Vendredi dernier je participais à une conférence (anglophone) intitulée "100 Years of Electronic Music" organisée par le MaMA Festival. Les questions portaient sur la naissance de cette musique, la situation de Paris, le lien au jazz, le rapport aux images, la place des femmes, etc. Ben Osborne avait invité également Eva Peel, Samy El Zobo, Kat Quint, Ygal Ohayon, DJ Yellow qui chacun, chacune se référait essentiellement à sa propre expérience. Si notre médiateur londonien me semblait confondre sa préfiguration par Luigi Russolo, père de la musique bruitiste, avec les réels premiers balbutiements sur le territoire nord-américain, d'autres situaient sa naissance avec le krautrock allemand ou avec l'arrivée des ordinateurs. Le plus simple est de vous renvoyer à la lecture des Fous du son de Laurent de Wilde, préférant de mon côté retranscrire les remarques qui m'avaient titillé sur mon chemin en métro vers la salle du FGO Barbara. Hélas les machines de la RATP ne swinguent plus comme au temps du boogie !
Donc sans évoquer ici les inventeurs de cette lutherie moderne, trois vagues marquèrent l'histoire de la musique électronique. Dans les années 50 la première est le fruit de compositeurs qui partageaient de grands laboratoires. Le Traité des objets sonores de Pierre Schaeffer analyse remarquablement ce que l'on pouvait en attendre. Au début des années 70 la seconde survint avec l'avènement des synthétiseurs, instruments grand public offrant de devenir nomade ou de travailler chez soi. Les groupes allemands poussèrent leur utilisation vers une répétitivité plutôt planante. Divers musiciens s'en emparèrent dans le jazz ou la pop, mais c'est seulement au milieu des années 80 que la troisième vague déferla sur les plages avec l'informatique et la danse. Grâce à cette lutherie qui n'avait plus rien de spécifiquement musicale la techno permit à tous et toutes de faire de la musique sans passer par le cursus scolaire jusqu'ici pratiquement incontournable. Ce n'est pas tout à fait juste, puisqu'il exista toujours des autodidactes et des manières personnelles d'éviter les chemins balisés. J'en fais partie ! Ni Django Reinhardt, ni Jimi Hendrix, ni Paul McCartney ne lisent la musique, pas plus que nombreux chanteurs, entre autres d'opéra, qui mémorisent ce que leur pianiste répétiteur leur joue ou quantité de jazzmen improvisant à l'oreille.
DJ Yellow suggéra d'ailleurs que la liberté de sortir des formes convenues est commune au jazz et à l'électronique. Osborne cita Delia Derbyshire (que j'avais découverte seulement en 1969 avec White Noise), et Eva Peel lista nombreuses DJ qui purent s'affranchir du machisme du milieu musical en prenant leur indépendance. Quant aux images projetées et aux clips vidéo ils occupèrent d'autant plus de place que les concerts d'ordinateurs portables sont peu sexy. Osborne salua mon initiative de revenir en 1976 au ciné-concert avec toutes sortes de bruits, machines et instruments, ce qui n'avait pour lui d'antécédents que les glouglouteurs, crépiteurs, hurleurs, tonneurs, éclareurs, siffleurs, bourdonneurs, froisseurs de Russolo accompagnant des films muets dans les années 20. Je me trompais par contre en suggérant que Russolo avait adhéré comme Marinetti au fascisme alors que son refus l'éloigna des futuristes italiens.
Les choses ne sont pas si claires entre musique électronique et bruitiste, lutherie électrique et électronique, musique de danse et sons de synthèse, etc. Il me semble pourtant que la lutherie fut déterminante pour la création musicale. De même que les impressionnistes sortirent peindre la nature avec les tubes en plomb glissés dans leurs poches, les instruments de travail orientèrent chaque fois les grands courants. Quel sera alors la prochaine étape ? Il est par exemple probable que naissent de nouvelles interfaces, le clavier de piano ou le clavier d'ordinateur n'étant pas les mieux appropriés, ce qui produira forcément de nouvelles musiques...