Pourquoi j'écoute toutes sortes de musique à l'affût de l'étincelle qui me donne envie d'écrire ? D'écrire mon article quotidien, certes. Encore que je souhaiterais éviter qu'il se transforme en compilation de chroniques. Je ne suis pas journaliste. C'est une activité militante et solidaire. Écrire, pour moi, c'est d'abord composer. Tant de chemins inexplorés s'offrent encore à mon imagination. Et lorsque j'écris "composer" il s'agit d'abord de rêver à des futurs plus ou moins possibles, parce que j'aime me jeter dans le son comme un plongeur du haut de la plus haute falaise. La dernière fois que j'ai voulu faire le jeune, je me suis néanmoins démis l'épaule ! Compositions instantanées et préalables se revoient la balle. J'enregistre régulièrement des albums avec des improvisateurs et des improvisatrices, sorte de laboratoire où retrouver la passion et l'innocence des premiers temps. Mais dans quelle direction se tourner quand on a l'impression d'avoir tout goûté, du rock aux musiques les plus contemporaines en passant par la chanson, l'orchestre symphonique, le théâtre musical, le jazz, l'improvisation libre, le ciné-concert, les lectures de texte et l'opéra, avec des centaines de camarades, avec des robots, avec mes machines ? Et chaque fois, à mon grand dam, les copains de s'esclaffer «ah, c 'est bien toi !», alors que je cherche sans cesse à me renouveler. C'est pareil pour le blog que je poste quotidiennement sur drame.org et Mediapart. Comment ne pas me répéter après 4243 articles ? J'oublie tout. Le blog me sert de mémoire. Je repars à zéro chaque matin, comme dans le film Un jour sans fin (Groundhog Day), sauf que je rêve que ma journée soit chaque fois différente et que je m'endorme en ayant appris quelque chose...


Tout ce préambule pour en arriver au groupe Boucan. Leur album Déborder est un condensé de rock en colère où la mort rôde en vain dans les mots face à la musique explosant de vitalité. Ils sont trois, c'est souvent un bon nombre pour écrire ensemble. Le contrebassiste Mathias Imbert (ex Imbert Imbert), le guitariste et banjoïste Brunoï Zarn, le trompettiste Piero Pepin s'en donnent à cœur joie pour dynamiter leurs bases. Ils ont fait appel à John Parish, collaborateur de PJ Harvey, pour enregistrer et mixer ce disque qui me donne envie de revenir au rock après mes récentes incartades avec les New-Yorkais de Controlled Bleeding.
Avec le rap c'est le lieu où le quotidien est le plus en adéquation avec ce que vivent les gens, pas seulement le petit réseau intello de Parisiens dont je fais partie. Les paroles y sont souvent plus politiques qu'ailleurs, la musique plus collective en comparaison des chorus interminablement bavards du jazz, mais là comme ailleurs les empêcheurs de tourner en rond échappant au formatage sont ghettoïsés par un système bulldozer, une absence de curiosité envers l'autrement. Pas facile de penser par soi-même et a fortiori de faire abstraction de la conspiration du bruit qui nous assomme à grands coups de répétitions. La pop, comme les médias aux ordres, martèle "Enfoncez-vous bien ça dans la tête !". C'est aussi là où le bât blesse, car échapper au rythme soutenu ou au consensus, c'est risquer l'isolement. N'ayant jamais su sur quel pied danser, j'ai choisi de rêver et réfléchir. Mais les miroirs sont traitres et la tentation est grande de prendre la poudre d'escampette...

Boucan, Déborder, CD, dist. L'autre distribution