Que les langues se délient pour dénoncer les abus des mâles prédateurs, tant mieux ! Il est évident qu'il faut condamner lourdement le viol comme la pédophilie. Mais je n'ai jamais accepté que l'on nomme des boucs-émissaires pour camoufler les pratiques généralisées que tout le monde connaissait et feint de découvrir aujourd'hui. Cela vaut pour la corruption des élus comme de la brutalité des machos usant de leur pouvoir pour arriver à leurs fins. Dans les milieux cinématographiques les relations qu'entretiennent les réalisateurs avec leurs vedettes féminines sont légion. De temps en temps ils en épousent, mais le plus souvent ils les épuisent. Les témoignages récents se multiplient, portant sur la place publique une pratique séculaire des plus honteuses. La loi condamne ces outrages, et la justice fait son travail dans les limites de ce que l'on appelle la justice de classe et que l'on peut certainement étendre à la justice de sexe.
Malgré les peines purgées doit-on continuer de crier haro sur ces canailles à perpétuité et les empêcher de travailler ? Polanski ou Brisseau, comme Cantat, ont payé leurs outrages. Dans l'histoire du cinématographe, combien ont eu leur carrière brisée et combien ont profité de l'oubli de leurs agissements criminels ? Je ne parle pas seulement des abus sexuels, mais aussi de la collaboration avec l'Allemagne nazie ou de l'évasion des capitaux, par exemple. On se gargarise de la Nouvelle Vague en omettant que c'était pour la plupart une bande de petits bourgeois qui ne rêvaient que de coucher avec des actrices et ont assassiné le cinéma social dont notre pays devrait aussi s'enorgueillir. Ils ont signé quantité de films géniaux, mais la question n'est pas là lorsque l'on dénonce les abus de pouvoir. C'est bien le statut des femmes dans nos sociétés qui fait débat. Où se situent les limites entre un viol, la promotion canapé et le recours à des péripatéticiennes ? Allons plus loin, quid des pratiques familiales ? C'est dans les détails a priori sans importance que réside le nœud du problème. On soulève le voile avec les yeux bandés.
La prostitution est un autre aspect qui sera probablement remis à l'index dans cette période de nouveau puritanisme, après le laisser-aller de la fin du XXe siècle. Je pense à certains réalisateurs des plus adulés. Il ne faut pas non plus confondre la liberté sexuelle des années 60 et la pornographie étalée quotidiennement sur le petit écran cinquante plus tard. En parlant de pornographie, je fais aussi référence à la violence érigée en spectacle, à la manipulation de masse assénée à coups de messe de 20 heures et de télé-réalité, au raz-de-marée masculin qui submerge l'espace public depuis toujours. Je lis maints commentaires où l'on confond un dragueur balourd et un abus de pouvoir traumatisant. Les secrets d'alcôve ne permettent pas toujours de séparer les fantasmes des passages à l'acte. L'annonce anticipée du titre de cet article suffit à me faire taxer de complicité avec "la démonisation de l'autonomie sexuelle des femmes et l'érotisation des violences qui leur sont faites" sans que cette personne m'ait lu. C'est bien de procès d'intention que s'est toujours nourri le puritanisme. Si j'aborde ce sujet épineux, c'est par crainte que les bonnes intentions se transforment en chasse aux sorcières ou aux vilains sorciers, à grand renfort de délations où les années ont parfois façonné la mémoire et où la haine trouve un terrain d'exercice. La démarche est évidemment d'empêcher que les pratiques ignobles se perpétuent. Il est rassurant d'apprendre que les salopards ne sont jamais à l'abri d'un retour de bâton. Mais il est nécessaire de garder à l'esprit que, homme ou femme, l'inconscient nous joue des tours, y compris des tours de cochon.