En lisant l'annonce de trois chefs-d’œuvre signés Richard Fleischer publiés par Carlotta, je me suis demandé si ce n'était pas un peu exagéré... Comme je n'évoque que ce qui m'a plu et m'inspire librement, j'avance parfois à reculons, d'autant que de nouveaux disques, films et bouquins s'accumulent sur les étagères. Je m'emploie pourtant rigoureusement à tout regarder, lire et écouter, sans porter ombrage à mon travail, à savoir terminer la composition de nouvelles pièces musicales et les enregistrer dans la foulée avant mon départ pour Rome.
Et pourtant, si, le coffret contient bien trois films formidables de Richard Fleischer qui me sont donnés à découvrir ! J'avais déjà été emballé par L'étrangleur de Boston (lire l'article qui évoquait également l'excellent polar Les inconnus dans la ville / Violent Saturday), mais je pensais que le reste de sa filmographie consistait en honnêtes succès grand public tels 20 000 lieues sous les mers, Les Vikings, Le voyage fantastique ou L'extravagant docteur Dolittle. Il y avait tout de même l'extraordinaire Soleil Vert (Soylent Green), film de science-fiction sombre et prophétique. Mais découvrir coup sur coup Terreur aveugle (See No Evil), L’étrangleur de Rillington Place (10 Rillington Place) et Les flics ne dorment pas la nuit (The New Centurions) permet d'envisager l'Histoire du cinéma sous un autre angle, à savoir que certains auteurs sont passés à l'as pour ne pas avoir été défendus par la critique cinéphile en leur temps. Dans un des bonus, et les trois films en sont largement pourvus, Nicolas Boukhrief analyse parfaitement les mérites de Fleischer et les raisons de leur méconnaissance. Dans un autre, Christophe Gans vante la rigueur de l'auteur, capable de changer de style pour trouver le meilleur angle à chaque histoire. Fleischer a une vision très noire de la société. Pour avoir pensé devenir psychiatre, il en a étudié les recoins les plus sombres. Il ne juge pas, il constate, éventuellement laisse planer une explication sans jamais la formuler, laissant à l'inconscient toute sa complexité. Mais il détaille les mécanismes avec une précision redoutable, échafaudant des scénarios captivants, souvent inspirés de faits-divers authentiques.


Si Fleischer tourne ses films en les situant toujours à une époque donnée, ceux-ci restent d'une actualité confondante, car l'humanité est d'une effroyable constance dans ses us et coutumes, dans sa misère et son absurdité mortifère. Les flics de Los Angeles, quand ils ne dorment pas la nuit, ont les mêmes réflexes que ceux de chez nous aujourd'hui, gardiens de l'ordre humanistes (certains ont évidemment commencé ainsi leur carrière !), crapules corrompues ou dépressifs suicidaires (les mauvais plis sont vite pris !)... Son film, tourné en 1972 (musique de Quincy Jones), mettant en scène un vieux briscard et une jeune recrue, en a inspiré bien d'autres sans posséder sa vision réaliste de l'ambiguïté du rôle de la police. Chez Fleischer la fiction a des allures documentaires.


Ainsi il choisit le cas de L'étrangleur de Rillington Place, toujours 1972, qui avait abouti quelques années auparavant à la suppression de la peine de mort en Angleterre. L'atmosphère est glauque à souhait. Richard Attenborough, qui joue le rôle de l'assassin, et le jeune John Hurt, faux-coupable illettré tout désigné, y sont époustouflants. La caméra à l'épaule se faufile dans cet univers étriqué, sans recul. Le drame psychologique, filmé sur les lieux-mêmes ou reconstitué fidèlement en studio, tient au corps. Le crime est parfaitement huilé. Ça gaze à tous les étages !


Quant au thriller de 1971, Terreur aveugle, il oppose la douceur et la fragilité de l'ingénue jouée par Mia Farrow à l'horreur qu'elle ne peut voir suite à son accident équestre. Fleischer, qui joue ici sans cesse de ressorts hitchcockiens, commence le suspense à partir d'un petit rien lorsqu'elle marche en chaussettes au milieu du verre brisé, retardant sans cesse la découverte sanglante. La suite n'en sera que plus terrible, Fleischer utilisant le hors-champ comme une zone invisible à l'aveugle et un cadre serré nous interdisant d'identifier le meurtrier, si ce n'est par ses bottes. Il se sert de chaque détail en sa possession pour construire un scénario à la fois épuré et virtuose, dont la cécité est l'astucieux moteur. Comme chez tous les grands réalisateurs, chaque plan est pensé en fonction de l'intrigue.

coffret Richard Fleischer, 3 films remasterisés haute définition en Blu-Ray et DVD, bonus a gogo avec les préfaces de Nicolas Saada, les commentaires de Fabrice du Welz, Christophe Gans, Nicolas Boukhrief, et les témoignages de Judy Geeson, Joseph Wambaugh, Stacy Keach, Richard Kalk, Ronald Vidor, Ed. Carlotta, 60€, sortie le 9 novembre 2016