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L'an passé, sous le titre Anatahan, violence et passion, je chroniquai l'édition DVD américaine du dernier film de Josef von Sternberg réalisé en 1953. Le 5 septembre, Capricci sort enfin en salle cette superbe remasterisation de la version complète de 1958 tant pour l'image 2K que pour le son. Un petit livre fortement illustré l'accompagne (à moins que ce soit pour une future sortie DVD), avec des extraits de l'essai de Sachiko Mizuno, les témoignages de l'assistant-réalisateur du film Shuji Taguchi, de son directeur de la photographie Kôzô Okazaki et du compositeur Akira Ifukube, ainsi que du remarquable texte de Claude Ollier paru en 1965 dans les Cahiers du Cinéma. NE LE MANQUEZ PAS !



Depuis 45 ans Anatahan figure parmi mes 10 films préférés parce qu'il incarne une des questions majeures que je tourne et retourne sans comprendre, l'essence-même de l'humanité, mélange de violence et passion. Qu'il n'y ait plus qu'une seule femme sur Terre et le désir fait naître les pulsions de vie et de mort, cet obscur objet du désir à l'état pur, l'absurdité de la condition humaine, l'énigme primale, l'énigme ultime.
Le génial cinéaste Josef von Sternberg s'est inspiré d'une histoire authentique pour tourner son dernier film en 1953. Anatahan, une île volcanique des îles Mariannes du Nord en plein Océan Pacifique, avait abrité trente-trois soldats japonais refusant de croire à la reddition de leur pays, de 1945 à 1951. Treize d'entre eux y avaient trouvé la mort en s'entredéchirant pour la seule femme présente sur l'île. Von Sternberg avait lu un article de journal relatant le livre de Michiro Maruyama, l'un des survivants. Son adaptation est un chef d'œuvre qui ne ressemble à aucun autre film. Dans un article de 2009 j'écrivais "... Le réalisateur américain né à Vienne en 1894 narrait dans son dernier film l'histoire de cette bande de soldats livrés à eux-mêmes, ignorant que la guerre est finie. Pour Anatahan, aussi appelé Saga d'Anatahan ou plus bêtement La dernière femme sur la Terre, von Sternberg ira jusqu'à fabriquer sa caméra, ses décors, faire lui-même sa lumière, prêter sa voix au narrateur en anglais alors que tous les acteurs parlent japonais sans sous-titres, le commentaire jouant du décalage comme un recul nécessaire sur la folie des hommes et renforçant le mystère de cette histoire invraisemblable qui s'est pourtant reproduite pendant des années après la défaite jamais avouée explicitement par l'Empire du Soleil Levant. Sur l'île d'Anatahan, les tabous éclateront, les conventions sociales voleront en éclat, surtout lorsqu'apparaîtra Keiko, la reine des abeilles. On s'y entretuera (...). Sternberg terminait son film en faisant descendre du bateau les fantômes parmi les survivants plusieurs années plus tard. Anatahan est un des rares films dont je surveille encore la sortie en dvd, un de mes dix films préférés, pour la tragédie qu'il évoque et son étonnante étude de mœurs si proche de la banale sauvagerie de notre absurde humanité, pour la musicalité de sa bande-son et l'exigence d'un cinéaste remarquable dont je suggère en outre la lecture de son autobiographie, Fun in a Chinese Laundry, bizarrement traduite Mémoires d'un montreur d'ombres."
(...) Dans cette version non censurée apparaît plusieurs fois la nudité de Keiko, interprétée par Akemi Negishi que l'on retrouvera dans Les bas-fonds, Vivre dans la peur, Barberousse et Dodes'kaden d'Akira Kurosawa (trois incontournables en DVD chez Wild Side). (...)