La Maison Rouge inaugure deux expositions très différentes à l'orée de l'été. Si Inextricabilia rassemble des œuvres bien ficelées, enchevêtrements magiques de tissus et de cordelettes, d'époques et de lieux variés, Hélène Delprat, qui a conçu sur mesures pour la galerie I Did It My Way, mélange toutes sortes de techniques pour créer un monde fantasmagorique dont elle est l'héroïne. Avant de découvrir les gris-gris torturés de toutes tailles qui aident probablement leurs créatrices à supporter les pressions sociales (les noueuses sont nettement plus nombreuses que les hommes), nous traversons les pièces de Delprat, d'un couloir de boîte de nuit à la grille de La Belle et la Bête de Cocteau, devant un miroir déformant, un mur de strass ou des toiles peintes comme usées par le temps, croisant un mannequin de cire à son effigie (effet troublant de rencontrer l'artiste à deux pas de sa reproduction, de dos en short sur la photo) ou reconnaissant parmi le bric-à-brac des réminiscences d'une Inde imaginaire, contes de fée menaçants, cinéphilie des maîtres du mystère, nouvelles technologies au service de la métamorphose...


Le passage secret vers l'art brut d'Inextricabilia est caché derrière une porte en fourrure rose où ses fausses confidences sont projetées devant la collection de coiffes ethniques d'Antoine de Galbert inaugurée en 2010 lors de Voyage dans ma tête. Hélène Delprat est une autre collectionneuse encyclopédique, mais de ses propres fantasmes.



Peu importe l'origine des œuvres d'Inextricabilia, enchevêtrements magiques, elles transcendent toutes une souffrance qu'on aurait tenté d'étouffer en les nouant solidement pour être certain/e qu'on n'y voit que du feu. Art brut, reliquaires, pièces contemporaines sont ligotés par des nœuds qui n'ont de savant que l'énigme qu'elles ne peuvent révéler. L'étude de ces nœuds en dirait certainement autant que les formes qu'elles laissent transparaître. Les débordements sont aussi terribles lorsqu'ils laissent passer une touffe de cheveux, quelques brins d'herbe, une boursouflure de tissu ou un fil d'or. Cinquante artistes, donc souvent des femmes, peut-être parce le fil et l'aiguille leur furent concédés, sont ainsi réunies dans la seconde partie de la galerie jusqu'au sous-sol. Les similitudes laissent entrevoir la manifestation d'une interrogation commune, indémêlable, du moins conçue pour n'être pas révélée, au mieux suggérée. Mais la forme pourrait cacher n'importe quoi sans que l'on puisse jamais en être certain. Un fétiche du Bénin est si proche d'une sculpture de Michel Nedjar. Pourtant celles de Judith Scott sont-elles du même acabit que les facéties de Man Ray ou Erik Dietman ? Les amas de Marc Moret recèlent-ils quelque reliquaire contemporain ? Les coutures de Louise Bourgeois ou Annette Messager sont-elles du même ordre que celles de Jeanne Tripier ou les compositions de Marie Lieb qui déchirait ses draps à l'Hôpital psychiatrique ? On peut juste regretter que l'accumulation des liens fasse collection sans sortir les fantômes de ces placards symboliques, histoires terribles justifiant ces œuvres. On met son mouchoir dessus, on jette un drap sur ce qu'il ne faut pas voir, l'enveloppe restera cachetée, le linceul sera enfoui à jamais. Personne ne tranchera le nœud gordien.


Hélène Delprat + Inextricabilia, enchevêtrements-magiques, La Maison Rouge, Paris, jusqu'au 17 septembre 2017