Il y a dix ans j'écrivis mon premier article sur les films de Jacques Perconte : "Sous quel angle le prendre ? Par quel bout commencer ? Quelle route choisir ? Filmant les paysages en accéléré, à la campagne ou à Paris, en bus, en train ou en voiture, Jacques Perconte montre les changements de vitesse de nos vies. En faisant virer les couleurs, il leur trouve une âme, active des perceptions qui nous étaient interdites et nous offre une nouvelle vision du monde. Comme si nous étions quelque insecte lacanien pour qui le réel est tout autre, Perconte joue du cristal de l'œil pour retourner l'impossible. Parfois les pixels tordent la perspective. Le temps n'est pas le même pour tous, l'espace non plus. Les trajets deviennent des explorations où le quotidien prend un autre sens. Sur Viméo, le vidéaste propose 46 extraits de films qui nous font voyager en restant sur place. À moins qu'ils nous fassent prendre conscience de notre place, immuable, en nous faisant bouger ? En regardant par la fenêtre je vois les arbres se pencher vers moi, ils me parlent, les couleurs de l'automne virent aux flammes et je vais me passer un peu d'eau froide sur le visage."
En 2012 j'ajoutai Les erreurs font le style et Errare humanum est, puis je lui proposais qu'avec Antonin-Tri Hoang et Vincent Segal nous jouions sur ses images dont il improviserait comme nous les modifications en direct. Nous avons plusieurs fois renouvelé le spectacle Dépaysages. Il collaborera ensuite avec d'autres musiciens. En 2013 je composai la musique de son film L'arbre de vie pour un ensemble de cordes. J'ai continué à écrire des articles sur ses nouvelles expérimentations. Nicole Brenez s'est entichée de son travail, le présentant, entre autres, à Leos Carax et Jean-Luc Godard qui ont intégré chacun un court extrait à leur dernier ouvrage. Ce n'est pas tous les jours qu'un réalisateur de cinéma expérimental, de cinéma non narratif comme l'appellent plus justement les Américains, intègre les nouvelles technologies et surtout la matière qu'impose l'informatique. La plupart refusent même que leurs œuvres paraissent en DVD ! Jacques a voyagé, multipliant les points de vue, les palettes de couleurs, les mouvements, variant les compressions, faisant valser les pixels...


Consécration de l'édition vidéographique, Re:voir édite un DVD d'œuvres de 2002-2003 et un Blu-ray pour celles de 2010-2012. Perconte a choisi le DVD pour les films tournés en basse-définition et le Blu-ray pour ceux en haute-définition. Cela m'apparaît assez conceptuel, car sur mon grand écran je ne distingue en général que difficilement la différence entre les deux supports quel que soit le film ! Peut-être est-ce ma vue qui a baissé, je m'interroge depuis des années. J'ai l'impression que la qualité dépend plus des films et de leur mastering que du support. Je ne perçois franchement la différence que sur les blockbusters. L'excessive netteté n'est pas toujours ce qu'il y a de plus poétique. Il n'empêche que revoir les films de Perconte chez soi sur grand écran c'est quelque chose, une sorte de trip psychédélique du XXIe siècle. Perconte profite de la notoriété de ses films récents (pas si récents puisqu'il aurait ensuite décidé d'arrêter d'éditer des films sous forme physique) pour remonter dix ans en arrière en montrant ses compressions et saturations assez roots sur le DVD Corps. Ils exposent néanmoins la démarche, d'ailleurs bien expliquée dans le petit supplément discrètement révélé à l'insertion des galettes. Mais c'est avec le Blu-ray Paysages que l'on est esbroufé par la peinture en mouvement de ce nouvel impressionniste. Perconte est bien le digne héritier d'une tradition du film expérimental non narratif qui joue sur la contemplation et l'hypnose. On peut se demander néanmoins comment son œuvre plastique qui d'année en année se multiplie sans à-coup évoluera dans le futur. S'attaquera-t-il au son comme il le fit pour l'image ? Les ambiances naturalistes ou les musiques qui accompagnent ses films sont hélas toutes illustratives et redondantes, les simili drones emphatiques finissant par tous se ressembler quel qu'en soit le compositeur, comme si Perconte craignait qu'elles fassent de l'ombre à ses sublimes lumières. L'absence de dialectique audio-visuelle me manque comme elle fait défaut à presque tout le cinéma narratif. Ici comme ailleurs, dans l'esprit des créateurs et du public, le son est en retard sur l'image. Justement, dans son récent Livre d'image, Jean-Luc Godard, cinéaste expérimental et narratif, reste un des rares à interroger cette partie négligée du support.

→ Jacques Perconte, DVD Corps, 77', contient 3 films (SNSZ, UAOEN, ISZ) et un livret de 44 pages, ed. Re:voir, 19,90€
→ Jacques Perconte, Blu-Ray Paysages, 77', contient 4 films (Uishet, Après le feu, Impressions, Chiuva) et le même livret de 44 pages, ed. Re:voir, 22,90€