Vous n'avez plus que jusqu'à lundi pour voir l'exposition Préhistoire, une énigme moderne au Centre Pompidou. La confrontation d'œuvres contemporaines et de reliques des temps préhistoriques soulève en effet maintes questions sur le temps qui passe, tant les formes se conjuguent à tous les temps. Voilà près de deux siècles que les artistes ont régulièrement choisi de plonger dans ce lointain passé pour imaginer le futur. Ici la Vénus de Lespugue (-23000 ans !) trône devant Il trionfo della morte de Miquel Barceló (argile sur verrières, 2019) et les ombres des visiteurs dans la scénographie de Pascal Rodriguez...


À côté, je photographie deux bronzes de Louise Bourgeois (Femme inoffensive de 1969 et Déesse fragile de 1970) devant deux Paul Klee (1930/1939) et cinq Henri Michaux (1937/1974), mais bien d'autres chocs esthétiques se dressent entre ces époques si éloignées. Moins lointaines que les étoiles, mais cela c'est une autre histoire ! D'emblée j'ai été séduit par les peintures de Cézanne (Le rocher rouge ou Dans les carrières de Bibémus, 1895), qui n'est pas toujours ma tasse de thé, et les dessins d'Odilon Redon. Pour une fois, les commissaires Cécile Debray, Rémi Labrusse et Maria Stavrinaki ont choisi pas mal de pièces peu exposées. Le Carbonifère d'Otto Dix jouxte le film The Lost World. Etc.
Je ne peux m'empêcher de penser à Jean-Hubert Martin pour qui j'avais créé la musique de Carambolages au Grand Palais en 2016. Depuis Les Magiciens de la Terre, il a pris l'habitude de mélanger l'art brut et l'art moderne, ou des œuvres de tous les continents, sans privilégier les unes par rapport aux autres. Pour Carambolages, il révélait leur âge seulement après que nous les ayons admirées, de manière à ce que leur poésie nous touche sans aucun a priori...


Les strates archéologiques nous renvoient au bétonnage systématique de notre planète terre, la disparition des dinosaures à la collapsologie actuelle. On n'échappe pas à Dubuffet, Ernst, Picasso, Giacometti, Klein, Fontana, Beuys, Penone et les frères Chapman. Ici des croquis et une sculpture d'Henry Moore qui me rappellent mon séjour à New York en 1968 où ses stabiles répondaient aux Arp sur le bacon de l'appartement qu'on nous avait prêté...


Les trésors du sous-sol, les animaux, les premiers outils, le mythe de la caverne ont inspiré les artistes, comme si on avait retourné la science-fiction comme un gant. L'art devient aussi magique que les rites ancestraux, mais l'individu s'est substitué au groupe. Que deviendrons-nous ? L'Idole aux yeux (Uruk, Mésopotamie, 3300-3000 av. J.C.) conserve un mystère abyssal alors que le Snake-Circle de Richard Long (1991) peut paraître la parodie de quelque Stonehenge. Cette visite tombe à pic alors que j'entame mon projet de disque avec le Musée Ethnographique de Genève intitulé Perspectives du XXIIe siècle à partir de la Collection Brăiloiu !


Puisque j'avais les yeux qui me brûlaient, comme souvent dans les grandes expositions qui exigent de moi une très forte concentration, je suis passé en vitesse faire un petit footing à celle sur Francis Bacon, histoire de me faire une idée avant de revenir. Si je suis toujours content de revoir ses tableaux, je suis déçu de n'avoir aucune révélation. L'accompagnement de ses œuvres de la dernière période (1971-1992) par la lecture de textes qui l'auraient inspiré m'apparaît comme un artifice justificateur d'une présentation aux mobiles financiers profitables pour le Centre. Dans six alcôves de bons comédiens lisent Eschyle, Nietzsche, T.S. Eliot, Leiris, Conrad, Bataille, mais la scénographie n'est pas assez confortable pour que les visiteurs s'y attardent.


Ils préfèrent s'amasser devant le passionnant documentaire où Bacon s'explique devant la caméra de David Hinton. L'encombrement est tel que je n'arrive pas à voir le cartel du diorama où Charles Matton a reconstitué en miniature l'atelier du peintre britannique.