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Quel dommage que le label Ayler Records arrête bientôt de sortir de nouveaux disques ! La production discographique hélas coûte cher et les ventes ne se portent pas au mieux dans ce secteur fragilisé par les magouilles des majors compagnies et les facilités accordées aux fournisseurs de contenu sur Internet. Les responsabilités sont multiples. En France, par exemple, la Fnac a d'abord enterré les petits disquaires, puis les majors ont été ravies de se débarrasser de la question des stocks en licenciant quantité de salariés après avoir dématérialisé ses supports. Des accord scandaleux ont été passés entre les sociétés d'auteurs et des sites comme YouTube, Spotify, Deezer, etc. qui ne profitent absolument pas aux artistes, ni aux producteurs indépendants. Le retour annoncé du vinyle reste une niche et les disques se vendent essentiellement à l'issue des concerts lorsqu'ils correspondent à ce que le public vient d'entendre. Ou bien il faut que Johnny meurt ! Les récentes Rencontres des Allumés du Jazz en Avignon ont suscité maints débats sur "Enregistrer la musique, pour quoi faire ?". On y reviendra. En attendant ne boudons pas notre plaisir lorsque paraît un album qui sort de l'ordinaire...


Le trio Ikui Doki bénéficie déjà d'une instrumentation originale mariant la pop électrique avec l'impressionnisme français du début du XXe siècle tout en rappelant le timbre médiéval d'un groupe que j'adorais, The Third Ear Band. Eux préfèrent se réclamer d'un free jazz de chambre ! Sophie Bernado au basson, Hugues Mayot au saxophone ou à la clarinette, Raphaelle Rinaudo à la harpe mélodisent ou rythment leurs compositions tour à tour. S'ils ressemblent à quelqu'un, c'est aux copains et copines de leur génération, ceux que je nommai les affranchis, débarrassés des fantasmes afro-américains de leurs aînés dont ils ont néanmoins hérité le goût de l'improvisation tout en faisant fi des frontières qui avaient isolé les musiciens dans de ridicules chapelles. Les œuvres d'Ikui Doki sont très imagées, comme si elles racontaient de petites histoires, graves ou humoristiques, toujours lyriques, suffisamment abstraites pour qu'elles ressemblent à des rêves. Chacun, chacune peut se faire son cinéma, là tout de suite. En réalité ikui doki signifie tout d'un coup en japonais. Alors disons que ce sont autant d'haïkus développés sur la longueur, une sorte d'interprétation paradoxale puisque transposés dans le temps musical. Plus j'écoute le disque, plus j'en entends de nouvelles, comme s'il générait chaque fois une autre variation. Cette impression est si bizarre qu'il faut que je le rejoue encore une fois pour m'en assurer !

P.S.: On ne sait jamais, mais je m'y attendais un peu pour avoir chroniqué leurs débuts lors de la troisième édition de Jazz Migration, et pour avoir auparavant enregistré deux albums avec Sophie et la vibraphoniste suédoise Linda Edsjö, Arlequin et Défis de prononciation !

→ Bernado Mayot Rinaudo, Ikui Doki, cd Ayler Records, dist. Orkhêstra, 13€
→ Concert pour la sortie du disque le 28 novembre à l'Atelier du Plateau