Tandis que Eat That Question - Frank Zappa in His Own Words fait le tour des festivals, le film sort en Blu-Ray et DVD aux États Unis. Thorsten Schütte a travaillé pendant huit ans sur cette biographie cinématographique, probablement la meilleure réalisée sur Frank Zappa. Composé exclusivement d'entretiens avec l'artiste et d'extraits live, il évite l'écueil des témoignages hagiographiques qui plombent les documentaires du genre. Schütte a fait le tour des télévisions du monde entier pour dégoter des documents rares et il a finalement reçu l'appui de la famille, soit Gail, la veuve du compositeur disparue récemment, et leur fils Ahmet. Leurs filles Moon et Diva sont plus ou moins associées, mais Dweezil n'est toujours pas en odeur de sainteté malgré ou à cause de ses concerts-hommages à leur père, Zappa Plays Zappa, en tournée depuis dix ans. La partie familiale du reportage ne semble pas avoir été la plus agréable ni la plus aisée pour le réalisateur allemand !
J'ai beaucoup écrit sur celui qui déclencha ma vocation musicale en 1968 et dont je m'occuperai ensuite épisodiquement lors de ses premiers passages en France. Ayant laissé retomber cette passion pendant les années 80 pour m'emballer à nouveau sur les œuvres orchestrales de la fin de sa vie, je découvre avec plaisir et intérêt le parcours kaléidoscopique de mon héros de jeunesse. Peu de temps avant sa mort en 1993 d'un cancer de la prostate à 52 ans, Zappa avait accepté de dialoguer pendant trois jours par satellite et vidéo compressée avec le chanteur Robert Charlebois, filmé par mes soins, mais France 3 refusa le projet qu'elle ne trouvait pas assez commercial. On retrouvait le "no commercial potential" imprimé ironiquement sur nombre de ses pochettes ! Quelques mois plus tard, en tournage à Sarajevo pendant le siège pour la BBC, je m'écroulerai à l'annonce de son décès. Je n'ai jamais essayé de l'imiter musicalement, mais la variété de ses créations représente toujours pour moi un modèle de rigueur et d'inventivité.


Dans ce film, Frank Zappa affirme son rôle de compositeur dans toutes ses activités. S'il a toujours écrit de la "musique sérieuse" (indéfectible amour d'Edgard Varèse et son Ionisation), il n'était connu que pour ses chansons provocatrices. Il n'a commencé à écrire des paroles qu'à l'âge de 22 ans, se battant continuellement contre la censure qui lui reproche ses mots crus dont il revendique la justesse. Il est fier d'être américain (avec des réserves sur l'importance culturelle de son pays et la dénonciation de la dérive reaganienne vers une théocratie fasciste, mais sans comprendre la nature de la Fête de l'Huma et du communisme européen). Il n'a pratiquement jamais pris de drogues, mais l'abus de cigarettes, de café et de beurre de cacahuètes avec une hygiène alimentaire déplorable n'a pas été plus salutaire. Ses chansons satiriques sur les groupies soulignent la vie dissolue des tournées. Il hait les major compagnies du disque qui l'ont censuré, etc. Le puzzle, lié au montage d'archives, n'empêche pas sa musique et ses intentions d'être explicites, probablement grâce au respect de la chronologie. Détail insignifiant, mais important pour l'image, c'est la première fois que je comprends l'origine de la moustache qui camoufle un rictus près de la narine droite ! Pour la barbe je ne sais pas, je vais réécouter les disques...
Le film, coproduit par la France (Estelle Fialon des Films du Poisson) et l'Allemagne (Jochen Laube de UFA Fiction), a des chances de se retrouver sur Arte qui leur a emboîté le pas, mais il est aussi possible qu'il sorte bientôt dans les salles...

→ Thorsten Schütte, Eat That Question - Frank Zappa in His Own Words, Blu-Ray & DVD, Sony Pictures Home Entertainment, sous-titres anglais et français / sortie DVD française chez Blaq Out, coll. Out Loud, avec bonus originaux, le 2 mai 2017