Antonin-Tri Hoang m'indique avec enthousiasme un petit fascicule de Juliette Volcler intitulé Contrôle (Comment s'inventa l'art de la manipulation sonore). Parallèlement à mes lectures romanesques, je venais de terminer la lecture de deux autres essais très différents, liés au phénomène sonore, le premier technologiquement économique, le second carrément cosmique.
Boulevard du Stream de Sophian Fanen reprend la saga du mp3 à l'endroit où À l'assaut de l'empire du disque de Stephen Witt l'avait laissée ; si les maisons de disques n'ont pas cru aux mutations d'usage qu'impliquait le mp3 dont se saisissaient les internautes, le streaming aura-t-il raison des uns et des autres ? Le verrou des DRM ou la répression de type Hadopi non seulement ne dissuadent pas les pirates à partager gratuitement la musique, ils les incitent même à braver les réponses imbéciles de l'industrie culturelle. L'enquête est minutieuse, peut-être trop, ne proposant pas de sortie de crise qui puisse convenir aux artistes, dindons de la farce laissés pour compte par les accords entre sociétés d'auteurs et fournisseurs de contenu.
L'harmonie secrète de l'univers de Jean-Philippe Uzan part de l'Antiquité pour s'interroger sur les liens que la musique entretient avec le cosmos. On espère entendre le chant des étoiles, mais ce ne sont que transpositions spéculatives puisqu'aucun son ne peut traverser l'éther, contrairement à la lumière. Les férus d'Histoire y trouveront matière noire à imaginer le cri du big bang, les mathématiciens se rappelleront que leur science fut jadis considérée comme un art, les musiciens continueront à composer la musique des sphères puisque les questions sont autrement plus inspirantes que les réponses.
Spécialisé dans les applications pratiques du phénomène sonore à tous les aspects de notre société, j'avais déjà lu Le son comme arme de Juliette Volcler. Il m'est d'ailleurs arrivé d'être indirectement sollicité par l'Armée, demande à laquelle je ne pus souscrire par déontologie personnelle, fidèle à ma réforme P5 ! La guerre est le troisième chapitre de son nouveau livre, Contrôle (Comment s'inventa l'art de la manipulation sonore), essentiellement axé sur les alertes et les leurres. Il existe évidemment bien d'autres manières d'utiliser le son à des fins guerrières ou policières et j'imagine que l'auteure, qui s'en est fait une spécialité, ne manquera pas de s'y pencher à l'avenir. Les deux précédents chapitres sont consacrés au théâtre et à l'industrie grâce au portrait étonnant du précurseur Harold Burris-Meyer, ingénieur et homme de théâtre, chercheur comportementaliste méconnu, épine dorsale de ce nouveau livre. Vu ma pratique, je n'apprends évidemment rien des simulations dramatiques que le son offre, ni de l'histoire de la société Muzak à l'origine de la musique d'ambiance, mais l'approche globale par Volcler des manipulations de masse est très intéressante, rappelant les travaux d'Edward Bernays, inventeur de la société de consommation et du marketing qui s'est appuyé sur les recherches de son oncle, Sigmund Freud ! Mon travail de designer sonore en milieu urbain ou mes sonorisations de grandes expositions m'ont permis d'arriver aux mêmes conclusions que Burris-Meyer sans le connaître, d'autant que j'ai pu appliquer mes théories à nombre d'événements, par exemple en réalisant l'étude du son du métro du Grand Paris ou en créant la partition sonore et musicale de l'exposition-spectacle Il était une fois la fête foraine à La Villette. Si vous êtes passionné par les illusions sonores au théâtre, la sonorisation mercantile ou les armes acoustiques, vous serez passionné par la lecture de cet ouvrage...

→ Juliette Volcler, Contrôle (Comment s'inventa l'art de la manipulation sonore), Ed. La Découverte, 14€ (11,99€ en version numérique)
→ Jean-Philippe Uzan, L'harmonie secrète de l'univers, Ed. La Ville Brûle, 20€
→ Sophian Fanen, Boulevard du Stream, Ed. Le Castor Astral, 20€