...
Tandis que la pleine lune éclaire Marseille et que les surréalistes nous encerclent, devons-nous craindre le fil du rasoir ? Nos yeux grands ouverts sur l'exposition Le rêve qui démarre au Musée Cantini, nous n'éviterons pas les lèvres de Man Ray que l'on retrouve sur l'affiche ni Un chien andalou réalisé par Buñuel et Dali. À vouloir rassembler des œuvres d'art sur la thématique du rêve, les commissaires Christine Poullain et Guillaume Theulière ne pouvaient que convoquer les peintres qui épousèrent un temps le surréalisme, soit Magritte, Ernst, Man Ray, Miró, Picasso, Bellmer, Brauner, Chagall, Domínguez, Tanguy, Breton, etc.


Et, si l'on remonte à la fin du XIXe siècle quand éclot la psychanalyse, Rodin faisait déjà résonner sa Voix intérieure, Félix Valloton laissait rêver sa Femme nue assise dans un fauteuil, Odilon Redon dessinait le profil de la lumière, William Degouve de Nuncques pénétrait une Forêt lépreuse, tandis que les cauchemars de Goya, Victor Hugo, Valère Bernard avaient déjà hanté nos nuits. On voit ci-dessus ceux de Constant Nieuwenhuys et Dado et ci-dessous ceux de Pierre-Amédée Marcel-Berronneau et Victor Brauner, rassemblés avec L'araignée de Germaine Richier (celle de Louise Bourgeois est sur le mur d'un autre étage), L'horreur d'Alfred Kubin, La femmoiselle de Jacques Hérold.


La centaine d'œuvres, classées selon une thématique où le rêve révèle l'imaginaire transgressif des artistes, où il interprète l'inconscient et permet toutes les outrances, sont autant de passages à l'acte qui leur échappent. Sommeil, nocturne, rêve, fantasme, cauchemar, hallucination, réveil se succèdent selon les salles du magnifique Musée Cantini ! Certains font vibrer nos cordes sensibles lorsque nous y retrouvons l'un des nôtres. Cette sympathie onirique est le propre de l'art.

...
Le rêve ne s'exprime pas toujours dans le sommeil. Les fantasmes, le plus souvent érotiques chez les peintres et les sculpteurs, sollicitent les voyeurs : Félix Labisse, Wilhelm Freddie, Jindrich Styrsky, André Raffray, Bellmer, Domínguez, Picasso s'y retrouvent. À remarquer que très peu de femmes figurent parmi les artistes exposés. Le rêve n'est pourtant pas un apanage masculin. Il peut être aussi provoqué par quelque substance, comme en expérimenta Henri Michaux. Les photographies de Raymond Hains ou certaines peintures aborigènes participent à ces Hallucinations. Ci-dessus le Portrait visionnaire de Hans Richter sous-titré Extase menacée par le désespoir. Je retrouve une réplique de la Dream Machine de Brion Gysin entrevue il y a quelques semaines au Centre Pompidou pour l'exposition sur la Beat Genration. Serait-ce un signe des temps ? Le besoin d'évasion dans une société en coupe réglée, formatée, sécuritaire, une société où le rêve est un luxe qu'osent seulement celles et ceux qui ne croient pas que la réalité soit immuable... Les artistes entendent diffuser leurs révoltes, ici oniriques, ailleurs revendicatives, indispensablement révolutionnaires !

...
Au dernier étage sonne le Réveil. Bernard Plossu, Philippe Ramette, Sandy Skoglund, Darren Almond s'y frottent. Le voyage se termine. J'aurais aimé y retrouver Cocteau, je l'ai peut-être manqué, ou voir réhabiliter Jean Bruller, dit Vercors, dont la Nouvelle clé des songes figure parmi mes bréviaires, mais une exposition thématique comme celle-ci a toujours ses limites, elle permet néanmoins de sortir des limbes des entrepôts de nos musées un patrimoine inestimable que nous interprétons et qui nous fait rêver. C'est le propre de l'art !

Le rêve, Musée Cantini, Marseille, jusqu'au 22 janvier 2017