Le Workshop de Lyon fut au free jazz français des années 70 ce que François Tusques avait été aux années 60 : les meilleurs représentants d'une réappropriation locale d'un mouvement afro-américain global. Les manifestations contre la guerre du Viêt Nam avaient gagné Paris, mais les Lyonnais avaient déjà fondé leur Workshop en 1967. Chez nombreux musiciens un souffle de révolte attisait alors le feu collectif où le partage devenait la règle. Le Souffle Continu sort en vinyle leurs trois premiers albums (1973-1977) si l'on fait abstraction du magnifique Transit de Colette Magny et du Mirobolis de Steve Waring, enregistrés tous deux en 1975 comme leur second, La chasse de Shirah Sharibad.
En 1977, au moment du troisième, Tiens, les bourgeons éclatent..., ils créent l'ARFI, l'Association à la Recherche d’un Folklore Imaginaire. Collectif soudé et fortement implanté, les musiciens de Lyon ont toujours fait bande à part. Seul Louis Sclavis est parti voler de ses propres ailes. J'ai toujours eu l'impression que la bande des Lyonnais reflétaient l'esprit de leur ville, comme Tusques avec les Bretons, ou Portal et Lubat dans le Sud-Ouest. Le Workshop est inventif, mais il manque souvent de relief à mon goût, une retenue loin de la chaleur gasconne de mes préférés de l'époque. Comme si le squelette était complet, mais que la chair était maigre, un comble pour cette région gastronomique ! Pourquoi cacherais-je que je préfère le foie gras, le confit et le cassoulet ?
Depuis un demi-siècle ils ont conservé leur son, grosse machine collective accouchant de quantité de cellules indépendantes. Certains musiciens ont disparu, d'autres sont arrivés. La relève a toujours été assurée. Dans les trois premiers albums du Workshop, à commencer par Inter Fréquences, Maurice Merle est aux sax, Jean Bolcato à la contrebasse, Christian Rollet à la batterie. Ajoutez le trompettiste Jean Mereu dans le premier, le pianiste Patrick Vollat dans celui-ci et le second, et Louis Sclavis à la clarinette basse et au soprano pour les deux derniers. Les trois albums forment réellement triptyque, somme extraordinaire de recherche de timbres, d'influences de la musique traditionnelle à la contemporaine, de la fanfare au free exubérant, de la gravité à l'humour, avec toujours en ligne de mire ce qu'avait apporté au jazz l'incomparable Art Ensemble of Chicago. Le Workshop de Lyon fut un laboratoire. C'est aujourd'hui une mine pour les générations actuelles par la panoplie incroyable qu'ils rassemblent, en compilateurs géniaux et enthousiastes.

→ Workshop de Lyon, Inter Fréquences, LP Le Souffle Continu, 21€
→ Workshop de Lyon, La chasse de Shirah Sharibad, LP Le Souffle Continu, 21€
→ Workshop de Lyon, Tiens, les bourgeons éclatent..., LP Le Souffle Continu, 21€
Les trois, 56€... Le soin apporté à ces rééditions est toujours remarquable. Je regrette seulement que l'on retrouve le même très beau livret 30x30cm dans les trois disques. Cela permettra peut-être à certains d'en découper deux pour les encadrer !
→ Concert Musiques (Re)belles jazz libre jeudi 19 octobre à 20h30 au Théâtre Berthellot à Montreuil avec le Workshop de Lyon, le Cohelmec Ensemble, le Dharma, François Tusques et invités, quatre orchestres figures de cette époque libertaire