70 février 2017 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 28 février 2017

La grande échelle pour Oulala


Ulysse avait disparu un samedi soir et nous l'avions retrouvé mort le lendemain matin. Aussi lorsque Oulala n'est pas rentrée dimanche, nous nous sommes forcément inquiétés, un peu traumatisés par la fin de son frère, de la portée précédente. Les chats sortent la nuit, mais que le matin soit venu, les voilà réclamer leur pitance. Or Oulala disparut samedi soir sans laisser d'adresse. Le petit Django la cherchait en vain. Je faisais le tour du quartier, mais le chantier labyrinthique un peu plus bas, fermé le dimanche, recèle quantité de fosses dont un matou ne pourrait ressortir s'il s'y aventurait. Avouons que Françoise et moi avons mal dormi et qu'il faisait encore nuit quand nous nous sommes levés pour aller voir les ouvriers dès potron-minet. J'ai sifflé dans le jardin comme j'en ai l'habitude pour rappeler les chatons au bercail. J'entends bien miauler, mais où ? Le son vient d'en haut ! Levant la tête je découvre la chatte au bord du toit des voisins, à plus de dix mètres du sol. La seule manière d'y accéder pour elle fut de grimper le long du lierre sur toute la hauteur du bâtiment depuis le chantier mitoyen. On ne dira pas un exploit surhumain, mais surfélin ! J'attends que l'heure soit plus décente pour sonner chez nos voisins, qui, manque de chance, sont exceptionnellement absents ce lundi. Il ne reste qu'une solution, aller la chercher nous-mêmes. Le grand escabeau nous permet d'accéder au toit incurvé du garage en métal, puis je pose notre plus grande échelle dessus le long du mur, mais il est impossible de la stabiliser à cause de la courbe. Je coince un pied de chaque côté d'un des renforts, l'épaule tenant en force l'échelle qui repose que sur un point pendant que Françoise joue les acrobates car elle est nettement plus légère que moi. Oulala râle lorsqu'elle l'attrape par le cou, pendant que Django galope dans tous les sens sur le garage. Il eusse fallu un troisième larron pour photographier ce numéro d'équilibristes improbable. En croisant Raymond, l'amant le plus assidu d'Oulala, qui ressemble comme deux gouttes d'eau à Django sauf qu'il a les yeux verts au lieu de jaunes et qu'il est entier, je comprends que le soupirant entrevu hier au travers des grilles du chantier a entraîné sa copine qui s'est laissée prendre.


J'arrache les trois affichettes que j'avais collées devant chez nous et sur la palissade des travaux. La journée s'annonce plus sereine que la veille. Je profite insidieusement du succès des billets félins pour vous suggérer de regarder le discours sur l'écologie de Jean-Luc Mélenchon, une remarquable leçon de choses comme on appelait cela au cours d'histoire naturelle. Ceux qui refusent le cynisme ambiant sont déjà convaincus, les autres pourraient changer d'avis sur celui auquel les médias dressent un costard injuste qui ne lui sied pas du tout. Si vous préférez la bande dessinée, le programme est décliné avec humour par Melaka, Reno Pixellu et Olivier Tonneau.

lundi 27 février 2017

Contre-cultures 1969-1989, l'esprit français


Il y aurait deux approches possibles de la nouvelle exposition de La Maison Rouge à Paris, Contre-cultures 1969-1989, l'esprit français. Soit s'ébahir devant tant d'œuvres provocantes et d'archives passionnantes, soit s'interroger sur l'absence de dialectique à présenter tous ces objets hors de leur contexte, hormis dans l'indispensable catalogue. Comment en effet se faire sa propre idée si l'on n'a pas vécu ce porte-à-faux éminemment politique ? Les deux jeunes commissaires, Guillaume Désanges et François Piron, fascinés par leur sujet, reproduisent donc ce qu'on leur a appris, à savoir les diverses modes, fussent-elles qualifiées de marginales par les branchés d'alors. S'il s'agit de rappeler ce qui enthousiasma l'underground parisien pendant ces vingt années post-soixanthuitardes, le pari est réussi. Mais les courants qui ne bénéficiaient déjà pas de la une de la presse spécialisée continueront de rester dans l'ombre. Car même dans la contre-culture les conventions perdurent !
Comme dans toute exposition aux vertus encyclopédiques les choix sont évidemment subjectifs, mais ils reflètent néanmoins ici les mêmes orientations qu'à leur émergence. Il faudra donc voir cette accumulation comme une image de la mode, ou faisceau de modes qui si elles ruèrent dans les brancards, n'en étaient pas moins un correct politiquement-incorrect. Ainsi l'accent est mis sur les soirées au Palace ou le punk, alors que le rap, le free jazz et les nouvelles musiques improvisées ensemençaient l'avenir dans des quartiers plus excentrés ! La libération sexuelle ne se limitait pas non plus à l'homosexualité, les espoirs révolutionnaires à des dîners de salon et les arts plastiques au groupe Bazooka. Passé cette forte réserve, l'effet madeleine de l'exposition ne pouvait que me ravir.
Pour commencer, on appréciera qu'elle voit le jour en ce début de siècle où la répression a retrouvé une nouvelle vigueur et où la peur du pire pousse à abandonner toute utopie idéologique au profit d'absurdes stratégies servant toujours les mêmes intérêts. On savourera donc à la fois l'ouverture vers de nouveaux horizons avant retour de bâton, le lâché "bête et méchant", le feu d'artifices créatif, en particulier au début de la période étudiée, la fin annonçant dans la débauche un retour au bercail des fils de la bourgeoisie. Quant aux filles elles sont relativement peu présentes. Peut-être leur faudra-t-il attendre quelques années avant de figurer autrement qu'en militantes de leur cause ? Enfin, critiquer n'est-il pas typique de l'esprit français ? Et à l'image des vingt années présentées, il aurait été logique d'être "critique" plutôt que célébratif, comme le revendiquent les commissaires dans la première étape, Feu à volonté !.


Jean-Luc Godard, dont le projet À bas le cinéma du groupe Dziga Vertov avec Jean-Pierre Gorin est exposé d'entrée, rappelait que "si la culture est la règle, l'art est l'exception". Ainsi Contre-cultures 1969-1989, l'esprit français est une exposition résolument culturelle, comme l'indique son titre. L'art s'y devine parfois néanmoins au détour du labyrinthe, souvent potache, rarement émotionnel. De cette époque où tout pouvait être considéré politique, où la culture était choyée même dans les instances du pouvoir, on s'exclamera, en comparaison de notre actualité grise mine, c'est extra ! comme chantait Léo Ferré, justement en 1969. Mais, à côté de Coluche, c'est Serge Gainsbourg qui entonne la Marseillaise en reggae, face au manuscrit original de l'hymne et au dépôt à l'Arc de Triomphe d'une gerbe "À la femme inconnue du soldat inconnu''. Retrouvant la Grande encyclopédie homosexuelle, trois milliards de pervers, je me souviens de Guy Hocquenghem et Jack Lang au Blue Bar en 1972 à Cannes pour parler du FHAR. Les couvertures de Hara-Kiri, Actuel et Le Torchon brûle me rappellent la communauté que j'avais initiée, où les Mirabelles passaient voir Luc, où les revendications féministes nous renvoyaient à notre machisme inconsciemment inculqué, la phallocratie. Par leurs enfants devenus musiciens de jazz, je ne connaîtrai que plus tard le collectif des Malassis (photo ci-dessous) que ma ville de Bagnolet semble avoir oublié et qui illustre le second chapitre, Interdit/Toléré.


Comment s'approprier ce qu'on a vécu ? Les projections des Maîtres fous de Jean Rouch et de A Movie de Bruce Conner que j'organisai chez Félix Guattari, les concerts à la clinique de La Borde interrompus pour "création d'une surface hystérique", les chasses à l'homme avec Brigitte Fontaine et Pierre Clémenti ne sont que dans ma mémoire. On a chacun notre histoire. C'était avant le formatage. J'étais parfois le seul spectateur dans le cinéma du XIIIe arrondissement où se déroulait un festival Paul Vecchiali. Troisième chapitre, Le bon sexe illustré. On rigolait avec Copi. Au nom du père (1977) de Raymonde Arcier se dresse au milieu de la salle (photo ci-dessous). Je ne connaissais pas les photos en travesti ou bondage de Michel Journiac, Pierre Molinier, Pierre Klossowski, avant que Jean-André m'emmène sur la tombe de Pierre Zucca au Père Lachaise.


Jean-Louis Costes ou Roland Topor provoquent-ils encore ou sommes-nous devenus blasés ? Plus loin, Danser sur les décombres présente un monde de la nuit qui m'apparaissait superficiel et cher, bourgeois en mal de famille, forcément apolitique. La mort en a emportés pas mal, drogue et Sida, d'autres sont devenus de vieux cons. La difficulté de vieillir me saute aux yeux, même si elle n'est pas évoquée. L'exposition d'une époque aussi récente renvoie ceux qui l'ont faite à leurs contradictions de classe, à la fin de certaines utopies. Il aura fallu en inventer de nouvelles, mais la nostalgie les en empêche. Les nombreuses publications de Parallèles Diagonales livre des pistes. Certains ont pris la poudre d'escampette, d'autres choisissent de militer. En face, le chapitre Buffet froid dénonce les conditions de vie exécrables dans les banlieues, les cités dortoirs, les prisons, Métro boulot dodo. Les couleurs de mai 68, rouge et noir, celles chatoyantes du mouvement hippie, étonnamment absentes de l'expo, ont laissé la place à la réaction, les années 80 sont déprimantes. Les couleurs vives ne viennent plus du réel, mais d'un monde de bande dessinée qui le fuit. La dernière partie, Violences intérieures, expose des commandes nouvelles à Kiki Picasso (20 tableaux intitulés Il n'y a aucune raison de laisser le bleu, le blanc et le rouge à ces cons de Français) et Claude Lévêque (Conte cruel de la jeunesse, installation en photo ci-dessous). Bérurier Noir fait la bande-son. Les couvertures alignées des éditions Champ Libre ressemblent à une bande dessinée elliptique, très différente du Pavillon des enfants où se retrouvent Nicole Claveloux, Pierre Desproges, Jean-Christophe Averty, Topor, Brétecher, Francis Masse, Reiser, Cabu, Willem, etc., mais je ne pense que cela soit une incitation à emmener vos mouflets !


En ce qui concerne mes réserves, le catalogue est le meilleur complément de l'exposition. Il ne peut reproduire la masse d'indices présentés à La Maison Rouge, mais y figurent de précieuses analyses. Après une chronologie subjective de l'esprit français due aux commissaires et à Colette Angeli, les textes de Philippe Artières, Thibaud Croisy, François Cusset, Alexandre Devaux, Fabienne Dumont, Julien Hage, Antoine Idier, Nathalie Quintane, Kantuta Quiros et Aliocha Imhoff, Elisabeth Lebovici, Olivier Marboeuf, Peggy Pierrot, Sarah Wilson abordent librement les chapitres de l'exposition sans en suivre la logique scénographique. Il mériterait à lui seul un autre article. Sa vision globale est juste, mais les exemples sont trop conformes à l'histoire officielle. La sacro-sainte adéquation théorie-pratique requerrait de fouiller plus largement l'ensemble des sujets pour vraiment sortir des clous.

Contre-cultures 1969-1989, l'esprit français, La Maison Rouge, jusqu'au 21 mai 2017
Catalogue de l'exposition, 320 pages, 18 x 25 cm, ed. La Découverte et La Maison Rouge, 35€
En haut de l'article, Jacques Monory, Antoine n°6, 1973 © Jacques Monory / ADAGP, Paris 2017. Courtesy de l'artiste. La pochette de notre disque de 1985, Carnage, que nous lui devons était prémonitoire, Explosion d'un avion de ligne sur un tarmac par un groupe de terroristes peinte également en 1973 !

vendredi 24 février 2017

Il était une fois la banlieue


Dans le livret de 24 pages accompagnant le DVD Il était une fois la banlieue où Chris Marker, Jean-Louis Comolli, Alice Diop, Suzanne Rosenberg, Viviane Aquilli, Christiane Lack font les louanges de la réalisatrice Dominique Cabrera, sa monteuse Dominique Greussay évoque "la très belle musique" que j'avais composée en 1992 pour Chronique d'une banlieue ordinaire. J'avais surtout essayé de rester simple, de jouer naturellement, sans artifice, pour que la musique ne semble pas arriver des cieux comme souvent au cinéma. Après son passage sur Canal+ je me souviens avoir été touché que notre facteur m'ait reconnu chantant le thème en même temps que l'orgue. La voix est fausse, mal assurée, fragile. J'avais demandé au guitariste Philippe Deschepper et à l'accordéoniste Michèle Buirette d'interpréter de subtiles variations de cette valse et je serais très curieux d'entendre aujourd'hui les prises qui n'ont pas été retenues au montage.
C'est ce même écart temporel qui donne aujourd'hui tout leur suc aux six films de Dominique Cabrera. Vingt cinq ans ont passé, autant qu'entre la construction des tours du Val Fourré et leur démolition qu'elle filma alors.


En regardant la destruction technique des tours du Val Fourré à Mantes-la-Jolie on ne peut s'empêcher de s'interroger sur celles du World Trade Center. Mais ce sont d'abord les gens qui y ont vécu qu'a filmés la réalisatrice. Quatre mois plus tôt, les anciens habitants arpentent les chambres vides et racontent leur vie passée là. Dans l'intimité de chacune et chacun s'écrit l'histoire de la banlieue à la fin du XXe siècle, une histoire en marge de l'actualité, mais qui depuis n'a pas changé pour les pauvres vivant près de la capitale sans ne rien en connaître. On peut hélas le constater à la projection du film récent d'Olivier Babinet, Swagger. Les deux mondes s'ignorent mutuellement. Il est impossible de ne pas assimiler la déception de ces laissés-pour-compte à la dérive absurde qui en pousse aujourd'hui certains vers l'extrême-droite. En 1981, dans J'ai droit à la parole Dominique Cabrera filmait l'autogestion à Colombes. Comment la banlieue est-elle ensuite devenue « ordinaire » ? L'humanité des personnes qu'elle filme fait écho à leur misère matérielle.
En 1989, Thierry Cabrera, le frère de Dominique, fait la lumière d'un spectacle d'Ahmed Madani, La tour, qui met en scène les habitants avant démolition de leurs appartements et que sa sœur capte un soir sous le titre Un balcon au Val Fourré, présent comme les cinq autres films dans le DVD. À cette occasion je rencontrerai mon ami le scénographe Raymond Sarti qui repeindra en bleu la façade, les balcons, le parking pour le spectacle d'Un Drame Musical Instantané, J'accuse d'Émile Zola, avec un orchestre de 80 musiciens, Richard Bohringer, la chanteuse Dominique Fonfrède, le trio du Drame et Madani à la mise en scène.


Dans ces mêmes lieux Dominique Cabrera y tournera Chronique d'une banlieue ordinaire, avec, en compléments, Réjane dans la tour et Rêves de ville en 1993. La femme de ménage raconte son quotidien de couloir en ascenseur. Un dernier film mêle les discours officiels, le spectacle de la démolition, l'émotion des habitants et les commentaires d'un jeune le jour de la démolition. C'est terminé. Mais que sont-ils devenus aujourd'hui ? La banlieue ne ressemble-t-elle pas toujours à ce no man's land entre la ville et la campagne où rien n'est fait pour les jeunes qui ne peuvent que zoner en bas des cités ? Les urbanistes à la solde des politiques semblent bien les auteurs de cette mise en scène criminelle de la misère.


Après cet ouest délaissé par les pouvoirs publics, Dominique Cabrera migre en banlieue nord pour filmer en 1994 Une poste à La Courneuve, son autre film phare marquant ses débuts avant ses films autobiographiques et ses longs métrages de fiction. Avec toujours autant d'humanité elle enregistre le quotidien d'un bureau de poste de la Cité des 4000 dont les habitants viennent d'abord toucher leurs allocations, rendant responsables les guichetiers qui font pourtant tout leur possible. La misère des sans emplois s'oppose aux petits salariés, fonctionnaires débordés à peine mieux lotis. Tous ces témoignages exceptionnels sont réunis dans le DVD, augmenté d'un entretien filmé par Victor Sicard avec la réalisatrice, le chef op et l'ingénieur du son d'Une poste à La Courneuve, et de l'émission Sur les docks d'Inès Léraud sur France Culture diffusée en 2009.

Il était une fois la banlieue, 6 films de Dominique Cabrera, Documentaire sur grand écran, collections particulières, 25€
→ soirée de lancement du DVD, mardi 7 mars au Forum des images, Paris. Séance suivie d'un débat en présence de Dominique Cabrera et Alice Diop.

jeudi 23 février 2017

L'influence de l'église sur l'urbanisme


Nous l'avons échappé belle avec notre mur orange sanguine et nos volets bleu Klein ! Un ami souhaitait remplacer ses fenêtres à petits carreaux de bois tartignoles par d'élégantes ouvertures en aluminium, mais, manque de chance, sa maison était située dans le périmètre d'une église encore plus mochedingue. Sans spécification, en France le rayon autour d'un des 45000 bâtiments classés ou inscrits monuments historiques est de 500 mètres ! Cette distance n'est-elle pas abusive lorsque les deux édifices sont si éloignés, séparés par quantité de rues où s'élèvent des bâtiments aussi laids les uns que les autres ? Si ces règles peuvent se justifier dans certains cas, elles évitent surtout aux architectes des Bâtiments de France de faire le moindre travail de réflexion, le conservatisme le plus réactionnaire remplaçant le bon sens et balayant la moindre chance de faire évoluer l'urbanisme vers des solutions en osmose avec notre époque. Il semble n'exister non plus aucune perspective écologique chez ces architectes qui n'ont souvent jamais exercé, mais que la loi érige en police de l'urbanisme, d'autant qu'il n'existe aucun moyen de recours auprès de ces ABF, un boulot en or ! On peut toujours saisir le préfet de région en recours gracieux, mais il ne faut surtout pas être pressé, ni croire que c'est du tout cuit. En matière de contentieux, le Conseil d’État est venu confirmer, dans un arrêt du 19 février 2014, qu’aucun recours devant le tribunal administratif n’est possible pour contester la décision de l’Architecte des Bâtiments de France. Ainsi, si vous saisissez la justice pour contester la décision rendue, le tribunal déclarera automatiquement votre recours irrecevable. Cela rappelle vaguement le tout puissant Ordre des Médecins. Il y a vraiment des choses à modifier dans notre beau pays.
L'article L.621-31 du code de l’Urbanisme vous empêche donc de faire la moindre construction, démolition, modification d’aspect, installation d’enseigne, aménagement extérieur au seing du périmètre sans l’autorisation de l’Architecte des Bâtiments de France. Cela inclut donc le remplacement des portes ou fenêtres, leurs formes, couleurs et matériaux, l'installation d’un portail, la rénovation de la toiture, un ravalement de façade ou la création d’un vélux. Avec un rayon de 500 mètres, dans un village ce sont toutes les maisons qui tombent sous la coupe de l'église, à moins que le maire prenne les rennes...
Car les églises construites avant 1905, propriétés des communes depuis la loi du 2 janvier 1907 entérinant la séparation de l'Église et de l'État, font donc partie de ces dispositions. En toute laïcité on croyait être débarrassés de l'influence de l'église, mais elle s'exerce toujours en matière d'urbanisme, quel que soit l'intérêt architectural du monument. L'interdiction des couleurs vives à leur "proximité" est totalement absurde lorsque l'on sait que les églises et cathédrales, comme les temples grecs, n'étaient pas du tout ces bâtisses grises, leurs couleurs chatoyantes extérieures ayant disparu sous les assauts du temps. Je suggère donc de repeindre ces lieux de culte pour qu'ils s'harmonisent avec une nouvelle conception de la ville plus festive et joyeuse. Vu leur nombre et leur fréquentation en baisse depuis leur construction, il serait également judicieux de les réaffecter à d'autres activités que celles du culte, mais je sens déjà la Manif Pour Tous se mettre aussitôt en branle. Notre pays est décidément trop vieux. L'imagination des créateurs y est muselée par des siècles d'orgueilleuse poussière.

mercredi 22 février 2017

Survol subjectif de projections récentes


Les films recensés ici ne m'ont inspiré aucun article. J'ai en outre choisi de ne pas citer ceux que j'ai déjà chroniqués. Ma mémoire n'ayant jamais été fameuse, il en manque certainement des quantités. Pas le temps de m'étendre sur chacun. Une liste donc, sommairement annotée.

À commencer par ceux qui m'ont le plus marqué comme Mademoiselle (The Handmaiden) du Coréen Park Chan-wook qui, derrière ses qualités plastiques, cache un thriller sulfureux des plus réussis, Toni Erdmann, de l'Allemande Maren Ade à qui l'on devait déjà Alle Anderen, comédie dramatique très fine dans les rapports père-fille qui réfléchit deux générations radicalement différentes avec beaucoup de fantaisie, En Chance Til (A Second chance) de la Danoise Susanne Bier, excellent thriller à déconseiller aux femmes enceintes, El Abrazo del Serpiente (L'étreinte du serpent) de Ciro Guerra, aventure coloniale, coproduite par la Colombie, l'Argentine et le Vénézuéla, racontée du point de vue des autochtones, superbe noir et blanc, Hunt For The Wilderpeople, récit initiatique du Néo-zélandais Taika Waititi qui a souvent fait tourner les acteurs maoris dans ses films, j'en ai profité pour regarder ses remarquables courts métrages Two Cars, One Night et Tama tu ainsi que son précédent long, What Do We Do In The Shadows, faux docu hillarant sur les vampires à la manière de The Spinal Tap... Comme tous les films du documentariste anglais Adam Curtis qu'il faut absolument voir, le dernier, Hypernormalisation, est indispensable si l'on veut comprendre dans quel monde nous vivons. Pour les Français je retiens Ma loute de Bruno Dumont qui réussit une nouvelle carrière dans la comédie sociale et Swagger d'Olivier Babinet qui me rappelle le premier film de Bertrand Blier, l'extraordinaire Hitler, connais pas, mais avec des jeunes d'aujourd'hui qui vivent à Aulnay-sous-Bois, la ville où Théo L. a fait l'objet d'une odieuse agression de flics racistes.

J'ai été intéressé par Elle qui n'est pas le meilleur du Hollandais Paul Verhoeven, plus profond qu'il n'en a l'air, Poesía Sin Fin du Chilien Alejandro Jodorowsky, suite de La danza de la realidad, passionnant mais son ego-trip devient fatigant à la longue malgré un travail de recherche plastique exceptionnel, Er Ist Wieder Da (Il est de retour), docu-fiction satirique de l'Allemand David Wnendt dont l'humour et la charge politique ont peut-être échappé aux critiques, Hrútar (Béliers), film très personnel de l'Islandais Grímur Hákonarson où deux frères ennemis s'affrontent dans l'amour de leur troupeau, Merci Patron ! de François Ruffin, à l'origine du mouvement Nuit Debout, les rééditions remasterisées d'une série de films d'Akira Kurosawa (L’ange ivre, Chien enragé, Vivre dans la peur et le bouleversant Vivre), les miniséries The Night Of sur le système juridique américain avec John Turturro, et The Night Manager de Susanne Bier d'après John Le Carré...

Malgré les critiques élogieuses je n'ai pas réussi à terminer de regarder Jackie de Pablo Larraín, portrait d'une femme dont je n'ai rien à faire, morbide et protocolaire, ni Billy Lynns Long Halftime Walk d'Ang Lee qui m'est apparu comme un Clint Eastwood avec un zeste de culpabilité du politiquement correct. Si c'est pour faire le énième portrait du héros américain, autant prendre Sully qui ne s'embarrasse pas de fausses pudeurs. Quitte à se coltiner des grosses daubes hollywoodiennes, je préfère m'amuser des effets spéciaux de Dr Strange ou Fantastic Beasts And Where to Find Them, charmante HarryPotterie. Même chose avec le prévisible Manchester By The Sea de Kenneth Lonergan dont le scénario ne peut flatter que la bonne conscience bourgeoise catholique. Dans le genre, on peut ajouter Hidden Figures (Les figures de l'ombre) de Theodore Melfi qui rappelle la participation déterminante de trois scientifiques noires américaines au lancement d'Apollo 11 vers le Lune en 1969, Queen of Katwe de l'Indienne Mira Nair qui évoque la jeune championne ougandaise d'échecs Phiona Mutesi issue d'un bidonville, ou la success story Joy de David O. Russell. La vengeance violente à l'œuvre dans The Birth of A Nation de l'Afro-Américain Nate Parker est aussi peu politique (je préfère encore Mandingo de Richard Fleischer ou Django Unchained de Tarentino !). Même Captain Fantastic de Matt Ross, de prime abord sympathique, m'apparaît en définitive très formaté. Hell or High Water de David Mackenzie a beau se passer dans un milieu social particulier, les délogés des spéculations immobilières américaines, c'est tout de même bien mou. Dans le genre western je préfère The Homesman de Tommy Lee Jones qui avait déjà réussi The Three Burials of Melquiades Estrada (Trois enterrements). Quant au remake des 7 mercenaires (The Magnificent Seven) on laisse tomber ! Il y a pire, tels les biopics consacrés à Miles Davis (Miles Ahead) et Chet Baker (Born To Be Blue), comme si jazz rimait forcément avec drogue, ou encore Allied, Florence Foster Jenkins, Passengers, Les premiers les derniers, Chocolat qui ne justifient aucun commentaire. On pourra toujours se distraire avec A Bigger Splash, Girl on The Train (mais ça ne vaut pas le bouquin), Train to Busan, Arrival (tout de même très faible en comparaison des précédents de Denis Villeneuve), The Accountant, mais Nocturnal Animals m'a semblé vain et très violent. Côté français je retiendrai les thrillers Diamant noir d'Arthur Harari et Maryland de Alice Winocour. J'ai toujours du mal avec Bertrand Bonello dont les films ne sont jamais à la hauteur des ses ambitions, boursoufflés par une sorte de prétention snob qui leur retire toute crédibilté. Dommage ! La série Westworld n'atteint pas non plus ses objectifs, on sait tout depuis le premier épisode et ça piétine dans un suspense artificiel. Mieux vaut la suédoise Jour polaire (Midnattssol) de Måns Mårlind et Björn Stein autour des Samis qui rappelle The Bridge (Bron) par son tueur en série, une figure récurrente du polar en ce début de siècle agonisant, ou Le bureau des légendes qui se tient plutôt bien pour une française. J'aime bien ses deux saisons, d'autant que je passe souvent devant la Piscine où sont regroupés tous les services d'espionnage et contrespionnage Porte des Lilas !

Si l'on perd rarement son temps avec les documentaires, il y en a peu dont le style se confond avec le sujet. Je me suis tout de même instruit en regardant l'éloquent Poutine, un nouvel empire de Jean-Michel Carré, Pornocratie d'Ovidie, Ni dieu, ni maître, une histoire de l'anarchisme de Tancrède Ramonet, une anthologie en trois DVD du Cubain Santiago Alvarez, Hergé à l'ombre de Tintin de Hugues Nancy, The Beatles Eight Days A Week de Ron Howard, Hitchcock Truffaut de Kent Jones. Et j'ai cultivé ma cinéphilie avec les films provoquants et très personnels du Grec Nikos Papatakis, les mouvements de caméra virtuoses du Hongrois Miklos Jancso, les dessins animés soviétiques des sœurs Brumberg, et dans le désordre qui caractérise ce billet Half Nelson de Ryan Fleck, Bonjour Tristesse d'Otto Preminger, Propriété privée de Leslie Stevens, etc. Etcétéra parce que cette énumération est bien fastidieuse, sachant qu'en la matière ma liste ne plaira pas à tout le monde, la perception du cinéma jouant essentiellement sur l'identification de chacun avec les personnages et les sujets projetés sur l'écran.

mardi 21 février 2017

Psoas, le muscle diabolique


33. Dites 33. 33 ans depuis le premier grand cri japonais ! 33 ans de lumbago. On m'a dit que j'en avais plein le dos. J'ai changé de vie. Entre temps j'ai vu des médecins, des kinés, des ostéos, des réflexologues, des masseuses, des rebouteux, des sorcières, des acuponcteurs, des ophtalmos, des magnétiseurs, j'ai fait des radios, des IRM, de la gymnastique, du taï-chi, j'ai avalé des antalgiques, des anti-inflammatoires, des relaxants, lu des livres, fumé des pétards, changé de matelas, pris des vacances, tenté l'EMDR, je me suis allongé sur le dos... Avec le temps et mes exercices matin et soir j'ai résorbé la hernie discale, mais tous mes disques lombaires sont écrasés. On me dit pourtant que je ne fais pas le poids. J'ai maigri, me suis recoincé, regrossi, j'ai fait du yoyo, du vélo, de la marche à pied, mangé moins, mais rien n'y fait, devant la peur de la douleur je me mets en baïonnette, les jambes ne sont plus en face du tronc, rien de grave, juste impressionnant... On m'a parlé du "muscle poubelle", le psoas sur lequel viendraient se fixer les toxines à cause de la proximité des reins, mais il paraîtrait que c'est du flan. Ce serait simplement la proximité du colon. Si l'un ou l'autre s'enflamme, il y aurait contagion. Est-ce plus juste ? Je l'ignore. Le psoas part de la hanche, traverse l’abdomen et s’attache profondément sur les cinq vertèbres lombaires. Aïe ! Certains prétendent que le psoas réagit au stress émotionnel et aux peurs. Aux dernières informations, une position assise trop longue le raccourcirait et produirait cambrure et lumbago. Même origine pour le point de côté. Il faut donc l'étirer. Allongé, je laisse tomber ma jambe gauche en attrapant mon genou droit. Jusqu'ici j'avais évité les génuflexions. Je ne suis pas croyant. Peut-être que quelques prières à Cinq-lombaires auraient eu raison de ma récurrence ? Je respire, me redresse doucement, le soleil revient, maudit psoas !

lundi 20 février 2017

Les arts insoumis, la culture en commun


Parmi la quarantaine de livrets thématiques de la France Insoumise, je me suis penché évidemment plus particulièrement sur celui consacré à la culture. J'y apporte quelques humbles commentaires, mais le mieux est de le télécharger (c'est gratuit !). Je reviendrai ultérieurement également sur celui sur le numérique...
1. La culture
• Étendre la gratuité dans les musées et les autres lieux culturels recevant des subventions publiques nationales, à commencer par un accès gratuit tous les dimanches • Atteindre 15 % de fréquentation de publics scolaires dans les établissements culturels nationaux. • Sortir des indicateurs strictement quantitatifs tels que les recettes et imposer la diversité sociologique et géographique des publics, à commencer par les visites scolaires. • Intégrer les droits d'auteur dans le domaine public, après le décès des auteur·e·s pour financer la création et les retraites des créateurs.
Je suis ennuyé par ce dernier point. Que l'on réétudie les conditions d'héritage me semble indispensable pour réduire l'écart entre riches et pauvres, et ne pas laisser les plus puissants devenir toujours plus influents. Il s'agirait donc de plafonner. Mais il est injuste de s'attaquer aux entrepreneurs d'œuvres de l'esprit face à ceux qui s'enrichissent sur des valeurs matérielles. À Victor Hugo (discours de Lyon) il faut opposer l'initiative de Beaumarchais ! Les droits d'auteur sont légués à ses ayant droits comme n'importe quel héritage. Que cela favorise la création et les retraites des créateurs est une bonne intention, mais cela ne peut se concevoir sans remettre en cause l'héritage dans son ensemble. Cette proposition est très maladroite. Par contre on pourrait limiter le droit moral des ayant droits post mortem pour les empêcher de bloquer la circulation des œuvres et d'exiger des sommes fantaisistes non statutaires.
2. Faire la révolution citoyenne dans la culture
• Abroger les niches fiscales à l’avantage des mécènes et les autres règles sur mesure faites au profit des fondations privées telles que la fondation Pinault à la Bourse du commerce ou la fondation Louis Vuitton au bois de Boulogne. • Intégrer les œuvres d’art dans l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), et intégrer les revenus tirés de leur vente au barème usuel de l’impôt sur le revenu. • Mettre fin à l’intrusion de la finance dans les conseils d’administration des établissements culturels et lui substituer une nouvelle gouvernance démocratique qui renforcera le rôle des représentant·e·s des employé·e·s et associer des représentant·e·s des publics jusque dans la nomination de la direction et dans les orientations stratégiques. Assurer la parité dans les conseils d’administration et féminiser les postes de direction. • Rendre effectif un principe de non-cumul des mandats culturels, y compris dans le temps. • Interdire le sponsoring privé dans les services publics et les événements culturels et atteindre une part de 10 % de budgets participatifs dans les crédits locaux consacrés à la culture
Cela demande évidemment un retour d'investissement de l'État, comme en 1981 lorsque la culture bénéficia de 1% du budget national. Cette remarque s'applique à nombreux points qui suivent évidemment.
P.S.: il en fut évidemment question hier dimanche dans le chiffrage de la campagne, plus de 5 heures d'émission directe sur YouTube, un évènement unique dans l'histoire des présidentielles.
3. Rendre la culture accessible
• Jumeler tous les établissements (écoles, collèges, lycées) avec des établissements culturels, dans des projets profitant à tou·te·s les élèves et encourager les pratiques artistiques collectives ; favoriser la médiation socioculturelle dans ces établissements. • Mettre les associations au cœur de l’action culturelle sur tout le territoire dans l'espace public et leur donner les moyens financiers adaptés afin de faire reculer les déserts culturels. • Favoriser et promouvoir la médiation culturelle dans l’ensemble des lieux patrimoniaux et institutions culturelles subventionnés (musées, orchestres, théâtres, etc.), notamment en leur faisant obligation de recourir à des guides conférencier·e·s diplômé·e·s et titulaires de la carte professionnelle. Encourager, dans les critères de subvention, la co-construction de la programmation culturelle avec les publics. • Défendre le maillage national des bibliothèques et médiathèques, garantir leur budget face aux choix financiers ou idéologiques de certaines collectivités territoriales et embaucher des professionnel·le·s pour assurer de plus larges ouvertures. • Accroître les effectifs des professeur·e·s spécialisé·e·s dans l’enseignement artistique et dans l’Éducation Nationale (notamment par le maintien ou la réouverture des C.H.A.M., Classes à horaires aménagés musique).
C'est toujours la question de la fréquentation des lieux culturels par les classes défavorisées qui pensent que cela ne leur est pas destiné, même lorsque c'est en bas de chez eux. Il faudra faire preuve d'imagination. Je me souviens qu'avant son éviction du festival Sons d'Hiver Michel Thion programmait toujours en première partie un ensemble local, amateur ou professionnel. C'est un exemple parmi d'autres.
4. Affirmer le droit à l’éducation culturelle et artistique
• Transformer l’enseignement artistique supérieur en véritable service public national : sortir les écoles d’art et les conservatoires de musique et de danse du statut inadapté d’Établissement public de coopération culturelle (EPCC). L’État définira les programmes et les règles applicables à leurs personnels. • Renforcer les conservatoires de musique, de danse et d’art dramatique, afin de permettre l’accès de tou·te·s à un enseignement de qualité. Maintenir l’accès aux cours individuels. Ouvrir de nouveaux conservatoires pour permettre à chacun·e, quel que soit son âge, de s’inscrire, avec prêt gratuit d’instruments. • Mettre fin à la marginalisation de l’enseignement artistique. Faire de l’éducation artistique dans toute sa diversité et dans ses trois dimensions (fréquentation des œuvres, pratique, enseignement artistique) une vraie priorité éducative de la maternelle à l’université, jusqu’en entreprise. • Développer une filière de la création numérique dans l'enseignement professionnel.
Dès le cours préparatoire laisser les questions se poser avant d'imposer les réponses. Adjoindre des professionnels en activité aux professeurs de profession comme cela est pratiqué dans les grandes écoles...
5. Protéger les artistes, étendre le régime des intermittents
• Garantir la liberté de création et de diffusion des œuvres d’art contre toute tentative de censure.• Pérenniser le régime des intermittent·e·s du spectacle sur la base de l’accord du 28 avril 2016. Il est une garantie de la liberté de création de celles et ceux qui y cotisent. • Étendre ce régime aux professions artistiques précaires, dont les artistes visuels. • Titulariser les précaires et les permittent·e·s du service public de la culture et de l’audiovisuel. Intégrer les emplois actuellement soustraits par les établissements culturels. • Garantir la pérennité des ensembles et orchestres permanents, l’emploi statutaire, conditions de la mise en œuvre des missions et des cahiers des charges. • Soutenir l’extension des maisons des artistes comme centres de ressources nationaux et mutualisés.
Étendre le régime des intermittents du spectacle aux professions artistiques précaires, dont les artistes visuels, montre que l'on peut ajuster par le haut au lieu d'attaquer stupidement les mieux protégés. Il en est de même des droits d'auteur qui doivent être étendus à des professions particulièrement exploitées. Il ne s'agit pas de bloquer ou compliquer les contrats, mais de rémunérer justement les créateurs. Les graphistes et photographes attendent cela depuis longtemps.
6. Bannir la pollution publicitaire et étendre l’affichage artistique et associatif. Nous lutterons contre l’invasion publicitaire dans les services publics et sur les bâtiments publics, dans les rues, aux abords des villes et des villages. Voici plusieurs actions prioritaires :
• Mettre fin à l’affichage publicitaire sur les bâtiments publics et au « nommage » de lieux culturels publics, tel le AccorHotels Arena. • Interdire les écrans publicitaires numériques et connectés, vrai scandale écologique et déontologique, dans les lieux et transports publics. • Créer un fonds d’appui aux communes qui transforment les panneaux publicitaires en espaces d’affichage culturel et d’expression libre avec une stricte application de l’usage à but non lucratif. • Réguler la publicité, notamment aux entrées de villes et de bourgs aujourd’hui défigurées.
Il faut aller plus loin en repensant totalement l'urbanisme, resté à l'état de concept dans nos villes. Pourquoi sont-elles si tristement grises ? Redonnons-leur de la couleur ! Cela s'applique au mobilier urbain, aux automobiles, etc. Privilégions les initiatives individuelles en leur donnant un cadre élargi. Trop à dire sur la question, mais cela implique d'intégrer le design sonore dans l'univers urbain. De planter des arbres, des jardins partout où c'est possible, etc.
7. Préserver le patrimoine, construire pour le futur
• Faire appliquer le « 1 % artistique » (dans la dépense de construction), prévu par la législation, à tous les bâtiments publics construits, rénovés ou ayant changé d’affectation. L’étendre aux grandes constructions privées. Le prendre en compte dès le concours d’architecture par obligation d’appels publics à candidatures. Faire figurer au cahier des charges de l’architecte et de l’artiste le lien avec la société et l’environnement social. • Renationaliser le mécanisme de prévention archéologique et permettre une application effective de la loi de 2001 sur l’archéologie préventive, sous la direction de l’INRAP. • Investir enfin dans les Archives Nationales pour garantir leur conservation et leur partage avec le public. • Généraliser l’intervention d’un architecte dans la construction de lotissements.
Voir la remarque au-dessus !
8. Soutenir les petites entreprises culturelles indépendantes
• Renforcer les aides à la présence dans tout le pays des salles indépendantes de concert et de cinéma, ainsi que des petits commerces culturels indépendants, avec : - l’augmentation du soutien aux librairies (ADELC), disquaires (CALIF), cinémas indépendants (AFCAE), en particulier en matière de formation, de reconnaissance et de valorisation des diplômes, d’aide à l’implantation ; - l’encadrement des loyers là où c’est nécessaire ; le financement par l’État d’un programme Culture à Loyers Modérés ; - des aides et prêts à 0 % pour permettre aux lieux de se mettre en conformité avec la loi (isolation, accessibilité aux personnes à mobilité réduite…) ; - des instances de médiation culturelle locales pour limiter les conflits d’usage, par exemple pour les nuisances sonores. • Soutenir les structures de création et de production : - ouverture de lieux de travail pour tou·te·s les artistes ; - financement de la structuration des petites compagnies de spectacle vivant, chœurs et orchestres, danse, cirque, écriture ; soutien aux lieux de diffusion de la création contemporaine ; - création d’un CNJV (Centre national des jeux vidéo) qui disposera de mécanismes d’aide sur le modèle du Centre national du cinéma et de l’image animée (avances sur recettes…) ; - renforcement du soutien à la bande dessinée par le CNL (Centre national du livre) ; - création, qui n’a que trop attendu, du Centre National de la Musique.
En 1982, lorsque les compagnies implantées reçurent le soutien de l'État le budget était clos. Les années suivantes, les subventions reconduites empêchaient les nouvelles compagnies d'être aidées. Un contrôle sérieux est donc indispensable pour sécuriser les compagnies dans la durée sans les laisser pour autant sans contrôle de résultat. C'est un sujet épineux, car elles ont besoin d'être sécurisées dans la durée. Les résultats à considérer ne sont pas forcément économiques ou dans la fréquentation. C'est vraiment à étudier. Le système actuel est d'une grande perversité...
9. Défendre l’exception culturelle
• Défendre de façon intransigeante la langue française dans toutes les instances européennes et internationales. Soutenir l’expression artistique et culturelle francophone tant en France qu’à l’étranger. • Sortir la culture du champ des échanges marchands, tant à l’UE qu’à l’OMC, dans la lignée de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l’UNESCO de 2005. • Étendre l’exception culturelle à la sphère numérique. • Développer une vraie coopération culturelle non marchande et émancipatrice, à l’opposé de la vente internationale de franchise (ex. : Louvre/Abou Dhabi). • Renforcer le réseau des Instituts français à l’étranger, gravement déstructuré et affaibli depuis deux quinquennats. Ce soutien accru concernera aussi les Écoles françaises à l’étranger (Rome, Athènes, Le Caire, etc.) ainsi que les missions archéologiques.
Il faut créer une nouvelle Europe, non celle du fric, mais celle des cultures, et étendre cet échange au monde entier. Il est un espéranto autre que de la finance. Je n'ai pas non plus oublié la phrase de Jean-Luc Godard : "La culture est la règle, l'art est l'exception."
10. Faire reculer l’emprise des multinationales culturelles
• Créer une médiathèque publique en ligne, avec une plate-forme d’offre légale en ligne de musique, de films et de contenus culturels. • Maintenir la loi de 1981 sur le prix unique du livre, sanctionner les abus (frais de transport offerts…) et supprimer toutes les aides fiscales ou indirectes aux mastodontes du commerce en ligne tels Amazon, Fnac.com, etc. • Diriger les marchés publics de livres (commandes de collectivités et de bibliothèques) vers les librairies indépendantes. • Mettre en place un prix unique pour les supports de musique, de jeux vidéo et de films. • Faire du·de la médiateur·trice du cinéma une véritable autorité de régulation, avec pouvoir de sanction. • Mettre à jour les dispositifs d’aides publiques existants pour redonner la priorité à la solidarité et à la diversité, et mettre un terme aux aides favorisant la concentration. • Créer un centre national du jeu vidéo, sur le modèle du centre national du cinéma, pour financer les créations françaises.
Les détracteurs du programme des Insoumis qui ne peuvent pas voir Jean-Luc Mélenchon en peinture invoquent que "les programmes sont des catalogues, mais qu'adviendra-t-il concrètement". Ne voient-ils pas que le seul fait de soulever toutes les incohérences du système actuel mérite que nous retroussions nos manches et rêvions d'un monde meilleur ? Dans un second temps, il s'agit dores et déjà de trouver les moyens d'appliquer ce programme. Il en est ainsi de tous les programmes. Quand on pense au gâchis d'argent utilisé pour des causes inutiles ou scandaleuses il s'agira d'affecter justement le budget à des causes indispensables pour que notre société se réveille de sa longue maladie.

vendredi 17 février 2017

Suzan Pitt, les couleurs du rêve, un cauchemar animé


Si leur place est encore largement minoritaire dans les festivals de films d'animation, les femmes sont tout de même plus présentes que dans le long métrage de fiction ou le documentaire. Elles ont en effet investi depuis longtemps le cinéma d'animation à la suite des pionnières, l'Allemande Lotte Reiniger, reine du théâtre d'ombres, l'Américaine Claire Parker, inventrice de l'écran d'épingles avec son mari le Russe Alexandre Alexeïeff, ou les prolixes Soviétiques sœurs Brumberg... Les plus connues, dont nombreuses Canadiennes, sont Clorinda Warny, Caroline Leaf, Evelyn Lambart, Francine Desbiens, Michèle Cournoyer, Lynn Smith, Torill Kove, Hélène Tanguay,Wendy Tilby et Amanda Forbis, Marcy Page, Michèle Lemieux, Martine Chartrand, Janet Perlman, mais il y en a beaucoup d'autres comme la Lituanienne Signe Baumane dont j'adore les Teat Beat of Sex.


Re:Voir publie un recueil des plus récents films de l'Américaine Suzan Pitt, artiste peintre qui utilise différents procédés pour réaliser ses desseins corrosifs où l'humour et l'autodérision vont de paire avec une virtuosité exceptionnelle, en réalité banale chez la plupart des réalisateurs d'animation qui doivent jouer de patience masochiste pour arriver à leurs fins. J'ai l'heureuse surprise de découvrir la musique de Richard Teitelbaum et Steve Lacy sur le multiprimé Asparagus (1979, 20') où les allusions phalliques explosent en couleurs éclatantes et où chaque image donne naissance à la suivante, sorte de "marabout, bout de ficelle" infini ! De même, Roy Nathanson des Jazz Passengers accompagne le sombre et dépressif Joy Street (1985, 24') jusqu'à ce qu'un bestiaire et la végétation luxuriante des jungles du Guatemala et du Mexique traversées par Suzan Pitt redonnent espoir à l'héroïne au bord du suicide. Le médecin alcoolique de El Doctor (2006, 23') s'associe à une gargouille, tombe amoureux d'une femme-cheval, invoque Santa Esmeralda, la Sainte du Vide, dans cette histoire glauque suscitée par une visite médicale de la réalisatrice à Mexico ; écrit avec son fils, Blue Kraning, ce premier film avec dialogues depuis ses débuts en 1975, ayant recours aux peintures naïves mexicaines, simule une seconde chance face à la vieillesse, évocation de l'interprétation hispanique tordue du catholicisme. Là encore, la vie reprend ses droits sur la mort, dans un combat inégal où le succès n'est qu'illusion. Inspiré par un cendrier et H.P.Lovecraft, le monochrome Visitation (2012, 12') rappelle certaines tendances actuelles de la bande dessinée, gothique et romantique, où les corps difformes nous plongent dans un cauchemar jungien ; la peinture à main levée s'y transforme en suivant une élégie pour violoncelle et piano de Jules Massenet. Très différent des autres, Pinball (2013, 7') accumule de manière stroboscopique, sur le Ballet mécanique de George Antheil, des tableaux rappelant l'overdose dont nous sommes parfois victimes à la sortie des expositions d'art contemporain. Le documentaire Suzan Pitt: Persistence of Vision réalisé par Blue et Laura Kraning est un précieux témoignage des méthodes (animation traditionnelle, pâte à modeler sable, grattage de la pellicule, froissage, etc., qui souvent ici s'additionnent) et des inspirations de la réalisatrice et de son équipe pour les cinq films réunis dans ce fabuleux DVD.

→ Suzan Pitt, Animated Films, DVD Re:Voir, 16,92€, sortie le 15 mars 2017

jeudi 16 février 2017

Chinese Man, de surprise en surprise


Chinese Man pourrait être l'équivalent français des Danois Den Sorte Skole, tant leurs références échappent à toute classification et genre de musique particulier. N'hésitant pas à sampler des disques très anciens, musiques populaires du monde entier avec une préférence pour le jazz des années 20 ou l'Inde, ils donnent une nouvelle jeunesse au passé tout en affirmant la continuité historique qui transforme l'actualité en fiction. La jungle d'alors ou le be-bop nous font sautiller de la même manière que le dub ou le reggae. Mais, bien que classés hip-hop, leurs rythmiques font souvent penser au trip-hop de Massive Attack, conférant une certaine unité à cette variété internationale d'une grande inventivité.
Épiçant leurs pièces d'extraits cinématographiques ou radiophoniques, comme je le faisais avec Dagon fin des années 60 et dont Un drame musical instantané s'était ensuite fait une spécialité, ils en soignent l'aspect dramatique, avec beaucoup d'humour, mais sans le regard critique sur la société qui caractérise les meilleurs groupes de rap américains. Composé des DJs Zé Mateo et High Ku, et du beatmaker SLY, le trio Chinese Man invite rappeurs et chanteurs à se joindre à leurs aventures hautes en couleurs. Quelle différence y a-t-il entre le scat de Cab Calloway et le raggamuffin ? Leur fantaisie débridée me fait penser à un bal expérimental où j'oserais me risquer sur la piste, oubliant ma timidité et mon lumbago. De surprise en surprise tout semble en effet possible, sans que leurs collages surréalistes ne soient jamais iconoclastes.
Shikantaza, le nouvel album des Aixois cinq ans après Racing With The Sun, est encore une invitation au voyage, conçue comme un retour aux sources du groupe, entre Marseille, Bombay et leur repère ardéchois. De la trempe d'Outkast ou Shabazz Palaces, ils pulsent et vous flanquent le vertige. Les voix sont transposées dans le grave, les rappeurs chantent en anglais, les intermèdes publicitaires sont souvent en français, les paysages exotiques et les chœurs hispanisants. Shikantaza (japonais, 只管打坐) est un terme utilisé dans l'école du bouddhisme zen sōtō qui peut être traduit par « seulement s'asseoir » ou « être assis sans rien faire » et qui décrit l'attitude à adopter lors de la méditation zazen. Mais la musique facétieuse de Chinese Man est loin de respecter le dharma du bouddha, plus encline à lorgner du côté de Bollywood en vous entraînant dans la danse/transe. Emballé par cette découverte, j'enchaîne carrément leurs trois volumes de Groove Sessions, Once Upon A Time, Sho-Bro, Remix with the Sun et leur rencontre avec le rappeur sud-africain Tumi. Shikantaza reste mon favori !Exercices de style ou tangentes expérimentales, la pop donne ici ce qu'elle a de meilleur.

→ Chinese Man, Shikantaza, CD ou 2 LP ou Internet, Chinese Man Records

mercredi 15 février 2017

Legion, encore plus dingue que Fargo !


Nombreux amis en manque de série TV me demandent de leur en recommander une en cette période de disette où les nouvelles saisons de Game of Thrones, Twin Peaks, The Americans, No Offence, etc., n'ont pas encore débuté... Une petite recherche mène mes doigts au premier épisode de Legion que je télécharge sans savoir de quoi il s'agit vraiment. Surprise, le premier épisode qui vient d'être mis en ligne est ouf de chez ouf, me faisant un peu penser à Utopia ! La série, inspirée des Marvel Comics, ne ressemble à aucune des adaptations que le cinéma enchaîne à la queue-leu-leu. Le montage adopte la schizophrénie vertigineuse du héros David Haller confondant le passé et le présent, mais surtout le rêve et la réalité. Les images explosent sur l'écran tandis que le spectateur est happé par l'énigme dont l'explication est livrée à la fin de l'épisode. L'hôpital psychiatrique où il est enfermé est le théâtre des hallucinations du jeune homme qui y rencontre l'âme sœur, mais tous les détails que j'aimerais livrer risquent de gâcher votre plaisir. Comme je suis stupéfait par l'imagination de l'auteur et la maestria de la réalisation, je découvre qu'il s'agit de Noah Hawley à qui l'on doit déjà les deux saisons de Fargo !


Après les audaces incroyables de la seconde saison de Fargo, Hawley a choisi d'écrire un scénario encore plus dingue en s'échappant du style original des X-Men, évitant le remake en construisant ses propres variations. Le sujet lui offre d'imaginer des scènes totalement inattendues. Confiante, la chaîne FX lui a laissé la liberté de créer comme il l'entendait, ce qui donne toujours les meilleurs résultats. Pour trouver son style, ses références furent à la fois à Orange mécanique, 2001, l'Odyssée de l'espace et Eternal Sunshine of the Spotless Mind ainsi que certains films de David Lynch, Terence Malick ou Paolo Sorrentino ! Autant que possible il choisit de réaliser les effets spéciaux à la caméra plutôt qu'avoir recours à l'informatique.
Pour la musique, il demande à Jeff Russo de s'inspirer de Dark Side of The Moon du Pink Floyd. Hawley a préparé Dan Stevens qui tient le rôle principal en composant une play-list de 160 morceaux dont Happy Jack des Who et She's Like A Rainbow des Rolling Stones que l'on entend dès les premières minutes, du sound design expérimental français (devinez qui !), des gens qui hurlent dans des citernes, Pink Floyd (Rachel Keller, déjà présente dans Fargo comme Jean Smart, qui joue la petite amie de Stevens, est appelée Sydney "Syd" Barrett en référence au fondateur du groupe, démissionnaire pour cause de maladie mentale)... Hawley soulève évidemment la question de la folie dans son décrochement du réel, mais aussi par sa fonction sociale, et le complot n'est évidemment jamais loin, préoccupation récurrente de ceux qui n'acceptent pas le story-telling de ceux qui dirigent la planète...

mardi 14 février 2017

Le zapping Internet


On se moquait des accros à la télé qui zappaient à tout bout de champ, mais qu'en est-il de celles et ceux qui sont rivés à leur mur FaceBook ?
Lorsqu'elle était enfant j'avais interdit à ma fille de regarder la télévision sans avoir auparavant choisi son programme sur Télérama. C'était une manière vicieuse de l'obliger à lire, ce qu'elle avait du mal à faire à l'époque, et de l'empêcher de regarder n'importe quoi. Les images qui bougent ont quelque chose d'hypnotisant. Elle n'avait pas non plus l'autorisation de regarder le matin, et il était hors de question qu'elle soit couchée après 21h. La première raison était de nous empêcher de démissionner le matin quand il n'y avait pas école, la seconde de me permettre d'assister au début du film débutant le soir sur Canal. Nous jonglions entre nos intérêts et les siens, ménageant sa liberté en fonction de mon égoïsme. J'avais appris de mes propres parents que plus on accordait de liberté aux enfants plus on s'en octroyait, et que cette liberté les faisait grandir plus vite que les autres. Pour autant, je remarque que les gosses qui n'avaient pas la télé chez eux acquéraient plus facilement une personnalité, loin du formatage. Cela n'a pas changé. Ceux de l'immeuble qui étaient dans ce cas en profitaient évidemment pour s'en repaître les après-midi où ils descendaient chez nous ! Lorsque nous eûmes un magnétoscope, Les parapluies de Cherbourg, Les demoiselles de Rochefort ou Peau d'âne tournèrent en boucle. Les enfants aiment voir et revoir jusqu'à plus soif. Je me battais chaque fois pour leur faire découvrir un nouveau film en choisissant de préférence ceux que j'appelle initiatiques... Elsa a fini par aimer lire, au début grâce aux polars de Fred Vargas je crois, et cela fait des années que, comme nous et la plupart des jeunes, elle ne regarde plus la télé, ce qui lui a permis de forger son propre esprit critique...
Penser par soi-même est toujours aussi nécessaire, les manipulations d'opinion se déclinant à l'heure des informations, sous le poids des sondages truqués et du formatage des consciences selon les consignes du politiquement correct. C'est la raison pour laquelle je lis toujours ce qui concerne mes articles en cours après les avoir écrits, plutôt qu'avant comme on l'apprend à l'université. Je préfère être lacunaire et personnel qu'exhaustif et référentiel.
Aujourd'hui les mœurs ont changé, pas les mauvaises habitudes. La plupart d'entre nous vivons sous perfusion Internet. Je pars du point de vue que vous avez pris le temps de lire ces lignes ;-) Les liens hypertexte favorisent une forme de sérendipité, nous faisant découvrir une infinité d'informations auxquelles nous n'aurions pas pensé, sauf à dévorer systématiquement quelque encyclopédie universelle. Un réseau bien géré sur FaceBook peut produire le même résultat. Mais lorsque je vois le temps passé par certains et certaines à zapper sans discontinuer d'un sujet à l'autre, partageant des dizaines de posts tout au long de la journée, je m'inquiète quant à leur manière de gérer le réel. Cette lecture, souvent interactive, crée une nouvelle forme de passivité et d'éclatement du temps. Se focaliser sur un sujet particulier leur devient de plus en plus difficile. Cela produit même chez certains l'illusion de travailler. De même qu'il est indispensable de choisir ses "amis", anticiper ses choix me semble une condition sine qua non de la constitution de chacun. Se structurer exige d'organiser son temps. Or ce nouveau zapping compulsif m'apparaît comme le symptôme d'une fuite. Cette immersion sociale virtuelle peut renfermer sur soi-même en donnant l'illusion d'appartenir à l'ensemble. Est-ce une façon d'accepter la brutalité du quotidien qui semble à beaucoup inéluctable et déprimant ? C'est pourtant en sortant de chez soi et en se groupant que nous avons une chance de renverser cette société inique dont le cynisme est le moteur. J'écris évidemment depuis mon clavier, calfeutré dans une maison bien chauffée, mais où les visites sont heureusement légion !

lundi 13 février 2017

Le choc de Walerian Borowczyk


Le coffret collector DVD/Blu-Ray consacré à Walerian Borowczyk est choquant à plus d'un titre, d'autant qu'il rassemble 7 longs métrages, 14 courts métrages, quantité de bonus documentaires et 2 livres ! Le choc vient d'abord de la qualité et la variété des films d'animation réalisés à partir de 1959 par celui qui commença par dessiner des affiches en Pologne. Son influence fut considérable, notamment sur les animateurs Jan Svankmajer et les frères Quay, voire Chris Marker qui cosigna Les astronautes. Le second choc vient de l'originalité des premiers films de fiction, sortes de théâtres de marionnettes surréalistes où l'on reconnaît des affinités avec Buster Keaton et Luis Buñuel, mais aussi l'héritage des pionniers Charles-Émile Reynaud, Émile Cohl, Georges Méliès. Enfin, le cinéaste est surtout connu pour ses films aux provocations érotiques qui suscitèrent la censure dans différents pays, et "Boro" n'y va pas de main morte. Ajoutez à cela des partitions musicales signées Bernard Parmegiani, l'invention de machines à musique en bois inouïes, un souci esthétique du moindre détail et vous découvrirez une œuvre unique et audacieuse qui continuera longtemps à faire scandale. Certains y voient une œuvre misogyne, d'autres la libération des femmes, mais il est certain que Borowczyk appuie là où cela fait mal, délicieusement mal ou cruellement du bien ?

Ses films d'animation sont de petits chefs d'œuvre y compris l'extraordinaire long métrage Le théâtre de Monsieur et Madame Kabal (1967) rappelant Topor et Beckett. Ses autres courts métrages, toujours aussi personnels, tiennent plus du cinéma expérimental. La poésie cruelle de Goto, l'île d'amour (1968) ne cache pas sa charge contre le totalitarisme, ce qui n'échappera ni à la censure polonaise stalinienne ni à celle de l'Espagne franquiste. Pierre Brasseur y est un Goto III ubuesque... Blanche (1971) est un drame romantique qui se déroule dans un Moyen Âge des plus scabreux. Michel Simon, Georges Wilson, Jacques Perrin sont nettement plus monstrueux que les bêtes qui rodent d'un film à un autre, et Ligia Branice, femme et muse du réalisateur, joue de manière quasi bressonienne... L'érotisme déjà présent dans ses films précédents explose avec les Contes immoraux (1974) où Fabrice Lucchini est l'un des personnages d'André Pieyre de Mandiargues et Paloma Picasso dans le rôle de la Comtesse Bathory, et le plus provoquant, La bête (1975). Rien à voir avec la pornographie des gonzos du X. Le désir y est extrêmement dérangeant : fellation cosmique, masturbation transcendentale, lesbianisme sanglant, inceste papal, fantasme zoophile. Boro marche sur les traces du Marquis de Sade ou d'Apollinaire. Les mâles en prennent pour leur grade, les femmes se déchaînent, mais les critiques de l'époque semblent avoir raté les intentions subversives... Les films suivants seront plus classiques dans leur narration, films "roses" (absents du coffret) assez fades. Histoire d'un péché (1975) est une descente aux enfers d'une pauvre fille entraînée par sa passion romantique et Dr Jekyll et les femmes (1981) un film d'horreur dont les failles sont évidentes. En effet, Boro soigne le moindre détail, lumière et décors, costumes et maquillage, trucages et montage, au détriment de la direction d'acteurs. Plus les dialogues prennent de la place, moins les films sont convaincants.


Le coffret s'enrichit d'un nombre incroyable de suppléments. Terry Gilliam, Craigie Horsfield, Leslie Megahey, Daniel Bird, Peter Bradshaw, Andrzej Kilmowski introduisent chacun un film. Les documentaires Un film n'est pas une saucisse : Borowczyk et le court métrage et Plaisirs obscurs : Portrait de Walerian Borowczyk, les récits de de chaque tournage par Patrice Leconte, Noël Véry, André Heinrich, Dominique Duvergé-Ségrétin, Udo Kier, les œuvres sur papier de Borowczyk, ses sculptures sonores, une collection d'objets érotiques, des publicités réalisées par Borowczyk, les œuvres peintes de Bona Tibertelli de Pisis, des sujets sur le compositeur Bernard Parmegiani ou sur l'utilisation de la musique classique, la version de 120 minutes des Contes immoraux présentée à Cannes quand La bête en faisait partie, etc. Au bout des fusils est un court-métrage de Peter Graham montrant une chasse de Francis Bouygues avec des faisans prétendument sauvages, mais qui sont en réalité élevés pour être tués ! Deux livres complètent cette somme, Camera Obscura, 212 pages regroupant des articles sur les films et deux entretiens exclusifs avec Borowczyk et Le dico de Boro, abécédaire de 92 pages...

Walerian Borowczyk, coffret collector 8 DVD+3 Blu-Ray+2 livres, version restaurée 2K, ed. Carlotta, 70€, sortie le 22 février 2017
Rétrospective au Centre Pompidou du 24 février au 19 mars, en 11 longs métrages et 26 courts métrages !

vendredi 10 février 2017

The Sea Ranch Songs & Green Ground par le Kronos Quartet


Chaque fois que le Kronos Quartet sort un nouvel album je suis incapable de résister à la folie du consumérisme. Il y a vingt ans j'avais acheté à Montréal les vinyles consacrés à Thelonious Monk et Bill Evans et depuis j'ai systématiquement acquis leurs productions chez Nonesuch ou sur d'autres labels. En 1988 le trio du Drame avait rencontré le violoniste David Harrington sans arriver à s'entendre. Nous avions été trop gourmands tandis qu'il avait montré peu d'appétit pour la cuisine française ! Cinq ans plus tard nous avions préféré nous associer au Balanescu String Quartet pour notre contribution à Sarajevo Suite avec Dee Dee Bridgewater. Même si d'autres quatuors à cordes font preuve de plus de finesse j'ai toujours adoré la détermination électrique très américaine du Kronos.
Allant régulièrement voir sur leur site les nouveautés discographiques je découvre cette fois The Sea Ranch Songs d'Aleksandra Vrebalov et Green Ground de Pelle Gudmundsen-Holmgreen. La première évoque un ensemble immobilier sur la côte ouest des États Unis où les lotissements en bois sont conçus en harmonie avec la nature le long d'une plage au nord de San Francisco. Mais si The Sea Ranch fut un lieu d'accueil merveilleux pour la compositrice serbe et le quatuor, il semble être devenu un lieu de villégiature pour pensionnaires friqués en rupture avec les intentions de départ des fondateurs. Il n'empêche que la quiétude qui s'en dégage a inspiré Aleksandra Vrebalov mêlant quelques témoignages verbaux à son écriture plutôt planante. Le DVD qui double le CD montre les lieux, les architectures inventives, la nature verdoyante et l'océan, mais dans une perspective hélas illustrative malgré les effets de superposition ou de solarisation, ce qui rend le projet vidéographique particulièrement ennuyeux alors que l'écoute de l'album laisse rêver et imaginer cet espace propice à la détente, loin du monde concentrationnaire auquel les urbanistes nous ont habitués. L'album produit par le Kronos et Vrebalov est publié sur le label des compositeurs de Bang on a Can...
Celui du compositeur danois Pelle Gudmundsen-Holmgreen, décédé en juin 2016, réunit le Quatuor et le Theater of Voices de Paul Hillier pour une autre évocation de la nature tant terrestre qu'aquatique. Le terme de réunion s'impose d'autant que New Ground et No Ground sont les quatuors n°10 et 11 de Gudmundsen-Holmgreen, que Green est composé pour quatre voix, mais, superposés, ils donnent naissance à New Ground Green et No Ground Green ! Les chanteurs utilisent des percussions (crotales, guiro, claves, anklung) pour interpréter ces œuvres où les influences du baroque viennent frapper à la porte de la contemporanéité...

→ Aleksandra Vrebalov, The Sea Ranch Songs, CD+DVD Cantaloupe, 15,76€
→ Pelle Gudmundsen-Holmgreen, Green Ground, CD Dacapo, 19€

jeudi 9 février 2017

Le partage des os


Gary May suggère que la plupart des jeunes virtuoses sortis du CNSM s'épaulent et partagent leurs ripailles musicales à la façon des associations d'anciens élèves ou des copains de régiment sans fréquenter les anciens. Les générations précédentes, ne pouvant bénéficier des classes d'improvisation ou de jazz heureusement mises en place depuis une quinzaine d'années, apprenaient essentiellement de leurs aînés. La plupart de ces nouveaux orchestres fabuleux et inventifs sont, il est vrai, très peu intergénérationnels. C'est dommage, car si nous apprenons beaucoup nous-mêmes de la confrontation, ces jeunes affranchis méconnaissent ce que pourrait leur apporter ceux qui les ont précédés, mais tout autant ceux qui les suivent. J'en veux pour preuve leur ignorance lorsque, avide de découvertes, je leur demande qui sont les nouveaux musiciens arrivés après eux. Pour jouer ensemble, et en art le jeu n'a rien à voir avec l'âge du capitaine, il semble inévitable que les "vieux" soient à l'origine du projet. C'est d'autant plus vrai s'ils sont particulièrement entreprenants...
Même constatation en ce qui concerne leurs concerts où nombreux trouvent normal qu'on s'y déplace sans penser qu'il pourrait leur être agréable ou instructif de s'y rendre à leur tour. Rien de nouveau de ce côté-là, le métier veut que l'on s'y montre par souci de communication ou pour s'assurer une place sur le marché de l'emploi plus que par curiosité musicale... Malgré les collectifs artistiques qui se montent, ce qui est extrêmement réjouissant, l'individualisme, probablement lié à la forme musicale elle-même des jazz et musiques assimilées où s'expriment avant tout des individualités, empêche les musiciens de défendre leurs intérêts sociaux au sein d'organisations de type syndical. Elles leur permettrait pourtant de lutter contre les organisateurs qui ont fait drastiquement chuter les salaires depuis 25 ans, les gouvernements successifs qui ont scandaleusement réduit le budget alloué à la culture, les organismes dépendant du patronat et de l'État qui rendent de plus en plus difficile l'accès à la protection sociale comme le régime des intermittents du spectacle. La solidarité, démarche à la fois réciproque et frontale, est une nécessité.
Je n'aurais jamais pu produire autant de musique sans celle de mes camarades ni appris mon art sans la générosité des anciens à qui j'ai rendu hommage dans la longue litanie des crédits du site drame.org. Autodidacte, je n'avais pas vraiment le choix. Aujourd'hui j'ai celui de transmettre l'héritage qui me fut légué tout en continuant à rêver, construire et partager.

mercredi 8 février 2017

¡Libertad! du Roots 4tet de Pierre Durand


Monique me suggère d'écouter le nouvel album du guitariste Pierre Durand, ¡Libertad!, enregistré avec le ténor Hugues Mayot, le contrebassiste Guido Zorn et le batteur Joe Quitzke. Je suis toujours un peu gêné de demander que l'on m'envoie un disque sans savoir s'il me plaira, ou plutôt s'il m'inspirera quelques lignes. Comme pour tout ce que je produis, musique ou textes, design sonore ou spectacles, je suis happé par ce qui coule de source. J'ignore l'angoisse de la page blanche. Est-ce la facilité ou la paresse, la passion ou la boulimie du workaholic ? Il y a toujours une idée, un objet, un arbre ou un animal qui me sourit.
Ce matin, bonne pioche ! Le second chapitre des sept envisagés (le premier était un solo il y a quatre ans) est un voyage dans le jazz, en commençant par ses racines africaines, sa déclinaison bluesy pour suivre ses influences européennes et ses conséquences rocky. Durand compose de tendres mélodies pour ses interprètes, fait danser ses auditeurs et se projette dans un futur dystopique qu'en bon résistant il combat créativement. D'un continent à l'autre il envoie de toutes les couleurs, de l'esclave noir aux rouges de peau parqués dans des réserves, des caraïbes tropicales à la côte pacifique, bravant les embruns et les coups de soleil. Si j'adore les frappadingues en costume d'arlequin, j'apprécie toujours la virtuosité qui se fait discrète, comble de l'élégance.

→ Pierre Durand, ¡Libertad!, CD Les disques de Lily, dist. Socadisc, 12€+poste

mardi 7 février 2017

Vagues de chats


Oulala et Django sont nos chats météo. Voyez-les rejouer la tempête qui s'est abattue sur la côte atlantique. Juste sous eux, sans qu'ils le sachent, à moins qu'ils ne feignent de l'ignorer, la petite Bagheera, que nous gardons en l'absence de nos voisins, dort au fond de la cale, sous le tatamis qui nous tient lieu de sommier. La couette est l'écume de ce faux désordre. Écaille de tortue dans l'obscurité, je ne l'aperçois qu'à plat ventre avec une lampe sortie de ma poche. Noir sur noir, je ne vois que ses deux billes rondes de mini panthère. Pas moyen de l'attraper sans déplacer tous les meubles. Il aura suffi que nous sortions un soir pour la retrouver siégeant sur l'un des fauteuils orange face au loulou gris du 93 (un poil chartreux, 7 mois) et à la châtelaine de Cognac (un poil balinais, 11 mois).


Quant à la miss de Chinon (un poil persan, 5 mois), elle a passé son lundi et repassé la moquette noire dans son trou à chrat. Mon traducteur Google n'a pas encore implémenté les miaous que j'essaie de décoder tant bien que mal. On y passe du temps et le temps passe. Nous ne désespérons pas de les prendre en photo tous les trois ensemble d'ici la fin de la semaine.

lundi 6 février 2017

Garibaldi Plop, savoureux coq-à-l'âne de Roberto Negro


N'étant pas fan en général des trios piano-basse-batterie, je suis très agréablement surpris par le nouvel album de Roberto Negro, Garibaldi Plop. Il y a évidemment d'autres exceptions comme le Money Jungle d'Ellington, Mingus, Roach, qui me vient le premier à l'esprit. Adorant les coq-à-l'âne, je suis comblé : on passe de quelques notes égrainées à des cascades dignes de Conlon Nancarrow, d'une simplicité à la Satie à des emballements que ne renierait pas Charlemagne Palestine, de la musique classique du début du XXe siècle à des citations jazz. C'est monté cut en direct comme j'adore pratiquer les ellipses dans ma propre musique. On traverse les époques et les continents à la vitesse de la lumière. Garibaldi Plop n'est-il pas déjà un mot-valise ? Référence au révolutionnaire héros des deux-mondes et au son du bouchon de liège ! Ne vous étonnez donc pas d'entendre Maurice Chevalier gratter sur le pick-up la Marche de Ménilmontant et le trio lui tordre le cou ! Pas de basse ici, mais Valentin Ceccaldi au violoncelle et Sylvain Darrifourcq à la batterie, délicats accompagnateurs collant des laies de papier peint aux motifs changeants derrière le piano, ravi d'enchaîner pointes, chassés, jetés et autres cabrioles à la manière d'un danseur étoile. Dédié à son père, à ceux qui sont tombés et ceux restés debout, le disque rassemble des titres rebondissants comme des semelles en caoutchouc, évoquant l'ivresse ou des mets simples, et honorant la mémoire des anciens, particulièrement ces Italiens, en photo sur la pochette, qui ont décidé de rejoindre la Résistance à partir de 1943 pour combattre aux côtés des Alliés.

Roberto Negro, Garibaldi Plop, CD Tricollectif, dist. L'autre distribution, 16€
→ concert de sorties de cet album et de Harvest de Guillaume Aknine, Jean-Brice Godet, Jean Dousteyssier (hommage à Neil Young), jeudi 9 février au Studio de l'Ermitage

vendredi 3 février 2017

Réédition vinyle luxueuse de Moshi de Barney Wilen


Par quel bout le prendre ? Un film, deux disques, vingt pages, trente centimètres sur trente, photos plein cadre, la réédition vinyle de Moshi de Barney Wilen est un véritable évènement discographique. Produit en 1972 par Pierre Barouh chez Saravah, ce fabuleux double album refait surface dans une édition luxueuse grâce à Caroline de Bendern et l'équipe du Souffle Continu. À sa sortie j'avais été fortement impressionné par son écoute au Pop Club sur France Inter comme le précédent Auto Jazz - Tragic Destiny Of Lorenzo Bandini, quatre ans plus tôt, qui mêlait jazz et musique concrète. Cette fois le saxophoniste traverse l'Afrique avec une bande de copains et trois Land-Rover remplies de matériel et d'instruments de musique. Mai 68 est passé par là. Caroline avait incarné malgré elle la nouvelle Marianne sur les épaules de Jean-Jacques Lebel. Il était grand temps de prendre la route...
Caroline et Barney sont ensemble. Il joue. Elle filme. C'est vite résumé tant les péripéties racontées dans le magnifique livret sont nombreuses. Sylvina Boissonas des productions Zanzibar finance l'expédition, qui s'éternise. Le sud marocain, l'Algérie, le Mali, le Niger. À Paris la musique des Pygmées les avait inspirés, ils rencontrent les Peuls Bororo. De déceptions en découvertes, ils avancent, mais le temps africain est plus lent qu'ils ne pensaient. Partis six mois, ils resteront deux ans, et l'argent finit par manquer. Au retour le mixage rassemble les enregistrements de terrain, les instruments achetés là-bas, balafons et percussions, des chansons composées par Barney sur des paroles de Caroline avec Babeth Lamy, Laurence Apithi, Marva Broome, et l'orchestre... Barney est au ténor, Michel Grailler au piano électrique, Pierre Chaze à la guitare, Simon Boissezon et Christian Tritsh à la basse, Didier Léon au luth, Micheline Pelzer à la batterie.


Ils repartent là-bas pour que Caroline termine son film qu'elle autoproduit, A l’intention de Mademoiselle Issoufou à Bilma, que l'on découvre enfin en DVD, glissé dans la pochette plastique... Barney signe encore la musique, avec Bernard Arcadio au synthétiseur et Denis Benaroche à la batterie. Filmé en amateur, le document est fabuleux. Je comprends mieux Gabrielle, une fille que je n'ai jamais revue et qui revenait de six mois chez les Peuls Bororo, à peu près à la même époque. La fascination qu'exerce leur beauté est renversante. C'est probablement à l'occasion de la Fête de la Geerewol durant six jours et six nuits que les images et les sons sont capturés. Fardés, drogués au bendore (décoction d'écorce noire de banohe, de gypse pilé et de lait), parés de colliers de perles et de cauris, d'amulettes et de plumes, ils dansent jusqu'à l'ivresse qui se termine en ébats amoureux dans une liberté qui s'est depuis évaporée. Même à Paris on faisait alors l'amour comme on disait bonjour.
Le moshi est un rite de transe pour évacuer le stress de Bororos traumatisés par un voyage en France où ils firent l’objet d’une étude ethnographique. Plus festives et joyeuses, les quatre faces noires de l'album Moshi content une aventure musicale qui préfigure la world music, mêlant les jazz et les musiques africaines, la pop psychédélique et les chœurs féminins, la voix du griot et les aboiements des chiens... Sur la platine le microsillon évoque un billet aller-retour pour un pays lointain d'une époque révolue, illusion miraculeuse que les artistes aiment créer pour la partager ensuite.

→ Barney Wilen, Moshi, gatefold sleeve avec artwork additionel, 2 LP son remasterisé en haute definition au studio Art & Son à Paris, livret 20 pages couleurs sur papier couché 200 gsm avec partitions, photos rares et inédites + DVD bonus du film de Caroline De Bendern "à l'intention de mlle Issoufou à Bilma", 45', jamais édité jusqu'à présent avec artwork exclusif, 1000 copies, 35€
P.S.: l'enveloppe de 5 cartes postales exclusives réservées aux cent premiers acheteurs à la boutique du Souffle Continu est déjà épuisée !

jeudi 2 février 2017

Dehors, dedans


Le soleil se lève. Illusion des reflets. La porte fenêtre est plus loin de l'objectif que la fenêtre à laquelle Françoise tourne le dos. À bien y regarder on pourrait n'y voir que du feu. Juste à côté d'elle, je suis déjà au travail, vêtu de mon peignoir de bain. De toute manière à cette saison il faut plus de trente minutes pour que le sauna monte à la bonne température. Dehors, dedans, les chats font les fous, alignant les aller et retours en traversant le mur du jardin comme des passe-muraille. L'antilope porte un crocodile sur son dos. Le Tanzanien Hashim Mruta Bushier (1942-1998), membre fondateur de l'école Tingatinga devenue en 1990 la Tingatinga Arts Co-operative (TACS), l'a peinte au début des années 70. Anny, qui a offert le tableau à sa sœur, en avait acheté plusieurs dans une brocante qui a brûlé le lendemain. Ils auraient fini dans les flammes. Dans la pénombre tout est un peu flou. Le fond est du même orange que les fauteuils autour de la table en verre, du même orange que la cuisine, du même orange que le mur d'enceinte, du même orange que les flammes. La couleur se déplace, dehors, dedans.

mercredi 1 février 2017

Pas ma tasse de thé, et pourtant...


Comment évoquer des disques qui m'ont fait passer un bon moment, mais sur lesquels je suis incapable d'écrire ? Mon incompétence me retient d'allonger des superlatifs ou de résumer ma sensibilité sans argumenter. Ce sont souvent des musiques plus classiques que les inventions que je traque inlassablement. Mes goûts me feraient passer à côté d'eux si le postier ne les glissait dans ma boîte aux lettres. Je les appelle les disques de l'après-midi, pas assez bizarres pour l'aube, pas assez intrigants pour que je m'y plonge pendant mon passage au sauna, pas assez dingues pour m'électriser toute la matinée, trop jazz pour les partager avec Françoise pendant la préparation du dîner, mais ils m'accompagnent très agréablement tandis que je regarde mésanges, rouge-gorge, geais, merles s'ébattre dans le jardin lorsque je lève le nez de mon clavier où je tape ces lignes.
Ainsi j'ai savouré Laniakea du pianiste Pierre Bœspflug et du trompettiste René Dagognet, Fines lames du vibraphoniste Renaud Détruit et de l'accordéoniste Florent Sepchat, Be Jazz For Jazz des Madness Tenors qui réunit Lionel Martin, George Garzone avec le pianiste Mario Stantchev, le bassiste Benoit Keller et le batteur Ramón López, et même What if ? du ténor Hugues Mayot avec Jozef Dumoulin aux claviers, Joachim Florent à la basse et Franck Vaillant à la batterie. Les jazz de Bœspflug sautent d'une décennie à une autre sans a priori de style et le son du bugle de Dagognet m'enchante. Mon petit faible pour l'accordéon et le marimba rejoint celui pour les Mikrokosmos de Bartók. C'est la même chose avec les ténors, même si j'apprécie les grands altistes j'ai toujours préféré les instruments en si bémol, du soprano au basse, alors lorsque les ténors se mettent à danser (le nom des Madness Tenors se réfère à un album de Sonny Rollins avec John Coltrane !) je remue seul sur ma chaise, surtout si les envolées lyriques tirent sur le free. L'album de Mayot se rapproche de mes préoccupations familiales, mais il tire trop souvent vers le jazz rock pour me convaincre. Dans les disques que j'écoute je cherche des timbres inédits et des constructions qui m'épatent plutôt que de belles mélodies ou des variations acrobatiques. Il n'empêche que tous ces albums sont d'excellente qualité et raviront les amateurs.
Je suis plus attiré par les ensembles orchestraux que vers les solos, duos ou trios. Sachant que les "critiques" parlent d'eux-mêmes plus que des sujets qu'ils traitent, je reconnais ma sympathie pour la symphonie, les bruits bizarres et les récits évocateurs. Dès que la musique s'échappe d'un genre identifiable elle me harponne, et je m'intéresse à tous, de la chanson française aux variétés internationales, des plus classiques aux plus contemporains, du rock aux musiques du monde, et le jazz en fait partie comme le tango, le blues ou le flamenco. Je n'ai jamais compris pourquoi Cab Calloway me donnait irrésistiblement envie de danser alors que j'aurais plutôt tendance à me cacher quand les autres s'y mettent. Quant à la musique de chambre, il est plus rare que j'y cède. Mes diverses enceintes ne connaissent pourtant pas la taille des salles qu'elles reproduisent...

→ Madness Tenors, Be Jazz For Jazz, CD Cristal Records (en vinyle chez Ouch! Records), sortie le 27 janvier 2017
→ Hugues Mayot, What if ?, CD ONJ Records, dist. L'autre distribution, sortie le 3 février 2017
→ Pierre Bœspflug & René Dagognet, Laniakea, CD Cristal Records, sortie le 3 mars 2017
→ Renaud Détruit & Florent Sepchat, Fines lames, CD Cristal Records, sortie le 10 mars 2017