70 août 2019 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 30 août 2019

Buchaorest


L'absurde règne à Bucarest, en tout cas d'un point de vue architectural. Des immeubles modernes côtoient des ruines, les rénovations alternent avec des effondrements, le monumental stalinien avec l'orient ou le modernisme du début du XXe siècle. Il y a des colonnes corinthiennes collées à des buildings des années 60 et de gigantesques terrasses impériales encore plus roccoco perchées sur leurs toits, probablement rêvées par les dignitaires du régime ceaușescuesque. Les trottoirs et les chaussées sont défoncées, des tuiles ou des briques risquent de vous envoyer au cimetière. Cela n'empêche pas certains quartiers de distiller leur charme avec leurs restaurants en appartements et les cafés sous des tonnelles de verdure. Le quartier historique de Lipscani et Stavropoleos est défiguré par les débits de boisson et les restaurants "typiques" qui débordent sur la chaussée, industrie touristique oblige, mais Icoanei, par exemple, est devenu très branché. Plus on monte vers le nord, plus c'est huppé, façon Neuilly ou Vincennes. À la périphérie les malls ont remplacé les commerces de proximité, comme partout hélas. C'est un peu comme les paysages urbains qui mènent des aéroports aux grandes villes, quasi identiques quelle que soit la longitude.


J'ai tout de même du mal à comprendre pourquoi on construit une église aussi imposante derrière l'ancien palais du fada devenu le parlement, si colossal que personne semble savoir qu'en faire. En avril 2010, alors qu'avec Antoine Schmitt nous présentions ici-même Nabaz'mob, notre opéra pour 100 lapins, dans le cadre du Festival Rokolektiv, j'avais photographié à peu près sous le même angle le parc depuis l'arrière du Palais (photo ci-dessous, zoom plus rapproché). Je me demande ce que les habitants de Bucarest ont gagné en dix ans ? L'herbe a brûlé. La poésie surannée du parc a laissé la place à un chantier informe pour satisfaire la piété des Roumains interdits de pratiquer leur religion sous l'ère dite communiste.


Nous avons mis vingt minutes pour contourner l'immense bâtiment (270 sur 240 mètres, 1100 pièces sur 12 étages, 45 000 m2 au sol et 350 000 m2 habitables) et accéder au Musée d'Art Moderne et Contemporain qu'il abrite.


Celui-ci aussi semblait en travaux, que ce soit intentionnel comme cela devient la mode de faire un accrochage comme si on était dans l'atelier du peintre, ou dans les salles elles-mêmes. Difficile de se faire une idée en ne voyant qu'une œuvre de chaque artiste. Aucune intention flagrante ne se dégage de l'ensemble, à l'image du chaos de la capitale. Idem au Musée d'Art Récent. On est très loin des villes et villages que nous avons traversés dans le nord. Et puis les couleurs vives des façades me manquent terriblement, sans parler de la forêt des Carpates !


Nous préférons errer au petit bonheur la chance et découvrir des images étonnantes comme ce lierre entrant par la fenêtre d'un immeuble cossu laissé à moitié à l'abandon. Les périodes fastes de l'Histoire laissent des bâtiments somptueux difficiles à entretenir aujourd'hui.
C'est d'ailleurs à Iconei que, sur les conseils de Dana, nous faisons du restaurant Zexe notre cantine ! Sa cuisine est celle des boyards, gastronomie de la Roumanie d'antan. Le coût de la vie dans ce pays est si bas qu'il nous permet cette fantaisie.
Hélas, comme partout sur la planète, les inégalités se sont encore creusées. Si la vie était impossible avant la révolution de 1989, il n'y avait néanmoins pas de SDF à Bucarest. Une extrême pauvreté côtoie maintenant l'arrogance d'une nouvelle bourgeoisie. La capitale expose ces douloureuses ambigüités et, même si nous sommes venus travailler et réfléchir à une utopie à la fois passée et future avec nos amies roumaines, notre statut de touristes n'arrange rien à l'affaire.

jeudi 29 août 2019

La Transylvanie en couleurs


Sur la route entre Victoria et Sighișoara les maisons des villages sont de toutes les couleurs. En faisant peindre la mienne en bleu, très méditerranéenne, je pensais à l'île de Burano, près de Venise, mais arpentant la cité féodale, je suis ravi de constater qu'il y a quantité d'autres pays où l'on apprécie autre chose que le blanc sale !


Nous évitons les draculeries dont se repaissent la région et ses commerçants. Vlad Țepeș ou Vlad III l'Empaleur n'est évidemment pas le personnage imaginé par Bram Stoker qui a choisi le nom de son personnage à partir du nom du père de Țepeș qui se nommait Vlad Dracul parce qu'il appartenait à l'Ordre du Dragon. D'ailleurs, de l'autre côté du pont aucun fantôme n'est venu à ma rencontre !


Sibiu ressemble plutôt à Prague. Les maisons bourgeoises font penser à des pâtisseries viennoises. Ce ne sont pas pour autant des modèles gastronomiques, du moins pas vraiment diététiques. J'aime bien la chorba de tripes, par exemple, mais heureusement cette soupe n'a inspiré aucun architecte.


Les lucarnes me font néanmoins penser aux yeux d'un dragon soulevant ses paupières comme un crocodile. Je me souviens de ceux parqués dans un enclos à Radio France. J'avais parié avec mes copains que c'était des animaux empaillés. Nous étions seuls. J'ignore ce qu'ils faisaient là. À l'époque il y avait des studios de télévision. Lorsque j'ai posé la jambe sur le haut de l'enclos, l'un d'eux a soulevé son œil lourd, comme s'il me faisait un clin d'œil. On peut dire que j'ai eu chaud. Les yeux de Sibiu sont devenus un symbole de protestation contre la corruption en Roumanie.


L'été à Sibiu comme à Sighișoara, il y a beaucoup de touristes, mais cela reste supportable. Il suffit de laisser passer les groupes guidés par des petits fanions ! Sighișoara semble restée dans son jus féodal, mais le tourisme la transforme tout de même en Butte Montmartre. Sibiu est plus étendue, même si son centre tourne autour de trois places contiguës. Nous sommes tombés sur un festival folklorique dans la première et un festival médiéval dans la seconde. J'ai préféré les chants et danses roumaines aux passes d'armes en cottes de maille ! Partout sont visibles les traces saxonnes.

mercredi 28 août 2019

La simandre


Il me restait la simandre à enregistrer en haut de l'église orthodoxe. L'escalier pour monter au clocher est abrupt. Du haut, la vue est évidemment superbe. Le jeune pope nous explique qu'il ne reste plus que 4000 habitants à Victoria sur les 10000 de jadis. La plupart sont pauvres et sans emploi. Après avoir frappé en rythme la simandre que les Roumains appellent toaca, il me prête ses mailloches de bois constituées du cœur d'un cerisier pour que j'en joue à mon tour sur la planche de hêtre qui sert habituellement à appeler, par exemple, les fidèles à la messe.


La toaca peut aussi être en métal. Le pope fait retentir la petite cloche, puis le gros carillon. J'ignore si elles ont toutes les mêmes fonctions, probablement pas, mais le pope sonne chacune l'une après l'autre. Il nous raconte que sa charge exige qu'il soit marié.


En sortant je jette un œil à l'église proprement dite. Elle éclate de couleurs vives. On oublie souvent que les temples grecs étaient polychromes !

mardi 27 août 2019

Rust In Peace


Tandis que Céline Berger filmait Daniel Pop, le chorégraphe m'a permis d'enregistrer un solo de grille que j'espère incorporer au disque qui pourrait se trouver intégrer au livre de Dana Diminescu sur Victoria. J'emporte partout mon magnétophone et mon appareil-photo, mais nous sommes enfin en vacances. Suis-je jamais en vacances, toujours sur la brèche, avec quelques mots chaque jour sur cette page ?


Rust In Peace sera le titre d'un des morceaux de l'album. Le jeu de mots se réfère (rouillé !) à l'état des équipements des anciennes usines chimiques de Victoria et aux dégâts humains qu'elles ont générés. Le cimetière où j'ai photographié Daniel fait partie de l'histoire. Une atmosphère lourde s'en dégage. Il n'abrite pas que les tombes de ces victimes. Une stèle célèbre les héros de la seconde guerre mondiale, sans différencier ce qu'ils sont devenus sous le joug soviétique et l'ère Ceaușescu. Victimes et bourreaux se retrouvent honteusement associés. Cela m'a rappelé le Cambodge où chacun se réclamait des victimes des Khmers Rouges de Pol Pot alors qu'une bonne partie d'entre eux avait commis combien de meurtres absurdes. Comme les Italiens, les Roumains avaient commencé la seconde guerre mondiale du côté de l'Axe et l'avaient terminée avec les Alliés ! La question primordiale concernait la Bucovine, la Transylvanie et la Moldavie. Partout sur le globe, le découpage imposé par les vainqueurs crée chaque fois des conflits à venir.

lundi 26 août 2019

C'est fini. Il est mort.


Argh ! Une fois de plus la rubrique nécrologique de FB apporte de la tristesse. Grâce au commentaire de Jean Rochard j'apprends hélas la mort de Massimo Mattioli. C'est une de nos pochettes que je préfère. Je m'étais aperçu que la réduction des 30 centimètres du vinyle aux 12 centimètres du CD ratait souvent ses effets. Aussi ai-je cherché à agrandir une petite image. Aucun timbre-poste ne faisait l'affaire. Les images de Squeak The Mouse correspondaient parfaitement à notre spectacle Zappeurs-Pompiers avec la chorégraphe Lulla Card Chourlin et le clown Guy Pannequin. Mattioli nous avait aimablement autorisés à en reproduire plusieurs lorsque nous l'avons enregistré pour le disque.


Jean raconte :
Nos camarades d'Un Drame Musical Instantané avaient eu la bonne idée, pour leur album "Qui Vive ?" (GRRR 1989), de confier la couverture au dessinateur Massimo Mattioli, créateur de M le Magicien, Pinky, Frisk the Frog, Superwest, Joe Galaxy, Awop-Bop-Aloobop et les fameuses aventures de Squeak the Mouse, sorte d'interprétation survoltée (pour dire le moins) de Tom et Jerry avec chat et souris explosivement déjantés. Au dos de "Qui vive", le chat disait : "C'est fini. Il est mort." Mattioli vient de nous quitter.


Hélas, voilà, le petit chat est mort. Et Mattioli l'a suivi.

Ruines d'une époque révolue


Nous avons dû montrer patte blanche avant de pénétrer dans la Section 7. L'usine chimique était incroyablement étendue, les bâtiments dispersés au milieu de la forêt. C'était probablement pour des raisons de sécurité, les accidents se produisant de temps en temps. Il suffisait d'un moment d'inattention, d'une cadence de travail trop soutenue, pour que la nitrocellulose explose et fasse ses victimes. Ci-dessus la tour où se fabriquait l'éther ! Notre guide nous avertit que nous sommes susceptibles de rencontrer un ours, mais nous ne verrons qu'un gros sanglier. Tout est à l'état de ruines. Quel projet pourrait bien investir le lieu ? Un musée ? Un centre artistique ? Avec la désertification des campagnes, on voit mal des promoteurs immobiliers s'y intéresser. En l'état, Viromet fait penser à un parc à thème dont nous serions les seuls visiteurs, aventuriers d'un jeu de rôles où nous serions confrontés à la nature...


Le dépôt ressemble à un temple perdu dans la forêt. Les stèles de ciment font penser à quelque cimetière d'un autre hémisphère. J'enregistre le son des débris de toutes sortes que nous foulons ici et là. Les murs des stockages étaient en briques pour qu'une éventuelle explosion les souffle. La déflagration devait être considérable pour que le plafond soit une dalle flottante capable de s'envoler ! Nous croisons l'ancien directeur venu se recueillir, nostalgique de ce qui est devenu une gigantesque friche.


Nous continuons notre visite en descendant dans le bunker de l'usine. Il y a des masques à gaz dans les musettes accrochées au porte-manteau. Des affiches en couleurs expliquent les dégâts produits par les armes biologiques, chimiques ou nucléaires. On peut y lire la liste des symptômes et celle des antidotes. Ou leur absence ! Je photographie des plans de bombes et j'enregistre le son des lourdes portes.


La chorba quotidienne et les Wiener Schnitzel attendront. Nous filons vers la station d'épuration des eaux en tentant d'éviter les nids de poule, spécialité de la région. Je lis NH3 sur d'immenses containers, c'est de l'ammoniac. Plus loin on fabriquait du méthanol. En empruntant un petit pont nous remarquons un ruisseau orange. De bassin en cuve, nous suivons tout le processus de filtrage de l'eau. Là aussi j'enregistre. J'ai besoin de bruits du réel que je mélangerai à mes machines ou à des instruments acoustiques. Parfois je partirai de ces références essentielles, parfois je me contenterai de fictionnaliser mon évocation d'un événement ponctuel. D'autres fois je serai contraint de réinventer le passé, ne pouvant capter une belle explosion. Une réinterprétation en studio fait ainsi germer la poésie du réel.

vendredi 23 août 2019

Melting Rust en Transylvanie


Pendant trois jours la ville roumaine de Victoria est en fête. Aujourd'hui avant les chants et danses folkloriques, j'accompagne les images mouvantes d'Anne-Sarah Le Meur, à l'invitation de Dana Diminescu et Tincuta Heinzel. Avec Irina Bucan Botea & Jon Dean, Ştefan Constantinescu, Pauline Vierne, Céline Berger, Andra Jurgiu, Daniel Pop, elles participent à cette présentation liée à une résidence de deux ans autour de la ville utopique créée par les Soviétiques en 1948 et qui s'avérera une terrible dystopie sous le règne de Nicolae Ceauşescu...
Le graphiste Étienne Mineur, qui a réalisé mes dernières pochettes de disques (Long Time Non Sea d'El Strøm et mon Centenaire) et termine celle de la réédition augmentée de L'homme à la caméra d'Un Drame Musical Instantané en CD, travaille sur le livre qu'écrit Dana Diminescu et dont je m'inspire pour un album à paraître en 2021. J'enregistre quotidiennement des sons en field recording qui me serviront à cette occasion.
Pour la performance de ce soir intitulée Melting Rust j'improviserai au clavier en utilisant des banques de sons supportées par les moteurs Kontakt et UVI. Mes mouvements inspirés du morphing seront perturbés par le son de lames acérées et de métaux frappés. La musique suivra les couleurs d'Anne-Sarah, passant du rouge au vert, du bleu à l'orange.

jeudi 22 août 2019

Sur la piste utopienne


Passé les nombreuses réflexions sur l'utopie, notre joyeuse équipe continue à arpenter la ville à la recherche des "vestiges" de l'ère communiste, la comparant avec ce qui lui a précédé ou succédé. Depuis les baies vitrées du Centre Culturel où nous jouerons samedi soir je reconnais la vue qui a été choisie pour illustrer la fiche Wikipédia de Victoria, sauf que la neige a fondu cet été sur les cimes des monts Făgăraș. L'après-midi, l'enterrement d'un des anciens directeurs de l'usine a repoussé à vendredi notre visite du cimetière. Ceux et celles qui y assistaient étaient ensuite conviés au restaurant Le Paradis, cela ne s'invente pas ! Dans les années 50, comme les ouvriers recrutés des usines chimiques et d'explosifs étaient essentiellement des jeunes, dans son projet utopique la ville n'avait pas prévu de construire un cimetière. Ce fut évidemment l'hécatombe. Autre rendez-vous décalé, cette fois avec le pope de l'église d'à côté. Il devait me montrer comment il joue de ses mailloches sur la simandre, toacă en roumain, située dans le clocher, mais il est introuvable...


Nous nous rabattons sur l'école qui accueille des élèves de 6 à 14 ans, un jumelage équivalent à notre école primaire et au collège. Le papa de Dana commente en direct via une application vidéo sur iPhone la visite de ce lieu pilote où il avait inventé une pédagogie très originale et qui a malheureusement périclité depuis la chute du bloc de l'est. Des fresques peintes directement sur les murs mettent en garde les enfants contre les méfaits du tabac ou l'importance d'une bonne hygiène. J'enregistre le buzzer qui sonnait la récréation. Dedans, dehors. C'est déjà ça.
Tous les moustiques en embuscade dans la chambre ayant été zigouillés par brutale application d'oreiller, les nuits peuvent enfin être consommées d'une seule traite...

mercredi 21 août 2019

La nature reprend ses droits


La matinée s'est ouverte avec la visite de l'usine chimique Viromet S.A. à Victoria où flotte l'odeur vicieuse distillée par son concurrent américain Purolite située de l'autre côté de la route. Comme je l'ai raconté vendredi l'usine a été divisée à la chute du régime dit communiste. Il n'y a plus que 300 ouvriers sur les 4000 du temps où l'usine fonctionnait à plein régime (c'est le cas de le dire !), mais celle-ci semble à l'arrêt. Un détail m'échappe donc et plusieurs secteurs demeurent interdits. J'attends avec impatience d'arpenter la Section 7 où était fabriquée la nitrocellulose (la poudre), cause de mortalité répétée. Comme toutes les constructions du pays les bâtiments sont un mélange d'architecture stalinienne et d'influence byzantine...


Il y a des tuyaux rouillés un peu partout, des petits, des gros, certains passent sous la route, d'autres la surplombent. Mais partout la nature reprend ses droits et les lianes s'immiscent dans le réseau abandonné. De magnifiques affiches concernant la sécurité ornent les murs des bureaux. Elles sont peintes à la main sur des tableaux de bois. De l'art brut dont je cherche le nom de l'auteur. Peut-être aurons-nous plus de précision lors de la fête de la ville qui commence samedi et pour laquelle nous ferons une performance...


Devant l'usine Viromet qui nous accueille cordialement, j'enregistre des dizaines d'hirondelles dont les cris s'apparentent à de la musique électronique. Dans le fond on entend les machines de Purolite. Le soir ils dégazent, parce que c'est le moment où la ville respire des puanteurs auxquelles d'ailleurs nous commençons à nous habituer...


L'après-midi après chorba de légumes, chorba de tripes, poivrons farcis et escalopes de porc, nous partons nous promener tout près, à Vistea, où le parfum du thym sauvage remplace la pollution de Victoria. Nous nous baignons dans un petit torrent pour nous rafraîchir quand tombe le soir au loin sur les montagnes...

mardi 20 août 2019

En route pour les Carpates


Rapidement parce que la journée a été très longue. Le vol s'est beaucoup mieux passé que nous ne pouvions le craindre si l'on se fie aux commentaires sur la compagnie low-cost. Seulement une demi-heure de retard. Par contre les bagages à main qui ne sont pas des sacs à dos doivent voyager en soute parce que le 737 est un trop petit avion... Chaque voyageur doit le porter et le remettre au préposé en bas de la passerelle, après avoir retiré là aussi toutes les piles, puisqu'il paraît qu'une batterie percée peut mettre le feu et faire crasher un Boing ! Évidemment à Bucarest le bagage se retrouve sur le tapis roulant avec ma grosse valise au supplément prohibitif. Tout s'était parfaitement déroulé jusqu'à la location de la voiture qui a mis trois heures à nous être remise par Hertz, alors que la facture était déjà réglée. Ils avaient égaré le véhicule qui était devant leurs yeux. On a fini par prendre la route sans ses papiers. Ensuite j'ai conduit comme les Roumains, excès de vitesse, dépassements bizarres, mais nous sommes enfin arrivés sains et saufs vers 22 heures à Victoria où nous attendait une équipe extrêmement sympathique. Demain matin nous allons voir les archives d'une des usines. Une étrange odeur de poisson chimique flotte sur la ville. J'ai pensé à un film de Jean-Pierre Mocky.

lundi 19 août 2019

Vol pour Bucarest


J'ai choisi cette photo ancienne de Victoria sous la neige, parce qu'elle me sera impossible à prendre lors de mon séjour en Roumanie ces prochains jours. Dana Diminescu m'en avait envoyé une douzaine, la plupart très récentes, histoire de me mettre un peu dans le bain avant mon départ. On remarquera au loin les monts Făgăraș (ou Alpes de Transylvanie), les plus hautes montagnes du pays. À gauche un mirador suggère une surveillance qui n'a rien d'anecdotique. Lorsqu'on fait une recherche sur cette ville utopique fondée en 1948 par les Soviétiques, Wikipédia livre des informations qu'il faut savoir déchiffrer : une usine chimique allemande y fonctionne pendant la Seconde Guerre mondiale. Après la guerre, l’usine devient une Sov-Rom (entreprise mixte soviéto-roumaine) dont les directeurs sont des Soviétiques. À ses débuts, Victoria a porté d’autres noms : Ucea Fabricii, Ucea Colonie et même Ucea Roșie (Ucea la Rouge). Depuis 1954, la ville porte son nom actuel. L'usine s'est appelée Combinatul Chimic I. V. Stalin, puis, après la déstalinisation, Combinatul Chimic Victoria. Après la chute du communisme en Roumanie et au début de la privatisation, le combinat fut divisé en deux grandes usines, S. C. Viromet S.A. et la R.A. Usine Chimique S.A. En 1995, furent jetées les bases d’une nouvelle usine chimique, au capital roumain et américain, la S.C. Virolite S.A., devenue Purolite S.A. Ces données sont capitales pour le travail qui nous attend là-bas, car l'utopie est vite devenue une dystopie, à l'image du pays tombé entre les mains de Nicolae Ceaușescu en 1974. Ce grand paranoïaque se faisait appeler « Conducător », « génie des Carpates » ou « Danube de la pensée » jusqu'à son exécution le 25 décembre 1989. Aujourd'hui la nature reprend ses droits sur les usines de Victoria qui avaient empoisonné la population. L'usine d'armement avait même explosé !
J'y pars donc humer l'atmosphère avec un petit magnétophone, les yeux et les oreilles grand ouverts. Mon projet est de réaliser un disque dont la structure serait calquée sur le livre de Dana auquel participe, entre autres, le graphiste Étienne Mineur. Mais il ne faut pas oublier que notre histoire se passe dans les Carpates où vivent ours bruns, loups et lynx, et que le Château de Bran, surnommé château de Dracula à cause de Vlad III l'Empaleur, est tout proche...
Encore faut-il que nous survivions au vol de la compagnie Blue Air, si j'en juge par les commentaires laissés par des voyageurs sur le site TripAdvisor !

vendredi 16 août 2019

Charrier dans les bégonias


En période estivale et sans mouvement migratoire de ma part, la maison et le jardin m'accaparent ! J'en profite pour préparer les prochains concerts et enregistrements.

Le 24 août, c'est une performance avec Anne-Sarah Le Meur à Victoria en Transylvanie, intitulée Melting Rust, à l'invitation de Dana Diminescu et Tincuta Heinzel. J'ai préparé des mouvements lents de morphing au clavier, que viennent déranger quelques lames acérées, pour accompagner les images que la plasticienne manipulera pour ce duo improvisé extrêmement coloré. D'autres artistes devraient participer à cette soirée liée à une résidence de deux ans autour de la ville utopique créée par les Soviétiques en 1948 et qui s'avérera une terrible dystopie sous le règne de Nicolae Ceauşescu... Décollage lundi prochain !

Le vidéaste américain John Sanborn m'a proposé de jouer au Blackstar à Paris le 20 septembre sur un montage d'une heure de courtes séquences de son projet NonSelf qu'il aura présenté le 17 au Jeu de Paume. Si la partition sonore jouera encore du synchronisme accidentel qui m'est cher, elle sera cette fois montée serrée comme si je rejouais en direct Le livre d'image de Jean-Luc Godard. Un éventail sémiologique acrobatique qui colle aux provocations époustouflantes de Sanborn qui projettera, la même soirée, Pensées aléatoires du futur et The Temptation of St. Anthony !

Également sur les rails mon prochain disque, Perspectives du XXIIe siècle, qui fera suite à mon Centenaire. Il est coproduit par le Musée Ethnographique de Genève (MEG) avec le précieux concours de Madeleine Leclair qui est également à la tête des Archives Internationales des Musiques Populaires (AIMP) fondées en 1944 par le musicologue et chercheur roumain Constantin Brãiloiu. De tous ces projets, en particulier très bientôt la résidence de Victoria (décidément la Roumanie va m'accaparer), vous entendrez parler plus précisément en temps et en heure, comme de la performance que je donnerai fin octobre à Vienne en Autriche avec Didi Bruckmayr pour le Klang50 de Walter Robotka... Plus proche, un album d'instantanés avec Jonathan Pontier et la guitariste Christelle Séry, et à la rentrée une nouvelle web-série sur l'intelligence artificielle...

Revenons à nos moutons, puisque ce n'est pas l'heure des chats, pas encore rentrés de leur virée nocturne ! Ces breaks horticoles m'aèrent la tête. Même s'il est déplacé de charrier dans les bégonias, je suis très fier que les miens aient repris dans le jardin. L'idée m'est venue de les évoquer tandis que je prenais ma douche froide en sortant du sauna. Un rayon de soleil traversait le feuillage du charme, éclairant juste l'endroit où je les avais rempotés alors que le bouquet initialement acheté Porte des Lilas semblait mort. Je n'ai pas spécialement la main verte, mais l'entretien du jardin me prend pas mal de temps, essentiellement à ramasser les feuilles mortes, arroser au besoin, tailler les branches qui risquent d'éborgner les passants, et planter quelques fleurs de temps en temps. Ces dernières années j'ai acquis deux machines qui ont changé ma vie de jardinier, une tronçonneuse et un aspirateur-broyeur. Vu la structure du jardin, la scie à bois et le balai ne me permettaient pas du tout de faire leur office. Alors, lorsque j'ai aperçu cette gloire au petit matin, je ne me suis plus senti pisser. D'où l'expression argotique qui date d'environ un siècle, sans que l'on sache exactement pourquoi des bégonias.

jeudi 15 août 2019

Nous verrons... Simon Goubert


J'ai beau aimer certains disques, je ne trouve pas toujours les mots. Dix fois j'ai remis le nouvel album du batteur-claviériste Simon Goubert sur la platine. Des images me venaient. Des souvenirs émus. L'école anglaise. Kate et Michael Westbrook, Lindsay Cooper, John Greaves... Les voix sont très présentes. Chacune a son caractère. Sorties de leur contexte musical les voix bretonnes swinguent d'une manière très originale. Je l'avais constaté avec Lors Jouin. Ici Annie Ebrel sur des paroles de Pierre-Jakez Hélias révèle une poésie rare. L'Américain de Paris, Mike Ladd, est de tous les projets expérimentaux où le flow engagé du slameur est recherché. Et puis il y a les habitués de Magma et Offering où Goubert officiait, Pierre-Michel Sivadier et Stella Vander. Ladd et Sivadier ont écrit de beaux textes, à la vie, à la mort. La musique, délicate et déterminée, toute en nuances, les accompagne. Goubert, qui l'a composée et arrangée pour la plupart, a trouvé l'équilibre. Il a appelé ses copains, le flûtiste Michel Edelin, le saxophoniste Vincent Lê Quang, le clarinettiste Sylvain Kassap, la pianiste Sophia Domancich, l'organiste Emmanuel Bex, la contrebassiste Hélène Labarrière. Rien que du beau monde, dévoué à un projet longuement mûri, rêve devenu réalité. Un joli petit nuage dans un ciel retrouvé.

→ Simon Goubert, Nous verrons..., Seventh/Ex-tensions records, 17,99€, sortie le 6 septembre 2019

mercredi 14 août 2019

Culture


Qu'il s'agisse de la terre ou de l'esprit, d'une civilisation ou d'une personne, on parle de culture. J'aime penser que mon cerveau est un jardin qu'il faut entretenir, arroser et tailler. Certaines branches sont envahissantes. Leur impérialisme est assassin. Cela prend du temps, beaucoup de temps. Et j'éternue comme une mitraillette si j'y passe trop longtemps ! Mon goût pour l'encyclopédie et l'universalité me rend curieux de tout. J'aime le mélange. Des goûts, des parfums, des gens, des cultures aussi... Avant d'avoir un jardin, je maudissais la pluie. Aujourd'hui je l'apprécie autant que le soleil. Avant, je maudissais le froid. Mais nous en avons autant besoin que de chaleur, même si je rêve de changer d'hémisphère lorsque l'hiver approche.


Boris, le maraîcher de l'AMAP, m'avait donné deux plants de courgette en me disant que parfois ils prennent, parfois pas, sans trop savoir pourquoi. Question de terre, de soleil, d'humidité. En fait les mâles sont stériles. Un des pieds s'est avéré un pâtisson. Pour l'instant ils sont jaune citron. J'hésite à cueillir les fleurs et les faire frire, ou bien attendre que leurs fruits grossissent. Je les avais plantés dans un bac plein sud, mais protégés par l'immense yucca. Leurs feuilles sont énormes, un peu pointues pour les courgettes, plus rondes pour les pâtissons. C'est ma première courgette. Mais on commence à avoir marre de ces cucurbitacées que je cuisine à toutes les sauces. Elles peuvent se consommer crues ou cuites, bouillies ou sautées, assaisonnées simplement avec un filet d'huile d'olive et une pincée de sel ou dans de savants alliages que me suggère mon livre préféré depuis un an, L'essentiel de Chartier. Le Québécois indique qu'elle se marie bien avec l'agneau, la viande fumée, les fruits de mer, le céleri, les épinards, le parmesan, le fenouil, la baie de genièvre, la bergamote, la cardamome, la citronnelle, le curcuma, le galanga, le gingembre, le laurier, la muscade, le paprika, le romarin, le safran, la sauge, le thym, la verveine, les olives, les piments, les poivres, les agrumes, le pamplemousse rose... Ainsi qu'avec certaines bières, vins blancs, le gin, le matcha... Alors je fais des expériences !

mardi 13 août 2019

Nature


Passés voir les amis sur leur péniche amarrée au Port de Neuilly-sur-Marne, nous avons fait une jolie balade dans le Parc départemental de la Haute-Île. Bien que ce soit dimanche il n'y avait pas un chat, mais heureusement des oiseaux, observables discrètement depuis des cabanes dotées d'ouvertures frontales et latérales. Nicolas nous ayant prêté sa longue-vue, nous avons pu admirer des hérons cendrés, des foulques macroules, des gallinules poules d'eau, de grands cormorans et un martin pêcheur. Il y avait évidemment quantité de mouettes rieuses et de canards colverts, de jolis papillons et quelques libellules. Une délicieuse ambiance de paix émanait du secteur inaccessible où paît un troupeau de moutons chargé de l'entretien. Un pont-levis empêche les promeneurs de pénétrer dans la zone occupée par les volatiles.
Quelle absurdité que de devoir aujourd'hui parquer la nature comme jadis les animaux dans les zoos ! Le bitume envahit la terre. Le ciel s'obscurcit. Là où l'homme passe la nature trépasse. Sera-ce un jour notre tour ? Parisien depuis des générations, chaque fois que je suis confronté à la nature, je ne peux m'empêcher de penser aux romans que Vercors lui a indirectement consacrés. Son regard critique lui a fait affubler l'espèce humaine du terme d'animaux dénaturés. L'autre moitié de son œuvre romanesque traite de la période de l'Occupation, mais toutes deux mériteraient d'être redécouvertes, alors que les lecteurs ne connaissent souvent que Le silence de la mer. C'est sans compter sa fabuleuse période graphique d'avant la guerre lorsqu'il signait de son vrai nom, Jean Bruller. Certains des dessins de cet homme exemplaire illustrent le disque Les bons contes font les bons amis d'Un Drame Musical Instantané.

lundi 12 août 2019

CQFD


La photo de jeudi dernier avait été prise après que j'ai écrit l'article Surtout pas de répétition, mais elle en illustre très bien le propos. Si cela avait été l'inverse, je m'en serais servi pour l'illustrer. Reprenons. Mais avant cela, je passe mon portrait au filtre à l'huile pour le différencier du cliché de jeudi, accentuant ainsi ma petite analyse.
Donc, d'un côté l'original, de l'autre son (mon) reflet dans la vitre. Or celui-ci n'est qu'une pâle imitation avec la grille de bois que j'identifie à une prison, comme toute tentative de figer les choses en amont, anticipant l'instant magique du concert (là je me réfère au précédent article évidemment). Ainsi, les véritables feuilles du charme surplombent la peinture du palmier, ou encore les briques peintes en trompe-l'œil sur le mur s'opposent au bois de cèdre parfumé. Vrai ciel blanc contre faux ciel bleu. Mon œil est perdu dans le vague, mais mon oreille est dressée vers la vague que je cache avec ma chemise où sont représentées des plumes, plus colorées que celles du pigeon occis par Django et qui gît à mes pieds. Ma main droite bouge simultanément deux potentiomètres tandis que la gauche n'est pas tout à fait bien placée, suggérant aux aficionados que la photo n'est qu'une reconstitution et que je fais tout simplement semblant de jouer. La situation de plein air peut mettre la puce à l'oreille des autres. Et je ne parle pas du cadre qui vous ferait bien rire si je l'élargissais ! Comme pour toutes les photographies qui accompagnent mes textes, je recadre au besoin. Dans la vitre du sauna se réfléchit le mur du studio d'enregistrement, rappelant que cette mise en scène relate malgré tout mon quotidien, qu'il soit musical ou extra-musical. Enfin, si j'ai choisi le cadre et la pause, je n'ai pas appuyé sur le bouton de pose. Il y a plus de signes que je n'en vois au premier abord, fussent-ils dictés par mon inconscient.
Comme je l'ai déjà expliqué, mes billets se lisent aussi toujours à différents niveaux de proximité, selon la complicité que j'entretiens (ou pas) avec mes lecteurs et lectrices. Au delà du mélange d'universalité et de révélations à la première personne du singulier que je me suis fixé dès le début du blog il y a 14 ans, je parsème ici et là des indices qui trouveront, pour la plupart, leur résolution dans de prochains billets... Là où c'est compliqué, pour ne pas dire complexe, c'est que j'écris souvent comme si le lecteur ou la lectrice avait tout lu, ce qui est absurde voire impossible. Je reçois ainsi des messages d'internautes, surtout sur Mediapartdrame.org est en miroir, réagissant à un article sans en connaître le contexte, et je suis obligé de m'expliquer alors que je me vois mal répéter chaque fois dans quelles perspectives tout cela s'inscrit... La répétition, c'était justement le sujet du billet de jeudi et aujourd'hui j'ai vraiment l'impression de rabâcher ! CQFD ;-)

vendredi 9 août 2019

M le Mocky


Fin. Jean-Pierre Mocky a projeté son dernier carton. Je me souviens être entré à l'Idhec en revendiquant Solo et L'albatros, que je venais de voir, comme mes films préférés avec Easy Rider ! J'avais juste 18 ans. Heureusement j'ai un peu changé au cours de mes études, me rapprochant de Buñuel par exemple, mais j'ai toujours gardé un petit faible pour ses premiers films dont ceux avec Bourvil et Les compagnons de la marguerite. En 2001 j'avais acheté son autobiographie, M le Mocky, bien machiste, mais j'aimais bien ses coups de gueule, ses tournages à deux sous et son insatiabilité. C'est un jour triste.
P.S. - je relis mes articles et en 2005 je trouve :
Un couple, film de 1960 totalement invisible et méconnu de Jean-Pierre Mocky, est une petite merveille d'intelligence, caustique et drôle, à l'époque interdite aux moins de 18 ans (c'est là qu'on voit que les mœurs ont un peu changé), jamais diffusée à la télé (ça se comprend aussi). La même année qu'A bout de souffle, et autrement plus corrosif ! Mocky était absolument génial lorsqu'on lui en donnait les moyens et qu'il en prenait le temps. Après avoir inventé le sens du mot draguer avec ses Dragueurs, son second film nous intime : "Mimi, y a de la bonne salade !"...
Alors petite sélection mockyesque : Les Dragueurs (1959), Un couple (1960), Snobs ! (1961), Un drôle de paroissien (1963), La Grande Frousse ou La Cité de l'indicible peur (1964), Les Compagnons de la marguerite (1967), La Grande Lessive (1969), L'Étalon (1970), Solo (1970), L'albatros (1971), L'ibis rouge (1975), Y a-t-il un Français dans la salle ? (1982), À mort l'arbitre (1983), Le Miraculé (1987), Une nuit à l'Assemblée nationale (1988), Ville à vendre (1991), j'ai lâché quand il s'est mis à en réaliser quatre par an, mais il faut aussi le voir jouer en 1959 dans La tête contre les murs de Georges Franju dont il avait adapté le scénario d'après Hervé Bazin et que les producteurs ne l'ont pas laissé réaliser... Et puis certains m'auront probablement échappé...
Quant aux critiques sur son machisme, sa goujaterie, sa brutalité de langage, que rappellent les commentaires sur Mediapart, c'est tout à fait exact. Son autobiographie est terrible de ce point de vue, mais ce qui est encore plus terrible, c'est qu'à se plonger dans son œuvre Mocky reste attachant, même pitoyable. Et son anarchisme reste drôle, salutaire et saignant, contre la morale bourgeoise, les curés, l'armée, le commerce du sport, etc. Ses premiers films restent formidables. C'est un véritable réalisateur "français" qui fut populaire en son temps.

jeudi 8 août 2019

Surtout pas de répétition


En titrant "Surtout pas de répétition" je ne prétends pas ne pas radoter. Chacun a ses marottes qui lui tiennent à cœur, ses petites histoires qu'il aime raconter et qu'il ressasse chaque fois qu'il rencontre une nouvelle personne au grand dam des proches. En 14 ans, après plus de 4200 articles, je tape souvent un requête dans le champ de recherche de mon blog pour vérifier si je n'ai pas déjà évoqué tel sujet par le passé. Certaines formules littéraires me reviennent régulièrement sous les doigts sans que je sache comment m'en débarrasser parce qu'elles me semblent cohérentes avec ma pensée. On peut l'assimiler au style, comme dans mes manières d'aborder ma musique par exemple.
C'est justement en musique que j'évite soigneusement de répéter. Et non de me répéter. Le travail consiste à identifier les intentions, préparer le matériel, qu'il soit physique ou cérébral, organiser les structures qui en découlent... Cela revient à se créer un alphabet, une palette, à supposer les possibles, en laissant la place à l'inconnu, à la surprise que l'instant génèrera. Les improvisateurs connaissent le danger d'une répétition réussie. On est forcément tenté de reproduire en scène ce qui a fonctionné alors, et la magie est difficilement reproductible. Il est préférable de sous-jouer, de trouver la place des éléments, sans se donner à fond. De toute manière, si tout se passe bien, on jouera autre chose que ce qui était prévu. Les préparations ne sont que des sécurités, des roues de secours en cas de faiblesse ou de panique. Le matériel électronique et informatique peut être capricieux ! Je fais donc des listes. Des listes de matériel à emporter au concert, des listes de programmes, de banques de sons, d'instruments qui serviront mon propos, des complémentaires par rapport aux musiciens avec qui je serai. Car l'important est de savoir pourquoi on fait les choses, quel propos l'on sert, à qui l'on s'adresse, avec qui l'on dialogue, et ce qu'on a à raconter.
Un jour le compositeur Jacques Rebotier, que j'apprécie énormément, me proposa d'écrire pour moi un solo avec cinquante représentations garanties. Comme je m'inquiétais de devoir rejouer chaque fois la même chose, il me le confirma et je dus décliner l'offre alléchante. Refaire plusieurs fois le même tour m'est insupportable. Enfant, je m'exerçais à l'illusionnisme, m'imposant des heures de manipulation devant le grand miroir Napoléon III du salon, mais il était recommandé de ne jamais recommencer un tour !
Depuis quelques jours j'apprends à me servir de The Pipe, un étrange synthétiseur buccal et vocal russe imaginé par Vlad Kreimer et construit par Soma dont je possède déjà le Lyra-8. J'ai lu le mode d'emploi en amont, puis j'ai réalisé une première approche, j'ai repris le mode d'emploi avec l'instrument, et maintenant je cherche à l'utiliser selon mes goûts musicaux qui sont souvent très différents de ceux du constructeur ou des autres interprètes. Je répète. Je fourbis mes armes, comme disait Bernard Vitet. Je travaille. Drôle de concept que le travail pour un artiste ! J'ai l'impression d'être toujours en vacances sans jamais ne m'arrêter de travailler. Mais jamais, au grand jamais, je ne déflore un enregistrement ou une représentation publique, en me mettant dans l'état second où je serai alors. Je ne fais que des gammes. Des sortes de gammes. Des exercices d'éducation physique. Des vocalises. Et puis je rêve. Je rêve beaucoup.

mercredi 7 août 2019

Falbalas autour d'un anneau


À force de regarder des films récents qui me déçoivent il y a des soirs où le cinéma m'écœure. Je retourne alors vers ma cinémathèque qui compte des milliers de films que j'adore et font mon bonheur à chaque plan. La replongée dans les films de Jacques Becker me redonne foi dans le médium. Comme l'indispensable Jean Grémillon je le préfère à Jean Renoir dont Becker fut d'ailleurs l'assistant sur une dizaine de films. Chacun de ses longs métrages est une immersion rigoureuse dans un milieu social différent. Après avoir revu Le trou (1960), épure moderne où le récit d'une évasion est quasi bressonien, et Goupi Mains Rouges (1943), portrait exemplaire du monde paysan d'avant-guerre, la projection de Falbalas (1944) me réservait une surprise. Si jamais aucun film n'a jamais croqué aussi bien l'univers de la mode, c'est au détour d'une séquence aux Tuileries qu'une petite madeleine a surgi dans ma mémoire. Il y a quelques années je m'étais déjà organisé une rétrospective Jacques Becker en regardant à nouveau Dernier atout, Antoine et Antoinette, Rendez-vous de juillet, Édouard et Caroline, Casque d'or, Touchez pas au grisbi, Montparnasse 19, mais cette scène m'avait échappé, ou bien l'avais-je simplement oubliée...


Cet oubli me semble impossible au regard de ce que ce manège a marqué mon enfance. Si Micheline Presle (que je compte admirer prochainement dans le sublime L'amour d'une femme de Grémillon, film féministe de 1953) y retrouve Raymond Rouleau au Jardin des Tuileries, un détail hante depuis toujours mes ébats amoureux, et cela n'a pourtant rien à voir avec son évident symbole sexuel. Je n'avais pas cinq ans au début des années 50 et j'habitais rue Vivienne. Mon jardin quotidien était celui du Palais Royal, mais de temps en temps mes parents traversaient la rue de Rivoli pour m'emmener aux Tuileries faire une petite promenade à dos d'âne ou quelques tours de chevaux de bois. Je remarque pour la première fois là aussi une image fortement symbolique ! Donc, pour bénéficier d'un tour gratuit, il fallait enfiler une baguette de bois dans un anneau de métal suspendu au-dessus des animaux que nous chevauchions. Je n'étais pas très costaud et j'hésitais chaque fois à gagner, car la secousse que produisait la rencontre de la baguette et de l'anneau m'arrachait l'épaule.


Cette sensation de brûlure intense me terrifiait. Devenu adulte, je supportais difficilement de faire l'amour avec des filles qui avaient les oreilles percées, de peur de leur arracher une boucle dans un moment de fougue ! Cette panique de l'enfance me fit interdire à ma fille de se faire percer les oreilles lorsqu'elle était petite. J'ai heureusement résolu cette angoisse avec le temps, mais je préfère tout de même que ma compagne retire ses boucles d'oreilles avant que nous n'entamions un tour de manège.

mardi 6 août 2019

Plongée stéphanoise


La vue du moindre pilône me rappelle Woman At War, l'excellent film de l'Islandais Benedikt Erlingsson. En fait son thriller est une coproduction islando-franco-ukrainienne. La tentation de l'arbalète est forte, pas forcément pour empêcher des Chinois de racheter les fleurons du coin, mais pour couper le jus qui alimente tout ce qui est considéré progrès, mais nous rend fous et idiots, à commencer par la télévision. Je me souviens de La grande lessive (1968) de Jean-Pierre Mocky où Bourvil interprétait un instituteur en lutte contre ce qui abrutissait ses jeunes élèves, détruisant méthodiquement les antennes de leurs parents. Sound of Noise (2010) me remonte aussi en mémoire ; le long métrage suédois de Ola Simonsson et Johannes Stjärne Nilsson n'était pas du niveau de leur court, Music for One Apartment and Six Drummers, mais il était question de ce silence qui nous manque, abrutis par la conspiration du bruit. C'est contre l'excès d'images dans la ville qu'Ella & Pitr peignent des fresques gigantesques sur les toits de manière à ce qu'elles soient invisibles autrement qu'en entamant un voyage dans la lune !


Amateur, donc, de plongées urbaines, le couple d'artistes accompagnés de leurs enfants et d'une bande de copains stéphanois nous ont fait découvrir leur ville depuis la colline du Guizay. Après le pique-nique où nous avions apporté des tielles et une salade de poulpes (comme Ella & Pitr aiment en dessiner !) achetées près de Montpellier, nous ne sommes pas restés camper, d'autant que nous reprenions la route le lendemain, mais la nuit qui tombait sur la ville était magique. Elle rappelait des vues d'avion au décollage avec en prime un croissant de lune dans un halo brumeux annonçant le beau temps que nous quitterions en remontant vers le nord. L'herbe était encore verte.

lundi 5 août 2019

Piscine, moustiques et mal au dos


Rien à voir avec le groupe Supports/Surfaces fondé par Vincent Bioulès qui est actuellement au Musée Fabre à Montpellier. Je passe ma dernière journée de farniente au bord de la piscine de mes amis qui sont partis visiter son exposition. Mon dos en baïonnette m'interdit de piétiner dans les galeries montpelliéraines avant de prendre la route du retour. Je me plonge dans la lecture au soleil. Façon de parler parce que j'y vais mollo. J'entre calmement dans l'eau bleu Hockney. La couleur de la photographie est trompeuse. La mosaïque n'existe pas non plus. Tout n'est qu'illusion. Nager nu est exquis. Des martinets font des vols planés pour y boire à la manière des Canadair.
Je les préfère aux moustiques que j'ai définitivement virés de notre chambre avec mon Moskitofree Family. Son constructeur explique qu'il est "basé sur le principe de décharges à barrière diélectrique. Il n'y a aucun consommable, ni aucun résidu chimique. Une électrode est soumise à une haute tension électrique, ce qui produit des décharges à barrière diélectrique contrôlées qui, en agissant sur les composants de l’air ambiant, créent un plasma froid d'ions. Les anions et les radicaux libres ainsi produits annihilent les odeurs émises par les êtres humains et viennent perturber les organes olfactifs du moustique et le désorientent." Je n'étais pas assez assidu à mes cours de physique pour comprendre, mais cela marche, sans zigouiller la nourriture préférée des batraciens et des oiseaux. À Paris la moustiquaire est la meilleure parade, mais ici, pour dîner dehors, je me badigeonne d'Autan multi-insectes, plus efficace que le traditionnel Insect-Écran tropical. Il semble moins corrosif et pue nettement moins.
Pour revenir à mon bon dos, l'huile essentielle de gaulthérie me soulage momentanément, en attendant de passer entre les mains magiques de la masseuse chinoise dès demain. Une copine médecin me conseille le Tramadol Zentiva LP plutôt que l'Ixprim (mélange de tramadol et de paracétamol) auquel j'ai recours régulièrement dès la moindre contrariété physique (j'ai bien dit que la physique n'était pas mon fort). On en prend un matin et un le soir au lieu de 6 X-Prim répartis sur les trois repas. J'attends de voir si cette nouvelle drogue me défonce autant que l'ixprim qui a tendance à produire une légère ébriété en plus de me soulager considérablement.
Quand vous me lirez je serai sur la route, mais les vacances ne sont pas terminées pour autant, puisque nous nous envolerons bientôt pour Bucarest et la Transylvanie. Je compte y enregistrer les sons dont j'ai besoin pour un projet de disque en cours et le 24 je dois faire une performance à Victoria avec Anne-Sarah Le Meur.

vendredi 2 août 2019

Points de suspension


De la garrigue à la Camargue…
Des papillons d’un bleu indicible, des abeilles sauvages, les vagues, le parfum du thym, des mûres, les amis…

jeudi 1 août 2019

Mémoire d'un trou


Molo molo, Tu Tu, Boum, Chut, Tic Tac Tic Toc, Sosto Poco Toto Dolco, Chut, Molo, Auto, Poto a Roto, Copo. J’ignorais que Michel Magne avait édité des sérigraphies de ses partitions. Pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit de Mémoire d’un trou figurant sur le disque musique tachiste qui a marqué mon enfance et laissé son empreinte sur mon travail. L’exemplaire du Musée d’Art Moderne et Contemporain de Saint-Étienne porte le numéro 28/100. Ce que Magne a intitulé Musique visuelle ressemble à une partition shadok. J’imagine que, laissée à la libre interprétation d’improvisateurs, cette partition en rouge et noir pourrait générer quantité d’œuvres hirsutes, très différentes de la Mémoire d’un trou dont je me souviens encore parfaitement.


En 1959 chaque pièce de l'album de musique tachiste de Magne était remarquablement illustrée par Sempé.