Ayant déjà évoqué Carol, The Diary of a Teenage Girl, Chi-raq, Youth, Love & Mercy dans cette colonne, je fais un rapide petit tour d'horizon de films récents projetés en grand sur mon mur blanc.
Les blockbusters sentent le rance. Le western Les huit salopards, dont le titre anglais The Hateful Eight insinue que le huitième film de Quentin Tarantino est plein de haine, est un interminable huis clos machiste rappelant Reservoir Dogs. Seul sur Mars de Ridley Scott, variation cosmique moins ennuyeuse qu'Interstellar ou Gravity, comme Spectre, énième James Bond signé Sam Mendes, se regardent sans arrière-pensée, grave défaut du cinéma de masse américain. Dans le genre cinéma forain, les films de poursuite Mad Max: Fury Road de George Miller ou Fast & Furious 7 de James Wan sont totalement ridicules, mais leurs attractions de montagnes russes vous en mettent plein la vue. Je me demande si je n'ai pas préféré les effets spéciaux du super-héros Ant Man de Peyton Reed ? Idem avec Mission: Impossible - Rogue Nation de Christopher McQuarrie que j'ai déjà oublié ou Le pont des espions de Steven Spielberg dont l'exposition des faits ne laisse aucune place à la moindre réflexion sur la guerre froide.


L'homme irrationnel de Woody Allen est une nouvelle version tourmentée des amours entre un vieux et une jeune, pitoyable. Mistress America est une nouvelle variation insipide de Noah Baumbach autour de sa compagne Greta Gerwig, minauderie boboïsante new-yorkaise aux prétentions arty. Préférer la nouvelle comédie dramatique de Neil LaBute, Dirty Weekend avec Matthew Broderick et Alice Eve, autopsie des rapports homme-femme toujours aussi cruelle et méticuleuse. Côté porno arty on évitera soigneusement Love de Gaspar Noé dont le scénario indigent n'est que prétexte à des scènes de cul sans intérêt.


Les occasions de se marrer ne sont pas courantes, aussi Les Minions de Kyle Balda et Pierre Coffin remporte la palme cette année, et au moins celui-là on peut le voir en famille puisque c'est un film d'animation pour les enfants. À noter qu'il a été réalisé essentiellement par une équipe technique française et que l'absurde de la langue cosmopolite des gélules jaunes sur pattes est à l'image du comique du film (ci-dessus quelques clips inédits, les Minions ont généré plus de variations marketing que le film lui-même). Dans la catégorie thriller on pourra voir Sicario du canadien Denis Villeneuve, mais dans le genre, franchement, le grand film de 2015 est la saison 2 de la série télévisée Fargo produite par les frères Coen. Scénario rebondissant et inattendu, acteurs fantastiques dont l'épatante Kirsten Dunst, musique d'accompagnement fabuleusement choisie, l'histoire est indépendante du film et de la saison 1 déjà formidable. Des personnages banals y sont confrontés accidentellement à une situation exceptionnelle qui les fait déjanter. Oubliez vos a priori sur la télé, c'est le cinéma adulte américain, le reste est conçu pour des adolescents de 15 ans.


Heureusement il y a The Lobster de Yórgos Lánthimos avec Colin Farrell, Rachel Weisz, Léa Seydoux, seule œuvre radicalement différente parmi tous les films récents que j'ai pu voir ces derniers temps. On lui devait déjà Canine et Alps qui sortaient résolument de l'ordinaire. Le changement de repères sociaux qu'affectionne le cinéaste grec est cette fois encore plus explicite. À travers une histoire à dormir debout il interroge la cellule du couple et de la famille, la sexualité et ses tabous, le pouvoir et ses déviances abusives, l'organisation et l'anarchie, le sacrifice et la désobéissance, la vie et la mort. Ce n'est certainement pas un hasard si c'est en Grèce que l'impossible est mis à l'épreuve de la réalité. Lánthimos pulvérise le réel en lui conférant le statut d'un scénario parmi tant d'autres.


Le documentaire The Wolfpack de la jeune Crystal Moselle rappelle diablement la fiction Canine de Lánthimos, puisqu'il s'agit d'une fratrie de six garçons et une fille enfermés pendant quinze ans au seizième étage d'un immeuble du Lower East Side de New York par un père pensant épargner à sa progéniture les mauvaises influences de notre société. Les gamins rejouent intégralement les blockbusters de Tarantino en se confectionnant costumes et accessoires, et lorsqu'ils s'échappent enfin dans la rue ils portent l'uniforme des acteurs de Pulp Fiction ! Le glissement de repères est évidemment passionnant et l'interprétation psychanalytique terriblement concluante. Les documentaires étant presque exclusivement phagocytés par les drames, Amy de Asif Kapadia sur la chanteuse Amy Winehouse est une réussite, bouleversant et terriblement triste. J'en profite donc pour signaler la comédie documentaire de Françoise Romand, Baiser d'encre, dont j'ai composé la musique et qui cache un stimulant conte moral sur la famille autour des artistes Ella & Pitr.