L'exposition Prosopopées, quand les objets prennent vie au Centquatre mérite d'être vue, parce qu'elle pose quantité de questions. De plus, l'aspect ludique de nombreuses installations suggère d'y aller avec les enfants qui s'amuseront comme des petits fous ! Les lumières qui glissent et clignotent, les drones qui planent et les machines articulées tiennent souvent plus du Palais de la Découverte que d'un musée d'art contemporain ; c'est peut-être là que se situe la première interrogation. Les régisseurs techniques et bidouilleurs de la machinerie théâtrale traditionnelle, et ô combien merveilleuse, trouvent un débouché gratifiant dans l'exposition des nouvelles technologies rassemblées sous connotation artistique. Cela rappelle l'art vidéo enseigné dans les écoles de Beaux-Arts dans la totale ignorance de l'histoire du cinématographe. Mais là où le concept étouffe l'émotion, ici la démonstration technique occulte hélas trop souvent le propos, réduit à sa plus simple expression, sujet-même de l'exposition initiée par la Biennale Némo, soit la relation qu'entretiennent les machines avec notre humanité. Le côté décoratif prend alors le pas sur la révolte analytique et critique. Certaines des œuvres apparaissant superficielles ne figureraient-elles pas mieux dans la vitrine d'un grand magasin au moment de Noël ? La banalité d'une œuvre ne se transformerait-elle pas alors en idée géniale dans le cadre d'un art appliqué ? N'y aurait-il pas un débouché dans les fêtes foraines où les grandes attractions bénéficient de budgets colossaux ? Certaines installations présentées au Centquatre sortent néanmoins du lot et laissent entrevoir un futur dépoussiéré des méprises que le monde de l'art contemporain entretient consciencieusement par revanche des techniciens et des commerçants contre les poètes. La renommée des plus cotés montre un si mauvais exemple, fruit d'une surenchère mercantile savamment orchestrée par quelques collectionneurs ! Ma suggestion foraine est d'autant plus sérieuse que le marché de l'art numérique est loin de nourrir ses acteurs.


On peut donc être surpris de découvrir qu'il n'existe aucun grand écart entre la tornade Ascension d'Anish Kapoor et les œuvres de jeunes émergents, d'autant que l'on peut imaginer que l'apport de l'artiste a consisté dans l'idée du couloir en spirale aboutissant à une colonne de fumée ascendante, mais que ce sont des petites mains qui se sont coltinées le travail ! Il est probable que les bidouilleurs que j'évoquais plus haut ont par contre mis la main à la pâte, et que ces ingénieurs ont, eux, leur nom sur les cartels.
De la fumée il y en a. Des tubes de lumière encore plus. Des bras articulés, en veux-tu en voilà. J'ai aimé la délicatesse de temps!réel de Maxime Damecour ou le cluster d'harmonium de Wave Interference de Robyn Moody, l'humour de chaise longue de Jérémy Gobé dans A Day's Pleasure. Mais certains restent dans l'anecdotique de surface quand d'autres structurent un langage et jouent d'effets dramatiques qui nous permettent d'y plonger. Ainsi Timée de Guillaume Marmin sur une musique de Philippe Gordiani développe une composition dans le temps qui ne cesse de nous surprendre.


Chez ces petits-enfants qui s'ignorent du fameux Line Describing a Cone d'Anthony McCall (1973) le cercle projeté est remplacé par des points qui nous transpercent et le bruit du projecteur par des nappes mouvantes de synthétiseurs granulaires diffusées en 6.1, évitant ainsi soigneusement la redondance rythmique de boîte de nuit que nous inflige par exemple Inferno de Bill Vorn et Louis-Philippe Demers.


L'idée est pourtant intéressante, cinq spectateurs sont arnachés dans un costume articulé par des machines qui ont pris le pouvoir. Pendant la représentation à laquelle nous assistions une fille commença à tourner sur elle-même et à courir, mettant en danger les autres participants et le dispositif lui-même, mettant en évidence les limites de la supposée suprématie mécanique. On avait compris que les machines ne sont pas sympathiques, alors pourquoi en rajouter en diffusant une rythmique répétitive tonitruante de fin du monde hollywoodienne ?
Le son, comme dans bien d'autres œuvres présentées, est le parent pauvre, peu réfléchi, redondant, illustratif ; le bruit de la machine empêcherait-il les auteurs d'y penser de manière complémentaire dans une dialectique qui me semble définitivement nécessaire ? Les prosopopées annoncées ne tiendraient-elles pas mieux leurs promesses si les machines ne prenaient pas toute la place, étouffant les humains sous une fascination de geek.

Illustrations (de haut en bas) : Mécaniques discursives de Fred Penelle et Yannick Jacquet, Wave Interference de Robyn Moody, Timée de Guillaume Marmin et Philippe Gordiani, Inferno de Bill Vorn et Louis-Philippe Demers