Invité par Antonin-Tri Hoang qui présente avec la photographe SMITH une installation photographique mise en musique sur 16 pistes spatialisées, j'arpentais les salles du Palais de Tokyo au vernissage de l'exposition Le rêve des formes, les yeux fatigués par l'accumulation d'œuvres de jeunes artistes rassemblés par Alain Fleischer et Claire Moulène à l'occasion du vingtième anniversaire du Fresnoy - Studio national des arts contemporains. Je reviendrai plus tard sur ma visite...
Au détour d'un couloir, je croise Daniela Franco qui me reconnaît dans la pénombre. En 2010 j'avais participé à son projet Face B sans l'avoir jamais rencontrée. Elle porte des lunettes surmontées de verres fumés qui se relèvent ou s'abaissent comme des persiennes. Mes clics magnétiques sont moins adaptés à l'éblouissement que produit chez moi tout visite muséale. Notre "amitié" sur FaceBook nous permet de savoir que nous partageons pas mal de vues sur la situation politique. Nous nous interrogeons ainsi sur l'absurdité des élections récentes. La catastrophe annoncée chez nous n'a évidemment rien à voir avec celle du Mexique, mais le simulacre démocratique interroge partout nos pratiques citoyennes.
Le tour de passe-passe qui consiste à substituer le mouvement En Marche au Parti Socialiste est magistral. Il aura suffi de rebaptiser les mêmes olibrius pour que le désaveu total de leur politique apparaisse comme un renouveau dynamique. On avait tenté en vain de nous faire croire que le PS était un parti de gauche et l'on nous refait le coup cinq ans plus tard sans que la plupart de la population s'en aperçoive. C'est très fort, même si la manipulation est simple. Par sécurité Hollande fait sortir Macron de la Primaire socialiste. Hamon gagne, mais la plupart des ténors ne respectent pas le verdict des urnes et rejoignent Macron. Hamon, complice ou candide, siphonne les voix de Mélenchon. De l'autre côté, on agite la peur du fascisme qu'incarnerait Le Pen et on dézingue Fillon en dévoilant des affaires connues depuis belles lurettes, mais gardées sous le coude. Tout cela n'est possible parce que le futur président de la république est soutenu par la quasi totalité de la presse écrite et télévisuelle (parmi les quotidiens, seuls L'Humanité et La Croix n'appartiennent pas à l'un de ces milliardaires, banquiers ou marchands de canons) ainsi que par le Capital, international d'autant que les États Unis ont trouvé en Macron le vassal idéal. Mélenchon se sert habilement des nouveaux médias, mais Internet ne fait pas encore le poids devant les médias traditionnels. Il est à parier que dans le futur la droite fera tout ce qu'elle pourra pour réglementer et contrôler Internet, préoccupation partagée par la plupart des pouvoirs en place sur la planète. Et voici, comment l'on met des croix dans des carrés en se gargarisant de démocratie pour finalement hériter d'un pantin entre les mains de ses maîtres, financiers sans scrupules dont l'avenir de la planète est le cadet de leurs soucis.
Pour que toute cette mascarade prenne corps il est absolument nécessaire de tabler sur la peur. Si les Français votent en dépit du bon sens, c'est parce qu'ils connaissent leur souffrance et craignent d'en subir une autre dont ils ne savent rien. "On sait ce qu'on a, mais pas ce qu'on n'a pas." Des familles vivent dans la rue sur des matelas pourris, mais la majorité protège son confort (certes relatif) chèrement acquis. Lorsqu'on a une famille à nourrir et des traites à rembourser chaque mois, la révolte semble de l'ordre de l'impossible. L'accession à la propriété, le besoin de posséder sa voiture, d'avoir le dernier modèle de portable ou je ne sais quoi nous laissent pieds et poings liés. Et nombre d'irréductibles d'aller voter Macron au second tour, affolés par les sondages manipulateurs et le bourrage de mou de la diabolisation. Or dans la cité comme dans tous les aspects de notre vie nous savons pourtant que "la peur est mauvaise conseillère". Combien sont malheureux en amour, subissent leur travail comme une torture, pensent que le système est pourri, mais agissent contre leur intérêt, ou plutôt s'empêchent d'agir ?
Il faut absolument comprendre que chaque fois que la peur montre le bout de son nez elle annonce que nous allons faire une bêtise ! Ce signal d'alarme nous pétrifie au lieu de nous prévenir que nous risquons de commettre un impair. S'il est impossible de l'empêcher, on peut la canaliser et s'en servir astucieusement. S'obliger à retrouver son calme, ne pas y croire, penser que demain est un autre jour, refuser de se laisser guider par la peur, les jours heureux sont à portée de main.