« Laisse ce panneau fermé, sinon tu seras fâché contre moi.»
« Ce ne sera pas de ma faute car je t’avais prévenu.»
« Et plus nous voudrons te mettre en garde, plus tu auras envie de sauter par la fenêtre.»
C'est ce qui est écrit sur le diptyque flamand. Lorsque Jean-Hubert Martin m'a montré ce qui allait devenir l'affiche de son exposition au Grand Palais organisée par la Réunion des Musées Nationaux (2 mars au 4 juillet), je n'ai pu m'empêcher d'interpréter ce pied de nez à nombreux "professionnels de la profession". Il s'est toujours battu pour que les artistes reprennent possession des musées tombés majoritairement aux mains des historiens de l'art, mettant en avant le plaisir de la découverte plutôt que la pédagogie cadrée par une chronologie factice et qui fait abstraction de la diversité du monde avec ses cinq continents et ses mystères ; il met ainsi sur un pied d'égalité des artistes inconnus avec des célébrités, et refusant ici les cartels traditionnels (ils sont présentés sur de petits écrans, mais toujours après qu'on ait admiré les œuvres, et plus grands que d'habitude !), les commentaires et les audioguides, il offre à chaque visiteur la liberté de réagir selon sa propre sensibilité.
27 ans après que Jean-Hubert Martin ait imaginé Magiciens de la terre, j'ai composé 27 séquences sonores pour accompagner Carambolages... 27, c'est 3x3x3, soit 3³... Le diptyque ouvert dans la vitrine du Grand Palais n'est pas un multiple comme l'affiche reproduite sur les murs de la ville.


Il est seul. Pas vraiment. Cette grimace succède à Ce qu’elle voit en songe de Jean-Jacques Lequeu et précède La jupe relevée de François Boucher. La bille du XVIe siècle vient en frapper deux autres du XVIIIe. Se laisser porter d'œuvre en œuvre, c'est du billard ! Une longue suite de carambolages. Les synapses enchaînent les bandes par des effets de forme ou de sens. L'éclatement est garanti. Si l'on coiffe un casque audio pour suivre le parcours musical sur son smartphone l'immersion est totale (application gratuite iOS et Android). On oublie tout le reste. Il n'y a plus que soi avançant lentement sur un chemin d'une rare poésie. C'est bien la première fois que j'accepte un casque dans une exposition ! J'ai sauté sur la proposition, parfaitement adaptée à cette intimité retrouvée face aux œuvres. Le scénographe a même intégré des bancs aux cimaises pour que l'on puisse s'asseoir et profiter du spectacle.


Rentré à la maison, je me suis allongé sur le divan avec le catalogue. J'ai d'abord lu tous les essais qui accompagnent l'accordéon de 19 mètres à raison d'une œuvre par page, sans pouvoir ensuite résister à compulser les commentaires de celles qui m'avaient le plus intrigué. La couverture aimantée cache ainsi trois fascicules. Alors j'ai recommencé la visite en suivant les références du catalogue inscrites sur le smartphone sous chaque séquence musicale. C'est une proposition. Dans les galeries du Grand Palais on a toujours le choix de se boucher les oreilles, de ne rien vouloir entendre que le bruit du musée, les commentaires des autres visiteurs... C'est dans le même esprit que le Mur des réinterprétations, ensemble de magnets situé dans l'escalier qui grimpe au premier étage vers Les avatars de Vénus et qui permet à chacun de réorganiser l'ordre des œuvres, des fois que l'on ne soit pas d'accord avec celui de Jean-Hubert Martin ! Il faut aimer jouer. Comme les musiciens.

Articles précédents : 1. Le regard / 2. Synchronisme et mp3 / 3. Suivez le guide / 4. Le parcours sonore
Illustration : anonyme flamand, Diptyque satirique, 1520-1530, huile sur bois ; 58,8 x 44,2 x 6 cm, Université de Liège - Collections artistiques (galerie Wittert), © Collections artistiques de l’Université de Liège