J'ai croisé le guitariste Csaba Palotaï à l'entr'acte du Festival Sons d'Hiver à Alfortville alors que je m'interrogeais sur l'absence de plus en plus criante de journalistes aux concerts. Déjà que les musiciens se déplacent rarement pour écouter leurs collègues, se pointant seulement s'ils ont des chances de rencontrer du monde, soit de se montrer eux-mêmes, c'est donc un "vrai" public, plutôt local, qui assiste le plus souvent aux évènements exceptionnels programmés en banlieue. Au bar ou sur les gradins j'écoute les réactions sincères de spectateurs qui ne s'attendent à rien, sinon à la découverte. Beaucoup sont surpris d'écouter des groupes affublés de l'étiquette jazz qui échappent à ce que le terme revêt pour la plupart, un truc cool qui swingue gentiment. Ainsi Irreversible Entanglements joue un free jazz massif de la fin des années 60 avec une chanteuse qui ferait mieux de se concentrer sur le sens des paroles qu'elle clame plutôt que d'abuser du bouton d'effet d'écho qui occupe toute son attention et noie son propos. Quelle drôle d'idée ! On ne peut pas dire non plus que le reste de l'orchestre brille par ses nuances. Je suis sorti boire un coup pour me laver la tête avant la prestation du Songs of Resistance du guitariste Marc Ribot. J'aime bien Ribot, mais je me suis un peu ennuyé à ses blues monotones où sa voix n'est pas à la hauteur des instrumentistes, parmi lesquels le contrebassiste Nick Dunston. Ce n'est tout de même pas une raison pour ne pas l'effort de se déplacer dans les lieux de concert où la programmation cherche à se renouveler... Mais je n'arrive pas à être convaincu par l'engagement politique de ces deux groupes. Comme dans une manif, les slogans ne suffisent pas à changer le monde. L'exergue de Cocteau à Une histoire féline dans Le journal d'un inconnu me revient chaque fois : "ne pas être admiré, être cru."


C'est ce qui m'a plu à l'écoute du disque de Csaba Palotaï quand j'ai regagné mes pénates. J'ai compris aussi pourquoi il était allé écouter Marc Ribot. Il a quelque chose de son timbre, un son électrique simple et droit au premier abord, mais qui se tord et crépite sans qu'on sache comment c'est arrivé, des répétitions qui n'en sont pas quand ça tourne, et ça tourne. C'est donc surtout la franchise du jeu qui m'apparaît chez lui et les deux musiciens qui l'accompagnent. J'ai toujours apprécié le jeu minimaliste du batteur Steve Argüelles, plus juste et efficace que ceux qui en mettent partout. Quant au saxophoniste Rémi Sciuto, il se fond merveilleusement dans la masse qu'il soit au baryton ou, plus rarement, au sopranino. Le trio a un son épais sans en faire des tonnes. C'est l'élégance des vrais virtuoses. À ce sujet je ne suis d'ailleurs pas surpris que le violoncelliste Vincent Segal (détail auquel je suis sensible, il n'y a pas d'accent sur le e, contrairement à mon blase !), je ne suis pas surpris qu'il apparaisse sur deux des douze morceaux. Comme certains affectionnent les balades, Csaba Palotaï compose des promenades. Décidément la scène hongroise recèle de musiciens passionnants, réaction logique face à un gouvernement hyper-réactionnaire. Il ne suffit pas de clamer la révolution, il faut surtout l'incarner dans son quotidien, dans le collectif et dans sa tête. Le son du trio de Csaba Palotaï est celui d'un ensemble, d'un "tous ensemble" salutaire.

→ Palotaï-Argüelles-Sciuto, Antiquity, cd BMC (excellent la bel hongrois), dist. L'autre distribution