Il faut absolument passer outre le commentaire soporifique de La montagne magique pour profiter de ce magnifique long métrage d'animation de la réalisatrice roumaine Anca Damian. Le travail graphique est un feu d'artifices de couleurs, de formes, de textures, ayant recours à diverses techniques qui s'entremêlent et nous enchantent. Le site qui lui est dédié offre quantité d'informations et les mordus pourront assouvir leur curiosité grâce au storyboard de Theodore Ushev publié par Télérama. La musique d'Alexandre Balanescu accompagne les aventures d'Adam Jacek Winkler, anarchiste polonais anti-communiste qui a rejoint le Commandant Massoud en Afghanistan pour combattre l'armée soviétique...


Si le film est somptueux, s'appuyant sur les photos et les dessins de Winkler, son infantilisme politique narré de manière monolithique par Miossec dans la version française lasse rapidement. Ce ratage est probablement du à la co-auteure du scénario, la propre fille de Winkler qui idéalise son père sans le recul nécessaire, d'autant que ce récit superficiel est à la première personne du singulier, sorte de journal conté par le mercenaire passionné. On n'apprendra donc rien de la lutte des moujahidines contre l'invasion soviétique, puis contre les Talibans. Il faut sérieusement faire abstraction du commentaire chronologique servant de squelette aux épatantes animations incarnées pour profiter du spectacle.


Le DVD publié par Blaq out inclut un autre long métrage d'Ancan Damian, Le voyage de Monsieur Crulic, tourné trois ans plus tôt, en 2012. Là encore un site lui est entièrement dédié. Un tout petit peu moins sophistiqué graphiquement, Crulic obéit au même système d'un texte chronologique à la première personne du singulier illustré par un kaléidoscope d'images inventives animées selon des techniques variées. Mais l'histoire vécue est cette fois plus intime. Une voix anglaise clinique analyse le parcours désastreux du Roumain qui, accusé à tort de vol par les autorités polonaises, préférera se laisser mourir de faim en prison. Des deux documentaires animés, je préfère Crulic pour ses séquences sonores sans paroles où le texte s'efface devant les images, nous permettant de respirer le long de ce récit kafkaïen. Le changement d'angle imposé par la seconde voix, la musique originale de Piotr Dziubek créent une distance qui manquent à La montagne magique. Si l'absurdité de Crulic et des autorités polonaises est clairement croquée, elle est hélas escamotée chez Winkler au profit d'un portrait héroïque qui ne me convainc guère. Dans l'entretien en bonus, Anca Damian explique justement son intérêt pour l'héroïsme dont ces deux films formeront une trilogie avec un autre plus métaphysique. Elle entend qu'au delà de sa propre vie la puissance des idées peut mener à la mort. Les deux personnages qu'elle a choisis sont alors peut-être les meilleurs exemples de son rapport christique à l'héroïsme. C'est bien là que l'absurde se niche !

→ Anca Damian, Le voyage de Monsieur Crulic & La montagne magique, DVD Blaq out, 18,90€