Pascal nous avait astucieusement conseillés de réserver très tôt à l'avance pour la Galerie Borghese, le musée ne recevant qu'un nombre limité de visiteurs. Même si le style du XVIIe siècle n'est pas notre capuccino, le spectacle est extraordinaire. Fresques, sculptures, peintures se bousculent dans des salles immenses aux plafonds remplis de trompe-l'œil qui obligent Françoise à s'allonger pour les admirer...


Il n'y a pas que les trompe-œil, il y en a aussi de faux. Des sculptures et des bas-reliefs se mêlent aux peintures pour créer de fantastiques illusions d'optique. Nous foulons des marbres polychromes. Les mosaïques sont étonnantes, les tableaux magnifiques, en particulier ceux du Caravage. Sous ses pinceaux comme sous les burins de ses collègues, les garçons sont étonnamment féminins. Lors de mes voyages je prends systématiquement des photographies des musiciens représentés en pensant qu'elles pourraient un jour illustrer certains de mes articles, mais j'oublie ces clichés la plupart du temps. Tant de nus exposés laissent penser que certaines époques furent tellement moins prudes que la nôtre. La moindre image de chair est, par exemple, immédiatement censurée par FaceBook. Il est certain que les protestants sont toujours boutonnés jusqu'au cou, mais l'Italie d'aujourd'hui est encore très coincée, avec son catholicisme et l'incroyable puissance du Vatican. Les femmes appartiennent à un monde dont les hommes sont exclus, conséquence logique du machisme méditerranéen. Françoise est épatée par la chair de Perséphone qui s'enfonce sous les doigts du dieu Hadès, sculptée par Le Bernin.


La volière est hélas privée de ses oiseaux, mais cela ne les empêche pas de zébrer le ciel en poussant des cris que je suis dans l'incapacité d'identifier. En traversant les jardins de la Villa Borghese, gigantesque parc municipal de 80 hectares en plein centre de Rome où s'élève, entre autres, la Villa Médicis, nous regardons en l'air pour admirer les hautes frondaisons des pins. J'entends ceux de Respighi qui accompagnent A Movie de Bruce Conner, et ses Fontaines. Nous n'attrapons pas de torticolis, mais ces contorsions finissent par être fatigantes !


Ces jardins sont dessinés sur le mode anglais, plus vivant que la raideur à la française. Ce sont deux façons de concevoir la nature et de la domestiquer. C'est la même histoire avec la ville. Les Italiens savent merveilleusement marier le passé et le présent. Chaque coin de rue, et j'entends coin par détail et non par intersection, réserve des surprises, vestiges des temps anciens préservés malgré les besoins du futur. Au jeu des revivals, l'Antiquité et les siècles qui l'ont suivie y figurent des strates de modernité. L'étymologie veut que les modes passent et repassent.


Après être descendus jusqu'au Panthéon et la fontaine de Trevi, sous prétexte d'un sublime espresso au Caffè Sant'Eustachio sur les conseils de Laure, nous regagnons notre appartement situé exactement en face de l'École des Beaux-Arts. Une petite pause ne fait pas de mal avant de nous rendre au Teatro Olimpico pour la première de Carmen par l'Orchestra di Piazza Vittorio où Elsa incarne "la pure, amoureuse, courageuse, déterminée Micaëla"...