70 octobre 2018 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 31 octobre 2018

Le son sur l'image (2) - La liberté de l'autodidacte 0.1

Le premier chapitre de cet ouvrage consacré au design sonore, à la musique de film et à l'interactivité, rédigé en 2004, est autobiographique. Comme dans L'étincelle publié en 2008 sur Poptronics, j'ai toujours cherché à comprendre l'origine des choses, le pourquoi du comment, souvent en empruntant le discours de la méthode...


Me voici donc propulsé trente cinq ans en arrière, essayant de comprendre comment on en est arrivé là. À composer la musique de mes propres films, des camarades me demandent de m’occuper de la leur. De film en film, je deviens compositeur. La réalisation était un fantasme. Elle devint un fantôme. Adepte d’une forme buñuelienne et rock’n roll du réalisme poétique, jeune homme sans attaches familiales dans le milieu cinématographique, rebelle à toute forme conventionnelle, je comprends dès la sortie de l’Idhec (Institut des Hautes Études Cinématographiques, 27ème promotion, 1971-74) que j’aurai beaucoup de mal à trouver des financements pour mes films. Très jeune sur le marché du travail, je me fais pousser la barbe, conseil d’un dirigeant de la Gaumont. Assistant monteur sur le dernier film de René Clément, La baby-sitter, assistant tout court sur Lèvres de sang de Jean Rollin, pape du porno vampire, ou sur un court-métrage de Coline Serreau à ses tous débuts, je vérifie que le rôle de technicien n’est définitivement pas ma tasse de thé. Amusantes péripéties, mais ayant déjà été boy-scout de huit à onze ans je préfère continuer mon véritable apprentissage. Pour préserver mon indépendance, qui m’a jusqu’ici permis de poursuivre mes espérances, j’opte naturellement, sans m’en apercevoir, pour une forme d’expression artistique moins onéreuse que le cinématographe. La musique. Comme pour l’architecte, le plan n’est pas le territoire, un scénario n’est pas un film. Le cinéaste est trop souvent malheureux lorsqu’il ne tourne pas. À se rendre cyclothymique. Musicien, on peut toujours siffler dans son bain, sous sa douche, dans la rue, c’est toujours de la musique. C’était avant la VHS, la vidéo n’existait pas encore, du moins pas à l’échelle du grand public. Aujourd’hui, avec les nouveaux outils, la caméra numérique, l’ordinateur individuel, les logiciels de montage et d’effets spéciaux, ma vie aurait pris une tout autre tournure. Pourtant, pas le moindre regret, d’autant que de temps en temps, il m’arrive de changer de support. Je refais des films. Je recommence. J’arrête. J’aimerais encore. Histoire de rencontres. Avant même la fin de mes études, je m’endette et m’achète un synthétiseur. Un énorme engin avec un tableau de commandes et des câbles qui le font ressembler à un vieux central téléphonique, augmenté d’un clavier monophonique. Pour composer et enregistrer alors la musique des films, je relie la sortie stéréophonique de mon ARP 2600 aux entrées du magnétophone Nagra qu’apporte le réalisateur. Nous sommes quelques uns qui, sans le savoir, inventent ce qui s’appellera plus tard le home studio. Tandis que nombreux collègues doivent encore avoir recours à la partition sur papier, au copiste, à la location d’un studio avec ingénieur du son, aux répétitions et aux salaires de tout un orchestre, je peux proposer au réalisateur qui me rend visite à mon domicile de repartir le soir même avec sous son bras la bande 6,35 de la musique de son film. Un envoyez c’est pesé contre une longue phrase qui n’en finit pas. La compression de personnel n’aura pas les mêmes répercutions sociales catastrophiques que dans d’autres secteurs de l’économie. Les musiciens vont progressivement s’adapter aux nouveaux usages, la pratique musicale va même s’étendre dans des proportions imprévisibles. J’enregistre d’abord dans l’appartement de Boulogne-Billancourt que nous partageons en communauté. Le plafond du salon est recouvert de plaques à œufs. Cinq ans plus tard, je loue une petite maison en surface corrigée sur la Place de la Butte aux cailles, à Paris. Rue de l’Espérance, au 7, une trappe au milieu de la cuisine, un passage secret. Les soupiraux de la cave bouchés, le couvercle rabattu, c’est un sous-marin. On oubliait le temps, on oubliait l’argent. Le magnétophone tournait sans cesse.


Pas un seul cours de musique. Cela me manque-t-il ? Probablement. Oui et non. Tout à inventer ou à réinventer. Autodidacte, je rattrape inconsciemment le temps perdu à collectionner les timbres-poste en développant mes talents d’improvisateur. Je me suis toujours jeter à l’eau, au propre comme au figuré. Pas le choix. Retour à 1968, claque dans la figure lors d’un voyage initiatique aux États-Unis : la musique m’est révélée à l’écoute d’un album de Frank Zappa (troisième des Mothers of Invention, We’re only in it for the money, réédition Ryko…). Quelques mois plus tard, nous organisons le premier concert de rock du Lycée Claude Bernard à Paris. Début d’une collaboration de vingt ans avec Francis Gorgé (En 1976, avec Gorgé et le trompettiste Bernard Vitet. nous fondons le groupe Un Drame Musical Instantané. Un an plus tôt, le trio Birgé Gorgé Shiroc enregistre le disque devenu culte, Défense de, premier album des Disques GRRR, que je fonde à cette occasion par souci d’indépendance. Gorgé quitte le collectif en 1992 pour se consacrer à l’informatique. Les Disques GRRR sont toujours en activité, mais 2008 marque la fin d'Un Drame Musical Instantané). J’écris les paroles en anglais et les chante, Francis compose la musique et joue de la guitare électrique. Le groupe Epimanondas comprend également un bassiste et un batteur (Edgard Vincensini à la basse et Patrick Bensard à la batterie), et le groupe de light-show H Lights, que j’ai fondé auparavant avec une demi-douzaine d’autres camarades de classe, projette des images psychédéliques et narratives sur l’écran placé derrière l’orchestre. Nos projections accompagnent souvent Red Noise, le groupe de Patrick Vian, fils de Boris, les Crouille-Marteaux où les comédiens Jean-Pierre Kalfon et Pierre Clémenti jouent respectivement de la guitare et de la scie musicale, Daevid Allen Gong, et Dagon, le groupe de Dominique et Jean-Pierre Lentin. Souvenir charmant d’avoir travaillé à ses tous débuts avec le Cirque Bonjour de Victoria Chaplin et Jean-Baptiste Thierrée. Thierrée joue le rôle du fils de Delphine Seyrig dans un de mes films préférés, Muriel d’Alain Resnais. Muriel est le second prénom de ma fille. Je donne un coup de main à d’autres groupes comme Krishna Lights à Londres, pour Kevin Ayers époque Mike Oldfield, David Bedford et Lol Coxhill, ou Open Light pour Soft Machine… J’effectue les fondus enchaînés en cachant les objectifs avec mes doigts. Dès 1965, je grattais et brûlais des diapositives ratées ou sous-exposées, et assemblais des images polarisées pour les projeter sur grand écran. Vaporisation de laque sur la pellicule et mise à feu, morceaux de plastique étirés sur plusieurs couches entre deux verres polaroïds, tryptiques de diapositives à trois projecteurs pour un hyper panoramique. Ma période light-show s’arrête en 1974 avec la dissolution du groupe L’Œuf Hyaloïde (Participent à cet ultime groupe Michaëla Watteaux, devenue réalisatrice, Luc Barnier devenu monteur, Antoine Guerrero devenu ethnologue, le photographe Thierry Dehesdin, et Jean-Pierre Laplanche. Sans oublier Michel Polizzi qui a inauguré les liquides bouillants au sein d’H Lights puis s’est ensuite exilé à Philadelphie, et Bernard Mollerat avec qui je cosigne plusieurs films. En 1973, une plaquette luxueuse, remarquablement illustrée, le Light-Book, est éditée par l’Imprimerie Union, spécialisée dans les livres d’art)...


Je passe du saxophone soprano, trop lourd à tenir à bouts de bras, à l’alto qui pèse à mon cou, pour enfin m’asseoir sur un tabouret devant un orgue électrique. Quel soulagement, plus de poids et haltères, c’est l’instrument qui me porte ! Avec Epimanondas, je diffuse des bandes magnétiques électroacoustiques que j’ai commencé à fabriquer à partir de l’âge de 13 ans, peu après que mes parents m’aient offert un magnétophone pour un prix d’excellence inattendu. Mon père et à ma mère ont toujours tenu leurs promesses, ce prix fut pour eux une catastrophe à une période de grandes difficultés financières. Quelle que fut leur situation, ils ont toujours fait tout ce qu’ils pouvaient pour m’aider et me mettre le pied à l’étrier. Mon père avait une méthode assez astucieuse qu’il employa lorsque je voulus m’acheter un électrophone, un orgue Farfisa, le même que Pink Floyd, le Professional, et enfin mon premier synthétiseur. Il me proposa chaque fois d’en payer la moitié, quitte à ce que j’en trouve l’autre moitié. Ainsi, je commence à travailler pendant les vacances, apprenant à me donner les moyens de mes rêves. Je soude des câbles XLR pendant des jours et des jours, fais le stagiaire sur un film américain, My Old Man, d’après Hemingway, qui se tourne sur les champs de course de la région parisienne, assiste Philippe Arthuys pour des spectacles multimédia financés par la Régie Renault… Le premier morceau dont j’ai gardé la trace est une pièce pour ondes courtes et pompe à vélo enregistrée en 1965, un matin vers cinq heures, avant de partir en classe. D’autres pièces suivent après la nouvelle acquisition d’un magnétophone stéréo avec un bouton de son sur son qui permet de réinjecter des sons d’un canal sur l’autre. Le microphone placé au centre des écouteurs du casque peut produire des effets d’écho qui finissent en larsens extrêmement seyants ! Le montage aux ciseaux n’a plus de secret. En réalité, j’utilise une petite colleuse Sonocolor que je possède toujours. Elle permet d’immobiliser les deux côtés de la bande magnétique pendant que qu’on abat le couperet et que l’on positionne le ruban adhésif. Cette technique m’a permis d’effectuer des milliers de coupes à une vitesse si ce n’est vertigineuse, du moins compétitive. Cela faisait rire mes camarades, comme lorsque je continue à rouler des cigarettes avec une machine-boîte. Le tabac n’étant pas mon truc, je fais semblant de croire que je suis toujours un amateur en ce domaine, et non un professionnel, d’où le recours à ces petites machines ou aux rouleurs patentés ! Récemment, j’ai retrouvé une bande où je joue du piano alors que j’avais totalement oublié cet épisode. Le meuble droit était dans la chambre de ma sœur Agnès qui était la seule à prendre des cours de musique. Cette bande est étonnante, mon style de jeu au clavier est déjà là. Pourtant, je n’ai gardé aucun souvenir d’avoir alors jamais improvisé sur cet instrument. Ma petite sœur m’avait seulement appris à l’accompagner lorsqu’elle chantait les mélodies de My Fair Lady ! Nous abandonnons le piano et son cadre en bois lors d’un déménagement. Comme cela coïncide avec mon soudain emballement pour la musique, mes parents m’aident à acquérir un orgue électrique pour le remplacer. En 1969, chez des amis d’amis qui possèdent dans le grenier de leur maison de campagne de Maintenon tous les instruments d’un orchestre de rock, j’ai le coup de foudre pour l’orgue en m’asseyant devant. Nous enregistrons tout le week-end. Le batteur n’a jamais tapé non plus sur un fût. Cette fois encore, j’enregistre l’événement. Le magnétophone a toujours joué un rôle très important dans ma vie, pas seulement celle de musicien. Jeune homme, j’ai naïvement tenté de l’utiliser pour résorber des conflits familiaux et des drames intérieurs, avec plus ou moins de souffrance. L’idée de réécouter ces errements était assez efficace, elle suffisait en soi, la réalité était beaucoup trop pénible, il y a très longtemps que tout a été effacé.


L’achat de mon ARP 2600 fut déterminant quant à la suite des événements. La démonstration d’un vendeur zélé de la rue de Bruxelles, près de Pigalle, me fait m’endetter, alors que je n’ai aucune attirance pour la musique en boîte qui s’échappe de ce genre d’instrument. Je déteste son côté astiquez les cuivres que j’ai découvert avec le Switch on Bach de Walter Carlos, devenu depuis Wendy Carlos, ou le côté plastoc du tube Pop Corn ! Le truc formidable pour un autodidacte, c’est qu’il n’y a aucune tradition de l’instrument, aucune méthode, aucun modèle. Tout reste à inventer. De plus, l’instrument possède une logique très pédagogique. J’y cours, vole et nous venge. Il faut penser le son dans toutes ses composantes pour le générer. Les trois oscillateurs, contrôlables en tension haute ou basse fréquence, traversent un filtre puis un amplificateur. Il y a aussi deux générateurs d’enveloppe, un suiveur d’enveloppe, un modulateur en anneaux, un générateur de bruit rose ou blanc, un circuit d’échantillonnage et de maintien (sample & hold), une réverbération stéréophonique à ressort, une entrée pour une source extérieure, des inverseurs et des mélangeurs, mais le plus important c’est que l’on peut connecter n’importe quoi, dans n’importe quel sens, sans risquer d’esquinter la machine. Cet instrument marie une rigueur d’analyse et une approche totalement empirique. Lors des représentations en public, il faut à la fois jouer et préparer ce qu’on va envoyer trois minutes plus tard. L’ARP ne possède aucune mémoire, même pour l’accordage des oscillos, et le protocole midi (Musical Instrument Digital Interface, qui permet à tous les instruments de musique électronique, ordinateurs, etc. de communiquer entre eux) n’apparaîtra que des années plus tard. J’y fais mes gammes : rapidité des réactions dans le cadre de l’improvisation, présence d’esprit sur scène, mais également dans le contexte plus banal du quotidien ! Réagir vite en période de crise est un atout majeur. Je me suis longtemps servi de ce synthétiseur dans mes cours sur le son pour en expliquer la structure : timbre, hauteur, durée, intensité. Regret de l’avoir vendu. J’ai pris l’habitude de me débarrasser des instruments qui n’ont pas servi depuis dix ans. C’eût été un instrument idéal pour fabriquer des familles de sons pour le multimédia.


Parallèlement, simultanément, je joue de tout ce qui peut produire du son, instruments acquis lors de voyages à l’étranger ou objets détournés de leur destinée industrielle. Ma mère n’a rien le droit de jeter sans mon accord. Adolescent, je m’en sers d’abord pour des sculptures, puis tout est bon à faire sonner. Musique ! J’avais commencé avec la flûte à six trous, et avec la guimbarde, seul instrument dont je me considère ironiquement virtuose et dont je possède une jolie collection. Mes deux flûtes préférées sont une roumaine, qui me permet de jouer dans le suraigu, et une chromatique en plexiglas transparent, fabriquée spécialement pour moi par Bernard Vitet, et que je viens de briser en deux lors d’un accident cycliste (recollée heureusement depuis, avec du dichlorométhane !). Selon les époques et les besoins, il m’est arrivé de me mettre au piano, à la trompette, au trombone ou à la clarinette basse. Au fil du temps, se sont accumulées des centaines d’instruments acoustiques et de machines électroniques...

Illustrations : Light-Book, ed. Imprimerie Union, 1973 / USA 1968 deux enfants, ed. Les inéditeurs, 2014 / Cuivres, coll. JJB / Un patch d’ARP 2600 annoté, 1975 / Les caramels, seule sculpture conservée, 1966

mardi 30 octobre 2018

Le son sur l'image (1)


Il y a 15 ans j'ai écrit un livre intitulé Le son sur l'image qui ne fut jamais édité parce que je désirais en améliorer le style. Entre temps j'avais imaginé le réécrire, mais mes priorités sont allées à la création musicale et sonore à laquelle s'ajoutent chaque jour les trois heures de rédaction du blog, plus le reste des affaires courantes dont des articles pour des publications papier. J'ai également écrit et publié depuis deux romans "augmentés". Ces réflexions, sorte de discours de la méthode, sont pourtant la clef de mon travail et évidemment le fruit de mes interventions pédagogiques. Le nouveau siècle a chamboulé pas mal de choses, remisant l'ouvrage dans un pli caché de mon ordinateur. Les temps avaient changé, les outils aussi. L'interactivité n'est plus sur le devant de la scène, elle a même considérablement régressé. Mes terrains d'intervention ont migré, même si je continue de composer pour le cinéma, les grandes expositions, Internet, les tablettes, etc., d'autant que j'ai recommencé à me produire en public et à enregistrer des albums dont le prochain, plus ambitieux que jamais, qui m'accaparera facilement une année pleine. Il y a 13 ans, j'ai inauguré ce blog où, tout au long de quelques 4000 articles, j'ai développé certaines idées que l'on retrouvera bien entendu au fil des chapitres. Aujourd'hui j'ai choisi de le publier tel quel pour qu'il ne reste pas lettre morte, une sorte de brouillon d'un livre en devenir. Comme la chose fait quelques 200 pages je le mettrai en ligne par petits bouts, tel un feuilleton...

J'avais souligné deux phrases en exergue :
Pour gagner mon pain, je vais chaque matin au marché. On y vend des mensonges. Plein d'espérance, je prends place parmi les marchands. (Bertolt Brecht, Élégie)
et
Ne pas être admiré. Être cru. (Jean Cocteau, Journal d’un inconnu)

Suivait le sommaire :
Fruits de saison : La liberté de l’autodidacte / Déjà un siècle / Transmettre
I. Une histoire de l’audiovisuel : Hémiplégie / Avant le cinématographe / Invention du muet / Régression du parlant / La partition sonore
II. Design sonore : La technique pour pouvoir l’oublier / Discours de la méthode / La charte sonore / Expositions-spectacles / Au cirque avec Seurat / Casting / Musique originale ou préexistante / Bruitages et un peu de technique / Le synchronisme accidentel / La musique interactive
III. Un drame musical instantané : Coup de chapeau à mes maîtres / Un collectif / Des films pour les aveugles / L'image du son / La nouvelle musique du muet / Rien que du cinéma !
IV. L’auteur multimédia : La quadrature du cercle / Carton, mon premier CD-Rom / Machiavel, scratch vidéo interactif / Alphabet, la poésie interactive / LeCielEstBleu, du Zoo à la Pâte à son / FlyingPuppet & Somnambules, le www en peinture / Coexistences, vers de nouvelles interfaces
V. Alimentaire, mon cher Watson : Derrière l’écran / Les droits d’auteurs / Perspectives
L'ouvrage se clôturait avec des éléments biographiques, quelques annexes, l'index des films cités, l'iconographie et des remerciements.

J'amorce donc cette publication :

Il y a mille et une façons d’aborder la question du son. Nous pourrions y passer toutes nos nuits, à la manière du conte arabe.
Cinéaste de formation, j’ai choisi de le présenter dans la relation complexe qu’il entretient avec l’image. J’aurais pu tout aussi bien le considérer dans sa confrontation à d’autres formes artistiques, tant le travail collectif me passionne et m’anime, tant je ne peux entendre le son détaché de son contexte, tant j’aime les images qu’il accompagne.
Compositeur par la force des choses, je ne peux l’imaginer que dans un contexte musical, où tout objet sonore fait partie d’une partition, immense comme celle du monde qui nous entoure, à taille humaine pour chaque œuvre à la recherche de son équilibre, architecture inouïe se faisant entendre pour peu qu’on y prête l’oreille. Le son s’émet en piste et non en scène, comme au cirque. Rien de frontal mais dispersion spatiale entourant l’auditeur d’un air de ne pas y toucher. Il se reproduit, se croise à l’infini, se fond enchaîné, se déchaîne. On n’a pas fini d’être surpris. En face, s’expose l’envers du décor, duvet d’elle encore, le je martelé par un Peter Pan se défendant contre les risques d’une hagiographie douteusement précoce, première personne du singulier qu’il restera à dissiper au fur et à mesure que nous nous enfoncerons dans le labyrinthe des questions sans réponse, de cette jungle de bruits terribles et délicats, des recettes de cuisine plus audacieuses que maîtrisées, un je moins dangereux que toute tentative de systématisation.

Illustration : en 1974 je joue le rôle d'un aveugle vendeur de cartes postales dans Lèvres de sang de Jean Rollin, film sur lequel je suis assistant

lundi 29 octobre 2018

Feuilletons du jour... et de la nuit


Qu'elles soient prenantes ou que l'on ait envie d'en finir, les séries vont emmènent jusque trop tard dans la nuit, du moins lorsqu'on les découvre intégralement accessibles. Le principe du feuilleton hebdomadaire a l'avantage de cultiver l'impatience incontrôlable. J'aurais alors tendance d'en regarder juste un épisode avant de projeter un long métrage, rappelant ainsi les séances d'antan. Quand j'étais petit, les cinémas proposaient toujours des actualités, et un court-métrage, fiction, documentaire ou animation, avant le film. L'entr'acte nous faisait courir acheter un La télévision n'existait pas encore. Lorsqu'elle est arrivée chez nous, longtemps louée avant que mes parents achètent un poste, le premier feuilleton dont je me souvienne est Janique Aimée en 1963. Suivit assez vite Thierry-la-Fronde, mais c'est Le prisonnier qui provoqua réellement mon intérêt pour les feuilletons que j'avais d'abord connus à la radio (Ça va bouillir, Signé Furax puis Bons baisers de partout), et par les livres (Arsène Lupin, Rouletabille...).
Je n'ai pas accroché à Maniac ni à Killing Eve, mais peut-être étais-je dans de mauvaises dispositions. La quatrième saison du Bureau des légendes m'a semblé fade et bavarde en comparaison de la précédente. J'ai enchaîné les quatre saisons de Black Sails, l'histoire des pirates à Nassau mélangeant personnages historiques (Jack Rackham, Anne Bonny, Charles Vane, Woodes Rogers, Barbe-Noire) et romanesques (Capitaine Flint, Long John Silver). Le jeu des alliances y occulte hélas trop souvent la révolte anarchiste contre la patrie anglaise. Cela m'a donné envie de revoir le mésestimé Cut Throat Island (L'île aux pirates) de Renny Harlin où Geena Davis est aussi savoureuse que dans son thriller The Long Kiss Goodnight (Au revoir à jamais), qui l'un et l'autre jouent sur le registre décalé de la comédie.


L'espagnole La casa de papel tient en haleine avec son suspense en milieu clos. Petite mécanique bien réglée à laquelle il manque une dimension sociale seulement esquissée. Dans Pose, au moins, les rapports de classe, de sexe, de "race" ne sont pas des alibis. L'univers transgenre des années 80 y est montré avec panache sans perdre de vue l'analyse critique de notre société dont les laissés-pour-compte soulignent ici les aberrations et les dysfonctionnements. La plupart des comédiennes sont de véritables transgenres. Inspirés par Paris is burning, Ryan Murphy, Brad Falchuk et Steven Canals révèlent les "maisons (houses)" où des "mamans" accueillent des jeunes transgenres qui n'avaient d'autres ressources que la rue. Le milieu underground, décimé par le Sida, trouve son exutoire dans les compétitions de mode extravagantes entre maisons. Si la série n'évite pas certains passages mélodramatiques un peu convenus, chaque épisode commence brillamment par l'un de ces défilés thématiques où s'éclatent les drag queens...

samedi 27 octobre 2018

Cruralgie à La Maison Rouge


Me voilà bien ! Une cruralgie le jour de notre performance à la Maison Rouge avec Vincent Segal, Antonin Tri Hoang et Daniela Franco... Une cruralgie est une sciatique avant. Comme une traction avant ? Pas moyen d'ajourner le concert, La Maison Rouge (rouge comme la zone incriminée sur le croquis) ferme définitivement demain...
Bloqué à l'aine, je ne peux plus avancer la jambe droite. Pas facile de marcher ou de me baisser dans ces conditions, et c'est surtout effroyablement douloureux. Je ne le faisais plus, mais depuis hier soir j'avale analgésiques et antiinflammatoire. J'ai enfilé ma gaine, je me suis couché sur ma planche à clous qu'on appelle champ de fleurs ou ShaktiMat, j'ai massé le genou et le psoas comme une brute, et j'ai dormi comme je pouvais. À l'aube j'ai sué au sauna en espérant que la douleur se dissipe dans la matinée... Si j'arrive à conduire jusqu'à la Bastille et que je m'installe lentement, j'oublierai certainement la douleur pendant les deux représentations de cet après-midi. Le spectacle et la musique sécrètent des endomorphines magiques. Il y a hélas un avant et un après ! Je respire profondément et je m'élance...

vendredi 26 octobre 2018

Face B | Performative Archive à La Maison Rouge


Dimanche, fermera définitivement La Maison Rouge dont j'ai souvent chroniqué les expositions thématiques issues de collections privées. Antoine de Galbert continuera certainement à investir et s'investir dans l'art contemporain, entre autres à Grenoble. Alors samedi, avec le violoncelliste Vincent Segal et Antonin-Tri Hoang au sax alto et à la clarinette basse, nous fêterons ces quinze ans passés en improvisant sur les images projetées de l'artiste mexicaine Daniela Franco.
FaceB | performative archive verra se succéder sept pièces : The Moore Murders, Ce truc étonnant, Remix, Single, Épisodes 1-3, Ken Burns, Épisodes 4-6. Pour ma part je jouerai essentiellement du clavier, mais à puissance acoustique puisque mes deux camarades jouent là sans micro. Sur une pièce noise j'utilise par contre mon Lyra-8 russe et sur une plus tendre mon Tenori-on japonais... La salle n'accueillant que 70 personnes à la fois, la séance de 17h30 affiche complet, mais hier soir il restait quelques places pour celle de 16h. Vous pouvez vous en assurer en appelant le 01 40 01 08 81. Les deux représentations seront différentes, mais personne ne pourra assister aux deux ! Elles seront néanmoins filmées. C'est enfin une dernière occasion de découvrir l'exposition L'envol ou le rêve de voler...

jeudi 25 octobre 2018

Home Cinéma


Comme je regarde et écoute les films chez moi plutôt qu'en salles, une amie suggérait que je ratais "l'émotion du partage en public". C'est une critique récurrente que j'essuie de temps en temps. Il est certain qu'il est agréable de rire ensemble devant un film comique, ou d'avoir peur ensemble, mais cela n'arrive pas souvent. Cette amie participe aux rencontres organisées par le Méliès à Montreuil et c'est évidemment passionnant de profiter des témoignages des auteurs qui s'y déplacent. Pourtant, franchement, je rate autant que j'engrange. J'ai vu des milliers de films en salles, j'en ai vu des milliers chez moi. Jeune homme j'ai eu la chance de côtoyer nombreux cinéastes et historiens du cinéma, ce qui m'arrive encore de temps en temps dans la sphère privée. Il y a un temps pour tout. Ma bibliothèque ciblée croule sous le poids de tant de témoignages. D'ailleurs je souhaite vendre ma collection des Cahiers de 1974 à nos jours. Je ne les ouvre plus et cela occupe tout de même deux mètres de linéaire sur mes étagères chargées à craquer.
Entre la vibration du public et le champ de recherche que j'effectue en découvrant des films méconnus, je n'hésite pas une seconde. De plus, je chronique plutôt des DVD et Blu-Ray dont les bonus sont des pépites pour l'ancien étudiant de l'Idhec que je fus. Une nouvelle chance aussi pour des films oubliés. L'âge du film n'est pas un critère de qualité. Je suis ouvert à toutes les formes depuis les films expérimentaux non narratifs aux blockbusters pour adolescents attardés en passant par les films d'auteur, l'animation, les documentaires, la musique, etc. J'ai pour ce faire accès à des sources quatre fois plus dotées que la Cinémathèque Française. Je me programme ainsi des festivals domestiques pour lesquels je projette régulièrement des intégrales. Des amis se joignent à moi régulièrement. Et puis je me souviens. Chaque salle de cinéma est associée pour moi à certains films, certaines personnes. Je me souviens de Henri Langlois qui faisait l'ouvreur, des séances à minuit au Napoléon où la salle hurlait pour se rassurer, des salles de quartier vides certains après-midi, des cinémas quand ils étaient permanents, de Sergio Leone et Shūji Terayama à Cannes en 1972, de la première fois où le public a applaudi à un film sur les Champs Élysées, de la salle en sous-sol du Ranelagh où un film nous était projeté chaque matin à 10h, des fauteuils en cuir du Club 13 auquel Claude Lelouch nous avait offert l'accès le week-end, de l'écran géant à New York où j'assistai à la première de 2001 ou des trois écrans du Cinérama avenue de Wagram, des drive-ins américains dans les années 60 quand les voitures étaient encore immenses, des salles disparues de mon enfance, de l'exotisme de La Pagode ou de l'orgue du Gaumont Palace, du cinéma de Sarajevo pendant le Siège, des 26 muets que j'ai accompagnés avec mon orchestre... Il m'arrive encore d'aller à une première comme cette semaine au Cinéma des Cinéastes ou de descendre au Cin'Hoche qui est tout près. Et puis je n'aime plus faire la queue, avoir des voisins qui chuchotent ou qui cachent les sous-titres, des papiers de bonbons, du son trop fort, etc. Alors non, je ne rate rien, du moins pas plus que quiconque assumant ses choix. Il s'agit seulement de gérer son temps en fonction de ses priorités. Je regarde/écoute en moyenne un film par jour, les séries m'entraînant aussi parfois très tard dans la nuit. Comme je dors peu, il m'en reste pour écrire, composer, rêver, lire, me promener, aimer... et regarder/écouter aussi les gens, les bestioles et les étoiles...

mercredi 24 octobre 2018

La folle histoire du design aux Arts Décos


J'étais allé voir l'exposition du grand architecte et designer italien Gio Ponti dans la nef du Musée des Arts Décoratifs à Paris, mais c'est le nouveau parcours Design qui m'a fait le plus rêvé. J'ai toujours besoin des émotions les moins sages ! Or, du 3e au 8e étage se succèdent des objets et des meubles incroyables qui devraient susciter des vocations chez les plus jeunes. Le seul bémol, et il est de taille, est qu'il est évidemment interdit de tester le confort de ces fauteuils aux formes inattendues. Le design fait trop souvent fi de l'usage en privilégiant l'esthétique. Le succès nécessite leur accord. Si l'on n'a pas besoin de plonger des fleurs dans un vase pour en apprécier la beauté, on est souvent déçu d'avoir mal au dos après s'être enfoncé dans les coussins profonds d'un divan ananatomique...


De jeunes designers, comme cette fois Alexandre Benjamin Navet, dessinent un décor pour des pièces du musée. Me baissant simplement pour lire les cartels posés sur le sol afin de connaître les créateurs qu'il a choisis pour l'habiter, j'ai aussitôt déclenché l'alarme anti-vol. Voilà qui refroidit mon élan, me forçant à une distance qui de réelle en devient symbolique... Je cherchai néanmoins des idées de luminaires, frustré par les prix du neuf et les choux blancs du BonCoin. Car si les prix de ces pièces les rendirent de tous temps inabordables, il n'est pas interdit de s'en inspirer si l'on est un tant soit peu bricoleur !


Le Musée des Arts Décoratifs dévoile son nouvel écrin dédié au design en proposant un panorama unique de la création moderne et contemporaine des années 1940 à nos jours. Cliquez ici pour avoir un avant-goût des meubles, jouets, verres, papiers peints, etc. exposés. Vous découvrirez les créations de Jean Prouvé, Charlotte Perriand, Roger Tallon, François-Xavier et Claude Lalanne, Philippe Starck, Jasper Morrison, Iris van Herpen et tant d'autres qui ont marqué leur époque sans toujours hélas créer la mode ou révolutionner les us et coutumes...
Cherchant le travail des Italiens du groupe Memphis qui firent éclater les couleurs dans les années 80, je tombais évidemment sur la bibliothèque Carlton d'Ettore Sottsass, mon chouchou. À l'autre bout de la salle je me pris en photo dans les miroirs de la coiffeuse Plaza de Michael Graves. Il m'a semblé là avoir été aspiré par une bande dessinée de Joost Swarte, auteur de L'art moderne, dont je suis tout aussi fan.


Cette visite est une sorte de spectacle dont seuls des fantômes peuplent le décor. Tout comme les points de vue magnifiques sur Paris qu'offrent les fenêtres à tous les étages, sur les jardins des Tuileries de la rue de Rivoli au Panthéon, où les promeneurs ressemblent en contrebas à des ombres peintes... Énième raison d'aller à ce Musée, c'est à lui que Jean Dubuffet fit don d'un nombre important de ses œuvres dont quelques unes sont exposées lors de ce parcours hallucinant... J'avoue avoir un petit faible pour cette aile du Louvre que les cent lapins de notre opéra Nabaz'mob habitèrent pendant cinq mois lors de Musique en Jouets et dont je suis l'un des donateurs, ayant légué aux Collections Nationales ma propre Pâte à pet. Ce n'est pas une blague, même si l'on ne rit pas assez à mon goût dans les musées...

mardi 23 octobre 2018

Peter Bogdanovich en films et en livres


La cinéphilie est une coqueluche pérenne. On a beau croire que l'on en connaît les principales lignes directrices, on passe son temps à faire des découvertes, incroyablement évidentes pour certains ou totalement secrètes pour la plupart. Les fouilles font remonter du passé des archives dont on ignorait l'existence ou que l'on pensait perdues. Et plus le temps va, plus l'Histoire du cinéma s'étoffe, débordant la mémoire. Car il y a 50 ans le cinéma était seulement âgé de la moitié de son âge actuel. Si l'on imagine la profusion d'images depuis l'avènement du numérique, c'est un tsunami qui nous submerge !
Ainsi j'avais survolé le travail critique de Peter Bogdanovich sur John Ford ou Orson Welles sans avoir vu aucun de ses films de fiction. Or Carlotta publie d'un coup deux longs métrages et deux livres passionnants. The Last Picture Show (La dernière séance) est une perle de 1971 dont le noir et blanc réfléchit le froid de canard du Texas en hiver. Le vent et la poussière rappellent les films de Ford et Howard Hawks qu'adore Bogdanovich. La mode n'était pas encore aux films sur la jeunesse désœuvrée des petites villes de l'ouest. Le réalisateur passera six mois à choisir ses acteurs. Tant de cinéastes oublient l'importance du casting, faisant trop souvent rejouer les mêmes rôles aux mêmes acteurs. Jeff Bridges, Cybill Shepherd, Timothy Bottoms, Ellen Burstyn y font pratiquement leurs débuts, Ben Johnson en personnage nostalgique renvoie aux films de Ford, Cloris Leachman y interprète génialement une desperatly housewife adultère. Tous sont époustouflants, parfaitement à leur place, fragiles. L'action se déroulant entre fin 51 et fin 52, la guerre de Corée ouvrait des perspectives de fuite à ces garçons enfermés dans leur préoccupation de grandir. Ils ne connaissaient jusque là que la salle de cinéma locale pour s'évader. Le tabou de la sexualité commence à sauter. Comme dans tous les films de Bogdanovich la mort qui rôde soulève la question du temps qui passe et des époques révolues. Ce director's cut magnifiquement restauré me donne envie d'enchaîner aussitôt avec l'autre coffret DVD, mais avant cela je profite de l'entretien avec le réalisateur...
Saint Jack, tourné en 1979, ressemble à un film de John Cassavetes, d'abord pour Ben Gazzara au jeu d'un naturel fabuleux, ensuite parce que le scénario ne justifie jamais les actes des personnages, contrairement aux réalisateurs français qui ont la fâcheuse manie de vouloir tout expliquer. Les comédiens non professionnels donnent un côté documentaire à ce thriller se passant dans le monde de la prostitution à Singapour. Gazzara nous fait accepter que les choses sont comme elles sont. Elles ont leur raison d'être, même si souvent elles nous échappent.
Jean-Baptiste Thoret, spécialiste entre autres du Nouvel Hollywood, évoque parfaitement le monde de Bogdanovich dans la préface du très beau livre Le cinéma comme élégie qui reproduit leurs conversations. Je viens seulement de commencer à les lire, mais j'ai hâte de m'y replonger, le cinéaste racontant sa passion pour le cinéma de ses aînés comme sa propre aventure. De même, dans son "roman" La mise à mort de la licorne, l'évocation de la jeune comédienne Dorothy Stratten, "playmate de l'année" de la revue Playboy en 1980, avec qui il eut une liaison passionnée et qui fut torturée et assassinée par son ex mari est écrite sur le mode d'une enquête révélant les fantasmes machistes persistants. Il fustige la révolution sexuelle commencée dans les années 50 qu'il considère comme une révolte des hommes contre les femmes sous couvert de libéralisme, d'égalité et de libération. Dans ses entretiens comme dans son récit, on retrouve la précision de ses films. Du moins, ces deux-là, mais ils m'ont donné l'irrésistible envie de voir les autres... A suivre donc !

→ Peter Bogdanovich, The Last Picture Show (La dernière séance), DVD DVD avec en bonus entretien avec Peter Bogdanovich, The Mast Picture Show, souvenirs de tournage, featurette d'époque, bande-annonce, 20,06€ / Version Luxe avec Blu-Ray en plus et memorablia (8 photos instantanées, 1 bloc-notes 50 pages, 5 cartes-postales, 1 affiche), ed. Carlotta, 28,08€
→ Peter Bogdanovich, Saint Jack (Jack le magnifique), DVD avec en bonus entretien avec Peter Bogdanovich, Souvenirs de Saint Jack par l'équipe du film, Splendeurs dormantes à l'aube sur les lieux du tournage à Singapour entre 1978 et 2016, bandes-annonces, 20,06€ / Version Luxe avec Blu-Ray en plus et memorablia (8 photos instantanées, 5 planches-contact, 5 cartes-postales, 1 affiche), ed. Carlotta, 28,08€
→ Jean-Baptiste Thoret, Le cinéma comme élégie, 256 pages avec plus de 250 photos + DVD inédit avec le film de Bill Teck One Day Since Yesterday, Peter Bogdanovich et le film perdu, GM Editions-Carlotta Films, 50€
→ Peter Bogdanovich, La mise à mort de la licorne (Dorothy Stratten, 1960-1980), livre broché, 264 pages, GM Editions-Carlotta Films, 19€

lundi 22 octobre 2018

À la découverte des Yatzkan


L'histoire est totalement différente, mais la démarche est la même. Parvenus à un âge où nos anciens nous quittent, il nous faut fouiller, remontant le temps comme s’il y avait dans les archives une clef d’accès à notre identité. J'ignorais les ascendances juives d'Anna-Celia, je la croyais anglaise, mais Kendall n'était que le nom de guerre de son père. En 1978 je faisais partie du jury qui l'a reçue à l'Idhec (l'ancêtre de La Femis) et je fus le responsable de la pédagogie de sa Promotion lors de l'année qui suivit. Le concours d'entrée exigeait de déceler les aptitudes créatrices des candidats. Nous ne nous sommes pas trompés.
Cette année j'ai découvert les archives familiales en haut de l'armoire dans la chambre de ma mère, j'ai constitué mon arbre généalogique et même séquencé mon génome. Je savais d'où je venais, mais j'ignorais maints détails. Les dossiers concernant la déportation de mon grand-père, l'évasion de mon père après les sévices subis par la Gestapo, les documents historiques concernant mes deux parents issus de la communauté juive d'Alsace m'ont poussé à creuser cette piste digne des meilleurs feuilletons.
De son côté, avec des outils similaires, Anna fit ce travail de deuil et de renaissance après la mort de sa mère. Il fallait trier, choisir quoi conserver, jeter, vendre, donner. Mais il était aussi nécessaire de lever certains dénis, contrebalancer le refus de se souvenir des aînés par l'étonnant champ de recherche que constitue Internet, avoir le courage de retourner là où les crimes avaient été commis. La caméra suit la réalisatrice dans son enquête jusqu'en Pologne où l'antisémitisme est toujours présent. Découvrant des Yatzkan survivants des massacres de 1941 perpétrés en Lituanie, et d’autres issus d’une autre branche ayant fui les pogromes de la fin du XIXe siècle et réfugiés aux États-Unis, Anna renoue avec eux et devient elle-même une Yatzkan, ajoutant le patronyme de sa mère au sien et devenant ainsi Anna-Célia Kendall-Yatzkan. À la suite, entre autres, de cinéastes d'origine juive, elle a recours à l’autodérision, une manière d'assumer la souffrance pour continuer d'avancer. Si Les Yatzkan est un film fondamentalement tendre, il peut être aussi drôle que passionnant. Je n'ai pu retenir mes larmes lorsque les cousins venus d'Europe, d'Amérique ou d'Afrique du Sud débarquent à l'aéroport, mais j'ai ri des petits poings rageurs d'Anna face à l'agressivité d'un rougeaud ou devant cette fille qui tente en vain de se débarrasser des affaires de sa mère lors d'un vide-grenier.


Adepte de l'auto-fiction comme Françoise Romand, Agnès Varda, Dominique Cabrera, Sophie Calle, Maïwenn, beaucoup de femmes, mais aussi Alain Cavalier, Nanni Moretti, Alejandro Jodorowsky et quelques autres, la cinéaste se met en scène et façonne le réel avec les ressources d'une fantaisie lui offrant de faire éclater la vérité de l'imaginaire. Elle plie et déplie les papiers qui se transforment en origamis ou en affiches géantes, photographies collées sur les lieux-mêmes où elles furent prises le siècle précédent. La langue yiddish devient le vecteur d'une histoire lituanienne qui a traversé les siècles et l'Europe. Lorsqu'elle n'arpente pas les rues ou les bois à la recherche des traces du drame, notre Kendall-Yatzkan est rivée à son ordinateur. Elle fait l'acquisition de documents rares sur eBay, retrouve les lieux sur Googgle, contacte les membres de sa famille perdue et retrouvée et se fait traduire mot à mot ce qu'elle ne comprend pas. Et l'inconscient fait son travail, car le non-dit est souvent explicite sous l'évocation poétique. Les artistes ont cette chance terrible de transposer et sublimer leurs émotions. La performance de sa cousine Doris avec le sang et le lait est d'autant plus poignante. Anna est une petite souris comme celles que dessine Art Spiegelman dans Maus. Elle est tenace, impertinente, amusée, rêveuse, et elle se sait maintenant faire partie de sa famille souris, les Yatzkan.

→ Anna-Célia Kendall-Yatzkan, Les Yatzkan, à 13h du 7 au 20 novembre (sauf le 13) et le 27 au cinéma Le Saint-André-des-Arts,
avec, à l'issue de chaque projection, la présence d'une personnalité (Doris Bloom ou d'autres Yatzkan telles que Diana Huidobro et Nathalie Weksler accompagnée de Jean-Gabriel Davis, l'historienne et chanteuse Éléonore Biezunski, les historiens Annette Wieviorka et Philippe Boukara, le psychanalyste Daniel Sibony, les sociologues Nathalie Heinich et Claudine Dardy, la psychologue clinicienne Yaelle Sibony-Malpertu, le professeur de yiddish Arnaud Bikard, les cinéastes Jérôme Prieur, Yves Jeuland, Dominique Cabrera, Amalia Escriva, Pauline Horowitz, Jacques Royer).

vendredi 19 octobre 2018

La galère des Points Relais


D'habitude je peste contre les transporteurs qui ne livrent jamais comme ils s'y sont engagés. Cette fois j'avais 5 colis de 17 kilos à envoyer en Alsace par Mondial Relay, or la plupart des commerçants qui assurent ce service refusent de prendre des colis de plus de 10 kilos. J'en appelle 13 avant d'en trouver un qui accepte que je dépose mes 87 kilos le lendemain. Je n'avais pas choisi ce mode de livraison, mais l'acheteur de la collection de livres de science-fiction du Club du Livre d'Anticipation qui appartenait à mon père.
Il me reste encore à vendre les revues Fiction Magazine (1953-1987), Satellite (complète 1958-1963), Galaxie (1964-1977), Hitchcock Magazine, Mystère Magazine, des recueils chez Casterman, d'autres bouquins de science-fiction chez Gallimard, de la collection rouge chez Hachette, etc., sans compter les 47 volumes reliés géants du Génie Civil (1915-1937) qui appartenaient à mon grand-père, les 12 volumes reliés du Théâtre de Pierre Corneille (1827), les 8 volumes reliés de Courteline (1930), quantité d'Avant-Scène Théâtre, des livres de son Enfer, un Vian illustré par Boullet, un Valentine Penrose préfacé par Paul Éluard, je n'en finirai jamais ! D'autant que de mon côté je cendrais bien ma collection des Cahiers du Cinéma depuis 1974 (600 numéros) et les 46 premiers magazines de photos Zoom (1971-1977). J'en ai mis une partie sur LeBonCoin, mais n'hésitez pas à me contacter...

jeudi 18 octobre 2018

La mort de Jacques Monory me flanque "les bleus"


"Les bleus", c'est ainsi qu'une amie québécoise évoque le cafard ou la mélancolie, traduction littérale du blues. Nous aimions tant son approche cinématographique de la peinture, en résonance de la mienne à la musique, qu'en 1985 nous avions demandé à Jacques Monory l'autorisation d'utiliser une de ses toiles comme couverture du dernier vinyle d'Un Drame Musical Instantané. Carnage est épuisé depuis 25 ans, c'est le seul album du Drame que vous ne trouverez plus ni en vinyle, ni en CD. Au dos de la pochette, Bernard Vitet jouait le rôle du terroriste un flingue à la main, Francis Gorgé était vêtu d'habits déchirés par l'explosion et je figurais une sorte de héros, la mallette sauvée in extremis. Orson Welles disait qu'il suffit de retirer un seul paramètre à la réalité pour entrer en poésie. Le monochrome bleu nous faisait pénétrer dans le monde des rêves, même dans les scènes de violence, sortes d'arrêts sur image en équilibre précaire sur le réel. Nous partagions avec Jacques Monory le goût du thriller, un genre que les écrivains ont souvent choisi pour critiquer la société. Le tableau Explosion peint en 1973, dont Carnage est un détail, me rappelle le dernier plan du dernier film de Luis Buñuel, Cet obscur objet du désir. La bombe laisse la fumée grimper vers le ciel bleu. Depuis, les attentats se sont multipliés...


Jacques Monory était un homme exquis, toujours un sourire aux lèvres, attentif, bienveillant. Plus tard il nous offrit une image en guise de carte postale pour notre trio, Technicolor, un tableau qu'il avait détruit, mais qui collait avec notre regard sur les animaux. Le public y était aussi encagé que le chimpanzé. Lorsque la vidéaste Dominique Belloir voulut sonoriser le film que lui avait commandé La Cité des Sciences et de l'Industrie pour être projeté à l'entrée du planétarium, Monory lui suggéra de nous demander de composer la musique originale du film Souvenir autour de ses toiles renvoyant à l'homme et au cosmos. J'utilisai un synthétiseur, un échantillonneur, un vocodeur, un harmoniseur, une trompette de poche, une flûte et des appeaux. Bernard jouait de la trompette, Francis se servait d'un E-Bow sur sa guitare, d'un synthétiseur, d'un mellophone et d'appeaux. Participaient également à cet enregistrement de 1986 le violoniste Bruno Girard, Kent Carter à l'alto, Hélène Bass et Marie-Noëlle Sabatelli aux violoncelles, Geneviève Cabannes à la contrebasse. La dernière fois que j'ai rencontré Jacques Monory, c'était à l'occasion de l'exposition des Justes d'Agnès Varda au Panthéon il y a déjà 11 ans. Hier, à 94 ans, il est finalement entré dans un monde sans couleurs, nous laissant juste broyer du noir...

mercredi 17 octobre 2018

Bruno Billaudeau, électroacousticien en temps réel


Ce week-end j'ai arpenté les ateliers d'artistes de Montreuil qui avaient ouvert leurs portes. J'étais surtout intrigué d'aller écouter les instruments construits par Bruno Billaudeau qui les exposait au Théâtre Berthelot. J'ai d'abord imaginé la musique en regardant ses sculptures sonores, mais c'est seulement lors du concert que j'ai découvert ses improvisations électro-acoustiques. Les micros contact captent le son de la matière qu'il excite de différentes manières, avec archet, mailloches, pincements, etc., mais il utilise également des micros magnétiques et des capteurs piézzo comme sur une guitare électrique. Les noms de ses instruments fabriqués avec des matériaux recyclés suggèrent leur sonorité : totem de scies, celloharpa, guitaressort, harpependulair, sciegong... Ne pas croire que c'est un Indien qui joue roots sous prétexte que le bois et le métal rappellent leur passé d'objets d'usage. Billaudeau traite ses sons avec l'informatique de Live Ableton et Max MSP. Ce jour-là il avait également apporté ses Boîtes bleues, petites valises de circuits électroniques éclairés par des diodes : la Spring Suitcase, la Clock Writer Box, l’Electro Box, la BipBip Box ! Je ne pouvais pas rester pour les concerts suivants, mais j'aurais été intéressé de l'écouter jouer avec d'autres improvisateurs, car les sons de sa démonstration en forme de show-case étaient vraiment très intéressants, envahissant l'espace en privilégiant la profondeur... Or souvent les nouveaux luthiers ont du mal à prendre du recul et à pervertir leurs instruments comme savent le faire les compositeurs. Il existe des exemples fameux comme celui de Harry Partch qui inventa des instruments aptes à jouer ce dont il rêvait. Il me semble ainsi nécessaire que l'idée précède le style...
J'ai la chance d'avoir conservé quelques uns des instruments inventés par mon camarade Bernard Vitet : frein (contrebasse à tension variable) et alto à frets en laiton et plexiglas, flûtes en PVC et plexi, trompes, trompettes à anche, cloches tubulaires, pots de fleurs accordés, etc. Si Françoise Achard a pu sauver le célèbre Dragon (balafon géant), les autres ont probablement disparu de son ancien domicile avec le reste de ses souvenirs... Je regrette en particulier l'incroyable pyrophone (orgue à feu) et les instruments qu'il avait fabriqués pour Georges Aperghis comme la vielle à roue qu'on actionnait en poussant le caddy qui l'abritait ! Je possède également des flûtes construites par Nicolas Bras, une crakle box d'Éric Vernhes. Éric m'a également programmé un synthétiseur perso, le JJB64, et Antoine Schmitt la Mascarade Machine. La Pâte à Son et Fluxtune conçus avec Frédéric Durieu ne fonctionnent hélas plus que sur de très vieilles machines. Alors je dévie de leur fonction originelle quelques applications que les Inéditeurs ont conçues pour iPad comme la Machine à rêves de Leonardo da Vinci et DigDeep...
Mais les pièces de Billaudeau sont vraiment très belles. Il est seulement dommage que toute cette lutherie originale reste toujours à l'état de prototype et que seuls soient reproduits des instruments dont le marché pense pouvoir tirer un substantiel profit, ce qui n'est pas toujours le cas, les plus délirants disparaissant évidemment très vite...

mardi 16 octobre 2018

Wassim Halal, un coup de maîitre !


J'avais adoré le trio des Revolutionary Birds auxquels participait le joueur de darbuka et de doholla (darbuka grave) Wassim Halal avec Mounir Troudi et Erwan Keravec. J'admirais le jeune percussionniste franco-libanais, je suis estomaqué par le compositeur qui publie son premier album solo d'une maturité exceptionnelle. Si le solo signifie en être l'organisateur, d'autant que l'improvisation y tient une place majeure, il faut reconnaître qu'il a su s'entourer. Une trentaine de musiciens l'épaulent sur cet incroyable triptyque en 3 CD qui se déplie comme un petit opéra dont je ne comprends hélas pas les quelques mots puisqu'ils sont dits en arabe que je ne parle pas. Il n'y en a pas tant, mais si le verbe est à la hauteur de la musique, je veux bien l'apprendre, car Le cri du cyclope est un coup de maître !


Je ne m'y connais pas non plus suffisamment en percussion pour reconnaître si les peaux sont pures ou trafiquées électroniquement (Benjamin Efrati et Pierrick Dechaux au gugusophone ?), mais lorsqu'elles s'emballent je retrouve la transe qui vous emporte au delà du réel, dans un imaginaire qui n'appartient qu'à soi. Des frissons animent soudainement mon corps, me rappelant les feedbacks que je produisais avec mes premières œuvres électroacoustiques dans les années 60. Si le premier disque est axé sur la darbuka, il commence avec d'incroyables anches suraiguës (dont Samir Kurtov à la zurna) indiquant d'emblée que nous sommes loin d'un disque de percussion démonstratif. Les mélodies sous-jacentes fabriquent des timbres inouïs qui nous porteront jusqu'au bout.


Les deux superbes collages de Benjamin Efrati et Diego Verastegui, morcelés en huit panneaux par le biais du gabarit qu'impose la pochette CD ou reproduits sur les trois macarons, rappellent ceux de Max Ernst ou Jacques Prévert, intégrant par leurs éléments toutes les sources d'inspiration de Wassim Halal. Le second disque débute en effet avec un gamelan (Théo Mérigeau, Sven Clerx, Jérémy Abt, Antoine Chamballu, Ya-Hui Liang), se poursuit avec un quatuor d'anches (Benjamin Dousteyssier, Raphaël Quenehen, Jean Dousteyssier, Laurent Clouet) pour aboutir à un quatuor à cordes (David Brossier, Amaryllis Billet, Léonore Grollemund, Anil Eraslan), souvent rejoints par les peaux qui renforcent les polyrythmies et épaississent le timbre.


Les collages insistent aussi sur l'unité de l'ensemble. Ce ne sont pas trois disques, mais bien un triptyque musical à quatre volets graphiques. Les incantations de la chanteuse Leila Martial attaquent le troisième disque avec une pêche d'enfer, effets que prolonge la guitare de Grégory Dargent. Et ainsi de suite avec l'Aala Samir Band (Kamal Salam Jaber, Samen Almarya, Ibrahim Abomazem, Sami Fayud), les voix d'Oum Hassan et Gamalat Shiha, la zurna de Samir Kurtov... Pour clore ce voyage dans un pays qui, s'il n'était pas imaginaire, deviendrait ma prochaine escale, entrent en free jazz oriental l'accordéoniste Florian Demonsant, le trompettiste Pantelis Stoikos, le clarinettiste Laurent Clouet, et enfin Erwan Keravec à la cornemuse. Halal reprend sa place d'accompagnateur de ces musiques tournoyantes et enivrantes alors qu'il est le grand ordinateur de ce grand charivari commencé avec toute la smala dès L'oracle qui ouvrait le premier disque, le tout remarquablement enregistré par Cyril Harrison.


Ce sont bien de ses voyages que s'est inspiré Wassim Halal pour accoucher de ce petit bijou composé de trois galettes d'argent, au Liban où il s'est initié au Dabkeh, le répertoire de mariage, en Turquie auprès des Tziganes et partout où son métier l'a mené. Quand la musique laisse place au silence, on a l'impression de revenir d'un long voyage dépaysant entrepris en tapis volant comme dans Starik Khottabych (Grand-père miracle), le film magique de Gennadi Kazansky en Sovcolor que je n'avais pas revu depuis qu'il avait été projeté dans mon école primaire...

→ Wassim Halal, Le cri du cyclope, 3cd Collectif Çok Malko avec le soutien de l'AFAC Fondation (Arab Fond for Arabic Culture), dist. Buda/Socadisc, sortie en novembre 2018

lundi 15 octobre 2018

Barbara Hannigan, incarnations


Barbara Hannigan serait-elle la nouvelle Cathy Berberian ? La comparaison est probablement erronée, mais la soprano canadienne possède le toupet, l'humour et la virtuosité de la cantatrice disparue prématurément en 1983. Si l'on ajoute qu'elle est aussi acrobate et chef d'orchestre, nous sommes en face d'une artiste complète qui donne aux opéras auxquels elle participe une intensité rare.


Comme beaucoup d'internautes je l'ai découverte en 2015 avec son interprétation magistrale d'un extrait du Grand Macabre de György Ligeti dirigé par Simon Rattle. J'ai d'abord eu envie d'en écouter plus, alors j'ai acheté le CD où elle chante la Sequenza III de Luciano Berio, Crazy Girl Crazy de George Gershwin qu'elle dirige en même temps ainsi que la Lulu Suite d'Alban Berg. Il est accompagné d'un petit film Music Is Music réalisé par son compagnon depuis 2015, le comédien Matthieu Amalric. J'ai continué avec Socrate d'Erik Satie, la seule œuvre dramatique du musicien d'Arcueil qui osa la composer seulement après que Debussy, son ami adulé, fut mort. Mais je préfère la version de Cuénod, ou, mieux, l'originale pour mezzo, trois sopranos et orchestre, dirigée par Friedrich Cerha. Et puis je suis enfin passé aux opéras en DVD...
J'ai ainsi acquis Written On Skin de George Benjamin, Lulu de Berg et La voix humaine de Francis Poulenc. Il y en a d'autres, mais j'ai une tendresse particulière pour les deux derniers. J'ai eu la chance d'assister à la création de Lulu par le trio Boulez-Chéreau-Peduzzi à l'Opéra de Paris en 1979 assis au premier rang grâce à mon abonnement à l'Ircam. Or c'est Wozzeck de Berg qui me fit entrer dans le monde du lyrique qui m'insupportait jusque là, probablement parce que mon père en était féru. Quant à La voix humaine, c'est une de mes œuvres dramatiques préférées, d'une part pour le livret de Jean Cocteau, d'autre part parce que j'ai toujours défendu Poulenc, compositeur schizophrénique partagé entre ses pièces liturgiques et canaille, mouton noir de la famille Rhône-Poulenc ! Je suis totalement fan de ses surréalistes Mamelles de Tirésias et de ses terribles Dialogues des Carmélites, peut-être grâce à l'interprétation de la sublimissime Denise Duval qui privilégie la diction et la théâtralité avant tout.


Barbara Hannigan est plus difficile à comprendre, elle roule les r, mais chanter couchée par terre ou en se tordant dans tous les sens est une prouesse. Les mises en scène de Krzysztof Warlikowski sont évidemment très spectaculaires, demandant un investissement autant physique que vocal. Le metteur en scène polonais cherche systématiquement à pervertir les intentions originales des librettistes en transposant l'intrigue grâce aux failles que les livrets recèlent. Au lieu d'être simplement une femme au téléphone avec son amant qui la quitte, l'héroïne est accompagnée par la pensée de son amant qui meurt plein de sang, victime d'un révolver qui se retournera contre elle-même. La chorégraphie hystérique de Claude Bardouil est hélas un peu trop caricaturale à mon goût. Pour une fois je préférais le classicisme où le téléphone est une « arme effrayante qui ne laisse pas de traces, qui ne fait pas de bruit » plutôt que l'afflux d'hémoglobine et de rimmel dégoulinant. Cette tragédie lyrique en un acte est couplée et précédée du Château de Barbe-Bleue, unique opéra de Béla Bartók sur un livret de Béla Balazs avec le duo John Relyea et Ekaterina Gubanova. J'en préfère la scénographie avec ses chambres transparentes et coulissantes. Les écrans vidéo produisent des effets de perspective, multipliant les points de vue, et les scènes glissent sans cesse de tableaux en tableaux, plus étonnants les uns que les autres. J'avais l'intention d'assister à ce spectacle, mais les places à 200 euros m'en ont dissuadé. Je me suis rattrapé en projetant le DVD sur mon très grand écran pour seulement 25 euros, expérience reproductible !


Pour Lulu, on retrouve le nouveau baroque de Warlikowski avec la même équipe artistique, scénographie, lumière, costumes, chorégraphie, vidéo, etc. La présence d'enfants semble indiquer chaque fois que tout a commencé très tôt, ces névroses alimentant toujours le répertoire parce qu'il n'est que la représentation théâtrale de nos vies. Les introductions parlées au micro participent de la même distanciation. Des scènes parallèles se déroulent en arrière-plan pendant l'action principale, agisant comme des prismes révélateurs. Barbara Hannigan trouve en Lulu un rôle à sa mesure dans cet opéra dont l'argument inspiré de La boîte de Pandore et de L'esprit de la Terre de Frank Wedekind est une suite de coups de théâtre sur une des plus belles musiques symphoniques du XXe siècle. Presque nue, sur des pointes, la soprano participe à cette accumulation de provocations critiques. Le spectacle est ahurissant.

J'ai continué mon enquête avec d'autres CD. Vienna Fin de siècle rassemble des œuvres de Schönberg, Webern, Berg, Zemlinsky, Hugo Wolf et Alma Mahler écrites entre 1888 et 1910. En allemand comme en français, Barbara Hannigan, accompagnée ici au piano par Reinbert De Leeuw, privilégie la dramaturgie et le lyrisme au détriment de la compréhension des paroles. Son caractère échevelé est plus à son aise dès que la folie s'empare des rôles. Ses apparitions dans In the Alps de Richard Ayres enregistré en 2008 avec le Blazers Ensemble sont carrément cocasses à l'instar du reste de la partition aux accents de fanfare. Par contre je m'ennuie terriblement de la banalité de Let Me Tell You de Hans Abrahamsen. Il y a toujours une énigme derrière l'excellence. Pour m'approcher de sa révélation j'ai tendance à viser l'exhaustivité. On finit toujours par en trouver une interprétation, même si elle vaut ce qu'elle vaut !

vendredi 12 octobre 2018

Borja Flames, rouge vif


Il y a deux ans je saluais l'album Nacer Bianco de Borja Flames. De Naître blanc le compositeur espagnol est passé au rouge vif de Rojo Vivo. Ne croyez pas que je comprenne sa langue, cela me manque cruellement pour piger le sens de ses paroles. Tenter d'attraper au vol des bribes de ce qu'il chante aurait même tendance à me flanquer la migraine, d'autant que cette fois la musique est dense, rapide et enjouée. De petites boucles rythmiques astringentes de synthétiseur et percussion contrastent avec ses mélodies à la voix tendre.
Il y a vingt ans, avec Bernard Vitet, nous avions l'ambition démesurée de renouveler la chanson française avec l'album Carton. Le disque avait rencontré un joli succès critique, mais n'avait évidemment rien révolutionné. Il est probable que ces autres cinglés resteront marginaux dans un marché étouffé par les produits Kleenex et la communication de masse abrutissante. Mais au moins cela sonne autrement et ça remue les méninges. Sur scène Borja Flames est accompagné par sa comparse Marion Cousin qui chante, claviérise et percussionne, Paul Loiseau aux percussions et Rachel Langlais aux claviers. N'oubliez pas de laisser tourner le disque jusqu'à la ghost track, une facétie de plus sur un album qui interroge fondamentalement sur le champ immense que pourrait investir la chanson si le métier n'était pas si timoré. Borja Flames fait bouger les lignes de front. On gagne du terrain. Il est publié par Les Disques du Festival Permanent, le label du violoncelliste Gaspar Claus, qui accueille d'autres pirates de la variété pop comme Sourdure ou Marc Melià. On est donc tout ouïe et plein d'espoir pour l'avenir.



→ Borja Flames, Rojo Vivo, cd Les Disques du Festival Permanent, sortie le 19 octobre 2018

jeudi 11 octobre 2018

Sorry to Bother You, comédie corrosive du rapper Boots Riley


J'avais découvert Boots Riley lors du concert inaugural d'Ursus Minor à Villejuif il y a 15 ans. Son propre groupe, The Coup, avait retiré de la vente leur disque qui devait sortir le 11 septembre 2001 à cause de la pochette prémonitoire où l'on voyait les Twin Towers exploser avec Boots appuyant sur l'un des boutons d'une basse électrique. Sur ce fabuleux album d'Ursus Minor, Zugzwang, il chantait entre autres "Burn The Flag (Brûle le drapeau)"... C'est la génération des enfants des Black Panthers qui résiste toujours aux États Unis. La presse européenne relate rarement leurs actions, sauf lorsqu'elle est soutenue par des blancs comme lors de Occupy Wall Street. Ces dernières années Boots Riley avait un peu disparu de la scène musicale, et pour cause. Il vient de réaliser son premier long métrage de fiction, tout aussi politique que son rap revendicatif.
Sorry To Bother You est un drôle de film qui ne ressemble à aucun autre. Il en parle comme d'une comédie sombre et absurde avec réalisme poétique et science-fiction, inspirée du monde du télémarketing. Le scénario s'inspire de sa propre expérience en Californie où il avait emprunté une voix de blanc pour convaincre les clients potentiels. Ses élucubrations corrosives transposent avec humour son analyse critique radicale du capitalisme. Pour l'avoir écrit en 2012 sous Obama, Boots Riley a gommé tout ce qui pourrait sembler une charge contre Trump pour l'axer contre les véritables auteurs du marasme et non sur leurs marionnettes. Le film exhorte ainsi les salariés à se syndiquer et à se regrouper solidairement sans céder aux chimères de l'argent au risque d'être transformés en monstres.


Les acteurs Lakeith Stanfield (Selma, Straight Outta Compton, Get Out), Tessa Thompson (Selma, Thor: Ragnarok, etc., elle incarne ici une plasticienne radicale et féministe), Steven Yeun (The Walking Dead), Danny Glover (en dehors de L'arme fatale, La couleur pourpre, etc., il est connu pour ses soutiens à Bernie Sanders et Mélenchon !) participent à cette joyeuse farce grinçante où la fantaisie des résistants rivalise avec le cynisme des exploiteurs manipulateurs d'opinion.

Sortie en France le 16 janvier 2019

mercredi 10 octobre 2018

6 Deutsche Grammophon Recomposed


Je vais de découverte en découverte. Elles ne sont pas forcément récentes. Cela me rappelle une histoire corse que m'avait racontée Jean-André Fieschi, avec l'accent évidemment : un vieux de l'île avait abattu un couple de touristes anglais, geste franchement inexplicable ; comme la police l'interroge sur ses motivations, le vieux Corse répond que les Anglais sont responsables de la mort de Jeanne d'Arc ; les policiers surpris lui rappellent que c'était tout de même il y a des siècles de cela; le vieux s'exclame alors "peut-être, mais moi je l'ai su qu'hier !"...


La mienne est une histoire allemande. Le célèbre label de musique classique avait commandé à plusieurs compositeurs de musique électronique des remix d'œuvres du répertoire dirigées par Herbert von Karajan, leur fournissant par exemple des enregistrements de Shéhérazade de Rimsky-Korsakov, des Planètes de Holst (Mars), de la Symphonie du Nouveau Monde de Dvořák, de la Moldau de Smetana, de la 8e symphonie de Schubert (1er mouvement), des Tableaux d'une exposition de Mussorgsky (Gnomus arrangé par Remo Giazotto), l'Adagio prétendument d'Albinoni, des Hébrides de Mendelssohn-Bartholdy et du Lac des Cygnes de Tschaikowsky !
Mais Matthias Arfmann ajoute l'Ouverture du Hollandais Volant de Wagner et les Scènes d'enfants de Schumann (2005), Carl Craig & Moritz von Oswald le Boléro et la Rhapsodie espagnole de Ravel (2008), Max Richter s'attaque aux Quatre saisons de Vivaldi (2008), Matthew Herbert à la Xe symphonie de Mahler (2010). Quant à Jimi Tenor, il enchaîne Music For Mallet Instruments, Voices And Organ et Six Pianos de Steve Reich, Wing on Wing d'Esa-Pekka Salonen, Répons (Section 1) et Messagesquisse de Boulez, les Variations de Satie, Déserts et Ionisation de Varèse et le Concerto choral sans paroles à la mémoire d'Alexander Yurov de Georgi Sviridov (2006) ! À l'instar des DJ échantillonnant les musiques dont les majors auxquelles ils appartiennent ont les droits (ce qui laisse les indépendants bien démunis ou les transforme en pirates), le label allemand exploite ainsi son fond de commerce avec intelligence.


Je n'ai pas entendu les récentes Suites pour violoncelle de Jean-Sébastien Bach par Peter Gregson (2018), mais j'ai trouvé passionnantes les cinq autres adaptations sorties depuis quelques années.
Mon préféré est de très loin le travail du Finlandais Jimi Tenor, s'appropriant totalement ses aînés ou ses contemporains sans aucune retenue, dynamitant les originaux en leur superposant quantité d'instruments et de filtres. Reich est transformé en big band de jazz sur rythmique reggae, Salonen en exotica féérique, Boulez en electro funky, Varèse en bande-son d'un thriller, etc. J'adore, d'autant que cette renaissance du passé est cousine de mon prochain disque qui devrait faire suite à celui de mon Centenaire !


L'Américain de Detroit Carl Craig & le Berlinois Moritz von Oswald mettent en boucle Ravel et Moussorgsky pour composer une longue pièce répétitive hypnotique.


Le Hambourgeois Matthias Arfmann est le plus banal, technoïsant rythmiquement les classiques sans prendre de véritable distance, ce qui revient paradoxalement à une iconoclastie ringarde que les autres remixeurs ont su éviter.


Si Max Richter est le plus classique avec sa magnifique réinterprétation pour orchestre de 2012, il ajoute de nouveaux remix dans une version dite de luxe où il collabore en 2014 avec Daniel Hope et André de Ridder pour de reposants soundscapes répétitifs et bucoliques, avec en plus des remix forcément plus kitsch de Robot Koch, Fear of Tigers, NYPC...


L'Anglais Matthew Herbert réussit une sorte d'évocation radiophonique conceptuelle éclairant la partition inachevée de Mahler d'un jour totalement nouveau, ajoutant un violon alto enregistré sur la tombe du compositeur, diffusant la symphonie dans un cercueil plombé, ajoutant des petits oiseaux pris près de Toblach dans les Alpes italiennes où Mahler passait ses vacances d'été...


Toutes ces iconoclasties méritent d'être écoutées, car la distance entre le passé et le présent rend encore plus flagrante la relecture qu'avec les albums Remixed d'après Steve Reich ou Métamorphose, messe pour le temps présent d'après Pierre Henry et Michel Colombier dont les effets sont télécommandés. Ces recompositions racontent des siècles d'histoire de la musique en dressant d'innombrables ponts qu'il faut emprunter pour faire le voyage d'hier à aujourd'hui. À l'inverse elles nous interrogent sur la manière dont ces œuvres étaient perçues à une époque où elles étaient contemporaines.

mardi 9 octobre 2018

Quand c’est cassé c’est cassé


Il ne reste plus qu'à recevoir la confirmation du notaire pour valider notre divorce. C'est mon deuxième. Je me suis chaque fois marié pour des raisons techniques et qui ne m'incombaient pas directement. L'amour n'a rien à y faire, même si j'étais follement amoureux des deux femmes en question. Le mariage n'est que l'assentiment de la société, administratif et dans le regard des autres, la famille, les amis, les collègues, cela dépend des milieux. Plus le mariage est simple, plus le divorce le sera. S'il a lieu, ce n'est heureusement pas obligatoire, qu'on me comprenne. J'envisage pourtant toujours la rupture au début de chaque association, qu'elle soit amoureuse ou professionnelle. Si cela craque, tout est réglé sans trop de chamailleries. Je crains que les jeunes gens qui dépensent des fortunes pour leur mariage n'aient pas fini de payer leur emprunt avant de se séparer ! Mes deux divorces se sont donc passés à l'amiable, formule simplifiée comme on l'appelle aujourd'hui, 960 euros le menu pour deux personnes, service compris. Ce n'est pas donné, mais ce n'est pas une catastrophe. Si c'en est une, ce n'est pas là qu'elle se situe. J'ai vécu treize ans avec la mère de ma fille, plus de quinze avec Françoise, longtemps parfois avec d'autres, avant et entre temps.
Après quelques semaines plutôt déstabilisantes, j'ai tranquillement accepté mon sort et envisagé une vie nouvelle. Pour me consoler, ma fille m'a dit que j'allais rajeunir et perdre quelques mauvaises habitudes. J'ai en effet changé de régime, perdu les six kilos qui me transformaient en homme enceint, marché tous les matins à jeun, je suis sorti autant que possible. J'ai d'abord regardé les filles comme un ivrogne qui suit des yeux la bouteille qui passe dans un restaurant. J'ai testé sans succès les sites de rencontres pendant un mois avant de m'en désinscrire, mais je pourrais écrire une thèse sur le sujet. J'y reviendrai ici certainement, cela en dit long sur l'évolution de la société.
Il vaut mieux retrouver son calme. Django et Oulala n'ont jamais été aussi câlins. Les amis sont adorables. C'est une question de rythme. Au jeu des chaises musicales chaque chose retrouve sa place. Le romantisme fleur bleue oblige à ne pas s'installer dans un confort célibataire que le conflit bienveillant du couple bouscule heureusement. Celles et ceux qui tiennent à nous émettent des critiques fondamentalement positives. Le collectif est tellement plus marrant que le solo, exercice bien pâlichon en regard des modes associatifs. On privilégiera la dialectique. Le fatalisme, n'empêchant nullement mes facultés de résistance et de révolte permanentes (qui n'ont rien à voir avec ma situation sentimentale à laquelle je ne fais aucune allusion pour une fois dans ce billet), m'a dicté une petite samba le jour où j'ai cassé un objet auquel je tenais. Il n'y a que dans les films de Cocteau que l'on peut remonter le temps...

Quand c’est cassé c’est cassé
Quand c’est cassé c’est cassé
Quand c’est cassé c’est cassé
Quand c’est cassé c’est cassé…

Y a pas moyen
D’rembobiner
Pour recoller
Les sentiments

Quand c’est cassé c’est cassé
Quand c’est cassé c’est cassé
Quand c’est cassé c’est cassé
Quand c’est cassé c’est cassé…

Y a plus qu'à vivre
Au jour le jour
Car c'est l’amour
Qui nous rend ivre

Quand c’est cassé c’est cassé
Quand c’est cassé c’est cassé
Quand c’est cassé c’est cassé
Quand c’est cassé c’est cassé…

Vous entendez les maracas ?

lundi 8 octobre 2018

Double Negative de Low


Je ne connaissais pas le groupe Low qui depuis 25 ans produit une sorte de pop expérimentale dépressive un peu folk, pas vraiment ma tasse de thé même si les harmonies vocales du couple Mimi Parker et du guitariste Alan Sparhawk sont plutôt sympas. Je suis revenu sur leur dizaine de précédents albums après avoir découvert le tout récent Double Negative, mais ils ne m'ont pas aussi emballé. Mais là, oh la la, noir c'est noir, il n'y a plus d'espoir. Ce nouvel album est absolument renversant. Une sorte de rouleau compresseur autobroyeur écrabouille tout sur son passage. La noise hyper saturée jusqu'au boutiste utilisée par ces habiles faiseurs de chansons trouve une résolution hyper attrayante, voire carrément sexy, modèle enfer. Sur la pochette rose se détache en relief un morceau de plastique noir cassé que je suis incapable d'identifier, peut-être un bout de lecteur...


J'ai la même impression que lorsque j'ai découvert Radiohead ou Tilt de Scott Walker. La pop finit par assimiler brillamment toutes les recherches expérimentales. Le disque doit s'écouter fort pour en apprécier la cruauté sonore. Les voix qui émergent n'en sont que plus convaincantes comme sur Fly ou Always Trying to Work It Out. Le bassiste régulier du groupe Steve Garrington et sur Always Up la flûtiste basse Maaika Van Der Linde y mettent leur grain de chlorure de sodium. À se demander si ce n'est pas plutôt du potassium ? On peut imaginer que l'ingénieur du son BJ Burton y est aussi pour quelque chose. Ça glitche à mort, ça bat fort, ça pompe sévère, ça drone sévère, ça sature à faire accoucher prématurément ses enceintes, le genre de disque poisseux qui colle à la platine et qu'on a du mal à extirper pour écouter autre chose...

→ Low, Double Negative, lp ou cd Sub Pop, 19,99€ ou 12,99€

P.S.: Alain me rappelle que ce couple de Mormons de Duluth est à La Gaîté Lyrique ce samedi 13 octobre à 19h30.

vendredi 5 octobre 2018

Le baromètre Ikéa


Le baromètre Ikéa ou la sérendipité appliquée aux objets marchands.
Je ne sais plus quelle mouche m'avait piqué d'acheter cette petite table de nuit chez Ikéa, une planche ronde fixée à un mât vissé sur un pied en métal. Peut-être avais-je trouvé la chose légère, voire pratique en appoint à l'happy hour. J'ai fini par la vernir de la couleur du sauna en cèdre rouge et je l'ai placée à côté de la porte pour y déposer ce que j'avais oublié de laisser à la maison, par exemple mes lunettes. Je me suis aperçu que ce n'était certainement pas du bois lorsqu'il plut beaucoup et que la planche piqua du nez. À la saison sèche elle est remontée jusqu'à viser les étoiles. Voilà, je pensais avoir acquis une petite table et j'ai un baromètre très original façon bois imitation cèdre rouge ! D'un autre côté, on peut se demander si le reste du mobilier Ikéa n'est pas aussi de la camelote... Pas la peine de vous moquer, tout le monde connaît la réponse.

jeudi 4 octobre 2018

Contretemps prémonitoire


Les événements se précipitant, mais toute ma vie les événements se sont précipités, je regarde mon dernier disque, l'album de mon Centenaire, avec des yeux nouveaux. Je craignais que certains textes le renvoient aux orties, qu'ils piquent et démangent. Or je constate avec effarement que tout ce que j'ai écrit est prémonitoire. Là encore j'ai le sentiment que toute ma vie fut prémonitoire. Probablement l'ai-je orientée pour qu'elle coïncide avec mes désirs et mes appréhensions. J'avais peur que la charnière, cette bascule du passé au futur, me handicape dans la construction que je devrai affronter bientôt et que je n'avais pas su prévoir. Il n'en est rien. Bien au contraire. Je relis les signes comme si j'avais été écrit, comme si l'avenir m'était dicté par une force inconsciente. Cocteau parle très bien du mystère de la création artistique, cette poésie qu'il décline à toutes les sauces, du roman au cinéma, du théâtre au journalisme... Cet héliocentrisme lacanien interroge évidemment le matérialisme historique dont je suis friand. Si mes années 80 tournent autour de la parentalité alors qu'une nouvelle génération allait naître, facteur déterminant qui m'avait échappé et jouant le rôle involontaire de mise à feu, ce sont les années 2000 et 2010 qui me préoccupaient. Leur évocation était-elle compatible avec la nouvelle donne ? En réalité l'aventure fonctionne à merveille si j'accepte un décalage de quelques mois pour que tout rentre dans le merveilleux désordre où tout semble à sa place ! Je recopie donc ici le texte de la valse du nouveau siècle :

Comme je suis toqué
Étourdi par la danse
Je ne sens plus mes pieds
Je n’ai même plus pied
Et j’oppose au paquet
De la vie qui s’avance
Les amours libérés
De la maturité

Comme je suis coquet
Tous les mots ont un sens
Pas besoin de verre à pied
Mais des vers à six pieds
Pour ensemble trinquer
À cette renaissance
Repoussant le guêpier
D’un sous terre à six pieds

Évidemment je suis probablement le seul avec quelques amis proches à qui j'aurai pu me confier à saisir toutes les allusions que j'y décèle. Je croyais refléter ce que je vivais alors que j'avais un ou deux métros d'avance. On dit qu'un train peut en cacher un autre. Il me reste tout de même à patienter au passage à niveau. J'espère que celui qui croise ma route n'est pas aussi long que certains convois américains interminables dont j'ai le souvenir et qui nous bloquaient en rase campagne. Les quais de gares sont plus prometteurs.
C'est donc seulement ce matin que je suis capable d'aborder la décennie suivante qui est en cours sous un angle nouveau. Mon texte, écrit pourtant il y a vint ans et mis en musique il y a six avec Birgitte Lyregaard et Sacha Gattino, ne rencontrera son actualité qu'avec les temps futurs. Mais déjà se dessine une perspective cohérente, l'ombre d'un dénouement, si ce n'est réel, du moins rêvé. Car toute cette histoire est définitivement affaire de contretemps... Si certains propos paraissent abscons ou mystérieux, c'est que je marche sur des œufs, à n'en pas croire mes yeux !

Combien de jours
Résisterai-je
Mon tendre amour
Ma Blanche-Neige

Combien de nuits
A vous attendre
Sans faire de bruit
Sans vous entendre

Combien de temps
Prend un baiser
Pour maintenant
Vous réveiller

Combien fait mal
Si le temps passe
Sans que nos râles
Laissent une trace

Approchez-vous
Même en dormant
Délivrez-nous
Du contretemps

Photo et conception graphique de l'album : Étienne Mineur

mercredi 3 octobre 2018

Miró au Grand Palais


À chaque exposition je me demande comment l'aborder pour ne pas réciter studieusement ma leçon, ce à quoi Wikipédia répond très bien. Je ne suis pas critique d'art et je risquerais d'écrire des bêtises ou tout simplement de ne pas être à la hauteur de celles ou ceux dont c'est le métier et que j'estime selon les cas. Avant de m'y coller, je lis néanmoins tout ce que je peux, mais je tente ensuite de l'oublier pour convoquer les émotions qui m'ont cueilli lorsque j'ai arpenté les salles les unes après les autres. Déjà je ne fais pas comme la majorité des visiteurs. Je file jusqu'à la sortie pour avoir une idée d'ensemble, puis je reviens sur mes pas. La chronologie inversée a toujours été mon mode d'approche de ce que je ne connaissais pas. Les œuvres de fin de vie en disent toujours plus long, débarrassées de tout un pathos devenu inutile et surtout sans le besoin de prouver quoi que ce soit. Mon troisième parcours s'attarde sur les pièces qui m'ont le plus marqué. Joan Miró n'est pas simple à aborder, justement parce qu'il l'est, simplissime. Entendre qu'au cours de sa carrière il n'aura cherché à conserver que l'indispensable. Un trait, une tâche, le fond, un cadre, sans se préoccuper d'être figuratif ou abstrait, une sorte de minimalisme qui contiendrait le grand tout. Le vide. L'homme face au cosmos. La poésie.
Peinture-poème («Photo : ceci est la couleur de mes rêves»), 1925, Huile et inscription à la main sur toile, New York, The Metropolitan Museum of Art, The Pierre and Maria-Gaetana Matisse Collection 2002


Le peintre avait commencé par s'inspirer des fauvistes, des cubistes et des surréalistes. Il s'en échappera grâce à son amour de la nature, en en explorant les détails. Combien de brins d'herbe a-t-il magnifié plus tard sous le microscope de ses toiles ? Est-ce l'artiste catalan qui nomma "détailliste" cette période ? J'en doute.
Nu debout, 1918, Huile sur toile, Saint-Louis (Missouri), Saint-Louis Museum, Friends Fund 1965
La Maison du palmier, 1918, Huile sur toile, acquise à l'origine par Ernest Hemingway, Madrid, Museo Nacional Centro da Arte Reine Sofia 1998


Aux belles reproductions photographiques fournies à la presse, je préfère prendre les œuvres dans le cadre scénographique des expositions. Pour plus d'informations, autant se reporter aux somptueux catalogues imprimés par la RMN. Plus on avance dans l'œuvre, plus le peintre dépouille ses sujets, il va à la moelle. Ou bien il s'enfonce dans le cosmos. De l'infiniment petit à l'infiniment grand, il n'y a qu'un pas pour le poète.
Peinture (Le cheval de cirque), 1927, Huile sur toile, Washington, Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Smithsonian Museum, don de la Joseph H. Hirshhorn Foundation 1972


J'ai découvert Miró à la Fondation Maeght en 1970. J'avais 17 ans. Au soleil couchant j'avais photographié sa fourche à Saint-Paul-de-Vence. Je me souviens aussi de son Labyrinthe. Les œuvres monumentales sont absentes du Grand Palais, elles ne peuvent voyager. Dix ans plus tard je visitai sa Fondation à Barcelone... En passant à la céramique et à la sculpture, Miró retrouve la terre, une matière que l'on retrouve sur certaines toiles qui ont peut-être influencé un autre Catalan, Antoni Tàpies...
Personnages, Sculptures-objets, 1950, Bronze, terre cuite et fer sur socle de bois, New York, Collection The Pierre and Tana Matisse Fondation
Au fond, Femmes et oiseau dans la nuit, 1947, Huile sur toile, New York, Calder Foundation / Peinture (Femme, lune, étoiles), 1949, Huile sur toile, coll. Particulière / Le soleil rouge, 1948, Huile et gouache sur toile, Washington D.C., The Phillips Collection acquis en 1951...


Les couleurs vives de ses bronzes peints ne seraient-elles pas des traces du futurisme italien ? Je reconnais quelque chose qui me plaît tant dans le Groupe de Memphis... Le collage d'objets rappelle plutôt Max Ernst... Miró a beau être très personnel, ne ressembler à personne, ses poèmes plastiques trouvent parfois leurs rimes dans les œuvres des amis...
Monsieur et Madame, 1969, Bronze peint (fonte à la cire perdue), Saint-Paul, Fondation Marguerite et Aimé Maeght
Jeune fille s'évadant, 1967, Bronze peint (fonte au sable), coll. particulière
Le vol de l'oiseau par le clair de lune, 1967, Huile sur toile, Monaco Nahmad Collection
Femme assise et enfant, 1967, Bronze peint (fonte à la cire perdue), Saint-Paul, Fondation Marguerite et Aimé Maeght


Devant deux Bleus (1961) du Centre Pompidou, je surprends le commissaire de l'exposition Jean-Louis Prat en grande discussion avec le petit-fils de l'artiste. C'est évidemment le bleu du ciel. Cieux diurnes. Cieux nocturnes. Et puis il y a cette petite tâche rouge que l'on retrouve partout. Un caillou, un trou, un signet, un souvenir ? Or de quoi est fait un caillou ? Où mène un trou ? De quoi se souvient-on et pourquoi ?


Sur le nez d'un phoque ce serait un ballon rouge. Eh non, c'est un soleil et c'est une femme qui le regarde. Il y a forcément aussi un cousinage avec l'ami Calder rencontré à New York... En vieillissant les artistes vont souvent à l'essentiel. C'est ce qui m'intéresse dans les derniers films des grands cinéastes comme Dreyer, Sternberg, Ford, Buñuel, Hitchcock, Visconti...
Oiseau solaire, 1966, Bronze (fonte au sable), Palma de Majorque, Fondació Pilar i Joan Miró a Mallorca, coll. particulière
Danse de personnages et d'oiseaux sur un ciel bleu. Étincelles, 1968, Huile sur Toile, Paris Centre Pompidou en dépôt au Musée d'art moderne et contemporain de Saint-Etienne Métropole
Femme devant le soleil I, 1974, Acrylique sur toile, Barcelone Fondation Joan Miró


S'il y a toujours quelque chose de ludique chez Miró, cela ne l'empêche pas d'être révolté par la folie humaine, que ce soit la guerre d'Espagne en 1936 ou l'exécution de l'anarchiste Salvador Puig Antich en 1974. La peinture coule. Il peint sur une peau de vache, lacère une toile et la brûle, cherchant sans cesse à repousser ses limites, quelque chose d'absolu qui replace l'humain dans un contexte cosmogonique... N'est-ce pas le rôle de l'artiste de jouer avec les échelles et les perspectives ?
Femme debout, 1969, Bronze peint (fonte au sable), coll. particulière
Toile brûlée II, 1973, Acrylique sur toile coupée et brûlée, Barcelone Fondation Joan Miró, coll. particulière

Miró au Grand Palais, Galeries nationales, exposition jusqu'au 4 février 2019

mardi 2 octobre 2018

Face B | Performative Archive


Les réservations sont ouvertes sur le site de la Maison Rouge. Les premiers à s’inscrire auront la chance d’assister au retour de Face B de Daniela Franco, samedi 27 octobre. Le violoncelliste Vincent Segal, le saxophoniste-clarinettiste Antonin-Tri Hoang et moi-même au clavier improviserons sur les images projetées de l’artiste mexicaine. Daniela Franco fabrique les "pochettes de disques rares dont les originaux ont disparu". Ont-ils jamais existé ? Elle associe également des photographies selon des thématiques musicales et graphiques que chacun/e interprète à sa façon.


En 2010, Vincent et moi avions participé à Face B - Phase 3. Mon camarade avait choisi "dix disques qui fonctionnent par paires (dans ma discothèque)". De mon côté j'avais exhumé "dix disques que j’ai achetés à cause de leurs pochettes et dont la musique ne m’a pas déçu, bien au contraire, puisqu’ils sont souvent à l’origine de ma vocation de compositeur" : Mothers of Invention (le déclencheur absolu), Michael Snow (après La région centrale), White Noise, Silver Apples (acheté à N.Y. en 1968), Rolling Stones (seulement Their Satanic Majesties Request), John Cale (pour les diapos de Warhol), George Harrison (musique électronique), Albert Marcœur, Bonzo Dog Band, Captain Beffheart. Tous furent des surprises étonnantes.


Face B | Performative Archive constitue un nouvel épisode, performance live cette fois où tous ensemble nous inventons une nouvelle histoire de la musique, fictionnelle plutôt que fictive.
La jauge de la salle centrale de La Maison Rouge, ancienne salle des coiffes, étant limitée à 70 personnes, nous avons décidé de faire deux représentations, la première à 16h, la seconde à 17h30. Comme nous improvisons, les dix « chansons » seront chaque fois différentes, mais personne ne pouvant assister aux deux séances d'une heure, nous serons probablement les seuls à en goûter les variations avec Paula Aisemberg qui nous reçoit la veille de la fermeture définitive de La Maison Rouge après 14 ans d'expositions plus extraordinaires les unes que les autres.

Face B | Performative Archive à La Maison Rouge-Fondation Antoine de Galbert, 10 bd de la Bastille, 75012 Paris, samedi 27 octobre à 16h et 17h30, réservation indispensable : reservation@lamaisonrouge.org

lundi 1 octobre 2018

On fait couler l'eau et il la boit


On connaît la blague de comment faire aboyer son chat. Pas de lait, non, c'est mauvais pour sa santé. On fait couler l'eau et il la boit. C'est la dernière coqueluche de mon manipulateur félin. Il ne veut plus boire qu'au robinet ou ailleurs pourvu qu'elle soit courante. Il ferme les yeux et me donne de grands coups de tête pour exprimer son contentement. L'autre lubie de Django est de ne plus traverser les chatières, mais de réclamer que je lui ouvre la porte, en entrée comme en sortie. Il miaule comme les habitants des immeubles qui dans le passé avaient l'habitude de crier "Cordon !" au concierge. Mais si c'est pour rapporter un pigeon attrapé au vol, le crucifier ou le décapiter sur la moquette blanche, alors là il le fait en douce et je n'ai plus qu'à ramasser les plumes qui ont volé partout. C'est gore ! Quant à Oulala, elle passe son temps à se plaindre sans que je sache pourquoi. Elle a beau articuler, je ne comprends pas de quoi il s'agit, à moins que ce soit simplement pour un petit massage, gratouillis autour des oreilles et tapes sur le derrière. Côté alimentation, ils sont passés aux croquettes sans céréales livrées à domicile par porteur spécial, Ultra Premium Direct ou Husse. Nous voilà débarrassés des transporteurs qui ne tiennent jamais leurs engagements. Je ne sais pas encore quelle marque ils préfèrent, alors j'alterne. En disposant à discrétion, ils dépassent les doses prescrites, mais ne grossissent pas, donc on continue. Probablement pour cause de retour du froid ou suite à mon statut récent de célibataire, ils sont nettement plus câlins et casaniers qu'avant les vacances. Alors que nous partageons le même habitat, les chats semblent vivre dans un autre espace-temps que le nôtre. Depuis cet univers parallèle ils ont astucieusement aménagé quelques couloirs avec le nôtre. J'imagine que c'est ce changement d'angle qui m'attire dans cette promiscuité consentie.