Sortant la tête de veau de la cocotte, j'ai immédiatement pensé à Araki. Nobuyoshi Araki est un photographe japonais connu, entre autres, pour ses mises en scène bondage avec des jeunes femmes nues attachées et suspendues par des cordes. Le sexe et la mort font partie de ses préoccupations majeures, en outre partagées, avec l'argent, par toute l'humanité. Il est certain que l'éleveur que nous avons rencontré à la Confédération Paysanne et qui a ficelé la bête n'arrive pas à la cheville des maîtres japonais, alors la tête !
Je me suis aussi souvenu du court métrage de Sonia Cruchon, À quoi rêvent les têtes de veau, mais je doute que l'on puisse tirer quoi que ce soit de l'inconscient de celle-ci !


De même que l'on ne peut pas aborder l'art du kinbaku avec n'importe qui sans le choquer, on ne peut proposer une tête de veau à dîner à ses invités sans leur avoir demandé auparavant s'ils aimaient cela. Le terme "aimer" n'est d'ailleurs pas plus approprié que pour la sexualité, et ces à-peu-près sont la source de maints déboires. En tout cas, les préjugés sont plus forts que la curiosité gastronomique.
Dans une marmite remplie d'eau bouillante salée nous l'avons d'abord fait cuire vingt minutes avec un oignon, du thym et du laurier, puis une heure et demie à feu doux avec des carottes. La sauce exquise consiste à mélanger de l'huile d'olive, du vinaigre, de la moutarde et un œuf dur broyé. J'avais perverti la chose en choisissant trois vinaigres, un de cidre à l'ail, un vinaigre noir chinois et un peu de Melfor alsacien, plus quelques cornichons turcs pimentés finement coupés. On est œcuménique ou on ne l'est pas ! Il existe des recettes plus sophistiquées, de même que ma sauce gribiche n'est pas tout à fait orthodoxe. Mais nous nous sommes régalés, comme jadis les révolutionnaires célébrant la mort de Louis XVI par cette ripaille chaque 21 janvier.