Certains films passent inaperçus, éreintés par une partie de la critique, sortis à un moment où l'actualité occupe tout l'espace médiatique, trop différents parfois... Ainsi Reality qui avait reçu le Grand Prix du Jury à Cannes en 2012 m'avait échappé alors que le précédent film de Matteo Garrone, Gomorra, avait fait un tabac. La fiction de l'un comme de l'autre, semble flirter avec le documentaire, Matteo Garrone engageant nombreux comédiens amateurs, comme ici Aniello Arena, le rôle principal, qui s'est formé au théâtre en prison où il purge une peine à perpétuité pour le meurtre à la Kalachnikov en 1991 de trois personnes dont un enfant de huit ans alors qu'il était tueur professionnel ! Même si les deux films, interprétés en partie en dialecte napolitain, justifient ce choix de distribution qui les fait se rapprocher des films de Pasolini, Reality n'a rien à voir avec un film sur la Camorra puisqu'il aborde le sujet de la télé-réalité, autant dire de la télévision italienne en général où ce genre de programme a tout phagocyté. Son "héros" est un personnage pasolinien, à la fois pitoyable et attachant, dans un univers fellinien. Naples, patrie également de Paolo Sorrentino, semble reprendre le flambeau du cinéma italien que Rome a perdu depuis longtemps. Pour cette comédie dramatique incisive, le compositeur Alexandre Desplats s'est d'ailleurs largement inspiré de Nino Rota et Ennio Morricone.


Garrone montre parfaitement que la télévision est devenue le nouveau Dieu de l'Italie, le catholicisme séculaire et la nouvelle religion du petit écran exigeant la même piété aveugle. La presse y a vu une histoire de rédemption alors qu'il s'agit d'une charge très forte contre le mysticisme, bras armé d'un pouvoir profitant de la crédulité des pauvres pour s'enrichir à loisir. L'émission à laquelle participe le Schpountz poussé par sa famille et ses amis s'appelle Grande Fratello qui signifie tout simplement Big Brother. Si Reality est drôle, il fait grincer des dents, parce que la réussite de la gigantesque manipulation dont nous sommes victimes est redoutablement efficace.
En 1979 le très mésestimé Albert Brooks avait réalisé Real Life, chef d'œuvre parodique de télé-réalité où le réalisateur tentait de vivre pendant un an dans une famille qu'il filmait expérimentalement au jour le jour en espérant décrocher un Oscar et un Nobel ! Real Life anticipait avec humour le monde à venir. Il faut redécouvrir tout le cinéma d'Albert Brooks (aucun lien de parenté avec les cinéastes Mel, Richard ou James L.) de Lost in America à Looking for Comedy in the Muslim World en passant par Defending Your Life et Mother.
Unreal est aussi une série TV saignante qui met en scène l'envers du décor d'une émission de télé-réalité quand les caméras s'arrêtent de tourner. Soap-opéra en abîme, Unreal joue bien entendu sur les rêves d'une population qui s'identifie aux modèles que la société de consommation façonne pour mieux nous contrôler.