pouvait souvent réparer les vieux clous.
La différence audible entre ces supports tient à la restitution de l’acoustique du lieu où ont été enregistrés les musiciens. Or il est encore plus troublant d’écouter un 78 tours avec un matériel adapté comme une platine Garrard 301, telles celles qu'utilisait Radio France, et une cellule Pierre Clément ! On s’y croirait. Dynamique incroyable, espace restitué dans ses moindres détails ! Les disques 78 tours étaient néanmoins fragiles et extrêmement lourds. À partir du milieu des années 50, les 33 tours les remplacèrent, offrant une durée d’une vingtaine de minutes par face contre quelques unes pour les 78 tours. De même le CD monte à 74 minutes, ce qui peut être appréciable pour écouter un opéra, et le mp3 finit par constituer un flux interrompu où le passage d’un morceau à l’autre ne se perçoit même plus ! Les 45 tours correspondaient à un choix strictement commercial, pensé à l’origine pour les juke-boxes, sélectionnant deux ou quatre titres selon les pays.

Le choix du support

Amateur de toutes les musiques et de toutes les situations, je ne souhaite privilégier aucun support contre un autre. Chacun possède ses avantages et ses inconvénients.
Intéressé par les vieilles cires non rééditées et les interprétations historiques, si je possédais le matériel adéquat et l’espace de stockage et si je ne craignais pas le lumbago, j’opterais comme mon camarade Vincent Segal pour les 78 tours, dynamique inégalée due à la vitesse de rotation, espace restitué conforme aux conditions d’enregistrement, une expérience incroyable de voyage dans le temps.
On connaît l’engouement récent pour le retour au vinyle chez les amateurs de musiques de niche, jazz, avant-garde, punk, électro, etc. Initié par les DJ, en particulier par leur pratique du scratch, il s’est récemment étendu à la consommation courante lorsque les auditeurs ont été pris de nostalgie pour les belles et grandes pochettes qui habillaient les 33 tours. Le boîtier cristal des CD n’est ni pratique ni beau. Les pochettes en carton des digipacks restent riquiqui pour les amateurs de beaux objets. Depuis que le téléchargement a supplanté la production discographique, une des bonnes raisons de continuer à acheter des disques est justement la valeur ajoutée que représente la création graphique et le contenu du livret. Un label comme nato propose ainsi de vrais petits livres de 160 pages fortement illustrées, rendant intelligemment incopiables ses meilleurs productions.
Mais ce n’est pas la seule raison d’apprécier les 33 tours 30cm. Sachant qu’un auditeur lambda ne peut exercer sa concentration au delà de vingt minutes, se lever pour changer de face est une garantie de maîtrise tant de la qualité de son écoute que du choix réfléchi du disque en fonction du moment. L’excellence supposée du vinyle est par contre très relative. Si l’on a à faire à des éditions originales d’avant 1991, il est possible, là aussi à condition de posséder une très bonne chaîne hi-fi, de préférer sa dynamique. Hélas les pressages actuels sont rarement au niveau. Nous passions une après-midi entière à peaufiner la gravure avec un orfèvre comme l’était Christian Orsini chez Translab. Le pressage qui en découlait sonnait mieux que la bande originale ! Même chose avec l’impression des pochettes où nous allions surveiller la mise en machines pour que couleurs et contraste soient respectés. Aujourd’hui tout est le plus souvent fabriqué dans un pays de l’Est à partir d’un master numérique. Dans ce cas l’on vogue en plein fantasme.
Avec le CD chaque écoute est identique à la première, si l’on en prend soin. Il accepte les œuvres longues. L’absence de bruits de surface encourage les silences dans la musique. Il est encore moins lourd et moins volumineux que ses prédécesseurs.
Le mp3 est pratique pour faire son jogging, s’abstraire de la cohue des transports en commun, laisser s’écouler le flux si l’on se fiche de savoir ce que l’on écoute. La playlist a remplacé l’album, le hit a supplanté l’œuvre. On a au moins l’avantage sur la radio d’éviter l’insupportable publicité.
J’ai commencé par enregistrer Salut les copains et le Pop Club de José Artur sur France Inter. Je ratais souvent les premières mesures. Lorsque j’étais adolescent j’enregistrai systématiquement sur bande magnétique les discothèques de trois de mes camarades : le premier avait plein de fric, le second volait chez Lido Musique, le troisième était vendeur chez Givaudan. Recopiant à la main les notes des dos de pochette je me fabriquai inconsciemment une culture. Plus tard, passé à la cassette audio, je cochai les programmes de France Musique et France Culture dans Télérama. Quand mes moyens le permirent j’achetai des 33 tours, puis des CD. GRRR , mon label de disques, fut le premier en 1988 à en publier. C’était L’hallali. Plus tard nous fumes également les premiers à oser un CD-Extra, combinaison de CD-Audio et de CD-Rom. Carton, recueil de chansons composées avec Bernard Vitet, et Machiavel eurent un succès retentissant, entre autres grâce à la partie interactive de l’œuvre multimédia qui fit date. Le CD-Rom disparut en 2000 avec l’explosion de la bulle Internet. Mon site date de 1997, à une époque où la création artistique était florissante sur le Web, détrôné depuis par le commerce et les services. Lorsque l’on souhaite innover librement il vaut mieux investir les nouveaux supports dès leur avènement.
En tout cas, c’est la musique qui prime et non son support. Ainsi sa dématérialisation ne devrait poser problème qu’aux amateurs de beaux objets. Elle profite pourtant essentiellement aux majors qui ont résolu le problème du stock et licencié à tours de bras. Les grandes compagnies avaient tout à gagner, les indépendants ont presque tout perdu. Les majors ont fait semblant de se cabrer, comme les gros industriels face au piratage alors que ce sont souvent eux qui mettent en ligne leurs applications piratées pour qu’elles deviennent la norme, incontournable.
Aujourd’hui la plupart des jeunes ne téléchargent même plus, illégalement cela va sans dire. Ils sont abonnés à Deezer ou Spotify, ou bien ils cherchent leur bonheur sur YouTube ou DailyMotion. Les plus gourmands, férus de tout ce qui peut enrichir leur culture et produire du plaisir, téléchargent donc sans céder au diktat d’iTunes ou Amazon, sur des sites spécialisés, clubs très fermés où ils trouvent l’impossible, disques rares ou épuisés, concerts live et inédits. Certains sont très bien faits, proposant les notes des pochettes et affichant maints commentaires éloquents. En tant que compositeur je défends les droits d’auteur qui rétribuent une grande partie de mon travail, mais les accords passés avec les sites autorisés dont YouTube ne profitent qu’aux majors, laissant pour compte les auteurs. La licence globale aurait pu empêcher l’arnaque, mais les lobbys sont puissants et la loi protège essentiellement les plus riches.

drame.org

Si je dressais seulement un portrait noir de la production dite discographique (dite, puisque le disque s’efface au profit d’un nuage) je serais injuste et incohérent. La musique, seule, compte, de même que, pour un auteur ou un interprète, le partage est plus important que la perception, du moins tant que l’on a assez pour manger, se loger et continuer à donner corps à nos rêves. Car, à côté du partage et de la solidarité, le plus important réside dans la persévérance et les moyens d’exercer son art. Je me suis toujours intéressé aux nouvelles technologies sans ne jamais négliger les anciennes. Spécialiste des rapports du son aux autres arts, je me suis enthousiasmé de chaque trouvaille. Ainsi l’interactivité, l’imminence de la Toile, l’universalité rayonnante du World Wide Web m’ont accaparé dès leur émergence.
Après avoir fondé GRRR en 1975 et produit des dizaines d’albums physiques, vinyles d’abord, numériques ensuite, entre autres avec Un Drame Musical Instantané, j’ai choisi depuis plusieurs années de produire des albums virtuels d’une part, et de publier nos archives d’autre part, le tout gratuitement en écoute et téléchargement, y compris une radio aléatoire offrant 126 heures en 850 pièces inédites, réparties également en albums thématiques. J’ai pris la précaution de ne diffuser qu’en mp3 avec un débit réduit dans l’espérance naïve qu’un producteur les publie autrement, ce qui commence, ô surprise, à se concrétiser. Les coûts de fabrication sont devenus dérisoires et l’audience s’est considérablement accrue, avec en bémol le refus quasi absolu de la presse papier d’évoquer notre travail depuis quinze ans. Pendant la même période leur audience a considérablement baissé, suite à leur surdité générale face à ce qui se passe sur le Net ! Après m’être occupé du catalogue, du site, de la radio, du blog et du Journal des Allumés, j’ai milité pour que ce Journal devienne bilingue et soit transformé en édition quotidienne sur Internet, lié à l’épatant catalogue de la soixantaine de labels qui font la richesse de l’association. Troublé de n’avoir pas réussi à convaincre mes camarades, j’ai continué mon travail ailleurs, en chroniquant, entre autres sur Mediapart, les œuvres déterminantes de musiciens et musiciennes méconnus, en particulier la nouvelle génération extraordinairement inventive que j’appelai Les affranchis. Je suis néanmoins heureux de témoigner ici sur les feuilles que vos doigts étreignent, car tous les moyens sont bons pour défendre ce en quoi nous croyons et que nous aimons.
Même si mes prochaines sorties discographiques se feront en vinyle, produites par Le Souffle continu et DDD/La Source, je ne peux plus imaginer me passer des avantages du site. Possédant mon propre studio depuis mes débuts, acquis grâce à mon travail, j’adore enregistrer un vendredi et mettre en ligne le lundi suivant, après avoir rédigé les notes d’accompagnement et réalisé l’iconographie. Les réseaux sociaux font le reste. Combien d’attachés de presse ne travaillent plus qu’avec FaceBook et combien d’artistes ne communiquent plus que par newsletter ? Et les organisateurs de concerts de demander les liens vers des captations audiovisuelles ! Internet est devenue une fabuleuse réserve d’archives. Je n’ai plus besoin d’envoyer de bio, photos ou vidéos, tout est accessible en ligne. L’indépendance a toujours été ainsi garante de ma liberté d’expression. Depuis dix ans j’ai donc continué à produire, mais sur le Net, enregistrant avec Vincent Segal, Antonin-Tri Hoang, Edward Perraud, Alexandra Grimal, Birgitte Lyregaard, Linda Edsjö, Ève Risser, Yuko Oshima, Joce Mienniel, Fanny Lasfargues, Ravi Shardja, Médéric Collignon, Julien Desprez, Sophie Bernado, Pierre Senges, Bass Clef, Sylvain Kassap, Sacha Gattino, Vyacheslav Ganelin, Didier Petit, Pascale Labbé, Étienne Brunet, Éric Échampard, etc., rien que du beau monde ! Encore une fois, pourquoi faisons-nous de la musique ? Pour jouer ! L’origine de notre passion n’avait aucun but lucratif et nous étions heureux. Retrouver ce goût est un combat quotidien que seule la liberté octroie !
L’avenir risque de nous faire encore une fois avaler par le monstre de la concentration capitaliste. Posséderons-nous encore nos archives ou seront-elles localisées quelque part dans un désert sécurisé qu’ils nomment déjà le cloud (le nuage) ? Nous dépendons des industriels qui fabriquent nos instruments, qui ne délivrent plus de pièces détachées, qui ferment les usines. Seules nos voix sont susceptibles de perdurer. Le cri. Pour le reste, qu’importe, ce ne sont que des outils…

Article paru dans le n°34 du Journal des Allumés du Jazz, illustré par Zou et une photographie de Guy Le Querrec où figurent Dee Dee Bridgewater, Bernard Vitet et moi-même... Journal téléchargeable gratuitement.

lundi 14 décembre 2015

Un simulateur de souris


Sous quel autre thème que "Voyage" pouvais-je classer les exploits d'Ulysse ? La crapule qui porte bien son nom passe toutes ses nuits dehors sans que l'on sache où il rôde. Il est probablement des heures à l'affût jusqu'à ce que la souris sorte de son trou, et là, niaka ! Ulysse me réveille chaque fois à l'aube. J'entends du raffut à côté de notre chambre, dans le salon du premier étage, épaisse moquette blanche devenue plutôt rase, grand espace de jeu dégagé. Le duo joue au chat et à la souris. Elle est toute petite, grise, et progressivement épuisée. Lui fait des sauts de cabri et des glissades, il jongle, joue à la patte chaude, fourre une pantoufle avec son trophée, fait semblant de regarder ailleurs, la perd et la rattrape, jeu cruel qui finit par une série de craquements, os broyés, ne laissant rien, avalant tout, les dents, la queue... Pas une goutte de sang sur la moquette blanche. Je reste debout tant qu'il ne l'a pas avalée, car je crains qu'il la perde dans une interstice comme c'est arrivé une fois. Le problème c'est l'heure, entre quatre heures et sept heures trente du matin. Difficile de se rendormir ensuite, d'autant que cet apéritif lui a ouvert l'appétit et qu'Ulysse réclame son petit déjeuner banalement composé de croquettes vétérinaire. Le premier consulté s'inquiète de ses escapades et regrette qu'il file par les chatières aménagées à son intention, risquant surtout de se faire écraser par un chauffard, la seconde s'exclame "ah, un vrai chat !". Hier soir mon voisin m'a remercié car il n'a plus aucune souris tandis que les Baras du squat un peu plus loin me demandent le nom de ce gentil chat qui vient régulièrement leur rendre visite...
Et le simulateur dans tout cela ? Ulysse a subi toute une série d'exercices d'entraînement avec de fausses souris à l'odeur chargée d'herbes aromatiques. Je reconnais tous les gestes qu'il faisait avec ses jouets. Même le programme qui lui est spécialement destiné sur mon iPad a contribué à sa formation. En montagne ou dans la jungle urbaine il est devenu un as de la chasse aux petits. Il arrive hélas qu'il rapporte un oiseau. Comment arrive-t-il d'ailleurs à passer au travers des chatières avec cet énorme pigeon ? Mais je préfère les souris dont la mise à mort ne laisse aucune trace. À l'instant-même je l'entends gambader sur le toit du garage tandis qu'un merle s'envole à son approche...

vendredi 11 décembre 2015

Les Allumés du Jazz interrogent la Toile


Les Allumés du Jazz m'ont fait un beau cadeau en illustrant mon article sur le son et Internet avec une photo de Guy le Querrec que je n'avais jamais vue, prise au cours de l'enregistrement de la Prière de Sarajevo avec Dee Dee Bridgewater et Bernard Vitet (en écoute ici) pour l'album Sarajevo Suite dont j'assurais la direction artistique. Nous l'avions composée à partir d'un poème d'Abdullah Sidran et revenions de Londres où le Quatuor Balanescu avait, entre autres, assuré l'accompagnement.
En lisant le chapeau de ma participation à ce numéro 34 du Journal, Elsa ajoute qu'il constituerait un bon résumé de mes activités : "Jean-Jacques Birgé aime le temps, l'avance sur son temps et les découvertes des relations instantanées, recherches d'un quotidien idéal. Ce très actif pionnier, designer sonore, musicien polyglotte, passionné d'images, s'agite et agite depuis 1975 avec, ou contre vents et marées, tous les moyens de diffusion musicale." (article à découvrir la semaine prochaine !)
Le dessinateur Zou a également illustré ces deux pages. Mais nous ne sommes heureusement pas seuls ! Luigi Critone a réalisé la couve, et Jeanne Puchol, Jazzi, Sylvie Fontaine, Johan de Moor, Pierre Ouin (récemment disparu), Thierry Alba, Julien Mariolle, Andy Singer, Gabriel Rebufello, Pic, Cattaneo, Nathalie Ferlut, Efix, Rocco, Faujour y sont également allés de leur plume, pinceau ou rotring, sans compter Le Querrec et Sergine Laloux pour les photographies.


Si Jean Rochard m'avait demandé un texte "sur mon rapport à l'internet en tant que musicien (rapport à l'œuvre enregistrée, possibilités et limites, différence avec le 78tours, le 33tours, le CD, la radio etc.), mais aussi comme utilisateur et amateur de musique", ce numéro offre quantité d'articles sur la musique confrontée aux nouvelles pratiques.
Albert Lory se moque des néologismes à la mode, Christophe Rocher chronique l'ouvrage d'Alexandre Pierrepont sur l'AACM de Chicago, Gontran de Mortegoutte (dont le vrai nom est une secret de polichinelle, sinon donnez votre langue au chat !) interroge les musiciens Rémi Charmasson, Bruno Tocanne, Noël Akchoté, Hasse Poulsen, Hélène Breschand, Matthew Shipp, Sylvia Versini, Jean Aussanaire, Denis Colin, Stephan Oliva, Thierry Balasse, Thomas de Pourquery, Sarah Murcia, Benoît Delbecq, Guilaume Séguron, rien que du beau monde, sur ce qui les motive à puiser dans le répertoire en cette époque de grande confusion. Mathieu Feryn aborde la question YouTube d'un point de vue très universitaire. François Cotinaud ouvre un champ œcuménique au soundpainting en rencontrant les praticiens Sylvain Kassap, Andy Emler, Serge Bertocchi, Serge Adam, François Rossé et Alain Grange. Jean Rochard s'entretient avec Guillaume Saint James sur son album Mégapolis et Anne Choquet sur son Foehn. Raymond Vurluz fait de même avec la clarinettiste Catherine Delaunay, puis Jacques Oger avec le trompettiste Louis Laurain. L'inénarrable Pablo Cueco livre ses visions humoristiques en brèves de comptoir tandis que Jean-Louis Wiart revient sur des définitions peu orthodoxes du jazz. Après la flopée de nouveautés discographiques distribuées en ligne par Les Allumés Patrice Soletti ferme le ban en commentant un cliché de Le Querrec. Toute l'équipe du Journal rend un dernier hommage à Valérie Crinière, cheville ouvrière et Jiminy le criquet de l'association, dont la disparition en février dernier est particulièrement cruelle.

Journal téléchargeable gratuitement !

jeudi 10 décembre 2015

Survol pour ne pas y passer la nuit


Très vite parce que je ne voudrais pas y passer la nuit, ni manquer un seul jour (ça fait onze ans que je blogue quotidiennement sans faille, contre vents et marées...) !
Excellent concert de Das Kapital à l'Ermitage pour le lancement de leur nouvel album, Kind of Red, qui s'étoffe avec la scène ; son chaud et mat des saxophones de l'Allemand Daniel Erdmann, précision de jongleur du batteur tourangeau Edward Perraud, jeu incisif du guitariste danois Hasse Poulsen ; ils interprètent pour la première fois leurs propres compositions en s'inspirant du jazz, du rock, du blues, du folk, etc., tout en livrant une musique très personnelle, à la fois riche et épurée ; ils terminent en rappel avec une sensationnelle version ivesienne (néologisme relatif au compositeur américain visionnaire Charles Ives) de l'Internationale qui aurait dû être de saison, mais comme on marche sur la tête cela sonne comme du siècle dernier...
Passionnante rencontre avec la créatrice radiophonique Amandine Casadamont dont nous avons admiré la prestation live aux platines la semaine dernière au Silencio et qui devrait aboutir à une collaboration en 2016, excellente nouvelle... À cette occasion j'ai ressorti FluxTune, La pâte à son, Alphabet, Somnambules et surtout la Mascarade Machine !
Presque terminé le n°34 du Journal des Allumés du Jazz, excellente cuvée dans laquelle je me suis fendu de deux pages sur l'histoire du son d'Edison à Internet. Pas encore commencé le n°9 de la Revue du Cube sur le thème de la refondation qui devrait paraître aujourd'hui et pour lequel j'aborde La question sans réponse (nouveau clin d'œil ivesien). Dévoré une flopée de polars dont tous les Bernard Minier et Ian Manook, parfaitement adaptés aux transports en commun. À peine entamé le nouveau Schnock autour de Choron et Cavanna, mais il doit être aussi chouettement schnock que les précédents. Lu chaque lundi la newsletter du spirituel Philippe Dumez. Toujours en plein Crépuscule de l'Histoire de Shlomo Sand, forcément indispensable. Passé trop de temps à lire les commentaires des FaceBookiens. Désespéré devant le manque de perspectives politiques de trop de camarades qui n'ont plus que des visions à court terme...
Quitte à ne pas dire grand chose aujourd'hui, autant m'arrêter là, je développerai plus tard, la suite au prochain numéro...

Rappel : si vous désirez m'attraper au vol je serai ce soir à 20h30 au Cin'Hoche à Bagnolet pour la projection de Baiser d'encre, le film de Françoise Romand avec Ella et Pitr

mercredi 9 décembre 2015

Baiser d'encre en projection et DVD


D'abord l'affiche !
Celle de l'homme-tétons (84x60cm) est offerte avec l'achat du nouveau DVD de Françoise Romand, Baiser d'encre, une fantaisie documentaire sur les artistes Ella & Pitr. C'est un vrai film, un film de cinéma qui met du baume au cœur en cette période bien noire. Ici seule l'encre a cette couleur. Elle coule à flots sur le couple qui affiche leur amour et leurs histoires à dormir debout sur les murs du monde. Génération Y, la vie et l'œuvre intrinsèquement liées, ils puisent leur inspiration dans leur vie quotidienne dont les rêves composent une nouvelle réalité pleine d'humour et de tendresse. Ils sillonnent la planète avec leurs deux jeunes enfants, exposant leurs affiches dans les rues ou en galeries, manière généreuse de coller à tous leurs publics.
Ensuite la musique !
J'ai composé la partition sonore en m'inspirant des images, mais en évitant soigneusement l'illustration. Je préfère la complémentarité, base de la dialectique audiovisuelle. La musique étant plus drôle à jouer à plusieurs, la chanteuse Birgitte Lyregaard, le multi-instrumentiste Sacha Gattino, le saxophoniste Antonin-Tri Hoang, le violoncelliste Vincent Segal, l'ici-contrebassiste Hélène Sage et le batteur Edward Perraud m'ont prêté main forte. J'ai puisé parmi les pièces que nous avions enregistrées ensemble et ajouté des parties au clavier plus quantité de clins d'œil, ambiances immersives et un bestiaire imaginaire inspiré par Ella & Pitr aussi bien que par les bestioles saisies par Françoise. Le son jouant du hors-champ donne à voir des éléments invisibles qui participent à cette poésie du quotidien.
Le film enfin !
Baiser d'encre, projeté demain jeudi au Cin'Hoche à Bagnolet et mardi prochain au Triton aux Lilas en présence de la réalisatrice, sort en DVD avec en bonus Ta mère le loup, court métrage d'animation d'Ella & Pitr que j'accompagne par de sombres accords et une fantômatique mélodie au Novachord !

→ Jeudi 10 décembre 20h30 au Cin'Hoche (grande salle), 6 rue Hoche 93170 Bagnolet, M° Galieni (à côté de la mairie de Bagnolet) - Tarif unique 3€50
→ Mardi 15 décembre 19h30 au Triton (petite salle avec balcon), 11 bis rue du Coq français 93260 Les Lilas, M° Mairie des Lilas (en face de la maternité) - Entrée libre sous réserve des places disponibles
→ Prix de lancement : Baiser d'encre, DVD+affiche+port=18€ (16€ sur place) à commander par mail
→ Les DVD de Mix-Up, Appelez-moi Madame, Ciné-Romand, Gais Gay Games et Thème Je sont également disponibles sur romand.org

mardi 8 décembre 2015

Prosopopées, quand les objets prennent vie au 104


L'exposition Prosopopées, quand les objets prennent vie au Centquatre mérite d'être vue, parce qu'elle pose quantité de questions. De plus, l'aspect ludique de nombreuses installations suggère d'y aller avec les enfants qui s'amuseront comme des petits fous ! Les lumières qui glissent et clignotent, les drones qui planent et les machines articulées tiennent souvent plus du Palais de la Découverte que d'un musée d'art contemporain ; c'est peut-être là que se situe la première interrogation. Les régisseurs techniques et bidouilleurs de la machinerie théâtrale traditionnelle, et ô combien merveilleuse, trouvent un débouché gratifiant dans l'exposition des nouvelles technologies rassemblées sous connotation artistique. Cela rappelle l'art vidéo enseigné dans les écoles de Beaux-Arts dans la totale ignorance de l'histoire du cinématographe. Mais là où le concept étouffe l'émotion, ici la démonstration technique occulte hélas trop souvent le propos, réduit à sa plus simple expression, sujet-même de l'exposition initiée par la Biennale Némo, soit la relation qu'entretiennent les machines avec notre humanité. Le côté décoratif prend alors le pas sur la révolte analytique et critique. Certaines des œuvres apparaissant superficielles ne figureraient-elles pas mieux dans la vitrine d'un grand magasin au moment de Noël ? La banalité d'une œuvre ne se transformerait-elle pas alors en idée géniale dans le cadre d'un art appliqué ? N'y aurait-il pas un débouché dans les fêtes foraines où les grandes attractions bénéficient de budgets colossaux ? Certaines installations présentées au Centquatre sortent néanmoins du lot et laissent entrevoir un futur dépoussiéré des méprises que le monde de l'art contemporain entretient consciencieusement par revanche des techniciens et des commerçants contre les poètes. La renommée des plus cotés montre un si mauvais exemple, fruit d'une surenchère mercantile savamment orchestrée par quelques collectionneurs ! Ma suggestion foraine est d'autant plus sérieuse que le marché de l'art numérique est loin de nourrir ses acteurs.


On peut donc être surpris de découvrir qu'il n'existe aucun grand écart entre la tornade Ascension d'Anish Kapoor et les œuvres de jeunes émergents, d'autant que l'on peut imaginer que l'apport de l'artiste a consisté dans l'idée du couloir en spirale aboutissant à une colonne de fumée ascendante, mais que ce sont des petites mains qui se sont coltinées le travail ! Il est probable que les bidouilleurs que j'évoquais plus haut ont par contre mis la main à la pâte, et que ces ingénieurs ont, eux, leur nom sur les cartels.
De la fumée il y en a. Des tubes de lumière encore plus. Des bras articulés, en veux-tu en voilà. J'ai aimé la délicatesse de temps!réel de Maxime Damecour ou le cluster d'harmonium de Wave Interference de Robyn Moody, l'humour de chaise longue de Jérémy Gobé dans A Day's Pleasure. Mais certains restent dans l'anecdotique de surface quand d'autres structurent un langage et jouent d'effets dramatiques qui nous permettent d'y plonger. Ainsi Timée de Guillaume Marmin sur une musique de Philippe Gordiani développe une composition dans le temps qui ne cesse de nous surprendre.


Chez ces petits-enfants qui s'ignorent du fameux Line Describing a Cone d'Anthony McCall (1973) le cercle projeté est remplacé par des points qui nous transpercent et le bruit du projecteur par des nappes mouvantes de synthétiseurs granulaires diffusées en 6.1, évitant ainsi soigneusement la redondance rythmique de boîte de nuit que nous inflige par exemple Inferno de Bill Vorn et Louis-Philippe Demers.


L'idée est pourtant intéressante, cinq spectateurs sont arnachés dans un costume articulé par des machines qui ont pris le pouvoir. Pendant la représentation à laquelle nous assistions une fille commença à tourner sur elle-même et à courir, mettant en danger les autres participants et le dispositif lui-même, mettant en évidence les limites de la supposée suprématie mécanique. On avait compris que les machines ne sont pas sympathiques, alors pourquoi en rajouter en diffusant une rythmique répétitive tonitruante de fin du monde hollywoodienne ?
Le son, comme dans bien d'autres œuvres présentées, est le parent pauvre, peu réfléchi, redondant, illustratif ; le bruit de la machine empêcherait-il les auteurs d'y penser de manière complémentaire dans une dialectique qui me semble définitivement nécessaire ? Les prosopopées annoncées ne tiendraient-elles pas mieux leurs promesses si les machines ne prenaient pas toute la place, étouffant les humains sous une fascination de geek.

Illustrations (de haut en bas) : Mécaniques discursives de Fred Penelle et Yannick Jacquet, Wave Interference de Robyn Moody, Timée de Guillaume Marmin et Philippe Gordiani, Inferno de Bill Vorn et Louis-Philippe Demers

lundi 7 décembre 2015

Cycles et fractales


Des copains m'écrivent que cette horrible année se termine heureusement bientôt. C'est sous-estimer les catastrophes que 2016 nous réserve. Le monde part en eau de boudin, le niveau de la mer monte, la France se noie en partant en croisade, mais nous pouvons aussi nous battre pour inverser la tendance facho initiée par le gouvernement et servie sur un plateau à une droite décomplexée qui nous réserve des lendemains qui déchantent... Heureusement qu'il y a des surlendemains ! L'Histoire est composée de cycles, crêtes et précipices, bosses et creux. Les règles. Notre propre vie obéit à cette oscillation. Alors puisque l'on ne peut éviter les mauvaises nouvelles, il faut travailler à réduire leur fréquence ou leur amplitude. Jouir le plus longtemps possible des bonnes vibrations, ne pas entretenir les mauvaises.
Si l'héliocentrisme règne en maître il n'y a pas que les cycles qui nous imposent leur loi. Notre investissement citoyen peut ressembler à une fractacle. Impuissants dans notre isolement, nous pouvons nous investir dans des combats de proximité. Changer l'humeur du quartier, par exemple. Il faut bien commencer par un bout. La manière dont nous nous comportons avec nos proches est un modèle qui se reproduit de cercle en cercle, comme des ronds dans l'eau. Les ricochets édifient toute la société. Dans l'autre sens, lorsqu'au plus haut niveau de l'État sont donnés les pires exemples, comment voulez-vous que la population se comporte autrement qu'avec cette brutalité égoïste qui favorise les puissants au détriment des faibles ?
Mais que fichent les pauvres, tellement plus nombreux que les riches ? Les mythes entretiennent leur assujettissement. Ils sont formatés aujourd'hui par un corps d'armée appelé l'information. Les faits divers occultent toute réflexion politique pour que les citoyens votent contre leurs intérêts de classe. Le pouvoir en a fait ses choux gras, réécrivant l'histoire du monde au profit de ses victoires en glorifiant ses crimes. En France les communistes ont voulu emboîter le pas d'une démocratie qui n'en porte que le nom, érodant leur crédibilité révolutionnaire en s'associant aux sociaux-démocrates. Ceux-ci ont trahi jusqu'à leur bonne conscience judéo-chrétienne en se faisant les valets des banques et de la finance. La droite, aussi divisée par ses vizirs voulant tous devenir calife, a perdu à son tour l'aura que De Gaulle avait su faire briller malgré la taille réelle de notre pays. L'extrême-droite séduit tous les déçus en colère sans se rendre compte qu'encore une fois ils sont la cible de rapaces paranoïaques. Ils ont le mépris d'eux-mêmes comme ils haïssent l'autre qui est en eux, donnant naissance à un racisme totalement absurde. Les races n'existent que dans leur tête.
Pourtant une nouvelle conscience politique germe chez les jeunes qui ne veulent plus avoir peur. L'après-Bataclan ne ressemble absolument pas à l'après-Charlie. Lorsque l'on commence à comprendre les enjeux de la géopolitique on n'en est plus victime. Et l'action succédera à la réflexion. En fin de face A du premier disque d'Un Drame Musical Instantané, en même temps que je prononçais une ligne d'un scénario inédit de Jean Vigo, "Tout homme détient dans ses mains son destin", Bernard Vitet scandait les mots de Stéphane Mallarmé, "Un coup de dés jamais n'abolira le hasard". Ces deux phrases, alors improvisées sans concertation, résument parfaitement notre être humain.

Photo : Bleed de Michel de Broin, en prélude d'un article sur l'exposition Prosopopées, quand les objets prennent vie au Centquatre à Paris, dans le cadre de la Biennale Némo (jusqu'au 31 janvier 2016)

Le terrorisme en Occident | C'est quoi le problème? avec Louis T

On n'a pas tant l'occasion de rire ce lundi matin, donc je déroge à ma règle en partageant cette vidéo québécoise sans ajouter de commentaire. Et puis les chiffres et les faits parlent d'eux-mêmes !


J'ai beau avoir déjà publié mon billet quotidien, je ne peux m'empêcher d'en rajouter... J'ai eu un peu de mal à le trouver, car le clip tourne essentiellement sur FaceBook...

vendredi 4 décembre 2015

Arles 2015, j'accompagnais en direct le Prix Découverte...


Les Rencontres d'Arles ont mis en ligne la présentation du Prix Découverte 2015, 10 travaux photographiques que j'accompagnai au clavier, à la trompette à anche, aux percussions et à l'harmonica. Exercice sur la corde raide de devoir passer sans transition d'un travail à l'autre, sans n'en privilégier aucun, en trouvant le ton qui colle chaque fois, surtout que chaque passage n'est constitué que d'une courte introduction de quelques secondes et une conclusion de moins d'une minute ! L'ensemble de la présentation ne dure ainsi pas plus de vingt minutes avec des nominateurs qui ne sont pas des professionnels de la scène, c'est le moins que l'on puisse dire ! Krzysztof Candrowicz présentait Anna Orlowska et Shilo Group, Louise Clements présentait Lisa Barnard et Robert Zhao renhui, Fannie Escoulen présentait Pauline Fargue et Julián Baròn, Claire Jacquet présentait Delphine Chanet et Omar Victor Diop, Francesco Zanot présentait Paola Pasquaretta et The Cool Couple. Les superbes jingles d'intro et de fin sont signés Grégory Pignot et Alia Daval, la projection de l'équipe de Coïncidence, le meneur de jeu est le nouveau directeur des Rencontres, Sam Stourdzé.


J'avais préparé mon instrumentation, mais j'improvise en fonction de l'instant, privilégiant musicalement la complémentarité à l'illustration. J'avais déjà accompagné le Prix Découverte en 2012, mais le duo avec Antonin-Tri Hoang me permettait de plus facilement passer d'un instrument à un autre. Directeur musical des Soirées de 2002 à 2005 puis de 2011 à 2014, j'ai accompagné en direct quantité de spectacles, sonorisé encore plus de séquences audiovisuelles enregistrées au préalable ainsi que des expositions de photos, engagé des musiciens extraordinaires à jouer sous les images géantes (Bernard Vitet, Didier Petit, Denis Colin, Philippe Deschepper, Éric Échampard, François Tusques, Jef Lee Johnson, Antonin-Tri Hoang, Ève Risser, Yuko Oshima, Linda Edsjö, Edward Perraud, Sacha Gattino, Michèle Buirette, etc.) et vécu des moments inoubliables avec Olivier Koechlin, Valéry Faidherbe, François Girard dit Gila et Céline Le Guyader qui étaient en charge des projections au Théâtre Antique, aux Arènes, aux Entrepôts SNCF ou dans la ville. Il semble qu'avec la nouvelle direction une page se tourne, mais que savons-nous de l'avenir ?

Le film

jeudi 3 décembre 2015

Nouvel album en ligne : Birgé Contet Hoang


Toujours gratuit en écoute et téléchargement, Un coup de dés jamais n'abolira le hasard 2 est le sixième album virtuel de 2015 à paraître chez GRRR. Il vient grossir une base de données de plus de 130 heures, soit près de 900 morceaux rassemblés en 65 albums qui peuvent s'écouter indépendamment ou sur la radio aléatoire. Pour celles et ceux qui préfèrent acquérir vinyles ou CD, le label n'est pas en reste !
Ni Antonin-Tri Hoang ni moi n'avions rencontré Pascal Contet avant de nous retrouver sur scène au Triton le 12 novembre dernier pour une nouvelle version de ce spectacle d'équilibristes. Les spectateurs sont invités à tirer le thème de nos improvisations à partir du jeu de cartes Oblique Strategies conçu par Brian Eno et Peter Schmidt.
J'avoue que ce fut le plus difficile à exécuter de tous les tirages. Les cartes étaient vachardes, nous suggérant des consignes les moins praticables ! Imaginez que nous eûmes à jouer : Demande à ton corps, Abandonne les instruments normaux, Court-circuit, Accumulation, N'ayez pas peur des choses, Détruisez rien du tout / la chose la plus importante, Qui en voudrait ?, En face d'un choix faites les deux, Préparation lente exécution rapide, Ne cassez pas le silence, Soyez crades, Utilisez du personnel non qualifié, etc. Mais mes camarades de jeu s'en sortirent à merveille, leur virtuosité élégamment camouflée derrière leur imagination. Antonin-Tri Hoang passait de la clarinette au sax alto avec la même aisance, Pascal Contet appuyant sur les boutons magiques de son accordéon en réponse à mes machines diaboliques. J'avais apporter mon clavier lourd qui pèse une tonne de timbres riches et variés, le Tenori-on avec lequel je détruisis la voix de ma propre fille, l'H3000 qui agrandit encore le soufflet de l'accordéon, la trompette à anche dont le son se rapproche de celui de la clarinette basse d'Antonin, et quelques autres trucs inattendus, sauf pour les habitués de mes facéties concertantes...
Comme après chaque concert où la musique n'est pas fixée à l'avance je ne découvre ce que nous avons joué qu'à la réécoute. Il me reste encore à monter le film que Françoise et Armagan ont tourné ce soir-là...

mercredi 2 décembre 2015

Hors Cadre[s] - Adaptations

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La revue Hors Cadre[s] est décidément incontournable si l'on s'intéresse aux publications pour la jeunesse. C'est la semaine où en parler puisque s'ouvre le Salon du Livre et de la Presse Jeunesse à Montreuil où les Inéditeurs ne présenteront pas, comme prévu à l'origine jeudi, l'application Boum ! devant un jeune public, puisque privé de sortie grâce aux actes, que j'espère inconséquents, de notre gouvernement.
J'avais chroniqué le précédent numéro sur la création numérique. Le n°17 est cette fois consacré aux adaptations. Le changement de support présente à la fois le risque de perdre les intentions de départ et l'avantage de posséder un canevas qui a fait ses preuves. Il peut mettre à la portée de la jeunesse des œuvres auxquelles elle n'aurait pas forcément accès. Le changement d'angle offre également à de nouveaux auteurs de s'approprier une histoire en choisissant une approche particulière.
Dans ce numéro de Hors Cadre[s] textes et illustrations donnent tout de suite envie d'aller en librairie feuilleter certains des ouvrages chroniqués. Benoît Berthou s'intéresse aux bandes dessinées d'après des romans célèbres de Dickens, Defoe, Tolstoï, Lovecraft ou Mary Shelley. Liliane Cheilan en compare cinq différentes inspirées par l'étrange tour d'écrou d'Henry James. Joëlle Jolivet expose les carnets en pop-up de Gérard Lo Monaco. Sophie Van der Linden s'entretient avec Jean-Luc Fromental qui analyse La Genèse de Robert Crumb, Le Maître de Ballantrae de Stevenson dessiné par le jeune Hippolyte, Sukkuvan Island par Ugo Bienvenu, la Suite française par Emmanuel Moynot... Fromental compare la BD et le cinéma au travers du Tamara Drewe de Posy Simmonds que Stephen Frears a porté à l'écran (j'adore aussi bien l'un que l'autre !), le triplet Gemma Bovary par Flaubert, Simmonds ou Anne Fontaine. Les adaptations peuvent évidemment se réaliser dans les deux sens. Philippe-Jean Catinchi se penche sur Construire un feu de Michel Galvin d'après Stevenson. On sait la difficulté du genre. Yann Fastier révèle ainsi la trahison de Pennac s'attaquant à Ernest et Célestine. Marianne Berissi souligne les contraintes et la consanguinité paresseuse de certains et glorifie les réussites complémentaires qui savent s'appuyer sur les différents supports spécifiques comme Dudu et Dudu, Coco et Nana de Betty Bone, Nuit d'orage de Michèle Lemieux, Les morceaux d'amour de Géraldine Alibeu, À quai de Sara, mais ces auteurs prennent en charge eux-mêmes leurs adaptations ! Pascal Humbert aime autant le Hugo Cabret de Brian Selznick et celui de Scorsese, un de ses rares films récents réussis. Sophie van der Linden tire un coup de chapeau à la musique s'intégrant graphiquement à un livre, The Baby's Opera de Walter Crane ou Diapason de Laetitia Devernay. L'auteur Vincent Cuvellier évoque des adaptations scéniques de ses œuvres. Solene Xie feuillète la création chinoise. On termine par un livre à découper de Nina Aulagnier, lauréate d'un concours lancé par la revue. Tout cela est très beau et donne furieusement envie de retrouver son âme d'enfant pour profiter de ces magnifiques récits illustrés ou animés.
Le prochain numéro sera consacré à l'humour ! On en a tant besoin...

mardi 1 décembre 2015

Le regard explorateur


Dans le cadre de l'exposition Une brève histoire de l’avenir le Musée du Louvre s'est associé à la start-up SuriCog pour expérimenter un dispositif qui sera peut-être l’outil d’aide à la visite de demain ou il pourra inviter le public à une expérience immersive par le son. Le regard explorateur s'appuie sur une interface la plus naturelle possible entre le visiteur et l’œuvre, son œil ! Pendant une quinzaine de jours dans le Hall Napoléon plusieurs visiteurs préalablement inscrits sur Internet pourront tester ce dispositif. Grâce au système interactif regard-environnement développé par la société SuriCog, le visiteur « sélectionne » un élément d’une œuvre par le regard, et quand il le désire, déclenche le contenu audio qui lui est associé. Libéré du poids des équipements traditionnels de type audioguide, il choisit lui-même les détails de l’œuvre qu’il souhaite explorer, selon le parcours de son regard. Le dispositif offre à chaque visiteur d'être indépendant dans sa visite interactive.
J'ai donc composé la partition sonore de la première œuvre choisie pour cette expérience sonore et ludique, Les zones terrestres, un papier-peint de 17 mètres issu des collections des Arts décoratifs, créé par la Manufacture Zuber & Cie pour l’Exposition universelle de Paris de 1855. L'aventure débute par une courte présentation de la commissaire Dominique de Font-Réaulx, enregistrée sur place dans l'ambiance du musée pour donner l'impression qu'elle est présente et surtout faire oublier le casque dans un premier temps. Commence alors le voyage au travers des cinq zones représentant cinq régions du monde, les mers glaciales, le Canada, l’Algérie, le Bengale et la Suisse. Chacune est composée d'une ambiance immersive déclenchée par le regard. Le visiteur s'arrêtant sur un détail peut déclencher, quand il le souhaite, le son qui lui est associé.
Chacune des cinq régions est un puzzle d'une dizaine de pièces. Malgré l'immersion paysagère planante et référentielle, j'ai cherché à créer des surprises et suggérer les drames que l'œuvre recèle (un incendie de forêt, des antilopes traquées par un fauve...). Les scènes purement musicales sont presque toutes in situ (concertina d'un marin, harmonica d'un trappeur, flûte d'un berger, cor des Alpes, etc.), le ciel fait tinter des chimes au gré du vent, les animaux prennent vie, le climat vous enveloppe... Le traitement électroacoustique est le plus naturel possible, même si les glaces polaires craquent comme des percussions contemporaines, si les tablas envahissent la végétation du Bengale ou si un orchestre à cordes vient signifier l'artificialité de cet exotisme de rêve. Ici le hors-champ qui m'est cher est remplacé par des éléments cachés dans le décor. Le son offre alors de deviner sans voir. Chacun se fait son cinéma, le traitement de ces Zones terrestres tenant plus de l'expérience sensorielle que de la visite commentée.

Illustration : Testeurs en situation © Musée du Louvre / SuriCog / Stan Morin