70 janvier 2016 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 29 janvier 2016

En trio ce soir avec Bumcello pour Entrechats


À l'origine le spectacle s'appelait Danser sans écran, d'une part pour suggérer le dance-floor, et d'autre part parce que Vincent Segal m'avait demandé de n'apporter aucun écran. La particularité de Bumcello est en effet de faire danser leur public sans avoir recours au sempiternel ordinateur avec son autiste pousse-bouton. La seule incartade qu'ils commettent dans ce choix du geste instrumental est l'usage des boucles qu'ils contrôlent en maîtres avec leurs pieds. Le geste ayant toujours été à la base de mon jeu instrumental, j'emporte certains de mes claviers vintage, le Theremin, le Tenori-on, le Kaossilator, ou des instruments acoustiques comme la trompette à anche, des guimbardes, ballons de baudruche, flûtes, harmonicas, hou-kin, etc. Le défi m'excite, sachant qu'avec le violoncelliste et Cyril Atef à la batterie je devrai jouer sur du velours, que l'on veut lourd.
Vincent étant en tournée aux Antilles, il était impossible de nous réunir pour la photo du programme ! De plus, il n'avait sous la main qu'un cliché avec son chat... Après un moment de perplexité, je demandai à Cyril, puisqu'il avait aussi un matou, d'imiter la pose de son camarade. S'il avait fallu se faire rencontrer Garfield, Jazz et Ulysse, imaginez le boxon ! Je me souviens d'ailleurs d'une monstrueuse scène de débâcle féline racontée par Hitchcock à Truffaut dans ses entretiens. Lorsque nos trois frimousses se retrouvèrent associées, le titre me sauta d'un bond à la figure : Entrechats ! Pour un concert de "dance" (ou de trance ?) que pouvais-je mieux espérer ?!
J'ignore tout du concert de ce soir si ce n'est qu'il est 100% improvisé, que l'orchestre de la nouvelle salle du Triton est transformé en dance-floor, mais que de bons fauteuils équipent le balcon qui surplombe la scène. Le reste est à vivre !

Entrechats, Jean-Jacques Birgé invite Bumcello, vendredi 29 janvier 2016 à 20h au Triton, Métro Mairie des Lilas
avec Cyril ATEF (batterie, percussion, voix), Vincent SEGAL (violoncelle, percussion), Jean-Jacques BIRGÉ (instruments électroniques et acoustiques)

jeudi 28 janvier 2016

La Horde Catalytique Pour La Fin en vinyle


L'organisation des sons est imprévisible. Face A. Symphonie d'une nature reconstituée en studio. Jungle remplie de petits animaux au coucher du soleil, mélange d'oiseaux virevoltant de branche en branche, batraciens les pattes dans le marais, le bois craque sans que l'on sache qui se cache dans le fourré, menaces sans visage... Les quatre musiciens de la Horde Catalytique Pour La Fin jouent-ils aux Indiens avec leurs instruments ? Richard Accart souffle dans les voiles de ce radeau de fortune, Francky Bourlier joue à saute-mouton sur les touches, Jacques Fassola pince les cordages, Gil Sterg frappe les mâts, quand Georges Alloro était d'un autre voyage. Ils appellent "gestations sonores" leurs compositions enregistrées le 26 février 1971 au Théâtre de Nice. Face B. Dans la vallée les humains s'excitent. Ils crient, ils pleurent, ils donnent naissance à un univers de bruits dont les couleurs sont des timbres de collection. Sur le balcon qui surplombe la forêt les rituels de chacun se croisent pour créer de nouveaux mythes. La version colorée du vinyle, épuisée dès sa sortie, est rouge-sang ou framboise, que l'on soit carnivore ou végétarien.

→ Horde Catalytique Pour La Fin, Gestation sonore, Souffle Continu, réédition LP d'un album initialement produit par Futura, 16,50€

mercredi 27 janvier 2016

Nacer Blanco de Borja Flames


À l'écoute de musiques inclassables le réflexe naturel est de chercher des points d'appui. À défaut de leur coller une étiquette on leur devine des cousinages. Lorsqu'on a retrouvé l'équilibre l'on se laisse porter par le courant et notre rafiot de papier glisse joyeusement tout au long du ruisseau. Il faut l'attraper avant qu'il ne soit dévoré par l'une des bouches de l'égout, le déplier pour en découvrir sa gamme de couleurs vives. Les mots griffonnés sur la face cachée de la feuille s'entendent comme les paroles d'une chanson. Ne comprenant pas l'espagnol je me rapproche comme prévu de rivages plus familiers.
Nacer Blanco, l'album solo de Borja Flames, a le parfum des premiers disques de Brigitte Fontaine et Jacques Higelin, la folie douce du Brésilien Tom Zé, l'entrain hispanophone de Manu Chao, la nonchalance catalane de Pascal Comelade, mais ce ne sont que des liens de famille. Sa compagne, la chanteuse Marion Cousin, avec qui il forme habituellement le duo June et Jim prête sa voix sur quelques morceaux. Marions les cousins pour que brûle la flamme !
Le laboratoire de Borja Flames est un grenier plein de souvenirs, la tanière d'un ours qui apprend si vite ses tours qu'elle en devient méconnaissable, un art de la fugue qui colmate les fuites, une accumulation d'instruments légers comme le coq secouant l'arc-en-ciel de ses plumes, un nouveau passage.

Borja Flames, Nacer Blanco, Marxophone Records / Label Le Saule, sortie le 5 février 2016

mardi 26 janvier 2016

La nuit de carnaval


Sans soutien populaire les comédies ont peu d'avenir. Les responsables de festivals et la presse spécialisée, comme les organismes subventionneurs, préfèrent les histoires sinistres qui les soulagent de leur mauvaise conscience de classe. Les sujets à thèse mille fois ressassés font passer le cinéma pour un outil pédagogique et les films misérabilistes pour un acte militant. Or la comédie propose souvent une charge critique, légère et élégante de la société que le drame ne sait aborder que par des balourdises complaisantes qui surlignent l'action. Les universitaires qui ont pris le pouvoir sur la presse cinématographique ne valent guère mieux que les élèves des écoles de commerce qui ont remplacé les producteurs cinéphiles aux postes de pouvoir comme à la télévision. Ma réflexion porte évidemment sur le cinéma d'auteur, à savoir une manière de filmer en accord avec un regard réellement personnel du réalisateur, lorsque le fond et la forme trouvent leurs rimes.


La nuit de carnaval, film soviétique de 1956, n'échappe pas vraiment à cette petite réflexion, même si le contexte est fort différent. Sans son succès populaire à sa sortie, 48 millions d'entrées, le film d'Eldar Ryazanov ne jouissait pas de la meilleure réception des instances dirigeantes. Staline était mort seulement trois ans auparavant et l'humour qu'il déploie rappelle directement les plaisanteries anti-communistes que les intellectuels du PCF aimaient raconter avec délectation. Ce ne sont évidemment que des piques discrètement suggestives pour nous, mais qui réjouissaient totalement le public russe. On n'est jamais loin du Ninotschka de Lubitsch. Si la bureaucratie y est ridiculisée, Ryazanov y va tout de même avec des pincettes en ces débuts kroutchéviens de déstalinisation, ne se moquant en réalité que des sous-off en épargnant les hauts dirigeants. La jeunesse y apparaît pleine de fougue et de fantaisie, prête à relever le défi d'une nouvelle ère. J'ai aussi pensé à la séquence finale d'Hellzapoppin lorsque le spectacle de fin d'année déjante suite à un sabotage en règle qui lui accorde le succès, comédie musicale dont l'influence américaine est évidente. La résultante dévoile un ton unique où le jazz répond à la bureaucratie avec l'impudence de la jeunesse, humour particulier rappelant que nombreux clowns étaient d'origine russe.


Si elles sont considérées comme des chefs d'œuvre de l'autre côté du rideau de fer, même après la chute du Mur, notamment L'Ironie du sort sorti en 1975 et considéré comme le film culte par plusieurs générations de cinéphiles dans son pays, les comédies de Ryazanov sont quasiment inconnues en France. Les responsables du festival Quand les Russes... ont la bonne idée de publier en DVD La nuit de carnaval avec le soutien d'Arcades Films. C'est aussi le premier rôle de Lioudmila Gourtchenko que l'on retrouvera chez Nikita Mikhalkov, Guerman, Kira Muratova, Andreï Kontchalovski. En bonus, la comédienne Macha Méril, qui signe cette collection, commente le film avec l'historien du cinéma Jean Radjvanyi. DVD sortie le 25 février 2016.

lundi 25 janvier 2016

La cornemuse contemporaine d'Erwan Keravec


Lorsqu'ils ne font pas déjà partie de ma panoplie d'expérimentateur, les instruments de musique qui sortent de l'ordinaire attirent toute ma curiosité. Ainsi j'ai toujours été séduit par la cornemuse, qu'elle soit bretonne comme du temps où Youenn Le Berre sonnait Sacra Matao avec Un drame musical instantané, irlandaise avec Ronan Le Bars pour le clip du centenaire de l'Europe composé avec Bernard Vitet, ou internationalement free avec Étienne Brunet pour un de mes concerts Somnambules. Si j'ai souvent eu l'impression que le Bagad faisait sortir de terre les anciens comme dans une bande dessinée de Bilal, la cornemuse écossaise d'Erwann Keravec est résolument contemporaine, entendre ici, intemporelle.
Sur son nouvel album, Vox, il a commandé quatre pièces à des compositeurs très différents, Oscar Bianchi, Philippe Leroux, José-Manuel López-López, Oscar Strasnoy, en leur demandant d'écrire pour la voix alliée à son instrument. Il choisit ainsi la soprano Donatienne Michel-Dansac et le baryton Vincent Bouchot pour leur éventuelle proximité respective avec le "chanteur" (le hautbois mélodique) ou les bourdons. La cornemuse en musique contemporaine tenant du mariage de la carpe et du lapin le résultat des courses est forcément improbable, ce qui donne tout leur suc à ces initiatives. Le mélange devient organique chez Bianchi ou Leroux, dramatique chez López-López ou carrément comique chez Strasnoy. Fidèle à ses improvisations en public avec Beñat Achiary, Keravec invite le chanteur basque pour deux conversations en duo où les anches et les cordes vocales peuvent s'exprimer en toute liberté, apportant un éclairage plus ostensible sur la personnalité du sonneur. L'excellence de tous les interprètes composent un hommage étonnant à un instrument populaire qu'Erwan Keravec aime faire voyager hors de son terroir. Je l'avais découvert avec le chanteur tunisien Mounir Troudi et le percussionniste franco-libanais Wassim Halal. Désert ou des airs, hors d'œuvre ou dessert, avec sa poche pleine d'air, il est passé par ici, il repassera par là. Sur quel chemin courra le furet à notre prochaine rencontre ?

Erwan Keravec, Vox, Buda Musique, dist. Socadisc, 16,05€

vendredi 22 janvier 2016

Soupe cosmique contre méchant virus


Françoise, Anna et moi sortons lentement du trou noir dans lequel nous avait précipités la vilaine grippe. Notre amie allemande avait eu l'heureuse idée de concocter un congee, bouillie de riz recommandée aux malades en Asie. Facile à digérer la soupe cosmique nous a redonné l'appétit et nous a permis d'apercevoir la lumière au bout du tunnel. Nous avons fait bouillir du riz à feu doux pendant une dizaine d'heures à raison de douze mesures d'eau pour une de riz. Anna, qui fut la dernière touchée, eut le temps d'y ajouter poireaux, carottes, panais et ail coupés en petits morceaux. Elle aurait souhaité y faire cuire un peu de poulet bio, mais le magasin des Lilas ne proposait que des volailles entières. Comme j'immergeai le premier, j'assaisonnai le tout de vinaigre de riz et d'une sauce de soja aux algues kombu. Un délice ! Et en plus le congee nous redonne des forces. Comme on en a fait pour un régiment, nous en mangeons à tous les repas, remontant doucement à la surface, tandis que les brouillards de fièvre se dissipent et que les quintes de toux gutturales se raréfient au profit d'une tendre torpeur qui laisse à distance le givre qui a recouvert le paysage.

jeudi 21 janvier 2016

Le Dandy des Gadoues


La mort de Michel Tournier fait remonter celle de Frank Royon Le Mée. Je reproduis ici un texte que j'avais écrit pour Tchatchhh, conversation à deux sous forme de blog initiée par Karine Lebrun.

À notre premier rendez-vous, Frank Royon Le Mée porte son caractéristique costume de clergyman et des lentilles de contact en miroir où nos trois figures amusées se réfléchissent. Royaliste, il ne travaille jamais le 21 janvier, jour de la mort du roi, qu'il appelle une journée blanche. Cela tranche avec le rouge de nos convictions. Il a trois octaves et demie de tessiture, du baryton au haute-contre, remplace des stars de la chanson sur une syllabe défaillante, a côtoyé les Mothers of Invention, monté un spectacle sur le martyre de Saint-Sébastien en s'accompagnant d'un orgue positif, dirige des spectacles collaboratifs avec plus de 600 exécutants. À Garnier, je l'ai vu jouer le rôle d'une femme en hauts talons dans l'opéra de Luciano Berio, La Vera Storia, aux côtés de Milva, d'après Italo Calvino...



Dans cette improvisation réalisée par Un Drame Musical Instantané pour le cd L'hallali la partition de Frank Royon Le Mée ressemble plutôt à du sprechgesang. Francis Gorgé est à la guitare et aux synthétiseurs, Bernard Vitet à la trompette à anche et je joue de mon échantillonneur d'alors, un Akaï S1000.
Le poil et la plume fut enregistré le 22 janvier 1987 (donc le lendemain de la mort du roi !) lors de nos premiers essais en vue de monter Les Météores de Michel Tournier avec Frank dans le rôle du Dandy des Gadoues. Bien que l'écrivain nous donna l'autorisation, nous ne trouvâmes jamais les crédits suffisants, mais nous créâmes plus tard Le Château des Carpathes d'après Jules Verne avec un énorme feu d'artifice en guise de décor et enregistrâmes Comedia dell'amore 121 sur le cd Opération Blow Up en 1992. Frank mêle la virtuosité vocale à un sens dramatique exceptionnel, plus des facultés d'improvisation hors normes. Hélas le Sida l'emporta l'année suivante à l'âge de 41 ans. Nous n'avons jamais retrouvé un chanteur aussi à l'aise et en harmonie avec nos élucubrations. Un régal !

Depuis que j'ai écrit ces mots en 2008 de l'eau a coulé sous les ponts. Le Drame a fait long feu. J'ai eu la chance de rencontrer la chanteuse danoise Birgitte Lyregaard qui hélas est repartie vivre à Copenhague, mais les avions sont rapides et nous enregistrons ou jouons en concert aussi souvent que possible ! J'ai également retrouvé deux autres extraits avec Frank improvisés le même jour que Le poil et la plume.



Sur le premier, je suis au piano, Bernard au violon, Francis au synthé, et Frank Royon Le Mée bien entendu !



Sur le second, je tiens à la fois le synthétiseur, l'échantillonneur et j'harmonise ma voix, Bernard et Francis ont retrouvé leurs instruments de prédilection, respectivement la trompette et la guitare électrique. J'ai beaucoup de mal à trouver des disques avec Frank. À part les deux qu'il a signés sous son nom je possède un exemplaire de l'excellent Comité des fêtes, fondé avec le saxophoniste Daniel Kientzy et le synthésiste György Kurtag, assez proche du Drame.

mercredi 20 janvier 2016

Spirale


Rien à raconter parce que je ne peux rien écouter, rien voir, rien lire, rien dire, même pas regarder les mouches voler. D'abord à cette époque il n'y a pas de mouches, ensuite je reste dans le noir les yeux fermés. La fièvre ne baisse pas. J'ai réussi à avaler une tranche de jambon blanc. J'ai annulé mes rendez-vous. Ulysse est probablement trop jeune pour comprendre qu'il devrait venir me câliner en s'allongeant sur la couette. Pris d'une quinte de toux toutes les demi-heures il m'est impossible de dormir. Je ne m'ennuie même pas. Si je n'avais le soupçon que les végétaux sont aussi vivants que les animaux je dirais que je suis un légume. Les végétariens manquent d'imagination, ils ignorent le cri de la carotte qu'on arrache de la terre. Je suis un légume pris dans une spirale bouillante avec au-dessus un couvercle qui maintient la pression.

Le troisième jour je remonte doucement à la surface. Le mal s'est déplacé vers le ventre, le dos et la gorge. Grosse fatigue. Je vois le bout du tunnel. Il n'y a pas de lézards, mais un vilain virus qui mord ma barbaque et en a déjà avalé quatre kilos. J'espère inverser la spirale comme on retourne un gant ou une chaussette. On peut remplacer l'un par l'autre, mais pas le contraire. Lorsque je ne marinerai plus dans la chaleur de la maladie j'enfilerai ma nouvelle doudoune à damier multicolore pour affronter le froid. Pour l'instant je m'éteins dans le noir...

Illustration de Jean Bruller dit Vercors

mardi 19 janvier 2016

Grippal ?


Je suis rarement malade, mais alors là c'est le pompon. J'ai une enclume à la place du crâne, mal aux oreilles, de la fièvre, la toux me casse le dos, je ne tiens pas sur mes jambes et la position couchée me fait tousser. Je vois les lettres que je tape danser devant mes yeux fatigués, je n'ai plus de souffle et mon nez coule. Comme si toutes mes défenses immunitaires lâchaient en même temps ! J'espère que mon état va s'améliorer, parce qu'à cette heure c'est à peine supportable. J'identifie très bien les raisons du moment et les causes, mais cela me fait une belle jambe.
J'adorerais utiliser une ou plusieurs enclumes dans ma musique, mais pas aujourd'hui. La première utilisation remonterait à l'opéra d'Auber, Le maçon, en 1825, suivi par Hector Berlioz dans Benvenuto Cellini en 1838. Giuseppe Verdi en a deux dans Le trouvère en 1853, Richard Wagner monte à dix-huit pour L'or du Rhin en 1869, mais une seule dans Siegfried en 1876. C'est évidemment toujours justifié par les situations dramatiques. Carl Orff, Benjamin Britten, Gustav Holst, Aaron Copland et tant d'autres s'en empareront au risque de se coltiner un lumbago ! La première fois que j'en ai entendu une c'était dans Ionisation d'Edgard Varèse dans la version Robert Craft.
La mienne est nulle, elle ne fait aucun bruit, et pourtant ça cogne.

lundi 18 janvier 2016

Lasse désertification


En ce début d'année si l'on ne veut pas déprimer il faut compter sur les naissances, s'intéresser aux jeunes qui se révèlent, avoir la curiosité de ce que l'on ne connaît pas. Je m'y emploie autant que possible, en contrepoids des disparitions qui me font penser à une forêt malade ou au crâne des mâles qui se déplume. Les cheveux tombent, et teinture ou moumoute ne grugeront pas les miroirs qui ne sauraient mentir. La désertification de notre vie sociale nous guette tant que le cœur tient. Ma tante qui a 91 ans commence à s'ennuyer à force de perdre tous ses amis, lectures et sorties quotidiennes ne lui suffisent plus. À me risquer à un tour d'horizon je constate l'hécatombe quel que soit le point cardinal vers lequel je me dirige.
Bien que je n'ai jamais été un fan de David Bowie il était symboliquement présent dans le film La nuit du phoque que j'ai réalisé en 1974 avec mon camarade Bernard Mollerat, disparu à 24 ans. Il avait très certainement influencé la scène du travesti tournée à plusieurs caméras, chanson à laquelle avaient participé les regrettés Jean-Pierre Lentin et Luc Barnier. Je cohabitais alors avec Philippe Labat, plus tard victime d'une overdose. Ces morts en font remonter d'autres, Marc Lichtig, Éric Longuet, Pierre Bensard, camarades de classe avec qui je fis mes premières armes musicales. Puis les quatre pères de mon récit, Papa d'abord, qui a lâché un 2 janvier, Frank Zappa qui me mit le pied à l'étrier, Jean-André Fieschi qui me donna les moyens de continuer, et Bernard Vitet, mon ami avec qui je cosignai pendant 32 ans au sein d'Un drame musical instantané ! L'écoute passionnante de BlackStar dimanche dernier, veille de la fatalité, me donna envie de combler certaines lacunes. Il n'est jamais trop tard. Une vie existe après la mort grâce à la mémoire, fut-elle volatile. Sa reconstruction permanente nous permet de jouir d'un passé que nous n'avons pas connu, car nous n'avons presque rien vécu. À l'échelle de l'univers la durée de vie d'un être humain tend vers zéro. Nous la meublons autant que nous pouvons par une série d'implants et de lotions capillaires, de reforestation et de souvenirs.
La mort de Giorgio Gomelsky me replonge dans ce jeu morbide où les pertes sont plus sensibles que les gains. Manager décisif de quantité de groupes pop, ce n'est pas parce qu'il avait été celui de Gong dont je faisais le light-show ou de Soft Machine (je pense à Daevid Allen, et à Hugh Hopper avec qui il m'arriva de bœufer), mais parce que c'est chez lui, ou plutôt dans la villa des Rolling Stones qu'il avait quasiment révélés, que je jouai de la flûte à six trous avec Eric Clapton (exception de cette litanie peuplant ce drôle de Walhala qui ressemble à un champ de bataille), et fis la connaissance de Jean-François Bizot et Frank Wright ! J'arrivais de la Fondation Maeght où ma sœur et moi avions été adoptés par l'Arkestra de Sun Ra. Alors remontent les images du photographe Philippe Gras et de Yasmina, a black woman, et avec eux Daniel Caux. Mon name dropping ne peut faire abstraction de George Harrison avec qui je jouai de l'harmonium chez Maxim's !
Si j'ai mis un bémol au concert de louanges concernant Pierre Boulez, je lui dois de m'avoir permis d'écouter en direct des musiques que je ne connaissais que par le disque, car j'assistai à tous les concerts de Perspectives du XXe siècle lors de la création de l'Ircam. Indirectement grâce à lui je rencontrai John Cage toute une après-midi. Je pense aussi aux outsiders, Luc Ferrari avec qui nous avons enregistré Comedia dell'amore 224, à Conlon Nancarrow qui me dédicaça le rouleau de son Étude #7, à Frank Royon Le Mée qui nous manque terriblement, à Colette Magny dont la correspondance rime avec nos improvisations, à Jean Morières parti si vite... Il faut que j'arrête, je me fais mal.
Je ne cherche pas à être exhaustif, mais la disparition d'Annick, Bri, Pere, Rosette, Giraï, Valérie ou Gaston me hante. J'ignore ce que sont devenues d'autres figures essentielles de mon parcours. La Toile parfois reste discrète. J'ai beau googliser à mort, rien ne sort. Si je focalise au loin sur la nature sauvage le vague à l'âme me submerge. Ce sont les idées noires d'un gris week-end où les perspectives de bleu s'éloignent au fil du temps. Je compte sur le facteur, le téléphone, les mails ou la sonnette pour me redonner du cœur à l'ouvrage. Mon corps et ma tête ont besoin de nourritures terrestres pour se réinventer, des cris des enfants pour me sentir utile, de forces énigmatiques pour que l'imagination reprenne le pouvoir.
Bilan des courses : j'ai la crève !

Illustration de Jean Bruller dit Vercors sur le vinyle Les bons contes font les bons amis d'Un drame musical instantané

vendredi 15 janvier 2016

World of Yo-Ho, une nouvelle manière de jouer


N'attendez pas de moi que je vous explique comment ça marche, l'émission de TricTrac.tv s'en charge très bien sous les bons hospices du Capitaine Étienne Mineur. Ne pas être gamer ne m'a pas empêché d'imaginer le monde sonore et musical du nouveau jeu conçu et réalisé par l'équipe des Éditions Volumiques. World of Yo-Ho est un jeu de plateau innovant dont les pions sont des smartphones. Pour ce jeu de pirates les appareils sont transformés en bateaux à fond de verre évoluant de case en case, leur accéléromètre leur permettant de repérer exactement où ils voguent sur la carte de 80x80cm. Il se joue de 2 à 4 joueurs à partir de 14 ans, mais de jeunes moussaillons s'en sont très bien sortis, en tout cas mieux que moi, alliant le plaisir du jeu de société aux mécanismes interactifs du jeu vidéo.
L'enjeu pour moi fut d'imaginer une charte sonore à deux états, si l'on tient le smartphone dans sa main comme une interface secrète ou lorsqu'on le pose sur la carte et qu'il s'anime. En effet les combats permettent de voir les boulets de canon voler d'une embarcation à l'autre, et quantité d'aventures génèrent des animations liées aux missions qui nous sont assignées. Ambiance maritime et effets réalistes sur le plateau, musique symphonique et sons d'interface anonymes lors de la prise en main. Comme tous ceux et celles qui ont participé à l'élaboration du Monde de Yo-Ho j'ai donné mon nom à l'un des lieux stratégiques, diminutif cavalier qu'emploient les marins lorsque je suis à bord !


Franchement c'est complexe, garantissant des heures d'excitation aux a(r)mateurs. Je n'échappe pas à la règle (du jeu) puisque trop manche je reste un art-mateur. Jeu de mots, jeu de vilains, jeu de pirates où chacun doit choisir son capitaine, animal totem, et son navire. La grosse boîte de 2 kilos contient le plateau, des cartes, 8 figurines ventouses de navire et capitaine, 8 figurines en carton à emboîter utiles si l'on joue à plusieurs mais avec un seul téléphone, 16 pages de règles du jeu (pour l'instant en français et anglais, mais des versions italienne et allemande suivent prochainement), sachant que l'application elle-même est gratuite (iOS et Androïd). Il y a aussi un petit extra, un jeu de cartes Yo-Ho. Chaque personnage et chaque navire obéissent à des comportements qui leur sont propres. Il y a des objets à récupérer, des îles qui se découvrent soudainement, des évènements inattendus (bouteille à la mer, trésor caché, tempête...), des alliances peuvent se nouer... Les parties sont sauvées automatiquement permettant de reprendre. Yo-Ho possède une adresse FaceBook et la mise à l'eau est prévue pour aujourd'hui-même !



World of Yo-Ho (War of the Orchids), ed. Volumique, dist. Iello, entre 50 et 60 € selon les points de vente
→ en exclusivité, à l'occasion de sa sortie, vous pourrez tester World of Yo-Ho chez Jeux Descartes, 52 Rue des Écoles, 75005 Paris, demain samedi à partir de 15h, en présence d'Étienne Mineur !

jeudi 14 janvier 2016

Cacatelec, la crotte téléguidée


Certaines mamans disent que leur bébé leur a laissé un petit cadeau lorsque leur progéniture a fait caca dans ses couches. Loin de moi l'idée d'analyser les tenants et aboutissants freudiens de cette remarque charmante, mais je me demande tout de même à quoi pensent les artistes Ella & Pitr lorsqu'ils nous envoient pour les fêtes une superbe crotte téléguidée ? Est-ce une critique ou un hommage à l'art conceptuel de Piero Manzoni avec ses 90 boîtes de conserve, à l'étron gonflable de Paul McCarthy, à la machine à caca de Wim Delvoye, à l'auto-portrait de merde du photographe Andres Serrano, aux peintures de Jacques Liziène, à la Shit Fountain de Jerzy S. Kenar, à la Vénus de Milo en caca de panda de Zhu Cheng, aux toiles de Christopher Ofili en caca d'éléphant, à celles en béton de Kamiel Verschuren, à The Home-Coming of Navel Strings de Noritoshi Hirakawa, au collectif Sprinkle Brigade, au street artist Gold Poo et tous les anomymes à avoir recouvert l'étron de peinture dorée ? L'idée était tentante, il est vrai.
Comme je fais avancer, reculer, tourner Cacatelec pour le plus grand bonheur des scatologistes de mes amis je repense au gag du porte-feuilles attaché à un fil invisible que l'on tire lorsqu'un passant essaie de le ramasser. Mais qui irait ramasser une crotte qui ne lui appartient pas ? Déjà que la plupart des propriétaires de chiens de mon quartier laissent leurs bêtes chier sur le trottoir avant de filer à l'anglaise... Ella et Pitr ont l'habitude de fabriquer toutes sortes d'objets dérivés à partir de leurs affiches, et c'est probablement dans leurs carnets intimes où ils croquent leur vie quotidienne avec leurs deux enfants qu'il faut chercher la référence à leur amusante provocation. J'ai entendu dire qu'ils pourraient produire bientôt quelques unes de ces drôles de machines qui interrogent néanmoins fondamentalement nos objets de consommation, et notre consommation tout court. Pas question pour autant de marcher dessus du pied gauche sans la casser ! Mon père écrivait W6496 qu'il retournait dans le miroir, on jurait en commençant par M... que l'on terminait par "... ercredi prochain !", ma grand-mère avait coutume de me dire "merde !" avant chaque composition, mais il ne fallait surtout pas répondre "merci" pour que cela porte bonheur... Cette histoire me laisse perplexe, car je n'ai ni roulettes pour filer, ni télécommande qui oriente ma réflexion, ni rien, mais rien du tout, c'est juste la merde à l'image de l'année qui vient de se terminer !

N.B.: dans un tout autre esprit que Cacatelec (rue du faubourg Saint-Honoré oblige !), ce soir jeudi à la Galerie Lefeuvre a lieu le vernissage de l'exposition collective Paper ℗arty 3 avec Paul Insect, Mist, Pixel Pancho, Daniel Muñoz 'San') où Ella et Pitr signeront leur nouveau livre Baiser d'encre, recueil de dessins de leurs carnets intimes (attention, même titre que le film que Françoise Romand leur a consacré, DVD également disponible sur Superbalais).

P.S.: puisqu'on en est là je recommande très sérieusement la lecture passionnante du livre Le charme discret de l'intestin de Giulia Enders chez Actes Sud, somme fabuleuse d'informations sur notre second cerveau racontée avec humour et perspicacité !

mercredi 13 janvier 2016

Du haut de deux duos remontent leurs souvenirs


Suite de mes réflexions sur la nécessité des musiciens des nouvelles musiques (à ne pas confondre avec le concept de musiques nouvelles cher au Ministère de l'Inculture) de croiser le faire avec des musiques plus populaires. La tendance existait depuis toujours (que sont d'autre les standards du jazz, par exemple ?), mais elle s'accentue face aux difficultés économiques rencontrées par les artistes en général. Il n'y a pas que ce secteur qui soit touché, toute la société pâtit de l'incompétence généralisée de ceux qui nous gouvernent, mais appartenant moi-même à cette catégorie rare des personnes dont la passion se confond avec leur métier, soit paraît-il seulement 5% de la population, je suis particulièrement sensible à ceux qui incarnent le dernier rempart contre la barbarie lorsqu'elle montre le bout de son groin.
Ainsi la contrebassiste Hélène Labarrière s'est exilée en Bretagne où elle en pince ses cordes pour d'autres blues, le breizh pouvant très bien rimer avec jazz. Ainsi le guitariste danois Hasse Poulsen s'est installé à Paris où il revisite aussi bien le compositeur révolutionnaire Hanns Eisler qu'il pousse la chansonnette. Ainsi le violoniste orléanais Théo Ceccaldi est monté à la capitale pour y caresser les cordes de la gloire. Ainsi le pianiste Roberto Negro se souvient du Zaïre lorsqu'il frappe son clavier. La musique est voyageuse, dans l'espace et dans le temps, équation qu'aurait aimé entendre un violoniste d'Ingres plus porté sur les mathématiques.
Avec Busking, Hélène Labarrière et Hasse Poulsen offrent des versions délicieusement instrumentales de chansons populaires. Leur duo compose un gros instrument à cordes où mélodie et accompagnement s'échange des basses aux accords, de pizz en arpèges, comme un corps unique à quatre mains, un cœur battant d'un souffle absolu, une soif d'authenticité qui leur permet de s'approprier Take This Waltz de Leonard Cohen, Formidable de Stromae, Let It Die de Fest, Lucy In The Sky With Diamonds des Beatles, Hand in My Pocket d'Alanis Morisette, Farewell de Bob Dylan...
Avec Babies, Theo Ceccaldi et Roberto Negro retrouvent leurs émois d'enfance, racines classiques qu'ils assaisonnent d'improvisations insatiables. La tendresse les enivre tant que sur la scène du Triton leur prestation était interminable. L'enregistrement ne souffre heureusement pas de ce manque de respiration suffocant, les tempi varient, parfois on entendrait presque une mouche voler. Le silence est une donnée essentielle de la musique. Comme la surprise complète les réminiscences... Nous avons tous besoin de connaître et reconnaître. Hélas le public trop souvent matraqué par le bon goût et un marketing agressif glisse sur des autoroutes toutes tracées au détriment des chemins buissonniers de l'invention.
Il faut probablement du temps pour que se creuse le sillon. Il façonne nos souvenirs. Les deux duos planent au dessus de nos têtes. Labarrière et Poulsen viennent égayer nos cours à la manière des musiciens de rue. La musique de chambre de Ceccaldi-Negro vient meubler nos appartements sans charger le décor. Dehors, dedans. Leurs inspirations nous offrent de fondre nos marginalités dans le vécu de Monsieur-Tout-Le-Monde. Ils dressent des ponts, ouvrent des portes, ils invitent au plaisir partagé.

→ Hélène Labarrière & Hasse Poulsen, Busking, Innacor, dist. L'autre distribution, 16,50€, sortie le 5 février
→ Théo Ceccaldi & Roberto Negro, Babies, Le Triton, dist. L'autre distribution, 12€

mardi 12 janvier 2016

Over The Hills, une renaissance


J'avais acheté Escalator Over The Hill en 1971 probablement sur les conseils de François qui travaillait chez Givaudan, magasin de disques le plus pointu de l'époque, situé 201 boulevard Saint-Germain. Grâce à lui j'ai découvert très tôt Harry Partch, le reggae et quantité de compositeurs de jazz. L'enthousiasme fut tel que j'usai les trois disques du coffret jusqu'au fond du sillon. De plus, sur les photos du livret, Carla Bley ressemblait à s'y méprendre à la femme dont j'allais être fou, amours clandestines de mes 20 ans. J'en restais bouleversé. L'opéra, composé avec le soutien déterminant de Michael Mantler, rassemblait tout ce que le jazz, le rock et les musiques du monde pouvaient m'offrir de meilleur. Toutes les pièces de ce puzzle surréaliste d'une originalité renversante s'emboîtaient parfaitement, le livret éclaté de Paul Haines cimentant un ensemble que l'on aurait pu croire hétérogène, mais dont l'unité tenait probablement à l'engagement de tous les participants que Carla Bley avait su réunir. Jack Bruce, Don Cherry, John McLaughlin, Gato Barbieri, Don Preston, Viva, Jeanne Lee, Linda Ronstadt, Paul Jones, Sheila Jordan, Charlie Haden, Roswell Rudd, Karl Berger, Leroy Jenkins, Jimmy Lyons, Howard Johnson, Paul Motian, Enrico Rava, Michael Snow... Excusez du peu ! Si Mantler continua sur sa lancée en composant des pièces monotones d'une rare invention, jamais la belle Carla n'égala ce chef d'œuvre qui amorçait pourtant une carrière pleine de succès. En pleine période de revendications féministes, une femme prenait le pouvoir, chef d'un orchestre de stars. Mais je suis loin d'avoir été le seul subjugué par la musique de la compositrice-arrangeuse.


En 2015 le batteur Bruno Tocanne et le bassiste Bernard Santacruz ont rassemblé neuf musiciens pour une recréation à partir des partitions d'époque. Ils ont réussi à trouver un nouveau son d'ensemble, le leur, sans trahir les intentions originales. Over The Hills ressemble à un concentré de l'opéra, sorte d'oratorio où Antoine Läng incarne toutes les voix, accompagné par le saxophoniste Jean Aussanaire, le clarinettiste Olivier Thémines, les trompettistes Rémi Gaudillat et Fred Roulet, le guitariste Alain Blesing, la pianiste Patrica Mansuy et les deux initiateurs, Tocanne et Santacruz. L'esprit est là, mais la lettre porte le cachet du jour. Les arrangements signés principalement par Gaudillat ou Blesing reproduisent l'enthousiasme qui avait salué cette œuvre maîtresse du XXe siècle. Ce nouvel album s'écoute sans faim, quasiment en boucle tant sa richesse est généreuse et les agapes partageuses.

Over The Hills, IMR, dist. Musea et Les Allumés du Jazz, 15€

lundi 11 janvier 2016

La langouste sauve la mise


Ayant déjà évoqué Carol, The Diary of a Teenage Girl, Chi-raq, Youth, Love & Mercy dans cette colonne, je fais un rapide petit tour d'horizon de films récents projetés en grand sur mon mur blanc.
Les blockbusters sentent le rance. Le western Les huit salopards, dont le titre anglais The Hateful Eight insinue que le huitième film de Quentin Tarantino est plein de haine, est un interminable huis clos machiste rappelant Reservoir Dogs. Seul sur Mars de Ridley Scott, variation cosmique moins ennuyeuse qu'Interstellar ou Gravity, comme Spectre, énième James Bond signé Sam Mendes, se regardent sans arrière-pensée, grave défaut du cinéma de masse américain. Dans le genre cinéma forain, les films de poursuite Mad Max: Fury Road de George Miller ou Fast & Furious 7 de James Wan sont totalement ridicules, mais leurs attractions de montagnes russes vous en mettent plein la vue. Je me demande si je n'ai pas préféré les effets spéciaux du super-héros Ant Man de Peyton Reed ? Idem avec Mission: Impossible - Rogue Nation de Christopher McQuarrie que j'ai déjà oublié ou Le pont des espions de Steven Spielberg dont l'exposition des faits ne laisse aucune place à la moindre réflexion sur la guerre froide.


L'homme irrationnel de Woody Allen est une nouvelle version tourmentée des amours entre un vieux et une jeune, pitoyable. Mistress America est une nouvelle variation insipide de Noah Baumbach autour de sa compagne Greta Gerwig, minauderie boboïsante new-yorkaise aux prétentions arty. Préférer la nouvelle comédie dramatique de Neil LaBute, Dirty Weekend avec Matthew Broderick et Alice Eve, autopsie des rapports homme-femme toujours aussi cruelle et méticuleuse. Côté porno arty on évitera soigneusement Love de Gaspar Noé dont le scénario indigent n'est que prétexte à des scènes de cul sans intérêt.


Les occasions de se marrer ne sont pas courantes, aussi Les Minions de Kyle Balda et Pierre Coffin remporte la palme cette année, et au moins celui-là on peut le voir en famille puisque c'est un film d'animation pour les enfants. À noter qu'il a été réalisé essentiellement par une équipe technique française et que l'absurde de la langue cosmopolite des gélules jaunes sur pattes est à l'image du comique du film (ci-dessus quelques clips inédits, les Minions ont généré plus de variations marketing que le film lui-même). Dans la catégorie thriller on pourra voir Sicario du canadien Denis Villeneuve, mais dans le genre, franchement, le grand film de 2015 est la saison 2 de la série télévisée Fargo produite par les frères Coen. Scénario rebondissant et inattendu, acteurs fantastiques dont l'épatante Kirsten Dunst, musique d'accompagnement fabuleusement choisie, l'histoire est indépendante du film et de la saison 1 déjà formidable. Des personnages banals y sont confrontés accidentellement à une situation exceptionnelle qui les fait déjanter. Oubliez vos a priori sur la télé, c'est le cinéma adulte américain, le reste est conçu pour des adolescents de 15 ans.


Heureusement il y a The Lobster de Yórgos Lánthimos avec Colin Farrell, Rachel Weisz, Léa Seydoux, seule œuvre radicalement différente parmi tous les films récents que j'ai pu voir ces derniers temps. On lui devait déjà Canine et Alps qui sortaient résolument de l'ordinaire. Le changement de repères sociaux qu'affectionne le cinéaste grec est cette fois encore plus explicite. À travers une histoire à dormir debout il interroge la cellule du couple et de la famille, la sexualité et ses tabous, le pouvoir et ses déviances abusives, l'organisation et l'anarchie, le sacrifice et la désobéissance, la vie et la mort. Ce n'est certainement pas un hasard si c'est en Grèce que l'impossible est mis à l'épreuve de la réalité. Lánthimos pulvérise le réel en lui conférant le statut d'un scénario parmi tant d'autres.


Le documentaire The Wolfpack de la jeune Crystal Moselle rappelle diablement la fiction Canine de Lánthimos, puisqu'il s'agit d'une fratrie de six garçons et une fille enfermés pendant quinze ans au seizième étage d'un immeuble du Lower East Side de New York par un père pensant épargner à sa progéniture les mauvaises influences de notre société. Les gamins rejouent intégralement les blockbusters de Tarantino en se confectionnant costumes et accessoires, et lorsqu'ils s'échappent enfin dans la rue ils portent l'uniforme des acteurs de Pulp Fiction ! Le glissement de repères est évidemment passionnant et l'interprétation psychanalytique terriblement concluante. Les documentaires étant presque exclusivement phagocytés par les drames, Amy de Asif Kapadia sur la chanteuse Amy Winehouse est une réussite, bouleversant et terriblement triste. J'en profite donc pour signaler la comédie documentaire de Françoise Romand, Baiser d'encre, dont j'ai composé la musique et qui cache un stimulant conte moral sur la famille autour des artistes Ella & Pitr.

vendredi 8 janvier 2016

Sarah Murcia chante les Sex Pistols


Suite aux coupes sombres dans le budget de la culture, les difficultés financières qui touchent le monde du jazz poussent les musiciens à sortir des sentiers battus pour intégrer des influences qu'ils se sont longtemps interdites. Les étiquettes imposées par le marketing disparaissent avec les grandes surfaces culturelles qui avaient parqué chacun dans sa petite boîte. Mais d'un revers de fortune peut naître une idée nouvelle. La compositrice-bassiste-chanteuse-arrangeuse Sarah Murcia n'avait pas attendu. Dès 2001, avec son groupe Caroline, elle fait ses choux gras de la pop et du rock. Never Mind The Future, probablement son meilleur album, est un cover de Never Mind the Bollocks, Here's the Sex Pistols, seul disque studio des Sex Pistols, précurseurs du punk rock.


En invitant le pianiste Benoît Delbecq et le chanteur-chorégraphe Mark Tompkins à rejoindre le groupe Caroline, Murcia a eu une sacrée bonne idée. D'abord on entend le pianiste jouer franchement sans s'encombrer des subtiles pianissimi qui le caractérisent d'habitude, amplifiant ici mélodiquement la section rythmique. Ensuite la reconversion vocale de l'extraordinaire danseur Mark Tompkins est une excellente nouvelle pour lui comme pour nous ; avec les années les cordes vocales gardent une souplesse à laquelle le corps ne peut prétendre. Le guitariste Gilles Coronado et le batteur Franck Vaillant sont les piliers rock de l'orchestre tandis que le saxophoniste Olivier Py et la contrebassiste lui donnent une liberté plus jazzy. L'arrivée de Delbecq gomme les dernières raideurs qui m'avaient parfois retenu dans le passé. Les explosions de colère des uns et des autres font gicler les notes par grosses grappes. La voix du crooner lorgne du côté de Lou Reed et le ton très british de l'ensemble me fait penser au groupe Rip Rig + Panic, héritiers post-punk tirant vers le free jazz. Me voilà en train de récupérer des étiquettes qui s'étaient pourtant décollées, grrr ! Un treizième morceau, exogène, arrive en épilogue, intéressante reprise de My way, manière de revendiquer sa vision personnelle du futur devenu, depuis, notre présent.

Car Never Mind The Future est un projet suffisamment intemporel pour que l'on s'en échappe. Il montre tout de même que No Future n'est pas l'apanage d'une époque, mais l'expression d'un désespoir qui touche la jeunesse d'aujourd'hui comme celle de la fin des années 70. La médiocrité de la classe moyenne est égale à elle-même. Les textes des chansons attaquent la monarchie britannique, évoquent l'anarchie ou l'avortement en termes crus que la musique développe sans anachronisme. Murcia a compris que le futur était une vue de l'esprit et qu'il faut avoir les pieds sur Terre, ici et maintenant, pour résister et se donner les moyens de ses rêves.

→ Sarah Murcia, Never Mind The Future, CD, Ayler Records, dist. Orkhêstra, sortie le 9 février 2016
Concert complet filmé par Sophie Laly le 1er février 2015 au Théâtre de la Cité Internationale dans le cadre du Festival Sons d'Hiver

jeudi 7 janvier 2016

Jazz Before Jazz, Gottschalk revisité


Heureuse initiative du pianiste Mario Stantchev d'adapter des pièces du compositeur américain Louis Moreau Gottschalk (1829-1869) relativement méconnu en Europe bien qu'il soit considéré outre-Atlantique comme l'un des précurseurs du ragtime et du jazz ! La relecture très libre qu'en fait le pianiste franco-bulgare crée une musique originale à laquelle les saxophones de Lionel Martin confèrent une modernité, paradoxe délicat d'un retour vers le futur où le jazz éclaire le romantisme salué par Chopin, Liszt, Berlioz, Victor Hugo ou Théophile Gautier. La réussite tient probablement autant au son droit et classique de Martin qu'à Stantchev qui n'abuse pas de traits jazz trop marqués, mais revisite pourtant discrètement l'histoire du jazz en allant piocher dans ce répertoire d'avant son invention.


La personnalité de Louis Moreau Gottschalk, né à La Nouvelle-Orléans d'un père juif anglais et d'une mère créole blanche, aventurier au long cours, séducteur mondain, a fasciné Mario Stantchev qui s'est toujours intéressé à marier les musiques du monde au jazz. Gottschalk est un précurseur de ce mélange, mouvement admirativement colonial ou influences folkloriques qui alimenteront cinquante ans plus tard les compositeurs classiques du début du XXe siècle. Comme Berlioz (revoir Lélio !) il est à l'origine du théâtre musical contemporain, créant des performances démesurées où des dizaines de pianos et des centaines de musiciens interprètent ses œuvres. Lorsqu'il écrit pour orchestre il préfigure aussi les mises en scène sonores de Charles Ives. Plus sobre, le duo Stantchev-Martin fait ressortir ses rythmes caraïbiens où la musique classique swingue à l'ombre du soleil des îles.

→ Mario Stantchev & Lionel Martin, Jazz Before Jazz, Cristal Records, dist. Harmonia Mundi, sortie le 4 mars 2016

P.S. : Conséquence, je réécoute l'intégrale pour piano de Gottschalk par Philip Martin (8 cd), A Gottschalk Festival par Eugene List, Igor Buketoff, Samuel Adler (2 cd), et A night in the tropics dirigé par Richard Rosenberg...

P.P.S. : hier j'ai échangé pas mal de considérations sur les réseaux sociaux à propos de la disparition de Boulez. Je recopie ici mon message initial :
Pierre Boulez est mort hier à Baden-Baden. Une page se tourne. Il n'aura jamais été un compositeur majeur (ses meilleures œuvres, de jeunesse, sont très influencées par Schönberg sans en posséder ni l'invention, ni le swing), mais il fut un grand chef d'orchestre (même si très analytique) et surtout un immense passeur (Domaine Musical, Présence du XXe siècle). Malgré cela, en fondant l'Ircam il a trusté quantité de subventions, assassinant nombre d'indépendants, et ses propos sur l'improvisation étaient particulièrement réactionnaires. À vouloir tout contrôler on accouche forcément d'un résultat très froid où l'humain passe après la technique. Il n'empêche que c'est un jour triste.
Cela m'a poussé à réécouter ses pièces "tardives", mais je reste sur la même impression. Grâce à lui j'ai surtout pu écouter en concert des compositeurs que je connaissais déjà par le disque, et c'était génial !

mercredi 6 janvier 2016

Zone de travail


Les journées d'hiver sont bien courtes. Cette première semaine de l'année commence mollement. Les administrations marchent au ralenti. Leurs sites Internet sont en maintenance. Raison de plus pour investir très tôt le studio, avant que le téléphone ait commencé à sonner et d'avoir l'esprit pollué par quoi que ce soit ; tout frais, j'attaque un grand projet personnel entamé il y a une dizaine d'années et les mots de la première chanson me viennent aisément. Les rimes coulent de source. L'après-déjeuner suggère des travaux plus mécaniques comme copier des reportages sonores que j'ai enregistrés sur cassette il y a trente ans ; la corbeille de la Bourse est facilement datable puisqu'elle a été remplacée par des traders devant leurs écrans d'ordinateur en 1987. J'utilise des bandes encore plus anciennes comme la roulette du Casino de Deauville que les élèves croupiers avaient fait tourner pour nous et un soir de 14 juillet qui, associé aux cris du Palais Brongniart, sonne comme une charge de CRS. J'avais déjà calé les voix de mon père et de ma petite sœur rescapées des années 50. Au fur et à mesure de la journée j'avance doucement sur les pièces suivantes, mais quand tombe la nuit je bifurque vers des travaux manuels pour lesquels je n'ai a priori aucune appétence.


Les ouvriers nous faisant poireauter depuis des mois, je passe au bricolage sauvage. Ayant réussi à faire tenir le nouveau radiateur électrique du studio en équilibre sur les anciens supports, je recolle le miroir des toilettes et fabrique un système de fortune pour avoir une lampe agréable derrière soi lorsque l'on souhaite y avoir de saines lectures comme la revue Schnock ou le Manuel de survie. Pendant qu'Armagan et Christophe nous racontent leur séjour en Géorgie je fixe des petits miroirs sur la porte du réfrigérateur avec du ruban adhésif double face très costaud, histoire de pouvoir jeter un coup d'œil à sa silhouette avant d'entamer le repas. Mais est-ce bien raisonnable, alors que je ne le suis pas ?

mardi 5 janvier 2016

Révélation de la sexualité : Carol et The Diary of a Teenage Girl


Deux films très différents, regardés coup sur coup, évoquent l'éveil de la sexualité chez deux jeunes filles américaines. La première, la vingtaine à New York en 1952, est filmée par Todd Haynes ; la seconde, 15 ans à San Francisco en 1976, est l'héroïne du premier film de Marielle Heller. Carol (sortie française le 13 janvier) est un des meilleurs mélodrames sirkiens de son auteur tandis que The Diary of a Teenage Girl (sortie française le 24 janvier) est une comédie enjouée pleine de fantaisie, mais l'un comme l'autre mettent en scène des remarquables actrices dans un décorum qui sert parfaitement leur sujet. La lumière de Carol rappelle les images sombres et énigmatiques du peintre Edward Hopper, les animations incrustées pleines de couleurs de The Diary of a Teenage Girl font référence au monde psychédélique de la dessinatrice Aline Kominsky.


La jeune Therese Belivet interprétée par Rooney Mara tombe sous le charme de Carol, une bourgeoise évanescente jouée par une Cate Blanchett toujours aussi surprenante. La jeune Bel Powley incarne génialement Minnie, adolescente ne pensant qu'au sexe sans aucun tabou alors que l'homosexualité vingt cinq ans plus tôt en constituait un des plus puissants. Les deux scénarios sont des adaptations de semi-autobiographies : le premier est tiré du roman Le prix du sel de Patricia Highsmith, d'abord discrètement publié sous le pseudonyme de Claire Morgan, le second était une bande dessinée de Phoebe Gloeckner, déjà portée à la scène par Marielle Heller elle-même avant d'en faire un film avec le soutien du Sundance Festival. Là où le désir et le trouble de Therese incarne une fascination délicate pour une femme en instance de divorce qui va perdre la garde de sa fille, l'appétit et la curiosité adolescents de Minnie ne sont entachés d'aucun discours moral malgré son attirance pour l'amant de sa mère fêtarde. Si la culpabilité habite tous les protagonistes sauf elle, The Diary of a Teenage Girl reflète une époque de liberté qui faisait cruellement défaut aux années 50.


Le Summer of Love et l'année 1968 qui a suivi ont considérablement transformé les rapports intergénérationnels où il était normal de "vivre sans temps morts, jouir sans entraves", les pulsions sexuelles s'épanouissant dans une ambiance de créativité et d'expérimentation. En cela, le film de Marielle Heller nous surprend plus par sa fantaisie débridée que celui de Todd Haynes malgré sa maestria dans l'art de suggérer la moindre émotion, les deux films trouvant chacun dans leur esthétique une adéquation remarquable avec leur sujet.
Ils posent la question redoutable d'où nous en sommes aujourd'hui, coincés entre des revendications de normalisation et la peur de l'inconnu.

lundi 4 janvier 2016

Joce Mienniel fait Tilt


Après Paris Short Stories, le nouvel album de Jocelyn Mienniel tire sur le rock et la musique de film. Le flûtiste secoue la machine en jouant des bumpers du batteur Sébastien Brun, des rampes du claviériste Vincent Lafont et des spinners du guitariste Guillaume Magne, mais en évitant le Tilt fatal, calmant sans cesse le jeu avec délicatesse. Car Joce Mienniel marque des points en faisant pousser des plants sauvages au milieu de la ville représentée sous la vitre. Le flûtiste cache sa virtuosité derrière des compositions aux couleurs sombres, tout à l'effet produit sur l'auditeur envoûté par les images qui défilent sur la platine. Dans sa Metropolis électrique érigée de cordes métalliques très morriconiennes, traversée par les ondes de son synthétiseur analogique, construite à coups de caisse claire et de petites touches de Fender Rhodes, son souffle est le garant de la résistance.


Le secret de Mienniel est de prendre son temps comme on prend le pouls d'un cardiaque pour lui éviter l'infarctus. Tilt dessine une sorte de rock progressif au ralenti où l'on regarde les billes venir rebondir sur les flippers pour une nouvelle partie gratuite. Le temps de commander un drink au comptoir, on n'a pas senti le temps passer. Garçon, remettez-nous ça !

→ Joce Mienniel, Tilt, Drugstore Malone, sortie le 29 janvier

vendredi 1 janvier 2016

Avec "Chi-raq" Spike Lee retrouve le ton de ses débuts


Depuis que je connais Lysistrata je me suis toujours demandé pourquoi les femmes acceptaient la mort de leurs maris, fils, pères ou frères. Comment peuvent-elles être complices de la violence des hommes ? Quel pouvoir ont-elles oublié qui ne leur permettent pas d'enrayer la folie des brutes machistes qui ne trouvent jamais que la guerre pour (ne pas) régler leurs conflits ou asseoir leur emprise ? Est-ce que la mort est intrinsèquement liée au sexe ? Les explications psychanalytiques ne sont pas de mon ressort, mais Aristophane a su proposer une solution pacifique qui ne semble pas avoir convaincu puisque cela continue de plus belle !
Spike Lee s'empare donc de cette comédie pour dénoncer la violence qui s'exerce entre Afro-Américains. Il y a plus de morts à Chicago liés aux bagarres entre gangs qu'il n'y en eut en Iraq, d'où le surnom du quartier sud, contraction de Chicago et Irak. Comme dans la comédie grecque le réalisateur de Do The Right Thing, Mo Better Blues et Malcolm X emploie un langage direct qui sied à l'argot des rues, les acteurs s'exprimant en vers, rap nerveux de cette comédie musicale où l'on retrouve le ton de ses premiers films. Spike Lee n'évite pas quelques longueurs, mais le sujet est formidable et son adaptation parfaitement à propos.


Chi-Raq est un film militant à la portée populaire. Il devrait être projeté dans les quartiers, là où l'esprit de clan a remplacé la solidarité de classe. Le prêche du pasteur Michael Pfleger interprété par John Cusack est explicite, la misère entretenue par le capitalisme et le chômage poussent ces jeunes à s'entretuer, ce dont profitent les marchands d'armes soutenus par la NRA, la criminelle National Rifle Association. Samuel L. Jackson joue le rôle du chœur commentant les péripéties de cette bande de filles qui décident de faire la grève du sexe tant que leurs mecs utiliseront leurs armes. Elles s'opposent aux gangsters et à la police, à l'armée et à la résistance de leurs sœurs. Dans cette South Side Story Wesley Snipes et le rappeur Nick Cannon sont les chefs des Spartans et des Trojans, Teyonah Parris est Lysistrata, Angela Bassett est Helen et Dave Chapelle fait partie de la bande. La musique nerveuse porte le film, les couleurs éclatent sur l'écran, orange et violet représentant celles des deux gangs. Des vers scandés s'affichent parfois en infographie, plus agit-prop que clip-vidéo. Chi-Raq est à la fois drôle et sérieux, swing et sexy.
Mais est-ce que cela changera grand chose à la violence absurde, criminelle et suicidaire des hommes ? Cette brutalité mortifère reste pour moi un mystère. À moins qu'elle ne s'explique par l'intérêt des pouvoirs en place, et ce depuis des millénaires (Aristophane a écrit sa pièce cinq siècles avant J-C), à exciter les pauvres les uns contre les autres pour mieux les contrôler et les opprimer ? Cette culture de la guerre est-elle inhérente à l'espèce, le fruit d'un calcul cynique ou de l'inconséquence des chefs ? Peace and Love revendique Lysistrata et à sa suite le réalisateur Spike Lee, fatigué de voir sa communauté s'entretuer. C'est ce que je vous souhaite pour cette nouvelle année en cette période qui pue le sang et les larmes, l'exploitation et le profit, la manipulation et l'aveuglement.
Paix et Amour pour 2016, que peut-on souhaiter d'autre ?