Lorsque l'on colle de la musique sur des images, le synchronisme accidentel reste le plus sûr moyen contre l'illustration plate et redondante. Encore faut-il avoir préalablement composé et enregistré des pièces pour pouvoir les essayer ici et là ! C'est ainsi que Jean Cocteau, qui avait inauguré le procédé avec le ballet La jeune fille et la mort, procéda la première fois avec ce que Georges Auric avait écrit pour le film La belle et la bête, le son d'une séquence complétant l'image d'une autre, etc.
En préparant le parcours musical que je compose pour accompagner la visite de Carambolages, la prochaine exposition du Grand Palais imaginée par Jean-Hubert Martin, je me rends compte que malgré mes efforts pour ne pas être illustratif j'ai tout de même tendance à coller au sujet. Pour certaines cimaises je n'ai pas le choix que de m'y mettre en cherchant autant que possible à préserver une part d'énigme dans l'interprétation que pourrait en faire chaque visiteur. Il suffit parfois d'ajouter un petit évènement narratif induisant un angle particulier, ou bien de transposer un son dans le grave en le ralentissant par exemple. Dans le cas qui m'occupe, placer la musique enregistrée avec le violoncelliste Vincent Segal et le saxophoniste-clarinettiste Antonin-Tri Hoang donne des résultats formidables auxquels je ne m'attendais pas. C'est l'une des raisons qui me pousse toujours à rendre plus de matériau musical que prévu ou exigé au monteur d'un film, lui permettant ainsi de tester des effets dramatiques auxquels personne n'aurait pensé. Confronté à l'image, le moindre détail révèle des ouvertures inespérées. Eisenstein racontait que le montage de deux plans est une multiplication plutôt qu'une addition. La même réflexion pourrait s'étendre à la relation audio-visuelle.
Passé la création musicale je me heurte à un problème technique que j'ai souvent rencontré dans mes travaux multimédia. Lorsque le poids des fichiers son est trop lourd, il est indispensable de convertir les .aif (qualité CD) ou .wav en compression mp3. Dans le cas de l’application de l’exposition développée pour Google Play (Androïd) et AppStore (iOS) et offerte gratuitement aux visiteurs possédant un smartphone (n'oubliez pas d'apporter votre casque !) je suis contingenté à des fichiers de une minute trente secondes maximum. Ainsi suis-je obligé de boucler le son, ne sachant pas combien de temps chaque visiteur restera devant l'une des vingt-sept cimaises. Or il semble impossible de faire une boucle propre en mp3, la conversion ajoutant quelques dixièmes de seconde à la fin de chaque fichier, ce qui ne manque pas de produire un trou, un silence, à l'endroit du bouclage. J'ai beau interroger les développeurs les plus chevronnés, la réponse est la même. Il existe des logiciels comme Unity qui convertissent proprement les boucles d'aiff en mp3, mais l'extraction des mp3 réalisés n'est pas envisageable. Je me vois donc contraint d'adapter chaque fichier avec de très courts fondus en entrée et sortie ou de composer la musique avec un silence à la fin de chaque séquence pour camoufler l'impossibilité technique. On voit qu'au lieu de se confronter obstinément aux contraintes de la technique mieux vaut souvent s'en servir, la contourner, s'appuyer dessus pour inventer quelque chose qui lui soit adaptée.

Illustration : Hyacinthe Rigaud, Étude de mains, 1715-1723, huile sur toile ; 53,5 x 46 cm, Montpellier, musée Fabre, © Musée Fabre de Montpellier Méditerranée Métropole - photographie Frédéric Jaulmes