Non, ce ne sont pas les oreilles des cent lapins de notre opéra Nabazmob, mais 9oualab, une installation du Collectif Pixylone composé de Younes Atbane, Zouhair Atbane et Omar Sabrou, exposée en 2014 à l'Institut du Monde Arabe dans le cadre du Maroc Contemporain dont le commissaire était Jean-Hubert Martin. C'est incroyable comme les six cents pains de sucre (l'équivalent de 300 paires d'oreilles de Nabaztag !), éclairés en 3D et sonorisés, m'ont immédiatement fait penser à notre opéra, deux regards parallèles sur nos sociétés, même si les intentions des uns et des autres sont très différentes.


Mais si je l'évoque aujourd'hui, c'est pour une autre coïncidence, musicale cette fois. En créant Nabazmob nous avions inexplicablement oublié le Poème symphonique pour 100 métronomes de Ligeti de 1962. L'hommage aurait pourtant été clair. La surprise vient de ma réécoute de la Symphonie de l'Univers de Charles Ives, œuvre inachevée mais libre de la continuer si de futurs compositeurs voulaient s'y atteler. Cette "sixième" symphonie de mon compositeur de prédilection est probablement sa plus ambitieuse. Conçue de 1911 à 1928 pour plusieurs orchestres elle présente trois parties sans pause : Le passé (du chaos à la formation des eaux et des montagnes), Le présent (la Terre et le firmament, évolution de la nature et de l'humanité) et L'avenir (le paradis, l'élévation de tout vers la spiritualité). Or, en écoutant les vingt percussionnistes de la version complétée par Larry Austin, j'ai cru reconnaître les prémisses du premier mouvement de notre opéra !


Je me suis souvent demandé comment nous en étions arrivés là avec Antoine Schmitt. À quoi pouvait ressembler cette musique composée pour 100 synthétiseurs midi de pacotille hébergés dans les estomacs de nos rongeurs wi-fi ? Je suis aux anges de constater aujourd'hui ce cousinage involontaire ou inconscient avec Ligeti et Ives. De quels ancêtres pouvais-je rêver de mieux ?! Si l'indétermination de l'ensemble doit beaucoup à John Cage, le second mouvement, glissement d'accords tuilés, se réfère forcément à Ligeti et le troisième, citations d'extraits opératiques se superposant, explicitement à Ives. Mais je n'aurais jamais imaginé cette coïncidence incroyable du premier mouvement, voire du 2bis, un petit plus rythmique que nous jouons parfois en concert lorsque l'envie nous prend ! De même, l'œuvre collective des artistes marocains m'apparaît comme une suite improbable. Je ne sais pas si les lapins aiment le sucre, mais cela ne m'étonnerait pas !