70 avril 2019 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 30 avril 2019

Blues de l'anacrouse


Un deux trois nous irons au bois, quatre cinq six cueillir des cerises, sept huit neuf dans mon panier neuf, dix onze douze elles seront toutes rouges. C'est long. Plus long que je ne pensais. Impatient, j'arrive parfois à précipiter les choses. Pas les personnes. Il faut du temps pour que ça "matche". Je grimpe quatre à quatre. Ce n'est pourtant pas une compétition. Je déteste les compétitions. Je n'ai jamais gagné que lorsque je ne savais pas que j'étais en lice ou, du moins, parce que je m'en fichais. Trop émotif. Et puis rien ne peut arriver pendant que je tape ces lignes. Seul assis. Par terre. La rue est terriblement silencieuse. Il y a un robinet qui goutte dans la salle de bain. Clic cloc. J'ai le nez bouché. Pas les oreilles. À l'affût. Un deux trois, il faut que j'y crois. Grandir est un travail de longue haleine. Quatre cinq six, le temps des cerises et son merle moqueur. Les saisons passent si vite. Sept huit neuf, je suis un homme neuf. Suppositions, résolutions, certitudes se sont évanouies. Ce foutu cycle nous fait revivre et nous assaille. Sire, c'est une révolution. Dix onze douze, contourner la "loose". J'ai des doutes sur l'époque, pas sur les évènements. Question de rythme. Je manque d'indépendance des membres. Un deux trois, ce n'est pas pour moi. Juste un autre moi. Quatre cinq six, que de queues de cerise. Sept huit neuf, comme si j'étais veuf, mais de l'autre moi. Dix onze douze, c'est le blues de l'anacrouse. Le soleil se lève. Je ne vois rien encore. Mais j'entends les mésanges...

lundi 29 avril 2019

Un coffret hautement radioactif


Fan des films de Joe Dante, j'avais adoré Matinée (en français Panic sur Florida Beach) et ri des exercices absurdes imposés aux écoliers au moment de la crise des missiles de Cuba en 1962. Je pensais que le cinéaste les avait ironiquement imaginés, or à l'écoute de la centaine de chansons de l'époque traitant de la peur de la bombe atomique ou de la fascination qu'elle provoque, ainsi que des annonces radiophoniques de la protection civile, nous comprenons que cette psychose était générale. En France mes parents répétaient d'ailleurs qu'ils n'auraient jamais dû faire d'enfants avec cette menace planant au-dessus de nos têtes ! Le signe de la paix date de cette période, créé par Gerald Holtom à la demande de Bertrand Russell. Cette obsession est probablement à l'origine de mon adhésion aux Citoyens du Monde lorsque j'avais 12 ans.


En quête de choses bizarres et méconnues, j'ai donc dégotté les 5 CD d'Atomic Platters - Cold War Music From The Golden Age Of Homeland Security publiés en 2005 par Conelrad et Bear Family Records. Ils sont accompagnés d'un DVD comportant 9 courts métrages des années 50, anti-communisme forcément primaire à la clef, ainsi qu'un livret de 300 pages illustré de photos de la Guerre froide et rempli d'informations ahurissantes ! Le quartet de Slim Gaillard joue Atomic Cocktail, Doris Day chante Tic, Tic, Tic, Bo Didley joue Mr. Khruschev, le Golden Gate Quartet chante Atomic and Evil, Dexter Gordon joue Bikini... Les titres souvent rock 'n roll ou country & western s'appellent Get That Communist Joe, Atomic Nightmare, Radioactive Mama, I'm Gonna Dig Myself A Hole, They Locked God Outside The Iron Curtain, A Mushroom Cloud, Fifty Megatons, Uranium Rock, The Commies Are Coming, The Senator McCarthy Blues, Death Of Joe Stalin (Good Riddance), etc. Certes il manque Oh Lord Don't Let Them Drop That Atomic Bomb On Me de Charlie Mingus, mais c'est un festival de trucs plus délirants les uns que les autres, y compris les messages lus par Groucho Marx, Pat Boone, Johnny Cash, Boris Karlov, Bob Hope, Bing Crosby et quantité d'autres, plus deux pièces inédites de 1961 pour vous foutre la trouille, If The Bomb Falls et The Complacent Americans.
Sur le site Atomic Platters réalisé entre 1999 et 2005, Bill Geerharts livre nombreuses informations relatives à la Guerre froide et ce qu'elle a engendré aux États Unis, des pistes vers d'autres albums et d'autres films par exemple, ou pléthore de classements pour les titres du coffret. Bon j'y retourne, parce que c'est presqu'aussi drôle que Ninotchka de Lubitsch !

vendredi 26 avril 2019

La société du spectacle par Sidney Lumet


Le visuel très réussi, créé par Joachim Roncin pour l'édition Ultra Collector de Network : Main basse sur la TV, rappelle graphiquement René Pétillon et méchamment Massimo Mattioli, deux excellents auteurs de bande dessinée. Mais ce film de Sidney Lumet est avant tout une extraordinaire préfiguration de ce que deviendra la télévision et, par extension, notre société. Tout est déjà en place en 1977, mais nous n'étions pas à ce point conscients de l'énormité de la catastrophe, ou nous espérions que le monde se ressaisirait. Le livre La société du spectacle de Guy Debord date de 10 ans plus tôt. Sidney Lumet entrevoit le danger en révélant la manipulation de masse, que ce soit celle de la télé-réalité, mais aussi au niveau-même du Journal de 20 heures...
N.B.: Les extraits suivants peuvent figurer des spoilers pour certain/e/s lecteurs et lectrices. Je préfère prévenir car j'ai l'habitude de me livrer à de complexes acrobaties dans mes articles pour éviter de vous gâcher le plaisir de la découverte...


Lumet prévoit également l'affaiblissement des États qui tomberont sous la férule d'une mafia d'ultrariches à la tête de la finance internationale grâce à des lobbies et un entrisme brutal capable de générer des lois qui mèneront à l'ultralibéralisme, mettant la planète à sac...


Même la scène célèbre où les gens se penchent à leur fenêtre criant leur colère, et qui inspira probablement une pub pour le parfum Égoïste, préfigure le ras-le-bol des Gilets Jaunes. Sauf qu'aujourd'hui le peuple se passe de gourou, ou il n'en trouve plus à sa mesure. L'élan collectif supplante la délégation, ce qui pose les véritables questions sur l'avenir. La démocratie telle qu'elle s'est pratiquée depuis un siècle s'avérant une odieuse manipulation de masse, quelles formes prendront les prochaines manifestations ? Tout reste à inventer...


Les extraits glanés sur YouTube sont certes des spoilers, mais le film est suffisamment puissant pour que vous ayez le désir irrépressible de le regarder dans son entier, en particulier grâce aux superbes interprétations de Faye Dunaway, Peter Finch, William Holden et le reste de la distribution. Lumet connaît parfaitement le monde de la télévision pour y avoir probablement autant œuvré qu'au cinéma. Même si le public français connaît mieux ses films sortis en salles comme 12 hommes en colère, Le prêteur sur gages, Le dossier Anderson, Serpico, Un après-midi de chien, Contre-enquête, Jugez-moi coupable, 7 h 58 ce samedi-là, etc., il n'a jamais fait de distinction entre les deux. Ce ne sont que des questions de budget ou de taille d'écran. Dans Network chaque personnage exprime la faiblesse de sa force et la puissance de ses faiblesses. La schizophrénie que déclenche un burn out entraîne les foules. L'immaturité fait accoucher une workaholic d'idées brillantes. Mais on a beau être sage, la tentation est parfois plus forte que la prudence...
L'entretien de deux heures avec Sidney Lumet, tourné en 2011, soit trois ans avant sa mort, est un bonus formidable. Le cinéaste revient chronologiquement sur les 44 longs métrages qu'il a filmés en 50 ans. Ajoutez Fou de rage, le livre de 200 pages de Dave Itzkoff qui semble tout aussi passionnant, mais je n'ai pas encore eu le temps de m'y plonger, les journées n'ayant que 24 heures, même les miennes !


→ Sidney Lumet, Network, coffret Ultra Collector limité à 3000 exemplaires, Blu-Ray+DVD+Livre, ed. Carlotta, 50,16€

jeudi 25 avril 2019

Luc Ferrari : Complete Works


Nous pourrions regretter que le pavé de 400 pages sur le compositeur Luc Ferrari ne paraisse qu'en anglais ! Dans les films j'aime que les protagonistes s'expriment dans leur langue maternelle, quitte à avoir recours aux sous-titres. Entendre des soldats romains parler autrement qu'en latin m'a toujours paru étrange. Et Ferrari ne mâche pas ses mots, joue avec et ne pratique pas celle qu'on dit de bois. En fait, Complete Works vient compléter les Écrits (1951-2005) parus en français aux Presses du réel il y a deux ans sous le titre Musiques dans les spasmes (voir article) et dirigés par Brunhild Ferrari et Jérôme Hansen. Ainsi les textes de l'ouvrage américain peuvent s'y lire dans leur langue originale. Outre une chronologie (non exhaustive) des œuvres, l'intérêt de celui qui vient de paraître chez Ecstatic Peace Library vient des illustrations pleine page, de son grand format et de la qualité de la mise en pages. Il est probable que Thurston Moore n'est pas étranger à l'affaire, car il cosigne cette édition américaine avec sa compagne Eva Prinz, la traductrice Catherine Marcangeli et Brunhild Ferrari. Ce n'est pas si étonnant de la part du guitariste de Sonic Youth, collectionneur toujours à l'affût de voix personnelles. Avec la reproduction de la préface de Jim O'Rourke, la postface de David Grubbs et le commentaire de John Zorn en quatrième de couverture, cet ouvrage offre une couverture planétaire, hélas post mortem, au plus indépendant de tous les compositeurs français de son époque (en tout cas celui dont je me sens le plus proche), expérimentateur tous terrains, passionné autant par la musique électronique que concrète, s'essayant de manière très personnelle et réussie au théâtre musical, à l'improvisation dirigée, à la promenade sonore, à diverses formes orchestrales ou radiophoniques... Il était l'héritier direct de Schaeffer, Varèse et Cage, en ce qu'il ne les imita jamais, mais en tira les leçons dont il avait besoin.
Bien que ne figurant pas dans cette publication, je suis fier d'avoir cosigné Comedia dell'Amore 224 en 1992, six minutes enregistrées avec lui (reportage et voix - Ferrari n'utilisait pas le terme "field recording") et mes deux camarades du Drame, Bernard Vitet (trompette, bugle, voix) et Francis Gorgé (guitare). J'y jouais du synthétiseur et en avais assuré le mixage. Nous lui avions demandé, comme à chacun des invités de notre Opération Blow Up, un dessin. Luc nous avait répondu avec une photocopie noir et blanc de L'Odalisque de François Boucher, femme à la pose ambiguë qu'il avait cosignée avec le peintre ! C'était son côté coquin, qui l'avait fait surnommer par Bernard, également pour son élégance, "le Gainsbourg de la musique contemporaine"... Je me souviens aussi que c'est grâce à lui que j'avais rencontré Élise Caron et Michel Musseau qui avaient interprété nombreuses de ses œuvres dans les années 80. Quant à Thurston Moore qui, avec Brunhild Ferrari, dédicacera Complete Works le 20 mai au Souffle Continu (c'est là que j'ai acheté les deux livres, réciproquement 22€... et 52€, aïe !), il épata tous les journalistes présents à l'Olympia quand en sortie de scène du concert de Sonic Youth il leur posa comme première question : "Est que Un Drame Musical Instantané, ça existe toujours ?" Hélas, depuis 2008, la réponse est négative, mais je suis heureusement bien vivant et continue à produire toujours plus de musique que d'articles !

mercredi 24 avril 2019

Ruben Brandt réussit son art-thérapie !


Pour visionner quantité de films, cela fait du bien de tomber par hasard sur un chef d'œuvre. Autant vous prévenir tout de suite, j'ignore quand il sortira en France. Ruben Brandt, Collector est un long métrage d'animation hongrois réalisé et dessiné par un Serbe né en Slovénie, Milorad Krstić, né en 1952 et installé à Budapest depuis 1989. Également peintre, sculpteur, documentariste et artiste multimédia, Milorad Krstić, qui a l'habitude de travailler seul, conduit cette fois un orchestre d'une centaine de personnes pour captiver son public. Essentiellement dessiné à la main sur ordinateur avec TVPaint en cherchant à donner l'impression d'un monde en 2D, il fait aussi appel aux logiciels Anime Studio, After Effects, Maya et Blender. Ruben Brandt, collectionneur est un film d'action dans le monde de l'art en forme de thriller sur fond de psychanalyse ! Tout en préservant un style graphique extrêmement personnel, Krstić enchaîne les références picturales, tout autant que cinématographiques et musicales. Cette accumulation incroyable pourrait être vaine, or elle sert toujours l'intrigue d'une manière ou d'une autre. Parfois une phrase célèbre peut trouver son interprétation dans un accessoire. Parfois la musique se réfère au décor ou fait un clin d'œil aux érudits. Celle composée par Tibor Cárl joue le même rôle que le dessin de Krstić, enveloppant l'ensemble des citations dans la course folle des quatre voleurs dévoués à leur psychanalyste au point de sillonner le monde pour lui rapporter les 13 toiles qui le font cauchemarder. Et les images de se métamorphoser légèrement en Boticelli, Holbein, Gauguin, Van Gogh, Hopper, Magritte, Manet, Picasso, Velázquez, etc., quand les protagonistes ne se battent pas à coups de Warhol et de Spoerri ! Si l'action ne vous hypnotise pas, si les voix anglaises de Iván Kamarás, Gabriella Hámori, Zalán Makranczi ne vous envoutent pas, peut-être aurez-vous le temps d'apprécier les coups de chapeau à Bergman, Buñuel, Chaplin, Eisenstein, Fellini, Hitchcock, Huston, Kubrick, Kurosawa, Lumière, Méliès et bien d'autres... Ou vous comprendrez le sens des emprunts à Honegger, Penderecki, Stravinsky, Schubert, Puccini, Mozart ou Thom Yorke ! On n'est pas si loin du travail de digestion d'un Godard, car jamais on ne quitte le plateau qu'offre Krstić. Les références font partie de sa grammaire et de sa syntaxe.


Milorad Krstić n'avait réalisé aucun fil depuis 1995 où son court-métrage d'animation copulatoire My Baby Left Me avait gagné l'Ours d'argent à Berlin et le Prix du meilleur premier film à Annecy. Entre temps il avait créé le CD-Rom Das anatomische Theater, écrit des scénarios, conçu des décors de théâtre, publié des bandes dessinées. Vingt-cinq ans plus tard, chaque plan de Ruben Brandt, collectionneur fascine par le traitement des visages et des corps qui s'adaptent discrètement aux différentes scènes tout en conservant un cousinage avec Brauner et Picasso. Entre le thriller et le fond psychanalytique, avec son style graphique complètement barré et la fluidité de mouvements digne d'un blockbuster d'action, ce film marque une date dans l'histoire du cinéma d'animation.

mardi 23 avril 2019

After My Death, vague de suicides


Lors de mes séjours en Corée, invité pour des installations artistiques interactives, j'avais été surpris par la chape de plomb qui recouvrait la société et en particulier la jeunesse, plus lourde encore qu'au Japon. Partout des écrans diffusaient des soap operas lénifiants de jeunes gens en fleurs, plus cul-cul-la-praline tu meurs. Or, dans ce pays qui s'est héroïquement reconstruit après la guerre, le taux de suicides est énorme, la pression sociale le poussant à près de 40 par jour ! Le film After My Death met en scène ce fléau au travers d'un thriller aux rebondissements psychologiques où la culpabilité de chacun et chacune est le moteur de l'histoire. Ce n'est pas un hasard si les pays du nord de l'Europe partagent cette morbidité, le confucianisme et le protestantisme s'appuyant largement sur cette culpabilité. Dans le film, dont la traduction du titre coréen est une fille dans le péché, l'étudiante disparue écoutait d'ailleurs du black metal scandinave ! Le passionnant entretien en bonus avec Juliette Morillot précise les efforts de travail exigés aux Coréens poussés à leurs extrémités et la honte qui retombe potentiellement sur les familles.


La publicité du film de Kim Ui-seok insiste sur son cousinage avec Virgin Suicides de Sofia Coppola, mais les causes sont quelque peu différentes, même si elles conservent une part de mystère que le scénario révèle petit à petit. J'y décèle surtout une bonne dose de misogynie que la plupart des critiques semblent avoir escamotée. Au delà de l'ambiance lourde et nauséabonde que dégage l'absence de réelle solidarité entre les filles d'une part, et les adultes d'autre part, les ressorts de l'intrigue aiguillent chaque fois l'énigme vers une révélation qui, faute de reconnaître l'origine du mal, livre des indices sur les fausses routes qui demeurent toutes plausibles dans une sorte de puzzle où les faux-coupables portent tous et toutes la responsabilité du drame.

→ Kim Ui-seok, After My Death, dvd Capricci, 16€

lundi 22 avril 2019

La mort du Khazar rouge, condensé de Shlomo Sand


En écrivant un polar, l'historien Shlomo Sand, professeur à l'université de Tel Aviv, fait œuvre de vulgarisation. En passant à la fiction (sans notes en bas de page !), Sand résume ses recherches et analyses qu'il avait brillamment développées dans Comment le peuple juif fut inventé. Le polar a toujours été prisé par les auteurs gauchistes. Sand réussit admirablement en mêlant Histoire et intrigue criminelle. Ainsi, si vous désirez apprendre où en sont les découvertes époustouflantes sur l'histoire des Juifs le roman La mort du Khazar rouge en est une approche palpitante. Il s'appuie d'une part sur les écrits d'Ernest Renan, Marc Bloch, Arthur Koestler et le travail d'historien de Sand lui-même pour étayer sa thèse selon laquelle la diaspora juive serait le fruit de conversions successives, et que les Juifs n'ont jamais été chassés de Palestine il y a 2000 ans. Les Ashkénazes seraient en partie descendants de Khazars convertis. Le livre révèle également quantité de faits avérés souvent ignorés du grand public, que ce soit les lois israéliennes, l'assassinat de personnalités sur le territoire français, etc. Le thriller met en scène à la fois les agissements du Shabak, le service de sécurité intérieure israélien, et les mœurs des universitaires qui ne sont pas différents quel que soit le pays ! La fiction, donc nourrie par un travail à la fois historique et sociologique, a le mérite de nous tenir en haleine tout au long des 384 pages de ce polar fondamentalement politique.

→ Shlomo Sand, La Mort du Khazar Rouge, traduction de Michel Bilis, Editions du Seuil, 21€

vendredi 19 avril 2019

Musique Brut Collection : Adolf Wölfli par Graeme Revell


C'est évidemment toujours par hasard que se font les découvertes, sérendipité appliquée à ma veille expérimentale que dessinent mes pérégrinations sur le Net et IRL (In Real Life), hasard tout de même guidé par la Méthode et ses tangentes. L'album Musique Brut Collection signé Graeme Revell est un objet à part. Certains ou certaines me diront évidemment qu'ils connaissent ce disque par cœur, mais pour moi c'est une surprise ! Il se compose de deux parties distinctes, mais néanmoins cousines, The Insect Musicians et Necropolis, Amphibians & Reptiles. Les dix premiers titres sont des œuvres de ce compositeur néo-zélandais de musiques de blockbusters qui a trituré ici exclusivement des sons d'insectes qu'il a enregistrés ou dont il a acquis les droits en sillonnant la planète en 1984 et 1985 et qu'il a retravaillés l'année suivante sur un synthétiseur Fairlight dans l'esprit de ce que suggère le Traité des objets musicaux de Pierre Schaeffer. Le résultat sonne comme une exotica électronique très mélodique, aussi étonnante et originale que lorsque les impressionnistes ou les minimalistes se sont inspirés des musiques du monde.


Les six dernières pièces sont des interprétations personnelles des musiques et partitions de l'artiste suisse d'art brut Adolf Wölfli. C'est tout aussi bizarre et passionnément hétérogène, mélange de bruits, d'ambiances, voix parlée en allemand, fanfare, piano mécanique, cloches, grandes orgues, chœurs, percussion, etc. Après plusieurs agressions sexuelles contre de très jeunes filles, Wölfli passa 35 ans enfermé dans l'asile d'aliénés de la Waldau près de Berne, pratiquement le foyer inaugural de l'art brut que découvrira Jean Dubuffet. Ce grand schizophrène fut probablement le modèle de Blaise Cendrars pour Moravagine, dessina quelques 1300 dessins et rédigea une biographie de 25000 pages. Sa musique est d'une incroyable modernité, du moins telle que l'interprète Revell qui lui trouve ou lui crée un cousinage évident avec ses propres expérimentations.

→ Graeme Revell, Musique Brut Collection, cd The Fine Line of Mute Records / Musique Brut

jeudi 18 avril 2019

Dans l'immédiat, Jean-Luc Godard


Les entretiens dépendent souvent de la qualité des interviewers. Il est certain qu'Olivia Gesbert a une sensibilité, une intelligence ou un aplomb qui faisaient défaut à la plupart des interlocuteurs des Morceaux de conversation avec Jean-Luc Godard "réalisés" par Alain Fleischer et qui duraient 9h30. Pour l'émission La Grande Table elle est allée rencontrer Godard chez lui à Rolle en Suisse. France Culture le diffuse en deux parties de 27 et 39 minutes, Je suis un archéologue du cinéma et Godard ouvre le Livre d'image. À 88 ans le cinéaste semble ainsi plus vif qu'il y a quelques années, peut-être parce que c'est une jeune femme. À la lecture de sa biographie par Antoine de Baecque on sait qu'il n'y est pas insensible. Et Godard ne mâche pas ses mots, que ce soit sur ce que sont devenues les écoles de cinéma (les 3/4 des étudiants sont des jean-foutre), la notion d'auteur avec ses droits et ses devoirs (À l’époque, l’auteur était le scénariste, c’est-à-dire le fabriquant de texte. A Bout de souffle, je n’en suis pas l’auteur pour la loi. C’est Truffaut parce que j’avais repris un ancien scénario. A un moment, je lui ai demandé de me le redonner, et il ne pouvait pas : c’est inaliénable en France. Pour Le Livre d’image, il y a beaucoup d’auteurs qui sont réunis par un ami), sur sa Palme d'Or "spéciale" à Cannes qu'il considère avec mépris comme un prix de consolation, sur la langue et le langage, sur la politique, sur ses rêves, sur l'âge, etc.



Sur sa tombe il imagine qu'on pourrait écrire "Au contraire", sur celle d'Anne-Marie Miéville, sa compagne, "J'ai des doutes". Pour le titre de cet article j'aurais pu le singer en écrivant L'hymne aux média pour l'immédiat, c'est du moins ce que j'entends, une médiathèque de Babylone qui recracherait son contenu (j'arrête avec les jeux de mots ?) en musique, en vers et contre tout.



Lors de sa dernière conférence de presse à Cannes, transmise par Skype, il disait : "Aujourd’hui lors d’une conférence de presse, les trois-quarts des gens ont le courage de vivre leur vie, mais ils n’ont pas le courage de l’imaginer. J’ai de la peine à vivre ma vie mais j’ai le courage de l’imaginer".


Après "150 films en comptant les petits", Jean-Luc Godard a monté Le livre d'image que j'ai chroniqué dans cette colonne en décembre dernier, sorte d'épilogue à ses Histoire(s) du cinéma, de mon point de vue son chef d'œuvre, dont je possède les versions japonaise et française en DVD (la version japonaise en 5 DVD au lieu de 4 offre une nomenclature thématique interactive, encore faut-il savoir lire le japonais ! Il me semble qu'elle est plus complète, due à des questions de droits), la bande-son remixée pour le label ECM en 5 CD, et l'édition papier chez Gallimard/Gaumont. Ce n'est nullement du fétichisme, mais une manière d'appréhender une œuvre unique sous des angles différents.
Depuis hier Arte.tv diffuse gratuitement Le livre d'image et ce jusqu'au 22 juin, avec un passage TV le 24 avril, mais il ne sortira pas au cinéma. Godard préfère le montrer dans les musées et les théâtres dans son format audio original, un 7.1 plus polysémique qu'immersif ! En attendant, il faut absolument voir et entendre la réduction phonique de cette œuvre fondamentale toutes affaires cessantes. Il est difficile de l'évoquer pour elle-même, parce qu'elle suscite en chacun/e de nous un vertige, des interrogations, ouvrant des portes vers un après qui biologiquement se profile.

mercredi 17 avril 2019

Pianissimal


Bon je rabâche, mais je me sens toujours aussi incompétent pour évoquer les disques de pianistes. Déjà en solo c'est difficile, mais le trio piano-basse-batterie m'échappe le plus clair du temps. Peut-être est-ce le croisement du meuble bourgeois avec le swing du jazz que je n'assimile pas vraiment ? Pour les solos est-ce simplement parce que je conçois la musique d'abord comme un art d'équipe, le summum de la conversation où tout le monde parle en même temps tout en s'écoutant les uns les autres ? Il m'aura fallu aujourd'hui celui de Françoise Toullec pour que je me lance. Un hibou sur la corde rassemble des pièces conçues pour l'opus 102, un piano exceptionnel construit par Stephen Paulello, quatorze notes supplémentaires, une sixte dans le grave et une quarte dans l’aigu, encore plus surprenant que le Bösendorfer Impérial que nous avions l'habitude de réclamer à Radio France quand nous y faisions nos interventions hirsutes avec le Drame. Je triche aussi parce qu'il s'agit d'un piano préparé ou, plus exactement, d'un piano étendu. Le piano préparé est une perversion haute en couleurs me laissant souvent croire qu'il s'agit d'un ensemble de cordes et de percussions, un gamelan occidental entre les mains de quelque marionnettiste. Elliptique, Françoise Toullec tourne les pages d'une fiction abstraite. Pour honorer cet instrument grandiose elle a préféré ne pas lui greffer de vis, chevilles et d'autres petits objets iconoclastes ; si elle a surtout plongé dans son espace intérieur, elle l'a tout de même caressé, gratouillé, frappé avec des baguettes, et effleuré d'un archet électronique, l'e-Bow qui donne son titre à l'album. Au lieu des rythmes auxquels le piano préparé est habitué, elle a laissé résonner les cordes parallèles de l'opus 102 dans la lenteur, savourant chaque vibration en gourmette. J'ai enfilé mon maillot et j'ai plongé dans le son pour un bain de minuit à quatorze heure. Les autres n'y étaient pas.
Réveillé, j'ai remis les autres disques sur la platine. Guillaume de Chassy joue avec délicatesse les chansons de Barbara. Assumant son héritage hexagonal, lui aussi a pris là ses distances avec le jazz, n'en conservant que la souplesse de l'improvisation. Les compositeurs classiques ont d'ailleurs toujours usé de cette liberté. N'avez-vous jamais entendu les improvisations de Camille Saint-Saëns au Pianola sur Samson et Dalila ? Ou Granados ? Ou Mahler réduisant ses symphonies sur un Welte-Mignon ! Comme pour les standards de jazz qui sont en fait les chansons que chantaient leurs mamans aux futurs jazzmen virtuoses, de Chassy s'approprie celles de Barbara en les impressionnant début du XXe, pour un résultat sans âge, on dit "millésimé".
Le pianiste bulgare Mario Stantchev, dont j'avais apprécié son Jazz Before Jazz avec les œuvres Louis Moreau Gottschalk, conjugue le swing à tous les temps, échappant ainsi aux poncifs nord-américains. Les cinq autres pianistes qui s'empilent devant ma platine ont préféré s'adjoindre un bassiste et un batteur, c'est leur droit, mais franchement j'aurais préféré qu'ils composent des associations aux timbres moins convenus. Yaron Herman sautille avec grâce, accompagné par Sam Minae et Ziz Ravitz. Plus moderne, Stephan Oliva s'inspire toujours de son goût pour le cinématographe, mariant le jazz aux émotions qu'il procure. Peut-être de jouer avec les Américains Or Bareket et Leon Parker, Fred Nardin est plus classique et attendu. Même question avec Vincent Bourgeyx qui a passé trop de temps à New York et ne coïncide pas du tout avec mon "rêve cosmique", même à y rajouter un sax. Il y a des amateurs pour ce genre, heureusement pour eux, mais dès que cela ressemble à ce qu'on est susceptible d'entendre dans une boîte de jazz, ma tasse de thé déborde... Je préfère le Coréen Heo avec Alexis Coutureau et Kevin Lucchetti, c'est un peu plus bizarre, probablement dû aux éléments asiatiques qui fusionnent avec le jazz. La chanteuse Youn Sun Nah est venue soutenir son compatriote sur un titre. Il n'empêche que chaque fois je me souviens que Saint-Saëns avait ajouté les pianistes à son Carnaval des Animaux ! Il y en a que j'adore évidemment, on m'aura lu ailleurs, car ce n'est pas le piano qui m'ennuie, mais l'attribut pianistique. Je pense que cela me fait le même effet avec tous les instruments. Il n'y a qu'en art que j'apprécie les pervers.

→ Françoise Toullec, Un hibou sur la corde, cd Gazul Records, dist. Musea
→ Guillaume de Chassy, Pour Barbara, cd NoMadMusic, dist. Pias
→ Mario Stantchev, Musica Sin Fin, cd Cristal, dist. Believe Digital
→ Yaron Herman Trio, Songs of The Degrees, cd Blue Note, dist. Universal
→ Stephan Oliva / Sébastien Boisseau / Tom Rainey, Orbit, cd Yolk, dist. L'autre distribution
→ Fred Nardin Trio, Look Ahead, cd Naïve, dist. Believe
→ Vincent Bourgeyx, Cosmic Dream, cd Paris Jazz Underground, dist. L'autre distribution
→ Heo Trio, Sherpa, cd Cristal, dist. Sony Music

mardi 16 avril 2019

L'héritage des 500 000


En prologue à la rétrospective en salles de onze films d'Akira Kurosawa avec Toshirō Mifune (restaurés à l'origine par Wild Side à partir d'une numérisation HD de la Toho), Carlotta exhume l'unique film réalisé, produit et interprété par son acteur fétiche, L'héritage des 500 000, inédit en France. 500 000 est le nombre de soldats japonais victimes de la politique impériale dans le Pacifique. Après une première victoire en 1941-42 aux Philippines où l'action du film se déroule, ils seront décimés par la contre-offensive américaine et locale. Bien qu'il relate une aventurière chasse au trésor, pourquoi ce drame me rappelle-t-il Anatahan, le dernier chef d'œuvre de Josef von Sternberg ? D'une part, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale les Japonais ont du mal à faire une croix sur leur honteuse défaite. D'autre part, là où la seule femme sur une île était convoitée par tous les survivants, ici l'appât du gain joue le même rôle meurtrier. L'or a toujours été un révélateur des pires instincts humains. Dans le film de Mifune, auquel Kurosawa aurait donné moult conseils et confié une grande partie de son équipe habituelle (scénariste, chef op, compositeur, scripte...), l'expédition consiste à retrouver après la guerre un des trésors perdus par l'armée nippone. Si le suspense est fortement entretenu et les rebondissements comme il se doit, on sait évidemment d'avance comment tout finira pour ces hommes en quête des milliers de pièces d’or enfouis dans la jungle...


Le 17 avril ressortent donc en salles L'ange ivre, Chien enragé, Vivre dans la peur, La château de l'Araignée, Les bas-fonds, La forteresse cachée, les salauds dorment en paix, Yojimbo, Sanjuro, Entre le ciel et l'enfer, Barberousse, avec l'immense Toshirō Mifune. Ces fresques historiques et films noirs sont tous de magnifiques drames, authentiques héritiers d'une longue tradition, avant qu'Akira Kurosawa ne devienne le plus américain des cinéastes japonais, les films grandioses de sa dernière période, bien que fascinants, empruntant beaucoup aux sirènes hollywoodiennes !

lundi 15 avril 2019

Aux Ronds-Points des Allumés, la revue


Les Allumés du Jazz ont publié simultanément un vinyle 30 cm et une revue de 124 pages à partir des Rencontres d'Avignon dont le thème était « Enregistrer la musique, pour quoi faire ? ». Les deux objets portent le titre « Aux Ronds-Points des Allumés du Jazz ». Cette association rassemble une soixantaine de labels de jazz, musiques improvisées ou tout simplement inventives. Or je suis sidéré par le travail fourni par tous les contributeurs de l'un comme de l'autre, des musiciens évidemment pour le disque, tandis que pour la revue ils ont été rejoints par des producteurs, des journalistes, des historiens, des disquaires, des ingénieurs du son, des organisateurs de spectacles, des bibliothécaires, des cinéastes, des photographes, des illustrateurs, etc. Les témoignages, analyses et réflexions débordent largement le cadre du jazz et dressent un portrait salé de notre société. Rappelons qu'il y a déjà 15 ans Francis Marmande écrivait dans Le Monde Diplomatique : « Les Allumés du jazz sont le seul journal de jazz à maintenir un point de vue politique sur cette musique. » Rien n'a changé, ou plus justement le monde a continué sa descente aux enfers, ce qui n'empêche pas les activistes de se battre contre l'absurdité des marchands avec les gouvernants à leurs bottes comme bras armé. D'où l'importance d'une telle somme ! Il m'est impossible de résumer ma lecture assidue tant elle fut riche d'enseignement, sans compter l'humour qui la traverse, que ce soit grâce aux flèches décochées par mes camarades ou aux dessins des nombreux illustrateurs. Les Allumés, jouant avec des allumettes, mettent le feu aux poudres en révélant l'envers du décor par leurs passionnants témoignages.
Les textes sont de Valérie de St Do, Francis Marmande, Guillaume Pitron, Hervé Krief, Sofian Fanen, Jean-Louis Comolli, Thierry Jousse, Guillaume Kosmicki, Pablo Cueco, PL. Renou, Bruno Tocanne, Guillaume Grenard, Alexandre Pierrepont, Christian Rollet, Thomas Dunoyer de Segonzac, Morgane Carnet, Michel Dorbon, Cyril Darmedru, Patrick Guivarc’h, Noël Akchoté, Cécile Even, Jacques Denis, Luc Bouquet, Jean Rochard, Guy Girard, Stéphan Oliva, Olivier Gasnier, Théo Jarrier, Pascal Bussy, Mico Nissim, Eve Risser, L’1consolable, Alexandre Herrer, Serge Adam, Daniel Yvinec, Laetitia Zaepfel, Saturnin Le Canard, Jean-Marc Foussat, Jean-Paul Ricard, Simone Hédière, Les Martine’s, Nicolas Talbot, Léo Remke-Rochard... Page 70 on trouvera le mien, Voir pour le croire, que j'avais écrit à la demande de mes camarades. Quant aux illustrations, elles sont de Nathalie Ferlut, Hélène Balcer, Denis Bourdaud, Matthias Lehmann, Johan de Moor, Zou, Jeanne Puchol, Thomas Dunoyer de Segonzac, Emre Ohrun, Anna Hymas, Efix, Jop, Rocco, Andy Singer, Laurel, Mape 816, Gabriel Rebufello, Sylvie Fontaine, Cattaneo, Thierry Alba, Pic, et les photographies de Judith Prat, Francis Azevedo, Guy Le Querrec, Sasha Ivanovich, Judith Wintreberg, Xavier Popy, Gérard Rouy. Nathalie Ferlut a signé la couverture de la revue comme celle du disque. Marianne T. secondée par Christelle Raffaëlli et les Allumettes Anne-Marie Perrein et Cyrielle Belot ont rassemblé ce superbe travail rédactionnel et graphique.
Continuité avec les 37 numéros du Journal des Allumés, les rubriques de la revue sont L'aventure collective, Numérique l'envers du décor, La simplification des stickers contre le discours critique, Le miroir aux allumettes, Quand le son rentre en boîte, Les travailleurs du disque, Les petites séries, Le musicien face à l'autoproduction jusqu'où ?. Est-ce assez explicite ? Que tire-t-on de cette lecture indispensable à qui veut comprendre l'histoire du disque, ce que nous voulons ou pouvons en faire aujourd'hui, et ce que nous réserve l'avenir à moins que nous nous groupions pour enrayer ou minimiser la catastrophe ? D'abord la joie et le plaisir de créer. Ensuite de le réaliser ensemble. C'est en fédérant toutes les forces en présence que nous pouvons résister à la mort programmée par le capitalisme dont le profit à court terme est le seul but. Il faut étendre ce combat aux autres secteurs de la musique, de l'art, de la culture, et par extension à tous les enjeux de notre vie, car c'est de cela que traite la revue en filigranes. Ce formidable élan vital est donc difficile à résumer ici, si ce n'est par la complicité que ce blog entretien quotidiennement avec les idées qui y sont exprimées tout au long des 124 pages qui explosent en couleurs...

Aux Ronds-Points des Allumés du jazz, revue au tirage limité, 5€ seulement !

vendredi 12 avril 2019

Aux Ronds-Points des Allumés, le disque


Les Allumés du Jazz frappent fort pour le Disquaire Day. En plus d'une revue liée au colloque avignonnais qui avait pour thème "Enregistrer la musique, pour quoi faire ?" le collectif d'une soixantaine de labels français publie le vinyle 30 centimètres où s'expriment les musiciens séduits par la question. Ayant participé à la table ronde "Le miroir aux allumettes", j'ai moi-même enregistré pour l'occasion une petite fiction musicale avec Amandine Casadamont (field recording), Sacha Gattino (sifflement), Sylvain Rifflet (saxophone ténor) et Sylvain Lemêtre (percussion), Les travailleurs du disque dans le miroir des allumettes.


à écouter sur une bonne écoute avec des basses !

À ce magnifique disque-manifeste ont également participé (appréciez l'incroyable distribution !) L’1consolable avec Alfred Cat, Sylvain Kassap, Christiane Bopp, Géraldine Laurent, Tony Hymas, Etienne Gaillochet, Laurent Rochelle, Ève Risser, Antonin-Tri Hoang, Catherine Delaunay, Jean-Brice Godet, Nathan Hanson, François Corneloup, Pablo Cueco, Mirtha Pozzi, Das Kapital (Hasse Poulsen, Daniel Erdmann, Edward Perraud), Riverdog (Jean-François Pauvros, Léo Remke-Rochard, Jack Dzik), Benoît Delbecq, Pascal Van den Heuvel, Jacky Molard Quartet (Jacky Molard, Hélène Labarrière, Janick Martin, Yanick Jory), Serge Adam / le Jazz Composers Allumés Orchestra (JCAO) avec Géraldine Laurent, Morgane Carnet, Sylvain Kassap, Michel Edelin, Rémi Gaudillat, Serge Adam, Christiane Bopp, Loïc Bachevillier, Jean-Philippe Viret, Samuel Silvant et Bruno Tocanne / Xavier Garcia empruntant des samples à une quinzaine de labels des Allumés (avec La Marmite Infernale, imuZZic Grand(s)Ensemble, Les Voyageurs de l’Espace, Samuel Silvant Quartet, Marc Sarrazy et Laurent Rochelle, Anti Rubber Brain Factory, Christofer Bjurström, Ill Chemistry, Dominique Pifarély, Big Band Quoi de neuf docteur, Denis Fournier et Denman Maroney) / Les Martine’s (Anne Mars, Richard Maniere) et Tristan Macé / le Collectif Ishtar avec Benoît Cancoin, Cyril Darmedru, Eddy Kowalski, Xavier Saïki, Tony di Napoli, Olivier Toulemonde, Sylvain Nallet, Gérald Chagnard, Lætitia Pauget, Hélène Peronnet, Jules Toulemonde, Gérard Authelain / les Fondeurs de son avec Florent Dupuit, Nicolas Souchal, Niels Mestre, Stef Maurin, Yoram Rosilio / et puis aussi Léo Aubry, Jean-Marc Bouchez, Les damnés du skeud, Boris Darley, Simon Deborne, Nicolas Desmarchelier, Hervé Michard, Dominique Pauvros, etc.

Et la musique ? La Face A commence par Changez de disque, un rap de circonstance de L'1consolable et des Damnés du Skeud. Le rappeur a peaufiné un texte formidable sur l'état de la production discographique, sa distribution, la dématérialisation, les subventions, les GAFA, la piraterie, etc. Il ne manque que l'arnaque qu'est devenu le Disquaire Day, sensé soutenir les disquaires, profession en danger mortel, et qui s'est bizarrement focalisé sur le vinyle, mais est surtout devenu une foire du disque récupérée par les marchands de tout et n'importe quoi, y compris de la bière et une boisson énergisante ou un concours de soldes ! Le flow de L'1consolable est revendicatif en diable, malin, et ça swingue d'enfer avec l'accompagnement jazz des musiciens inventifs qui lui ont envoyé chacun un petit bout de musique... Suit 7 Janvier, une longue suite pour orchestre à géométrie variable réuni pour l'occasion par Bruno Tocanne, composée par Rémi Gaudillat et interprétée par le Jazz Composers Allumés Orchestra. L'acronyme JCAO n'est pas innocent, clin d'œil musical au JCOA de Michael Mantler et Carla Bley, et les couleurs du big band changent au gré des mouvements comme un kaléidoscope.
La Face J débute avec Sur la route des Allumés, un montage pétillant et entraînant de Xavier Garcia "à partir d'emprunts joyeux et amicaux" d'une quinzaine d'ensembles liés aux Allumés. Ce puzzle, comme presque toutes les contributions du disque, figure une fractale du projet global. La mise en abîme est ici particulièrement évidente. Puis Les Martine's, voix et guitare, avec le bandéoniste Tristan Macé, font respirer la dentelle de Par les temps qui courent, ciselé comme les créations de papier que le couple de graphistes a l'habitude de produire. Ils nous préparent au calme de notre petite évocation radiophonique qui marque une pause énigmatique. Le titre Les travailleurs du disque dans le miroir des allumettes a guidé nos pas dans la forêt transylvanienne. J'ai calé mes sons électroniques sur le field recording d'Amandine, j'ai demandé à Sacha de passer siffler, et j'ai laissé les deux Sylvain, ténor et percussion, improviser en leur assignant simplement leurs places. Suite à cela, avec Des airs cultes (en sabots) le Collectif Ishtar réintègre les mots dans la musique, miroir des Rencontres d'Avignon qui inspirèrent ce disque, et Le Fondeur de Son de se sentir libre de clôturer ce superbe album collectif avec son Fonderie Topophonographique, à la fois bruitiste et fondamentalement collectiviste. Franchement, je suis super fier d'avoir participé à cette aventure qui se tient de bout en bout grâce à Jean Rochard et Bruno Tocanne qui ont supervisé l'ensemble avec le concours des Allumettes, Anne-Marie Parein et Cyrielle Belot.


Quant à la revue, y ont contribué pour les textes Valérie de St Do, Francis Marmande, Guillaume Pitron, Hervé Krief, Sofian Fanen, Jean-Louis Comolli, Thierry Jousse, Guillaume Kosmicki, Pablo Cueco, PL. Renou, Bruno Tocanne, Guillaume Grenard, Alexandre Pierrepont, Christian Rollet, Thomas Dunoyer de Segonzac, Morgane Carnet, Michel Dorbon, Cyril Darmedru, Patrick Guivarc’h, Noël Akchoté, Cécile Even, Jacques Denis, Luc Bouquet, Jean Rochard, Guy Girard, Stéphan Oliva, Olivier Gasnier, Théo Jarrier, Pascal Bussy, Mico Nissim, Eve Risser, L’1consolable, Alexandre Herrer, Serge Adam, Daniel Yvinec, Laetitia Zaepfel, Saturnin Le Canard, Jean-Marc Foussat, Jean-Paul Ricard, Simone Hédière, Les Martine’s, Nicolas Talbot, Léo Remke-Rochard et votre serviteur !
Les illustrations sont de Nathalie Ferlut, Hélène Balcer, Denis Bourdaud, Matthias Lehmann, Johan de Moor, Zou, Jeanne Puchol, Thomas Dunoyer de Segonzac, Emre Ohrun, Anna Hymas, Efix, Jop, Rocco, Andy Singer, Laurel, Mape 816, Gabriel Rebufello, Sylvie Fontaine, Cattaneo, Thierry Alba, Pic, et les photographies de Judith Prat, Francis Azevedo, Guy Le Querrec, Sasha Ivanovich, Judith Wintreberg, Xavier Popy, Gérard Rouy. Nathalie Ferlut a signé la pochette du disque et de la revue.

Le disque n'est disponible que demain samedi et exclusivement demain, à moins qu'il en reste quelques exemplaires après-demain, mais c'est rare. En général les vinyles conçus pour le Disquaire Day partent comme des petits pains, que ce soit dans le réseau des 42 boutiques associées à l'opération ou à l'étranger. J’ignore si c’est du 180 grammes, mais c’est du lourd qui les dépasse allègrement ! N'oubliez pas non plus les 124 pages de la revue sur laquelle je reviendrai...

Aux Ronds-Points des Allumés du Jazz : le disque vinyle 18€... La revue 5€ (gratuite avec le disque samedi uniquement, chez les disquaires qui l'auront reçue à temps, merci la Poste !)

jeudi 11 avril 2019

Perconte en DVD et Blu-Ray


Il y a dix ans j'écrivis mon premier article sur les films de Jacques Perconte : "Sous quel angle le prendre ? Par quel bout commencer ? Quelle route choisir ? Filmant les paysages en accéléré, à la campagne ou à Paris, en bus, en train ou en voiture, Jacques Perconte montre les changements de vitesse de nos vies. En faisant virer les couleurs, il leur trouve une âme, active des perceptions qui nous étaient interdites et nous offre une nouvelle vision du monde. Comme si nous étions quelque insecte lacanien pour qui le réel est tout autre, Perconte joue du cristal de l'œil pour retourner l'impossible. Parfois les pixels tordent la perspective. Le temps n'est pas le même pour tous, l'espace non plus. Les trajets deviennent des explorations où le quotidien prend un autre sens. Sur Viméo, le vidéaste propose 46 extraits de films qui nous font voyager en restant sur place. À moins qu'ils nous fassent prendre conscience de notre place, immuable, en nous faisant bouger ? En regardant par la fenêtre je vois les arbres se pencher vers moi, ils me parlent, les couleurs de l'automne virent aux flammes et je vais me passer un peu d'eau froide sur le visage."
En 2012 j'ajoutai Les erreurs font le style et Errare humanum est, puis je lui proposais qu'avec Antonin-Tri Hoang et Vincent Segal nous jouions sur ses images dont il improviserait comme nous les modifications en direct. Nous avons plusieurs fois renouvelé le spectacle Dépaysages. Il collaborera ensuite avec d'autres musiciens. En 2013 je composai la musique de son film L'arbre de vie pour un ensemble de cordes. J'ai continué à écrire des articles sur ses nouvelles expérimentations. Nicole Brenez s'est entichée de son travail, le présentant, entre autres, à Leos Carax et Jean-Luc Godard qui ont intégré chacun un court extrait à leur dernier ouvrage. Ce n'est pas tous les jours qu'un réalisateur de cinéma expérimental, de cinéma non narratif comme l'appellent plus justement les Américains, intègre les nouvelles technologies et surtout la matière qu'impose l'informatique. La plupart refusent même que leurs œuvres paraissent en DVD ! Jacques a voyagé, multipliant les points de vue, les palettes de couleurs, les mouvements, variant les compressions, faisant valser les pixels...


Consécration de l'édition vidéographique, Re:voir édite un DVD d'œuvres de 2002-2003 et un Blu-ray pour celles de 2010-2012. Perconte a choisi le DVD pour les films tournés en basse-définition et le Blu-ray pour ceux en haute-définition. Cela m'apparaît assez conceptuel, car sur mon grand écran je ne distingue en général que difficilement la différence entre les deux supports quel que soit le film ! Peut-être est-ce ma vue qui a baissé, je m'interroge depuis des années. J'ai l'impression que la qualité dépend plus des films et de leur mastering que du support. Je ne perçois franchement la différence que sur les blockbusters. L'excessive netteté n'est pas toujours ce qu'il y a de plus poétique. Il n'empêche que revoir les films de Perconte chez soi sur grand écran c'est quelque chose, une sorte de trip psychédélique du XXIe siècle. Perconte profite de la notoriété de ses films récents (pas si récents puisqu'il aurait ensuite décidé d'arrêter d'éditer des films sous forme physique) pour remonter dix ans en arrière en montrant ses compressions et saturations assez roots sur le DVD Corps. Ils exposent néanmoins la démarche, d'ailleurs bien expliquée dans le petit supplément discrètement révélé à l'insertion des galettes. Mais c'est avec le Blu-ray Paysages que l'on est esbroufé par la peinture en mouvement de ce nouvel impressionniste. Perconte est bien le digne héritier d'une tradition du film expérimental non narratif qui joue sur la contemplation et l'hypnose. On peut se demander néanmoins comment son œuvre plastique qui d'année en année se multiplie sans à-coup évoluera dans le futur. S'attaquera-t-il au son comme il le fit pour l'image ? Les ambiances naturalistes ou les musiques qui accompagnent ses films sont hélas toutes illustratives et redondantes, les simili drones emphatiques finissant par tous se ressembler quel qu'en soit le compositeur, comme si Perconte craignait qu'elles fassent de l'ombre à ses sublimes lumières. L'absence de dialectique audio-visuelle me manque comme elle fait défaut à presque tout le cinéma narratif. Ici comme ailleurs, dans l'esprit des créateurs et du public, le son est en retard sur l'image. Justement, dans son récent Livre d'image, Jean-Luc Godard, cinéaste expérimental et narratif, reste un des rares à interroger cette partie négligée du support.

→ Jacques Perconte, DVD Corps, 77', contient 3 films (SNSZ, UAOEN, ISZ) et un livret de 44 pages, ed. Re:voir, 19,90€
→ Jacques Perconte, Blu-Ray Paysages, 77', contient 4 films (Uishet, Après le feu, Impressions, Chiuva) et le même livret de 44 pages, ed. Re:voir, 22,90€

mercredi 10 avril 2019

Lady M de Marc Ducret


Jusqu'ici mes références musicales à Macbeth étaient la partition du groupe Third Ear Band pour le film de Roman Polansky et l'opéra de Giuseppe Verdi. Je peux y ajouter aujourd'hui ce que le drame de Shakespeare a inspiré au guitariste Marc Ducret. Lady M préserve la forme opératique puisque le monologue de Lady Macbeth de l'acte V de la pièce est successivement porté par le contre-ténor Rodrigo Ferreira, la soprano Léa Trommenschlager et enfin par les deux ensemble. Chaque interprétation éclaire la scène différemment. D'abord Lady M erre comme une somnambule sans pouvoir trouver le sommeil que Macbeth a tué. Le même texte est répété, plus tragique, puis intervient l'inexorabilité du remords. L'écriture pour orchestre de Ducret est très rock, presque zappienne, contrairement à son jeu de guitare plus jazz. Si l'ensemble se passe la nuit, c'est une nuit de sang, rouge, électrique. Dans la tête de Lady M se heurtent les sentiments comme dans un flipper où les obstacles sont variés, la cognant, la propulsant, l'éclatant pour finalement rouler dans un couloir où les couleurs disparaîtront avec la fin du disque. Pour faire avancer la forêt vengeresse et réaliser la prophétie des trois sorcières, Ducret a choisi Sylvain Bardiau à la trompette et au bugle, Régis Huby au violon et violon ténor, Liudas Mockunas aux saxophones et à la clarinette contrebasse, Catherine Delaunay à la clarinette et au cor de basset, Samuel Blaser au trombone, son fils Bruno Ducret au violoncelle, Joachim Florent à la contrebasse et Sylvain Darrifourcq à la batterie. Les instruments rares ou anciens accentuent la gravité de cette œuvre pour voix et orchestre où le contre-ténor et la soprano font glisser le cauchemar vers la réalité. Ducret prouve une fois de plus qu'un petit ensemble d'aujourd'hui peut remplacer un lourd dispositif instrumental tel que le suggérait Edgard Varèse et participe ainsi au rajeunissement de la forme lyrique comme ont su le faire d'autres musiciens issus du rock ou du jazz tels Frank Zappa, Carla Bley, Michael Mantler, Steve Nieve et quelques autres dont le nom ne me revient pas à l'instant, mais que mes lecteurs et lectrices sauront me rappeler !

→ Marc Ducret, Lady M, Seven Songs & (Illusions), dist. L'autre distribution, sortie le 26 avril 2019
→ concert de sortie le 4 mai au Pan Piper, 2-4 impasse Lamier, Paris 11e

mardi 9 avril 2019

Dernières séries avant l'autoroute


La colline aux lapins (Watership Down) est une mini-série d'animation de 4 épisodes au suspense aussi prenant qu'un thriller, sauf qu'ici les protagonistes sont des lapins de garenne ! Les images 3D sont très réussies, et d'autant pire car ce n'est pas pour les tout-petits, donc les autres se régaleront ! Préférez évidemment la version originale en anglais...


L'anthologie Love, Death & Robots comporte 18 courts métrages indépendants réalisés chacun par une équipe différente. Ces films d'animation, qui oscillent entre 10 et 16 minutes, sont pour certains beaucoup plus éprouvants que les histoires de clapiers, voire carrément gore. C'est inégal, mais toujours intéressant. Il y a tout de même peu d'amour, beaucoup de morts, pas mal de robots et cela se regarde sans faim.



De la science-fiction au fantastique, on passe à Russian Doll en soulignant que ces genres portent évidemment toujours une critique forte de notre société et des fantasmes qu'elle engendre. Cette série de 8 épisodes de 26 minutes, plus psychanalytique que fantastique, est une excellente surprise. À la fin du premier on se demande sérieusement si Nadia Vulvokov va répéter en boucle sa mort et sa renaissance, mais l'histoire évolue très bien jusqu'au bout...


Excellente série policière islandaise, Trapped mêle simultanément plusieurs intrigues policières à des enchevêtrements familiaux ou domestiques comme c'est souvent la règle, mais le froid, la nuit et la neige donne à ce huis-clos en extérieur une couleur personnelle dont j'ignore si la seconde série que je n'ai pas encore regardée saura aussi bien se servir...


Avec deux saisons, Happy Valley est une sympathique série policière par son intrigue, mais plus basique TV dans sa réalisation. Les rôles principaux tenus par des comédiennes en font l'un des intérêts majeurs comme pas mal de séries britanniques récentes.
Comme le disait Christophe "il faut vraiment aimer les histoires de super-héros pour apprécier Umbrella Academy" dont je me suis lassé aussi vite que des provocations potaches de Sex Education. Dans le genre et en plus abouti Elsa me suggère évidemment Girls. Quant à la troisième saison de True Detective, si les acteurs sont formidables l'intrigue est lente, poussive et prévisible.


Heureusement c'est le printemps et vont débouler quantité de séries attendues ou toutes nouvelles, à commencer par la saison 2 du totalement déjanté Happy ! (il faut avoir le cœur bien accroché tant c'est drôle et gore à la fois) et le faux-documentaire néo-zélandais sur les vampires What we do in the shadows de Jemaine Clement et Taika Waititiun qui fait suite à leur long métrage sorti en 2014. En tout cas les deux premiers épisodes de Happy ! décoiffent, ses auteurs décidés à aller toujours plus loin dans le délire...

lundi 8 avril 2019

Etienne Mineur exhume l'univers de Moebius pour Magado


En mars 2006, j'évoquai Magado sur mon blog :
Direction artistique d'Étienne Mineur, illustrations de Moebius (Jean Giraud), secondés par Hervé Lalo, musique et design sonore de Jean-Jacques Birgé... Magado est un projet avorté du portail jeunesse de Gallimard et du Seuil réunis ! Il existe quelques traces de ce travail inabouti sur le site de Lalo qui travaillait chez Gyoza en l'an 2000. Les sons n'ont pas été intégrés, les magazines et les jeux déjà réalisés ne sont pas en ligne, mais j'ai été heureux de découvrir ces rares traces d'une histoire trop belle pour être vraie, trop gigantesque pour trouver son modèle économique... Je devais engager une douzaine de créateurs sonores et superviser l'ensemble. Le Seuil fut le premier à se dédire, les licenciements ont suivi, nombreux et douloureux. C'est dommage, le courant passait bien avec Moebius. Étienne et moi sommes repartis pour de nouvelles aventures.

Grâce aux archives d'Hervé Lalo et aux miennes, Étienne Mineur a mis en ligne hier dimanche un article avec les croquis inédits de Moebius. J'ai retrouvé mes sons et les comptes-rendus de réunion sur un ancien MacBook où tourne encore Tri-Catalog, une application qui m'avait permis d'indexer les centaines de CD-R où sont gravées mes archives. Pour des questions de poids et de débit mes boucles d'ambiances ne devaient pas dépasser 4 secondes ! La partition sonore était composée de nombreux effets vocaux, souvent travaillés avec un Eventide H3000, de sons de synthèse et de bruitages abstraits, mais aussi, selon les secteurs du site, de parties symphoniques dramatiques ou de musiques pop entraînantes, etc. Il était programmé que Magado devienne un univers immense qui se renouvelle sans cesse de manière à fidéliser ses abonnés. Étienne Mineur souligne que "chose remarquable dans cet ambitieux projet, nous avions dès le départ intégré le design sonore (qui malheureusement arrive souvent à la fin de ce genre de projet) en la personne de mon compère Jean-Jaques Birgé (avec qui j’avais précédemment travaillé sur les CD Rom Au Cirque avec Seurat et Carton)".
Étienne se souvient qu'en 1999 au cours d'une réunion chez l'éditeur on lui avait demandé quel type d’illustrateur il faudrait. En plaisantant, il avait répondu qu’il fallait une perle rare comme Hergé (qui, petit détail, est mort en 1983 !) ou Moebius... Pendant que la discussion continuait dans un flou artistique comme je les fuis régulièrement, j'ai discrètement appelé mon camarade Jean Rochard, producteur du label nato, pour qui Moebius avait dessiné des pochettes de disques. Imaginez la tête de tout le monde, quelques instants plus tard, lorsque je les ai interrompus pour annoncer que le célèbre illustrateur était d'accord pour nous rencontrer ! La semaine suivante nous étions chez lui avec Étienne. Nous avions les yeux ouverts comme des soucoupes... La suite fut une partie de plaisir jusqu'à ce que le projet explose en vol.
En plus de ses croquis initiaux et de ceux de Moebius, Étienne a donc mis en ligne le comptes-rendu d'une des réunions que je lui ai envoyé et, surtout, une animation de la très originale interface que nous avions imaginée avec Moebius. À l'époque c'était programmé sous Flash. Je continue d'espérer que d'autres dessins en couleurs seront un jour retrouvés...

Les grands projets inachevés ressortent un jour ou l'autre. Ainsi j'attends l'échéance de la clause de confidentialité de cinq ans pour évoquer l'étude du son du métro du Grand Paris, dite ligne 15, que j'ai réalisée entre 2014 et 2015 pour Ruedi Baur. Il ne restera probablement rien de ce travail colossal. Ceux qui font l'étude étant rarement habilités à l'exécuter, c'est l'opposé qui voit le jour quand on arrive à son aboutissement. J'avais imaginé l'intégralité de l'espace sonore depuis les parvis jusqu'aux rames en passant par les étages commerciaux, les couloirs et les quais, avec comme ligne directrice que les usagers devaient être heureux de prendre le métro chaque matin avant d'aller se faire exploiter toute la journée et impatients de le reprendre le soir pour rentrer chez eux, un sacré pari entraînant des propositions on ne peut plus originales ! Ruedi Baur avec qui j'ai eu l'immense plaisir de collaborer était sur la même longueur d'onde...

vendredi 5 avril 2019

Le Disquaire Day du Souffle Continu dans les temps

...
Les Primitifs du Futur, voilà déjà un titre qui me fait de l'œil ! C'est le nom de la bande d'énergumènes à géométrie variable que le guitariste Dominique Cravic rassemble depuis plus de trente ans pour jouer des trucs rétro façon musette. Ailleurs tous ces artistes sont des virtuoses dans des genres extrêmement différents qui se plaisent à jouer là les Années 30 avec tendresse et sincérité. Il ne devrait donc pas être étonnant d'y trouver Robert Crumb au banjo, le dessinateur ayant une fois de plus réalisé l'illustration de couverture où il atiré le portrait à Cravic accompagné de Daniel Colin, Claire Elzière, Hervé Legeay, Bertrand Auger, Didier Roussin, Mohammed Baazi, Jean-Michel Davis, Fabienne Dondard, Kairredine Medjoubi, Marc-Édouard Nabe, Robert Crumb, Olivier Blavet, Fay Lovsky, Raûl Barboza, Stéphane Sanseverino, Guy Lefebvre, Marc Richard, Mathilde Febrer, Jean-Jacques Milteau, Daniel Huck, Florence Dionneau... Dans le somptueux livret de 20 pages, 30x30cm puisque c'est un double vinyle, il y a d'ailleurs une dizaine de dessins de l'auteur de Fritz The Cat et Mr Natural. Sur les photos-souvenirs on reconnaîtra aussi Mieko Miyazaki, Vincent Segal, Patrick Tandin, Alain et Laura Antonietto, François Charle, Arsène Cassange, Coralie Fontayne, Jean-Philippe Viret, Steve Verbecke, Jean-Pierre Chaty, François Ovide, J.D. Jouannic, Julien Delli Fiori, Jean-Luc Katchoura, Aline Crumb, Juliette, Max Robin, Pierre Barouh, Jean-Claude Legué, Mumu Demarchi, Clément Lepidis, Vanja Larbrisseau, mais la liste des "effectifs à ce jour" en dernière page est autrement plus longue. Je livre ces noms, déçu de ne pas avoir le détail des interprètes sur chacun des 25 morceaux choisis pour ce Résumé des épisodes précédents, compilation des albums Cocktail d'amour, Le voyage de Django, Live in Concert, World Musette et Tribal Musette. Le créateur de Maus, Art Spiegelman, a eu la gentillesse d'écrire le texte du OBI, la longue bande de papier qui se détache lorsqu'on retire la cellophane, rappelant que la bande des Primitifs rend la passé certainement plus sympa qu'il ne l'était vraiment, et de se pâmer à l'écoute de l'accordéon, de la mandoline, de l'harmonica, du saxophone, de la scie musicale et de ces mélodies qui ne vous lâchent plus... Et que ça swingue !


Le second disque que sortira Le Souffle Continu pour la neuvième édition du Disquaire Day, le 13 avril prochain, est la réédition d'un petit 17 centimètres du Bénino-Togolais Alfred Panou, poète afro-groove accompagné par l'Art Ensemble of Chicago en 1969 ! Vous avez bien lu. Face A : Je suis un sauvage. Face B : Le moral nécessaire. Ainsi Sanvi Alfred Panou fut le premier slameur-rappeur noir de France avant de fonder vingt ans plus tard le cinéma La Clef-Images d'Ailleurs, premier espace cinématographique entièrement consacré aux films de la diversité. Texte revendicatif, surréaliste et caustique, typique de l'époque. Chouette d'écouter Lester Bowie, Joseph Jarman, Roscoe Mitchell, Malachi Favors dans ce contexte... L'année suivante, l'Art Ensemble accompagnera Brigitte Fontaine Comme à la radio produit également par Pierre Barouh pour Saravah !

→ Dominique Cravic et les Primitifs du Futur, Résumé des épisodes précédents, 2LP Souffle Continu Records, 29€, vendu exclusivement le 13 avril
→ Alfred Panou, Je suis un sauvage / Le moral nécessaire, EP 17cm Souffle Continu Records, 9€, vendu exclusivement samedi 13 avril

Petit commerce


Je souhaite me séparer d'un paquet de livres qui appartenaient à mon père. J'ai mis des annonces sur FB, mais j'ai l'impression que son moteur exclut ce genre d'opération à cause du motif, alors je les reproduis ici en espérant passer le blolage !
LIVRES DE SCIENCE-FICTION :
- Revue Fiction Magazine (1953 à 1987) N°1 à 374 + Numéros spéciaux Bis
- Revue Satellite (1958-1963) N° 1 à 38 / 42 à 46 / 9 suppléments
- Galaxie Magazine (coll. complète 1964-1977) N°1 à 158 + numéros spéciaux bis
- Quantité de livres des collections Rayon Fantastique (Hachette/Gallimard), L'Étrange (Robert Laffont), L'énigme (Hachette), Anticipation (Fleuve Noir), Press Pocket, Marabout, J'ai Lu, Anthologie de l'Imaginaire 1 à 15 (Opta Marginal), Edition Spéciale (JC Lattès), gros volumes chez Casterman, etc.
De grands auteurs : Ursula Le Guin, Sturgeon, Herbert, Spinrad, Van Vogt, Asimov, Ballard, Dick...
- En italien (!) I Romanzi di Urania
- En portugais (!) Os Grandes Ronances de Ficçãà Cientifica
REVUES POLICIÈRES
Hitchcock Magazine, Mystère Magazine, Magazine de Mystère !
LE GÉNIE CIVIL, REVUE GÉNÉRALE HEBDOMADAIRE DES INDUSTRIES FRANÇAISES ET ÉTRANGÈRES, 47 vol.reliés illustrés, 1915-1937, entièrement illustrés, une merveille ! 28x36cm - 1,65m linéaire
- Théâtre de Pierre CORNEILLE, 12 vol. reliés, Ladrange 1827, avec le commentaire de Voltaire et les jugements de La Harpe...
- COUTELINE, 8 volumes reliés, ed. du Trianon 1930, demi chagrin marron à coins, 5 nerfs, titre et auteur en doré, tranche supérieure dorée. Aquarelles et dessins de Joseph Hémard en et hors texte. Couverture originale conservée.
DES LIVRES ÉROTIQUES RARES ET DES PHOTOS DES ANNÉES 50
- Valentine Penrose, Dons des féminines, Préface de Paul Éluard, Librairie Les Pas Perdus, Paris, 1951 – n°146
- Liane Laure : Jacinthe ou Les images du péché – héliogravures P.Beloti – Aux Galants Passe-Temps 1934 n°407/1200 sur Vergé Antique Hollande orné de 15 héliogravures - Jan Brzekowski – Les murs du silence – ill. Fernand Léger – ed. Caractères
- Barnum Digest – Boris Vian & Jean Boullet – Aux deux menteurs
- Georges Bastia – Le zoo des vedettes - lithographies – signé n°151/450 ed. Héracléïa 1947
Etc. !

jeudi 4 avril 2019

Le son sur l'image (37) - Les Portes, vers de nouvelles interfaces 4.7


Les Portes, vers de nouvelles interfaces

Comme annoncé, la nouvelle œuvre est une installation d’art contemporain. Interactive, en doutiez-vous ? Vidéographique, qu’à cela ne tienne. En 2005, Nicolas Clauss et moi nous retrouvons pour créer Les Portes, une installation immersive d’art vidéo interactif, instrument permettant aux visiteurs de constituer un orchestre pour jouer ensemble, avec les sons comme avec les images. Cela ne s’est pas fait sans mal, deux versions ont été abandonnées avant d’aboutir au concept définitif. Les envies de départ ont survécu aux propositions successives, mais le dispositif a plusieurs fois radicalement changé.
Au milieu d’une grande salle obscure, trois portes s’ouvrent sur des écrans de la taille du cadre. Chaque joueur fait pivoter sa porte pour découvrir ou surprendre les scènes où font face une vingtaine d’acteurs. La nudité des âmes, plus présente que celle des corps, les renvoie, comme tous les autres spectateurs déambulant au milieu de l’installation, à leurs propres émotions, à leurs rêves, à leurs angoisses, ou du moins à leurs représentations. Cette mise en espace, en musique et en actions, est avant tout une œuvre sensuelle qui confronte chacun et chacune à soi-même et aux autres, dans son intimité et sa curiosité. Les Portes est à la fois une œuvre immersive, un tryptique et un orchestre.
Au milieu d’une salle obscure, sont exposées trois portes sans qu’aucun mur ne les encadre. Un écran de rétro-projection est tendu sur le cadre derrière chacune des portes. Des images vidéographiques et interactives sont projetées à partir de trois vidéo-projecteurs situés à vue dans l’installation. Un couple de haut-parleurs est placé sur les côtés de chaque porte. L’interface est un capteur d’angle qui prend en charge les rotations d’une porte sur ses gonds.
Sonore, l’œuvre constitue également un trio d’instruments de musique dont trois interprètes peuvent jouer simultanément en s’en appropriant les commandes. Les autres visiteurs déambulent dans l’obscurité, assistant au spectacle projeté sur les écrans derrière les portes comme au ballet constitué par les trois joueurs qui les ouvrent et les ferment, doucement, brutalement, lentement, rapidement, timidement, curieusement… Les six sources sonores se mélangent pour composer une œuvre musicale en perpétuel devenir.
L’ouverture d’une porte et le jeu qui s’en suit correspond à l’instrument proprement dit. Si elle sont toutes les trois en action, les tableaux interactifs projetés offrent des combinaisons variées d’images et de sons qui multiplient les possibilités d’interprétation, tant dans le timbre que dans l’orchestration, dans l’interactivité ludique comme dans la dramaturgie.


Les Portes est une œuvre sensuelle qui met en jeu les corps en les faisant émerger de l’ombre. Les cadavres sortent du placard. Les rêves prennent formes humaines. Le miroir sans tain permet de se voir sans être vu. C’est une œuvre charnelle qui interroge la place de chacun face à soi-même et face aux autres. Chacune des trois portes correspond à un univers onirique : la première porte s’ouvre sur des modèles du bonheur, la seconde sur les traces laissées par la souffrance et la mort, la troisième renvoie à un entre-deux, quotidien transformé par les rencontres. Les projections montrent des hommes et des femmes, en pieds, gros plans, parties du corps cachées, corps dénudés, chanson de gestes. Les références de ce triptyque sont multiples (Jérôme Bosch, Eugène Ionesco, Pierre Henry, Alphaville, Le secret derrière la porte, Le Voyeur, Beetlejuice), mais c’est à l’histoire de la peinture et à la formule du trio qu’il se réfère le plus souvent.

L’orchestration est composée de voix - trois voix principales, celle du chanteur mahorais Baco, celle de la chanteuse Pascale Labbé, avec qui Nicolas et moi avons créé sur scène Sarajevo suite et fin, et la mienne, transformée par un processeur vocal - ainsi que d’ambiances naturelles qui se combinent entre elles pour former un étrange magma, clair et complexe, symphonie concertante pour voix et électroacoustique. La musique fait passer les visiteurs du côté du rêve, dessinant des paysages ou suscitant des événements qui vont chercher dans l’inconscient collectif les désirs et les craintes de chacun.
Les images projetées sont constituées de films vidéo tournés en studio et de peinture en mouvement programmée sur ordinateur par Nicolas. La richesse des médias, images projetées et sons enregistrés, est telle que la découverte de l’œuvre se poursuit au-delà de la première impression, proposant aux visiteurs des événements qui s’enchaînent, s’articulent ou se répondent. Ce n'est pas l'innovation technologique qui est visée ici. Il s'agit avant tout de placer le visiteur au centre d’une émotion esthétique et spirituelle, voire sociale, en lui faisant perdre ses repères, en l'immergeant dans un monde où il va pouvoir préciser sa propre identité. Le caractère à la fois sensuel, intime et collectif de l’œuvre invite les interprètes à la concentration et à l'émotion, sentiments déjà suscités par l'obscurité et l'écoute que requiert de jouer "ensemble". Les interprètes n'ont pour autant besoin d'aucun apprentissage préalable pour contrôler le système. Tout est réalisé pour que la prise en mains soit simple et intuitive.


Soutenu par un dispositif extrêmement complet et enveloppant (place des visiteurs et rôles qui en découlent, plastique, musique, interactivité...), Les Portes réfléchissent une part d’intimité de chacun et chacune d’entre nous, par une sorte de miroir magique qui déshabille les êtres, et par la mise en jeu de pulsions primitives au travers du jeu à plusieurs.

Les Portes est une œuvre ambitieuse par sa monumentalité. Il est fort à parier que dans l’avenir nous revenions à des dimensions plus « humaines ». C’est étrange, nous avons chaque fois les yeux plus grands que le ventre. Nous réussissons à tout avaler, mais au prix d’un travail colossal, sans mesure avec les moyens dont nous disposons. Nos ébauches ont-elles besoin de cette démesure pour nous servir de leçon ? La première œuvre de chaque nouvelle forme d’expression que nous avons abordée semble toujours avoir été plus imposante que celles qui l’ont suivie. Cela semble une constance du rêve, comme si nous croyions avoir besoin de refaire le monde pour modifier un tout petit coin de notre univers intime. J’aurais aimé savoir faire autrement, commençant humblement par un petit croquis avant d’exploser les limites que nous ne pouvons nous empêcher de forcer. Les révolutions ne sont pourtant qu’un grand bruit pour un tout petit tour. Un petit tour sur soi-même. Comme s’il fallait tout casser pour rebâtir du neuf. Les petits mouvements semblent produire des effets si insignifiants. On parle fort pour attirer l’attention et pour ensuite baisser progressivement le ton, alors que le murmure force l’attention et excite l’imagination. Tout serait à refaire ? D’autres s’y emploient. À la fin de La chienne, lorsque son ami lui raconte avoir même été assassin, Michel Simon répond : « il faut de tout pour faire un monde ! »

Table des chapitres :
Fruits de saison : La liberté de l’autodidacte / Déjà un siècle / Transmettre
I. Une histoire de l’audiovisuel : Hémiplégie / Avant le cinématographe / Invention du muet / Régression du parlant / La partition sonore
II. Design sonore : La technique pour pouvoir l’oublier / Discours de la méthode / La charte sonore / Expositions-spectacles / Au cirque avec Seurat / Casting / Musique originale ou préexistante / Bruitages et un peu de technique 1 / 2 / Le synchronisme accidentel / La musique interactive
III. Un drame musical instantané : Un drame musical instantané / Un collectif / Des films pour les aveugles 1 / 2 / L'image du son / La nouvelle musique du muet / Rien que du cinéma ! 1 / 2
IV. L'auteur multimédia : L'auteur multimédia / Carton / Machiavel / Alphabet, la poésie interactive / LeCielEstBleu, du Zoo à... / LeCielEstBleu, La Pâte à Son / FluxTune et son Mode d'emploi / Flying Puppet, le WWW en peinture / Somnambules / Les Portes, vers de nouvelles interfaces...

mercredi 3 avril 2019

Chansons débiles


Je connaissais évidemment They're Coming to Take Me Away, Ha-Haaa! de Napoleon XIV et sa version française par Berthe, le double album de Wild Man Fischer produit par Zappa et quelques autres trucs loufoques, mais je suis tombé coup sur coup par hasard sur C'est Fab de Nancy Sesay And The Melodaires, puis sur les deux volumes de Only In America, recueil d'une soixantaine de chansons débiles américaines des années 60 et début des 70s sorti sur le label Arf! Arf! à l'initiative d'Erik Lindgren. Ce ne sont pas tant les instrumentaux que les voix qui sont à côté de la plaque ou du moins prennent définitivement la tangente par rapport à ce qui tourne rond. On y croise des vers de terre, des araignées, des barrissements, des rugissements, des substances illicites et du rock en veux-tu en voilà avec des voix de faussets et des barytons de baloche !

Vol. 1
01. The Laughing Record #1 (2:51) 02. Jon Appleton - Chef D'Oeuvre (2:33) 03. Tony Burello - There'S A New Sound (2:30) 04. The Incredible Kim Fowley - Young American Saturday Night (1:53) 05. Terry Teene - Curse Of The Hearse (2:30) 06. The Wicked - The Spider & The Fly (2:06) 07. Electric Experience - Theme (2:23) 08. Pot Party (2:16) 09. Stu Mitchell - Acid (2:01) 10. Invisible Burgundy Bullfrog - Batman Rides Again (3:56) 11. The Intimates - I'Ve Got A Tiger In My Tank (2:16) 12. Individuals - Jungle Superman (2:53) 13. Forbidden Five - Enchanted Farm (1:55) 14. Forbidden Five - R.F.D. Rangoon (2:10) 15. Phoenix Trolley - Three Part Invention (Too Many Trees In The Forest) (2:18) 16. Randy And The Rest - The Vacuum (2:50) 17. Endless Pulse - Nowhere Chick (2:15) 18. Cosmic Rock Show - Rising Sun (2:41) 19. Call Girl (1:05) 20. The Gay Teenager (2:00) 21. My Love - Ease The Pain (2:37) 22. Mystery Track (0:35) 23. New Bang - Go Go Kitty (2:32) 24. Time Masheen - Big Black Bird (2:02) 25. Herter'S Crow Calling Record - Part One (2:43) 26. Herter'S Crow Calling Record - Part Two (2:51) 27. The Beagles - Let'S All Sing Like The Biries Sing (1:56) 28. Shaggs - My Pal Foot Foot (Unreleased Live Version) (2:30) 29. Mysterious Clown - Mysterious Clowns (2:59) 30. Oshun - Rattle Of Life (2:22) 31. The Far-Out,Underground Acid Rock Feet Of Harry Zonk - For What It'S Worth (2:51) 32. David Arvedon - Buckets Of Water (Unreleased) (4:30) 33. Bonus Track (0:19)
Vol. 2
01. James Rebel O'Leary - Rebel Star (2:23) 02. Tangela Tricoli - Stinky Poodle (2:20) 03. Miriam - In 1967 (1:34) 04. Nora Guthrie - Emily'S Illness (3:09) 05. Msr Singers - I'M Just The Other Woman (2:37) 06. William Howard Arpaia - Listen Mr Hat (2:35) 07. Harry Burgess - Chicago Policeman (3:32) 08. Phil Philips - Th Evil Dope (3:33) 09. Unknown - Mcdonald'S Funeral Home (0:50) 10. Earl Coleman - Hippy Heaven (4:56) 11. Roger Bailey - Did She Break Your Heart (1:46) 12. Rodd Keith - The Green Bug (2:43) 13. James Rebel O'Leary - South Bound 81 (2:30) 14. Buddy Max - Cheese Eating Flea Market Cowboy (2:00) 15. The World (We Wish) - Laughter Part I (2:27) 16. The Electric Lollipop - Lightning Bug (2:24) 17. Langley Schools Project - Little Deuce Coup (2:25) 18. Melvin Kaiser - Heap 'Lil Injun (2:28) 19. Uge - Mad Charles (2:15) 20. Monocles - The Spider And The Fly (2:04) 21. Lou Berrington And The African Kamp - The Kwella Stroll (2:54) 22. Sacramento City Collge Stage Band - Lsd '67 (4:14) 23. Georgie Leonard - Ernie The Narc (2:19) 24. Lost Dimension - Purple Haze (3:02) 25. Lucky Charms - Wipeout (2:42) 26. Ed Moose Savage - Gut (0:52) 27. Jim Fassett - Symphony Of The Birds Second Movement (Buffo) (3:55) 28. Don Wescott - Shimmering Glimmering Tube (7:14) 29. The Decibels - Star Spangled Banner (2:01)

Il y a quelques covers (des reprises) et les titres parlent souvent d'eux-mêmes, mais je ne connaissais presqu'aucun de ces artistes en herbe, champignons et buvards...

mardi 2 avril 2019

... comme la lune


Enfant j'étais souvent dans la lune. À ma mère qui me demandait ce que je faisais je répondais "Je rêve". J'en ai fait mon métier et mon sacerdoce. Il y a 50 ans, au premier pas de Neil Armstrong sur notre satellite, je vivais encore chez mes parents et je me souviens parfaitement du fantasme qu'avait rejoint cette prouesse. Nous avions été biberonné à Jules Verne et Hergé. À l'Idhec je découvrirai Méliès et Fritz Lang. En 1962 mon oncle Roger m'avait obtenu une dédicace de John Glenn qui doit traîner dans un tiroir. Les plus lourds que l'air m'ont toujours épaté, mais pour voyager dans l'espace nous devrions plus tard nous contenter de psychotropes !
Les avancées technologiques du XXe siècle ont probablement relégué le voyage dans la Lune à une banalité, voire inutilité. Ainsi l'exposition La Lune au Grand Palais, qui tourne autour alors que c'est le contraire, n'a pas su faire renaître l'émotion de mon enfance et de mon adolescence. Les œuvres choisies semblent uniquement reliées par la présence de l'astre en leur sein, comme des rimes graphiques puisqu'il n'en existe aucune, phonétique, avec les quatre lettres qui la composent. Ce petit rassemblement montre les limites des expositions thématiques, sortes d'auberges espagnoles sans queue ni tête. D'un certain point de vue le cylindre à la Cité des Sciences est autrement plus facteur de rêve dans sa simulation d'apesanteur. Cela n'a rien à voir évidemment. Mais qu'est-ce qui est à voir réellement de la Lune ou sur la Lune ? En révéler la face cachée grâce à des œuvres d'art était un pari difficile à gagner. Si "de deux choses lune, l'autre c'est le soleil", comme disait Jacques Prévert, j'étais franchement heureux de retrouver le plus printanier en sortant.


J'ai pensé que cette fois il y avait nettement plus de rêve, et même de réalité, dans la boutique du Grand Palais où les transpositions me touchaient, que ce soit par les livres, les films, les musiques et autres objets dérivés. Je n'ai rien acheté pour autant. J'avais survolé La Lune sans réussir à y alunir, espérant hélas retrouver la sensation que je n'ai jamais perdu au spectacle qu'elle nous offre toutes les nuits, nous renvoyant à notre petitesse et à notre vanité de penser sublimer la nature. C'est pourtant par l'art que parfois nous nous en approchons.

→ Exposition La Lune au Grand Palais, Paris, jusqu'au 22 juillet 2019

Illustration : Yinka Shonibare, Vacation, 2000 (Londres 1962, wax ho landaise imprimée sur coton textile, figures en fibre de verre, casques de verre, The Israel Museum à Jérusalem)

lundi 1 avril 2019

L'Empire Bicéphale est en podcast


L'Empire Bicéphale est en podcast (50 minutes) !
Toute ressemblance avec nos dirigeants ne pourrait être que fortuite...
https://www.franceculture.fr/emissions/lexperience/lempire-bicephale


La dernière création de la Saison France-Roumanie 2019 >>
L’EMPIRE BICÉPHALE une satire politique fantastique avec beaucoup de SEXE co-écrite et co-réalisée par Amandine Casadamont et Stihi Ilinca from Bucharest avec Annabelle Brouard au ✂️ - Un Atelier de Création Radiophonique qui porte bien son nom 🙌🏼 - Pour ceux qui ne parleraient pas français elles ont même une version roumaine 🇷🇴 - avant première Prix Nova 6 juin 💥
"Après le déclin industriel, la montée des eaux et un empoisonnement général, un pouvoir autoritaire et fantaisiste est né des cendres de l’Europe : L’Empire Bicéphale. Une réflexion "sous le prisme de l’idiotie" : un tableau nuancé d’un monde menacé par ses propres élites, où la jouissance immédiate nous détournerait de notre futur. Un beau matin, deux présidents se réveillent côte à côte dans une réalité qui leur semble familière et qui peu à peu se transforme en un décor inquiétant. Une disparition qui intervient en pleine campagne électorale. Que faire ? Impossible d’annoncer la disparition des présidents, mais pourtant il va bien falloir coûte que coûte continuer la campagne."

Le nouveau Blog d'Étienne Mineur


Le 4 août 2005 je mettais en ligne mon premier article de blog. Comme j'avais l'intention d'imaginer une œuvre artistique en m'appuyant sur ce nouveau mode d'expression, j'étais allé voir le graphiste Étienne Mineur qui publiait quotidiennement des choses passionnantes depuis le début de l'année. Mon ami m'aida à installer l'application DotClear que j'utilise toujours. Je fus instantanément happé par cette nouvelle addiction, le blog lui-même devenant au fil des années une de mes œuvres les plus importantes, totalisant plus de 4000 articles aujourd'hui !


De son côté, jusqu'en août 2012 Étienne Mineur s'appuya sur DotClear qu'il quitta après 1670 articles pour construire un nouveau blog d'Archives qu'il abandonna au bout d'un an. C'est donc avec surprise et ravissement que j'apprends qu'il remet le couvert avec une troisième mouture ! Cette fois le site d'Étienne rassemble son nouveau blog, un safari typographique à travers le monde où il photographie la signalétique urbaine sauvage (enseignes, graffitis, peinture murale, affiches, stickers…), un portfolio, des croquis et bientôt ses enthousiasmantes conférences filmées.


Lorsqu'on connaît l'entrain et la passion partagée généreusement de mon camarade on ne peut que se réjouir d'avoir à découvrir des merveilles dégottées par ce chercheur de trésors. Que ce soit pour sa fougue communicative et son insatiable appétit d'étonnements je me reconnais évidemment dans ce zébulon avec qui je commençai à travailler en 1995 sur le CD-Rom Au cirque avec Seurat chez Hyptique dont il était directeur artistique. Nous avons ensuite collaboré sur mon CD-Rom Carton, l'habillage télévisuel d'EuroPrix 98 à Vienne en Autriche, pour Gallimard avec Moebius le site Magado qui ne verra jamais le jour, La Maison Fantôme avec Sacha Gattino, la série Zéphyr des 5 Balloons et l'incroyable jeu World of Yo-Ho chez Volumique, les emballages des DVD de Françoise Romand, les pochettes et livrets de mes derniers disques (El Strøm et mon Centenaire), et pas mal d'autres projets...


Internet est devenue une encyclopédie vivante, une médiathèque tentaculaire, qu'il serait plus que regrettable, voire dangereux, de voir muselée, censurée, marchandisée par les gouvernements et leurs commanditaires sous les prétextes les plus fallacieux. Si les informations sont toujours à prendre avec des pincettes, cette règle vaut d'abord pour les organismes contrôlés par l'État et la presse traditionnelle qui ne s'est jamais privée de fake news et autres manipulations à des fins mercantiles ou politiques. Les blogueurs n'étant pour la plupart pas rémunérés pour leurs partages restent libres d'écrire ce qui leur chante...