Les chroniques musicales de Jackie Berroyer sont des modèles du genre parce qu'elles n'obéissent pas au formatage que les professionnels s'imposent. Seule la passion l'anime et il les intègre naturellement à ce qui ressemble à un blog quotidien où ses émois amoureux, ses inquiétudes financières et ses poses hypocondriaques de type faussement banal occupent autant de place. Rédigées à l'origine essentiellement pour la revue suisse Vibrations, il les a réarrangées et les commente avec le recul qu'offrent les années. La première personne du singulier de cette personne singulière, dont nous connaissons le visage et la silhouette surtout par ses rôles d'acteur, signe ce journal extime, cousin d'un blog généraliste aux spécialités récurrentes. Dans son avant-propos, Berroyer parle d'autofiction, sachant bien que chez ceux qui disent "il" ou bien "elle", ça sent son petit moi. Les chroniqueurs musicaux, par exemple, ne font souvent que des portraits en creux d'eux-mêmes.
La plupart des aventures de Berroyer datent de plus d'une décennie, mais cela ne sent pas le réchauffé pour autant suspends ton vol. C'est qu'il aime les jeux de mots laids comme il craint celui qui passe jusqu'à l'attirer dans ses entrefilets. Son récent retour en cuisine rafraîchit donc les plats pour que nous en savourions avec gourmandise le bis-cuit millésimé. Parlons peu, parlons de moi (Ne dites à personne que j’en parle à tout le monde) possède évidemment le style Berroyer, un mélange d'humilité naïve et d'égotisme complaisant, de générosité et d'humour, un swing authentique, rare sous nos latitudes. Parce que l'auteur aime le jazz, le blues, le rock, le reggae et toutes les musiques qui l'accompagnent au long de sa vie. Miles Davis et Frank Zappa deviennent les refrains de sa chanson de gestes où les chorus sont tenus par les Beatles et les Rolling Stones, John Lee Hooker et Grant Green, Charlie Parker et Thelonious Monk, Manu Chao, Cheikha Remitti ou Koffi Olomidé, avec des breaks sur Platon, Pierre Lattès et Gérard Térronès, Benny Lévy, Nabe ou le Professeur Choron. Ses amours pathétiques avec des filles de facilement trente ans plus jeunes que lui n'ont pas cette légèreté, sa lucidité ne pouvant qu'accoucher d'une forme de cynisme larmoyant. C'est probablement ce qui fait son charme. À 71 ans, si la peur de la maladie et de la mort les explique, nous n'aurons par contre pas la clef de son endettement pathologique, si ce n'est la soif de vivre au jour le jour dans une société où l'improvisation semble réservée aux jazzmen, mais pas aux écrivains. Il n'empêche qu'en le lisant j'ai apprécié son style qui coule de source, tant qu'il nous donne envie d'écouter la bande-son de sa vie.

→ Jackie Berroyer, Parlons peu, parlons de moi (Ne dites à personne que j’en parle à tout le monde), couverture de Honoré, 288 pages, Ed. Le Dilettante, 20€