70 décembre 2019 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 31 décembre 2019

8 nouveaux albums GRRR sur Bandcamp


Dernier article de l'année. Vous n'êtes pas là parce que vous êtes déjà en train de préparer le réveillon ou bien vous souhaitez soigneusement l'éviter, alors vous avez le temps de découvrir certains de ces albums qui vous aurez ratés. Enregistrés entre mai 2017 et décembre 2019, ils participent tous du petit laboratoire que je poursuis depuis quelques années : jouer avec des musiciens et musiciennes pour le plaisir de les rencontrer au lieu de les rencontrer pour pouvoir jouer avec elles et eux. C'était le principe d'Un Drame Musical Instantané en 1992 lorsque nous avons enregistré Urgent Meeting et Opération Blow Up avec 33 invités venus d'horizons musicaux les plus divers. La musique a brisé mon isolement adolescent lorsque je suis rentré de mon voyage initiatique aux États Unis à l'été 1968. J'ai passé ma vie à perpétuer cette passion avec la même innocence, sans penser à la moindre rentabilité malgré qu'elle m'ait nourri, à tous points de vue, intellectuellement et alimentairement, ce qui pourrait se résumer à "gastronomiquement". C'est bien pour un réveillon ! À l'origine le réveillon était un petit moment d’éveil. Avant la messe de minuit ? Parier qu'il en vaut bien une, mais laquelle ? Celle de tous les formatages que nous imposent le système, la famille, les usages, les croyances ? Résister, c'est encore accepter. Penser "autrement" nous renvoie à l'isolement. La musique permet d'y échapper, elle devrait permettre d'échapper à toutes les messes. Un langage universel où l'abstraction dessine avec précision l'essence de toute chose. Lorsqu'on improvise, ce qui revient à réduire au minimum le temps entre la composition et l'interprétation, on s'exprime tous et toutes en même temps à voix haute. Nous n'entendons pas tout, mais la résultante est perceptible. Ce n'est qu'à la réécoute que la vérité éclate. Une vérité évidemment toujours subjective, celle de chaque auditeur. Personne n'entend la même chose, mais toutes les interprétations sont justes. Chacun, chacune s'approprie le résultat. Il y autant d'œuvres que d'auditeurs. Cela ne nous appartient plus. C'est cadeau ! Puisque nous voguons sur un terrain réellement expérimental, vous pouvez tenter l'expérience en allant sur Bandcamp...

* GRRR 3092 - BIRGÉ BERNADO EDSJÖ Défis de prononciation 54’
Sophie Bernado (basson, voix) - Linda Edsjö (vibraphone, percussion, voix)
- Jean-Jacques Birgé (claviers, divers)

* GRRR 3093 - BIRGÉ HOANG BER L’isthme des isthmes 25’
Antonin-Tri Hoang (sax alto, clarinette basse, piano) - Samuel Ber
(batterie, percussion) - Jean-Jacques Birgé (échantillonneur, divers)

* GRRR 3096 - BIRGÉ LEMÊTRE RIFFLET Chifoumi 62'
Sylvain Lemêtre (percussion) - Sylvain Rifflet (sax ténor, venova) -
Jean-Jacques Birgé (claviers, electronics, divers)

* GRRR 3097 - BIRGÉ DABROWKI LÉVY Questions 99'
Élise Dabrowski (contrebasse, voix) - Mathias Lévy (violon, sax alto, venova)
- Jean-Jacques Birgé (claviers, electronics, divers)

* GRRR 3098 - BIRGÉ HALAL POULSEN La révolte des carrés 82'
Wassim Halal (percussion) - Hasse Poulsen (guitare) -
Jean-Jacques Birgé (claviers, electronics, divers)

GRRR 3099 - BIRGÉ PONTIER SÉRY WD-40 75'
Christelle Séry (guitare) - Jonathan Pontier (claviers) -
Jean-Jacques Birgé (claviers, electronics, divers)

* GRRR 3100 - BIRGÉ HOCHAPFEL VROD Ball of Fire 73'
Jean-François Vrod (violon) - Karsten Hochapfel (violoncelle) -
Jean-Jacques Birgé (claviers, electronics, divers)

* GRRR 3101 - BIRGÉ CHRISTENSON GODET Duck Soup 64'
Jean-Brice Godet (clarinettes, cassettes) - Nicholas Christenson (contrebasse,
bébé violoncelle) - Jean-Jacques Birgé (claviers, electronics, divers)...
sur 12 photographies de Roger Ballen

lundi 30 décembre 2019

Maderna, Morricone, Varèse et la libre improvisation


Si Bruno Maderna est surtout connu comme chef d'orchestre et compositeur de musique contemporaine, il est surprenant d'entendre ce qu'il a enregistré en 1968 pour le film La Morte Ha Fatto L'uovo (La mort a pondu un œuf), thriller giallo de Giulio Questi avec Jean-Louis Trintignant et Gina Lollobrigida. Cordes dissonantes, piano préparé, guitare désaccordée, percussion font inévitablement penser à l'improvisation libre qui se développera dans les années 70 jusqu'à nos jours. Né en 1920 à Venise, mort en 1973 à Darmstadt, deux lieux symboliques, Maderna fut adulé par Boulez, Berio, Donatoni qui lui ont dédié des pièces, et bien d'autres dont il a créé les œuvres comme Nono, Xenakis, Mefano, Amy, de Pablo, Zender, Bussotti, etc. Dans sa partition sonore pour ce film (sur YouTube), il est encore surprenant d'entendre des mélodies quasi romantiques au violon tranchant avec l'atonalité du reste.
De même, il y a bien longtemps j'avais été étonné de découvrir les improvisations d'Ennio Morricone avec le Gruppo di Improvvisazione Nuova Consonanza de Franco Evangelisti dès 1964, ce qui en faisait le premier précurseur avant les Britanniques d'AMM. Morricone a d'ailleurs fait participer le Gruppo à la partition d'Un coin tranquille à la campagne (sur YouTube) d'Elio Petri, cinéaste majeur à redécouvrir, à la même époque que Maderna.
Comment faire l'impasse sur la découverte incroyable de l'enregistrement du workshop dirigé par Edgard Varèse en 1954 auquel participèrent Art Farmer, Hal McKusik, Teo Macero, Eddie Bert, Frank Rehak, Don Butterfield, Hall Overton, Ed Shaughnessy, John La Porta et, last but not least, Charlie Mingus. Son écoute permet de se demander si Varèse n'est pas tout simplement le père du free jazz !

vendredi 27 décembre 2019

Aux petits maux les petits remèdes


À l'heure où je publie ces lignes, c'est déjà passé, mais je ne sais pas comment j'avais attrapé la crève. Peut-être en sortant la poubelle à roulettes dans la rue en bras de chemise ou en allant chercher dehors des bûches pour l'âtre. Je me suis mis à éternuer à 360 km/h. Je ne tenais plus sur mes jambes. Grosse fatigue. J'ai fini dans les vaps, incapable de lire, tout juste bon à m'affaler devant la série Watchmen dont on ne comprend rien avant le très beau sixième épisode où tout s'explique progressivement jusqu'à l'ultime neuvième. C'est une histoire dystopique de fin du monde évitée grâce à un super-héros tout bleu venu de je ne sais quelle planète, c'est dire que ça vole haut. Elle a le mérite de s'appuyer sur le massacre de Tulsa en 1921, où des milliers d'américains blancs attaquèrent les habitants et les entreprises de la communauté afro-américaine de Greenwood plutôt prospère au point d'être appelée le Wall Street noir. Il fallut attendre 1996 pour qu'une commission soit nommée et en révèle l'ampleur en 2001. Elle est surtout très distrayante dans mon état, proche de l'Oklahoma. Il y a des jours où nous n'avons pas le choix que de retomber en enfance. Je ne suis pas allé jusqu'à enfiler la robe de chambre élimée en laine des Pyrénées de ma grand-mère à laquelle nous avions le droit les jours de fièvre et que j'ai rangée à la cave. Une chose est certaine, je n'étais plus moi. J'avançais au ralenti, répondais évasivement aux questions de ma compagne, mangeais sans réel appétit, je me traînais.
J'avais pris de l'alium cepa, homéopathie très efficace si on laisse fondre sous la langue trois granules cinq fois par jour, à condition de le faire suffisamment tôt. Le soir j'ai consenti à introduire dans mes narines un médicament dont la date de péremption remontait à 2013. Une amie médecin m'avait assuré qu'il n'y a aucun danger à utiliser des médicaments dépassés, sauf les antibiotiques. Au pire les effets sont considérablement atténués. À mes souhaits ! J'ignore si des germes ont pu survivre comme l'indique le mode d'emploi, mais peut-on avoir la moindre confiance dans l'industrie pharmaceutique ? D'habitude je n'infiltre dans mon corps que le minimum de leur production, sauf les médicaments magiques qui ont probablement autant d'effets secondaires pernicieux que de qualités thérapeutiques. D'ailleurs lorsqu'on lit leurs modes d'emploi, les mises en garde qui les prémunissent contre toute attaque en justice énumèrent tant de catastrophes qu'il est étonnant que les usagers y aient recours. Leur liste rendrait hypocondriaque le plus zen d'entre nous. Nous sommes si désemparés devant la maladie que nous nous en remettons aux médicaments et aux praticiens de manière quasi mystique. Il n'y a pas loin avec la série télévisée que je regardais. Le lendemain matin, après avoir bien dormi, j'allais déjà beaucoup mieux, sans savoir si le vaporisateur y était pour quoi que ce soit. J'ai chauffé l'eau à 70° et je me suis fait un thé vert. J'ai étalé du miel sur mes tartines et je me suis mis à écrire.
Cette discipline quotidienne m'a rappelé le rêve angoissant qui m'avait réveillé. Ayant oublié mon téléphone portable à la maison alors que j'avais rendez-vous chez le dentiste, je ne me souvenais d'aucun numéro, pas même le mien. Cette perte de mémoire allait jusqu'à perturber mon sens de l'orientation. L'heure tournait. Impossible d'appeler qui que ce soit pour prévenir de mon retard. J'avais beau emprunter un appareil à une connaissance en haut de la rue du Chemin Vert, mes doigts n'arrivaient pas à taper dix chiffres de suite qui se tiennent. Mon réveil réussit à peine à réparer mes lacunes. Quand je pense que je pouvais retrouver des dizaines de numéros de téléphone avant d'en confier le soin à une machine ! J'ai donc décidé de recopier les principaux sur un petit carton que je glisserai dans mon porte-feuilles. Comme quoi, il aura fallu une petite fièvre, un justicier bleu électrique et une nuit réparatrice pour me montrer le toboggan sur lequel je glisse inexorablement. Et pour cela, il n'existe aucune pilule, aucun magicien tombé du ciel. Je ne peux m'en remettre qu'à la discipline de mes exercices quotidiens, en espérant que la mémoire que j'alimente régulièrement ici ne disparaisse pas un de ces jours sous les coups de ce qu'on nomme abusivement le progrès.

jeudi 26 décembre 2019

Perspectives du XXIIe siècle (1)


Le passé est une bonne source d'inspiration pour imaginer l'avenir. Après l'album de mon Centenaire l'an passé, je n'avais pas trop le choix que de viser loin, quand nous aurons tous disparu, tout en revenant sur mes pas.
J'avance doucement, mais sûrement, pour l'enregistrement de mon prochain disque, coproduit avec le Musée Ethnographique de Genève, à paraître l'année prochaine. Sans dévoiler le scénario de ce petit opéra d'anticipation, je peux dire que je travaille à partir des Archives Constantin Brăiloiu sur les conseils de Madeleine Leclair, conservatrice responsable du Département d'ethnomusicologie du MEG, des Archives Internationales de Musique Populaire et des collections d'instruments de musique, et éditrice de la collection discographique MEG-AIMP/VDE-Gallo. N'ayant pas l'habitude de travailler sur des musiques traditionnelles, je dois trouver ma propre voie à chaque étape de la composition.
J'ai commencé par choisir les archives qui correspondaient à mon synopsis narratif, je les ai ensuite placées sur la timeline de chaque pièce. Après avoir ajouté les ambiances, essentiellement du field recording, j'ai enregistré mes parties instrumentales (clavier, flûte, trompette à anche, guimbardes, erhu, khen, etc.) et soigné quelques effets (Eventide, Audio Ease) avant de prendre rendez-vous avec les musiciens qui viendront s'ajouter à l'édifice. Je m'aperçois seulement maintenant de l'importance des ambiances climatiques et du bestiaire qui se sont glissés au cours des mois, construisant des décors évocateurs. C'est une musique diégétique dont les images sont suggérées par la partition sonore. Pourrait-on alors parler d'auto-diégèse ? La densité de certaines pièces m'a poussé ces jours-ci à insérer de courts solos, plus calmes, évidemment moins chargés, même si je les resitue dans le paysage : flûte dans une forêt assoiffée, piano préparé dans un tunnel inondé, boîte à musique avec loups et batraciens... Entendre que je ne lâche jamais la dialectique !
Contrairement à certains artistes dont les remix noient les œuvres d'origine dans une refonte électronique en n'utilisant que des samples (échantillons), souvent très courts, j'ai choisi de préserver l'âme de ces mémoires ethnographiques, d'autant que c'est leur fonction qui avait dicté mes choix. La manière de les retravailler est évidemment très "moderne", aussi bien dans les intentions que par les outils que j'emploie. Après avoir favorisé l'hétérogénéité, je tente de réunifier l'ensemble. Le style se dessine de lui-même, mais je suis encore incapable de trouver les mots pour le définir, peut-être parce que ce n'est justement pas fini.

mercredi 25 décembre 2019

Soupe aux canards pour Noël


C'est Noël et c'est cadeau !
Duck Soup est le 81e album disponible exclusivement en ligne sur drame.org. Comme tous les autres il est en écoute et téléchargement gratuits. C'est aussi le 5e produit par les Disques GRRR pour l'année 2019. Que cela ne vous empêche pas de commander sur le site les vinyles et CD avec leurs pochettes et livrets fabriqués aux petits oignons, car rien ne remplace l'objet physique !
Le trio se compose cette fois du contrebassiste Nicholas Christenson, du clarinettiste Jean-Brice Godet et de ma pomme au clavier et à divers instruments électroniques et acoustiques. Nicholas joue aussi d'un bébé violoncelle et Jean-Brice de sa panoplie de cassettophones. Il est fortement conseillé de l'écouter sur de bonnes enceintes pour profiter, entre autres, des sons de la basse. Comme je l'ai raconté jeudi dernier, les 12 pièces correspondent à 12 images de l'artiste Roger Ballen choisies par chacun d'entre nous pour devenir le thème de nos compositions instantanées. Elles sont reproduites en face de chaque pièce sur la page dédiée à l'album. Si vous désirez partager l'émotion que j'ai ressentie à la visite de son exposition à la Halle Saint Pierre, vous avez jusqu'au 31 juillet...
J'adore jouer avec des musiciens d'autres générations. Le jeune américain de Minneapolis a 20 ans, Jean-Brice 40. Quant à moi, je ne cache pas mon âge, j'en suis plutôt fier et je souhaite aux plus jeunes d'un jour l'atteindre. Sans aucune nostalgie du passé, je suis curieux de l'avenir. Nous avons les mêmes aspirations, mais souvent des manières différentes d'arriver à nos fins. Nous apprenons les uns des autres. Lorsque nous jouons ensemble, nous retombons en enfance. Je découvre le résultat de notre rencontre seulement au moment du mixage. J'ai l'habitude d'enregistrer "droit", sans correction. C'est à chacun de faire son son et de contrôler son intensité. Néanmoins je rééquilibre les voies, j'ajoute parfois un peu de réverbération sur un instrument, mais c'est tout. Pendant la séance nous utilisons des casques audio pour éviter que tout soit réinjecté dans les micros à condensateur très sensibles. Nous ne perdons pas de temps à écouter les prises, chaque album de ce laboratoire expérimental étant réalisé en une seule journée. Il m'en faut une autre pour mixer et une dernière pour créer la pochette et rédiger les crédits. Je fais valider à mes acolytes le résultat après mastering et hop, je mets en ligne ! Ce soir, si vous arrivez à danser dessus, écrivez-nous, vous avez gagné...

→ Birgé Christenson Godet, Duck Soup, GRRR 3101, exclusivement sur drame.org, en écoute et téléchargement gratuits

mardi 24 décembre 2019

La violence en exemple


Un air de violence souffle sur l'Hexagone. Beaucoup de gens semblent énervés. Il aura suffi que je conduise une demi-heure pour me faire agresser trois fois et que je sois témoin de deux altercations physiques entre plusieurs automobilistes. Des amis me confient avoir vu le même genre de comportement dans les transports en commun.
Comme toujours, lorsque le mauvais exemple est donné par les plus hautes instances de l'État, les dominos s'écroulent jusqu'au bas de l'échelle. Trop jeune pendant la Guerre d'Algérie, je ne me souviens pas avoir connu d'époque plus inquiétante que celle que nous fait vivre l'actuel gouvernement aux ordres des banques et des grandes entreprises. Jamais la police n'aura bravé la loi comme aujourd'hui, jamais la justice n'aura été aussi inique. La violence sociale des réformes à l'œuvre est relayée par la violence physique des lanceurs de grenades en uniforme ou des voltigeurs. Combien d'yeux ont-ils crevés, combien de mains arrachées, combien de corps matraqués ? Leur sentiment d'impunité me rappelle terriblement les évènements dont mon père avait été témoin en Allemagne à la fin des années 30. Si Macron est réélu, son second mandat sera encore plus carnassier. Si Marine Le Pen l'était, ce qui est évidemment peu probable, il lui aura ouvert la voie pour les pires exactions. Si le mouvement de La République En Marche représente bien la France, c'est celle de Pétain, un ramassis d'opportunistes, et donc d'incompétents, que seule l'arrogance leur permet d'assumer.
Je m'étais faufilé sur une file libre, laissé passer une camionnette arrivant de la gauche (n'y voyez aucune allusion politique !) et rabattu lors du rétrécissement de la voie. Après avoir klaxonné, le type de derrière descend de son véhicule, métaphore récurrente de sa masculinité, pour hurler à ma fenêtre que je l'avais gratté. Je me suis excusé, lui expliquant que mon intention était de dégorger l'embouteillage derrière nous. "Non, vous m'avez gratté ! Avec votre voiture..." insiste le costaud menaçant en cherchant vainement la trace d'un frottement sur nos carrosseries. J'ai évité le pire en faisant profil bas. A quoi bon ? J'ai fredonné à Sacha, assis à côté de moi, les paroles "surréalistes" d'Apollinaire mises en musique par Poulenc : "Grattez-vous si ça vous démange, aimez le noir ou bien le blanc, c'est bien plus drôle quand ça change, suffit de s'en apercevoir !" Plus tard sur le boulevard, une autre scène du même acabit. Deux rues plus loin, un piéton sur le trottoir semble chercher sa direction ; comme il ne bronche pas, je démarre, et là il donne un grand coup de poing sur ma portière. En voyant d'autres usagers en venir aux mains Porte de Vincennes, je me dis qu'il est plus sage de rentrer à la maison et d'attendre que cela se tasse.
Pourtant, cela ne s'arrangera pas de sitôt. L'atmosphère est tendue. Les gens sont malheureux. Ils ne comprennent pas ce qui leur arrive. Certains incriminent les grévistes qui les empêchent de partir en vacances ou d'aller se faire exploiter par leur patron alors que la manœuvre du gouvernement est une provocation sciemment engagée à la veille des fêtes. Peut-être vaut-il mieux rater le ski cette année et que nos enfants aient de quoi vivre lorsque nous ne serons plus là ! Il n'y a pas que la retraite pour mettre en colère. La casse s'exerce sur tous les fronts.Comment les écologistes qui ont voté Macron au premier tour peuvent-ils cautionner la politique gouvernementale ? Comment les socialistes peuvent-ils encore croire une seconde aux promesses du commis des banques ? Les gens s'en veulent. Ou s'ils en sont incapables, ils en veulent à la Terre entière. Certains invoquent la lutte contre le populisme, ils ont raison, Macron ne l'est pas puisqu'il fait cadeau sur cadeau aux plus riches. S'il monte les citoyens les uns contre les autres, il ne faut pas s'étonner qu'à la moindre contrariété ils se tapent sur la figure... Cela ne présage rien de bon si le véritable adversaire n'est pas clairement identifié.

lundi 23 décembre 2019

Archie Shepp, The Sound Before The Fury


Suite à l'excellent article de Louis-Julien Nicolaou dans Télérama, j'ai regardé The Sound Before The Fury, film de Lola Frederich et Martin Sarrazac, mêlant les images d'archives du massacre perpétré par la police américaine à la Prison d'Attica le 13 septembre 1971, des témoignages directs et les répétitions du concert d'Archie Shepp à La Villette le 9 septembre 2012, quarante ans après Attica Blues, enregistré en grand orchestre en 1972. Ce disque incontournable est un brûlot politique et poétique plus proche du blues, de la soul et du funk que du free jazz.
Totalement fan de son jeu au ténor depuis le concert d'Amougies en 1969, j'ai eu plusieurs fois la chance d'interroger le saxophoniste et compositeur, en particulier en 2005 pour le Journal des Allumés du Jazz. Jean Rochard et moi-même l'avions rencontré lors d'un entretien fleuve aussi politique que musical intitulé Archie Shepp, ténor du barreau, dans le cadre de la rubrique du Cours du Temps que j'avais initiée. Revenant sur son trajet depuis sa naissance en Floride et son déménagement à Philadelphie lorsqu'il avait 7 ans, puis à New York, dans le Massachusetts et à Paris, il y raconte qu'Attica Blues fut le pivot de son retour au blues de ses racines, recherche d'authenticité et tentative de toucher un public populaire, pas seulement les noirs. Jusque là plus proche de la musique de John Coltrane, il cite Johnny Walker, Aretha Franklin et Dionne Warwick.


En 1972 le batteur Beaver Harris suggéra à Shepp de composer une suite sur la mutinerie d'Attica. Cela n'a rien d'étonnant, Shepp voulait initialement devenir avocat des droits civiques pour s’engager politiquement. Les images tournées par la télévision américaine et les témoignages sont accablants sur les conditions pénitentiaires, le racisme qui y est à l'œuvre et le gouverneur Nelson Rockefeller qui fit donner l'assaut, tuant 29 prisonniers et 10 otages parmi les gardiens. Le gouvernement américain avait décidé de se débarrasser radicalement des Black Panthers. L'introduction de la cocaïne dans les quartiers fut un moyen expéditif, même s'il finit par toucher également les jeunes bourgeois blancs. Le massacre d'Attica sensibilisa l'opinion, poussant l'administration à améliorer quelque peu les conditions de détention. Pendant quelques jours les prisonniers avaient vécu une sorte de commune utopique qui se termina dans le sang.
Si le tournage des répétitions de l'Attica Blues Big Band en 2012 m'a paru un peu long, il est très intéressant de voir Shepp au travail, il a alors 75 ans, et le complément de programme tourné par Frank Cassenti offre 45 minutes du concert avec les 25 musiciens, afro-américains légendaires et jeunes français engagés pour l'occasion.

→ Archie Shepp, The Sound Before The Fury, DVD Les mutins de Pangée, 17€

vendredi 20 décembre 2019

L'accordéoniste Didier Ithursarry ouvre une porte


L'époque est morose. Dans la rue les gens se battent pour un rien. Dans les transports en commun ils s'insultent. Certains se plaignent des grévistes qui les empêchent de partir en vacances de Noël sans se rendre compte qu'avec les lois imposées par le gouvernement aux ordres des assurances privées et des fonds de pension américains ce ne sont pas seulement toutes leurs vacances qui sauteront, mais le repos chèrement acquis lorsqu'ils seront en âge de prendre leur retraite. Quand une caissière est désagréable, c'est qu'elle subit des pressions de sa hiérarchie. Quand le pouvoir montre le mauvais exemple, c'est toute la société qui se désagrège. Alors chaque rayon de soleil a son importance.
Il faut ouvrir la porte, regarder le ciel, respirer un bon coup et se laisser porter par la musique. L'accordéon du Basque Didier Ithursarry joue le rôle de l'astre auprès duquel se réchauffer. Son nouvel album en trio avec le flûtiste Joce Mienniel et le guitariste Pierre Durand s'intitule Atea, soit la porte en langue basque. S'il faut sortir pour humer l'air du temps qui peut être aussi celui de la résistance et des nouvelles utopies, on peut aussi entrer sans frapper et se mettre à danser, parce qu'on ne vit qu'une fois. Mienniel et Durand sont des habitués de cette colonne, virtuoses rayonnants aux côtés d'un accordéoniste qui réfléchit le swing légendaire de son pays. Sur la Forró Suite, le Quatuor Cuareim se joint à eux, arrangée par Geoffroy Tamisier. Je devrais chaque fois rappeler le nom de l'ingénieur du son, ici Boris Darley, parce que ces alchimistes rehaussent souvent les couleurs de nos disques en soignant aussi l'ambiance qui règne dans le studio. De plus en plus de musiciens s'intéressent d'ailleurs avec succès à la prise de son. Si Atea profite de l'envol de la flûte et du soutien de la guitare, sa vibration contagieuse vient d'abord du soufflet qui rythme les mélodies comme si elles étaient poursuivies par un irrésistible besoin, mais de quoi ? De lumière peut-être...

→ Didier Ithursarry Trio, Atea, LagunArte, dist. L'autre distribution, sortie le 31 janvier 2020

jeudi 19 décembre 2019

Roger Ballen interprété par Birgé Christenson Godet


Comme Jean Rochard était passé au Studio GRRR enregistrer Les oiseaux doubles accompagné par Nicholas Christenson, je lui ai demandé de prendre la photo de notre trio avec Jean-Brice Godet, cinquième et dernier épisode de mon laboratoire d'improvisation pour 2019. Jean, qui vit à cheval entre St Paul et Paris, m'avait présenté le jeune contrebassiste de Minneapolis. Nicholas a vingt ans et une imagination musicale égale à sa dextérité. Jean-Brice pourrait être son père et moi son grand-père, mais lorsqu'il s'agit de jouer ensemble je doute qu'aucun de nous soit majeur.
La veille, soit mardi soir, j'avais été renversé par l'exposition de Roger Ballen à la Halle Saint-Pierre et remporté avec moi deux livres sur le travail de l'artiste pluridisciplinaire. J'ai donc proposé à Nicholas et Jean-Brice de choisir des reproductions qui les inspirent dans Le Monde selon Roger Ballen et Asylum of The Birds afin de les transformer en pièces musicales.
You Can't Come Back, Twirling Wires, Homage, Shadows and Stranger ont séduit Nicholas. Jean-Brice a sélectionné Alter Ego (ci-dessous), Shepherd, Posing, Cornered. J'ai préféré The Back of The Mind, Masked Man, Rats on Kitchen Table, Chicken Wings. Il fallait bien choisir, alors que nous adorons l'ensemble du travail de Ballen, mêlant photographie, peinture, sculpture, installation. Les mêmes images se retrouvaient parfois dans nos listes individuelles.


Douze pièces ont ainsi vu le jour, les œuvres de Roger Ballen devenant les titres de nos improvisations fortement inspirées. Il me reste à mixer l'album enregistré hier avant de le mettre en ligne sur Drame.org, qui se retrouvera comme d'habitude en écoute et téléchargement gratuits. Il s'intitulera Duck Soup, évidemment en référence aux Marx Brothers, bien qu'à regarder la photo de nous trois on pense plutôt aux Dalton ! Coincé par une grève inconrtounable qu'on espère convaincante, Nicholas était venu à pied depuis Montreuil avec une contrebasse gentiment prêtée par Benjamin Duboc, et il m'empruntera aussi un bébé violoncelle que Bernard Vitet avait équipé de sillets. Jean-Brice, en plus de sa clarinette et de sa clarinette basse, avait apporté une batterie de cassettophones qui font désormais partie de son instrumentation récurrente. Quant à moi, en plus des claviers, je flûtai, trompettai à anche, guimbardai, archetai, percutai et utilisai mes sempiternels H3000, Tenori-on, Lyra-8, radiophonie, etc. Sans n'avoir encore rien réécouté, il me semble que ce fut une journée prolifique. Le mariage des timbres était particulièrement florissant. Le choix de Ballen s'avéra une excellente idée. Il régnait dans le studio une atmosphère aussi détendue que concentrée, en tous points épatante.
En attendant la publication du nouvel album, j'écrirai très prochainement un article évoquant l'exposition de Ballen qui mérite absolument d'être visitée... J'ai également commandé le DVD Memento Mori / Selfportrait de Saskia Vredeveld qui lui est consacré et est projeté au milieu de sa gigantesque installation.

mercredi 18 décembre 2019

Le marché de la compassion


Nous recevons régulièrement d'épaisses enveloppes nous exhortant à contribuer à de bonnes œuvres. De petits "cadeaux" accompagnent souvent ces campagnes de recherches de fonds : cartes du monde, carnets, stylos, etc. Lorsque mes parents étaient sollicités par des démarcheurs en porte-à-porte, ils avaient l'habitude de répondre qu'ils avaient "leurs œuvres" pour se débarrasser des importuns. Aujourd'hui il n'y a plus que les Témoins de Jéhovah, les vendeurs de pommes et patates soi-disant directement du producteur au consommateur (attention, arnaque !), les élagueurs de haies, les couvreurs et les militants du journal L'Internationaliste (branche française de Lotta Continua) pour sonner à notre porte. Je ne compte pas les éboueurs (en évitant les faux) et les postiers pour lesquels je contribue à leurs étrennes, mais je me passerais bien de leurs calendriers qui sont heureusement de plus en plus minces. Surtout je suis sidéré par l'argent que doit coûter ces épais dossiers au profit de Médecins Sans Frontières, Amnesty International, Stop à la Souffrance Animale, Apprentis d'Auteuil, etc. Pas question de jeter ce qui est "recyclable", donc je n'affiche ici qu'une petite partie des stylos récupérés, mais ce sont des tonnes de papier et de plastique qui partent à la poubelle. À ce gâchis s'ajoute mon inquiétude légitime de savoir où va l'argent. Où trouver des informations fiables détaillant ce qui revient réellement aux défavorisés ? Lorsqu'on connaît les salaires de certains responsables d'ONG et la réalité du terrain, on est en droit de s'inquiéter, voire de se révolter. Les organisations humanitaires sont devenues un business.
Dans le Figaro (!) Bruno-Georges David, auteur d'ONG : compassion à tous les rayons ? explique : L'essentiel des communications ne consiste pas en des postures politiques ou des plaidoyers, mais fait appel aux émotions, à la bien-pensance compassionnelle, à la culpabilité. C'est une discussion entre gens du Nord qui se parlent à eux-mêmes en prenant le Sud comme prétexte. (...) Les ONG ne mesurent pas la dévastation que leur dépolitisation et le marketing sont en train de produire dans l'opinion publique et auprès de leurs soutiens. De structures militantes et engagées, les ONG sont devenues des organisations de gestionnaires et financiers dépolitisés. Dans Libération (!!) Sylvie Brunel, auteur de Famines et Politique, raconte sa démission de la présidence d'Action contre la faim (ACF), après avoir été responsable de la recherche à Médecins sans frontières. Dans Télérama, Frédérique Chapuis évoque les 10 000 ONG présentes en Haïti et le scandaleux tourisme humanitaire. Etc.
La plupart des ONG sont devenues les soupapes de sécurité de l'oppression et de l'exploitation. Sans elles les situations révolutionnaires exploseraient. Certaines de ces Organisations "Non Gouvernementales" sont même financées directement par les pays les plus puissants, exploiteurs de main d'œuvre à bon marché, fomentateurs de coups d'État.
Mes parents, encore une fois, ne faisaient pas l'aumône, mais militaient pour que le gouvernement assume ses responsabilités vis à vis des défavorisés. Alors chaque fois que j'écris quelques mots avec leurs stylos "gratuits" je sens monter ma colère. Ils me servent à ne pas oublier les inégalités, les injustices, les crimes dont nos gouvernements sont responsables alors qu'ils tentent de nous culpabiliser. Peut-être avons-nous des raisons de nous sentir coupables puisque nous acceptons cet état de fait et que nous ne renversons pas le système inique et cynique qui gère nos vies et celles de ceux qui en meurent !

mardi 17 décembre 2019

Kyldex 1, l'opéra cybernétique de Nicolas Schöffer


La semaine dernière, Eléonore de Lavandeyra Schöffer organisait des projections exceptionnelles de Kyldex 1, spectacle cybernétique luminodynamique expérimental, dans l'atelier Nicolas Schöffer, sis Villa des Arts à Paris. La création de cet incroyable projet « pluriartistique » se tint en 1973 à l'Opéra de Hambourg dirigé par Rolf Liebermann avant qu'il ne prenne possession de celui de Paris. Il ne fut jamais rejoué depuis, malgré l'immense succès qu'il rencontra alors, probablement pour une question économique, l'addition se montant à 1 milliard de Deutsche Mark, l'équivalent de 150 millions d'euros ! Nicolas Schöffer, génial précurseur de l'art interactif, cinétiste féru de cybernétique, en avait confié la chorégraphie à Alwin Nikolais et la musique à Pierre Henry. Le film, ici découpé en quatre parties, ne rend que très partiellement la réalité de l'œuvre. Les caméras de Klaus Lindermann restent axées sur le centre de la scène alors qu'il se passait quantité d'évènements sur les côtés et la copie de la Nord Deutsche Rundfunk aurait bien besoin d'une remasterisation tant pour l'image que pour le son. L'archive n'en est pas moins étonnante.


Si vous n'êtes pas germanophone, sautez les présentations en allemand de Rolf Liebermann et de la traductrice Helen Gerber !
En 1973 la mode était encore à la participation du public. Nicolas Schöffer avait confié à chaque spectateur un petit sac contenant cinq panneaux lui permettant d'exprimer son désir avant chacune des douze parties. Un rond rouge signifiait "halte", un triangle vert "plus vite", un losange bleu "plus lent", un triangle jaune "répéter" et un carré blanc "expliquer". Le spectacle s'organisait en fonction de la majorité, même si cette illusoire démocratie m'apparaît toujours comme une manipulation démagogique. Cela n'est nullement différent de notre vie politique ! Il n'empêche que le public est là très actif, invectivant entre les épisodes Schöffer et Lieberman qui ne respectent pas toujours son choix. De soir en soir les représentations pouvaient prendre des tournures très différentes. Lors de la première, les spectateurs ayant demandé de revoir une séquence cette fois sans la musique, Pierre Henry boude, refuse de diffuser la suite et se fait finalement prier.
Les mouvements des danseurs étoiles Carolyn Carlson et Emery Hermans s'inspirent de ceux des machines, leur opposant magistralement la souplesse des corps.


Si Schöffer laisse Nikolais libre de chorégraphier le corps de ballet de l'Opéra de Hambourg, il est plus directif avec Pierre Henry. J'ignore qui de l'un ou de l'autre en est à l'origine, mais la musique est trop illustrative à mon goût, malgré la richesse des timbres. 1973 marque aussi un basculement de la musique électroacoustique. Pierre Henry utilise les techniques qu'il a inaugurées avec Pierre Schaeffer alors que les synthétiseurs vont révolutionner une fois de plus l'histoire de la musique. Cette année-même j'achèterai d'ailleurs mon ARP 2600 ! Le film ne rend hélas pas compte de la spatialisation sonore comme de celle des effets de lumière qui encerclent les spectateurs.


Pour toutes ses fabuleuses machines Schöffer a dû inventer des systèmes préfigurant les ordinateurs. Il serait aujourd'hui fasciné d'utiliser leurs ressources. Kyldex 1 fut rendu possible grâce à l'informatisation récente de la scène de l'Opéra de Hambourg, chose alors exceptionnelle. Pour son spectacle multimédia il utilise deux eidophores qui lui permettent de capter des images du public ou des danseurs et de les projeter sur grand écran. Il intègre des extraits de la télévision allemande en temps réel. Ses sculptures cybernétiques sont télécommandées...
Pour les séquences érotiques au milieu des sculptures molles il choisit trois prostituées du quartier rouge de Sankt Pauli plutôt que des danseurs. Après la première représentation, suite aux critiques féminines qui ne voient pas pourquoi on ne dénude que les femmes, deux danseurs mâles se portent volontaires pour danser nus. Ils traverseront la scène peints en or comme deux statues grecques.
1973 est encore une époque où les provocations étaient de mise, même si la nudité était devenue chose banale dans les spectacles d'avant-garde.


Après l'entr'acte de ce spectacle qui dure plus de trois heures, un prisme de 12 mètres de haut envahit la scène. Ce jeu de miroirs réfléchit les effets visuels et la troupe des danseurs. Les qualités d'homme-orchestre de Nicolas Schöffer lui permettent de mêler la sculpture, l'architecture, la musique, l'ingénierie et les sciences pour créer ses ballets de machines et de lumières...
Après la projection Eléonore de Lavandeyra Schöffer, toujours aussi fringante, 94 ans au conteur, euh conteuse, témoigne de la création de ce 9 février 1973 en révélant quantité de détails passionnants qui aident à découvrir le génie de son mari disparu. Il est certain que Nicolas Schöffer n'a pas la place qu'il mérite dans l'histoire des arts du XXe siècle. Je regrette de ne pas avoir connu son travail lorsqu'à la fin des années 60 je montai mon groupe de light-show, il m'aurait certainement influencé et donné nombre d'idées...

N.B.: si vous souhaitez visiter la caverne d'Ali Baba, l'Atelier Nicolas Schöffer organise des visites le premier samedi de chaque mois à 17h. Vous pouvez réserver pour les 4 janvier, 1er février, 7 mars...

lundi 16 décembre 2019

La crise annoncée par les banques


Le Crédit Mutuel m'envoie une lettre dont l'unique objet est "Protection des avoirs", censée nous rassurer en expliquant que le Fonds de Garantie des Dépôts et de Résolution (FGDR) est chargé d'indemniser les clients en cas de défaillance de l'établissement bancaire. "Lorsqu’une banque n’est plus en mesure de rembourser les dépôts de ses clients, le FGDR indemnise ceux-ci jusqu’à 100 000 € en 7 jours ouvrables, dans certaines conditions et limites." On appréciera l'humour : "La garantie des dépôts en protégeant les déposants, contribue à entretenir la confiance et à assurer la stabilité du système bancaire." Il est bien évident que cela ne concerne que la classe moyenne. Pour ne pas s'inquiéter il faut soit ne pas avoir d'économies, en tout cas moins de 100 000€, soit être suffisamment riche pour avoir fait fuir ses capitaux à l'étranger ! Mais si cette perspective arrivait, et il faut prendre très au sérieux cette alerte, sinon les banques ne s'embêteraient avec cela, c'est toute l'économie qui s'écroulerait et les plus pauvres seraient les premiers à en subir les conséquences, comme toujours. Pour savoir ce qui est garanti ou pas, la liste est . Les assurances-vie, par exemple, ne sont pas couvertes par cette protection, mais dépendent du Fonds de Garantie des Assurances de Personnes (FGAP) qui garantit un maximum de 70 000€ par assuré et compagnie ! On notera ironiquement que le fonds de garantie a une capacité d'intervention inférieure à deux milliards d'euros, ce qui à l'échelle de l'encours de l'assurance vie (plus de 1.700 milliards) peut sembler assez limité ! La même question vaut pour le FGDR évidemment. Le spectre d'un krach avec déflation n'est pas à écarter.
Lors d'un dîner huppé il y a deux ans, discutant avec quatre banquiers hautement placés dans la hiérarchie de leurs différentes banques, tous m'affirmèrent avoir diviser leurs avoirs chez leurs confrères (100 000 dans chaque banque) pour ne pas être touchés par une crise qui ne manquerait pas d'arriver, demain ou dans quelques années, mais qui arriverait forcément. Les banques ont toujours choyé leurs gros actionnaires, ne possédant plus qu'environ 10% des liquidités qui leur ont été confiées. Toute l'économie est basée sur l'exploitation des petits par les gros, que ce soit au bas de l'échelle ou en haut. Les banques pratiquent le système de Ponzi dans les grandes largeurs, alors qu'il est interdit et gravement puni à petite échelle. J'en veux pour preuve sa définition-même : Un système de Ponzi est un montage financier frauduleux qui consiste à rémunérer les investissements des clients essentiellement par les fonds procurés par les nouveaux entrants. Si l'escroquerie n'est pas découverte, elle apparaît au grand jour au moment où elle s'écroule, c'est-à-dire quand les sommes procurées par les nouveaux entrants ne suffisent plus à couvrir les rémunérations des clients.
Dans L'argent Zola avait parfaitement démontré le système boursier, gigantesque arnaque qui consiste à rafler la mise en achetant à la baisse après avoir fait chuter les actions en vendant massivement. Les petits porteurs s'affolent, contribuant à la chute des cours, etc.
Dans cette heureuse perspective que serait la chute du capitalisme, système qui a fait plus de ravage que n'importe quelle dictature, les dégâts humains seront hélas considérables. Les adeptes de la collapsologie pensent plus souvent à la destruction de la planète, faute de mesures écologiques draconiennes, mais tout ce que nous subissons est régi par les lois économiques et leur non-respect par ceux-là-mêmes qui les ont promulguées !

vendredi 13 décembre 2019

Luce, à propos de Jean Vigo


Découvrir Luce, à propos de Vigo, le film de Leïla Férault-Levy, m'a à la fois ému et donné envie de revoir tous les films de Jean Vigo. Sa fille, Luce Vigo, décédée il y a bientôt deux ans, n'a pratiquement pas connu son père terrassé par une septicémie à l'âge de 29 ans, alors qu'elle en avait 3 en 1934. Cela lui permet d'imaginer qu'elle est la grand-mère de son père ! Sa mère, atteinte comme lui de tuberculose, est morte quand Luce avait 8 ans. Pour son fils Nicolas, elle ouvre la malle où s'entassent les souvenirs des tournages. Luce, humble mais déterminée, a défendu et protégé l'œuvre de son père dont les quatre films, deux courts et deux longs, sont des bijoux mêlant sensibilité poétique et invention cinématographique. Généreuse et particulièrement attentionnée, elle a toujours soutenu les jeunes cinéastes et je fus particulièrement ému lorsqu'en 1994, réalisant l'Annuaire des anciens élèves de l'Idhec, elle m'avait appris que j'avais été major de ma promotion en entrée et en sortie (alors que j'en étais le benjamin), chose qui ne se racontait pas dans l'après-68, je me demande même comment elle avait trouvé cela !
Mon propre père m'avait fait découvrir Zéro de conduite que je revois régulièrement, chef d'œuvre de la révolte de l'enfance, brûlot anarchiste d'une incroyable fantaisie, victime inaugurale de la censure cinématographique en France. En 1976 À propos de Nice fut le premier film muet sur lequel Un Drame Musical Instantané imagina une nouvelle partition sonore créée en direct. L'année suivante, pour Trop d'adrénaline nuit, le premier disque d'Un D.M.I., j'avais choisi de mettre en musique un texte inédit de Jean Vigo, Lignes de la main, paru à l'origine en 1953 dans le n°7 de Positif, tandis que Bernard Vitet lisait Un coup de dés... de Mallarmé ! En 1992 avec André Ricros nous avions choisi d'appeler Zéro de conduite sa collection de CD pour la jeunesse...
Dans la foulée, j'ai donc revu L'Atalante dont Vigo n'a jamais vu le montage terminé et commandé la nouvelle intégrale en Blu-Ray qui semble bien supérieure à celle que je possède. L'alliage de la poésie onirique et du point de vue documenté sur le réel, les interprétations vivantes de Jean Dasté, Dita Parlo et l'incroyable Michel Simon, les prises de vue de Boris Kaufman confèrent au film son statut de chef d'œuvre, film expérimental grand public anticipant de trente ans les débuts de la Nouvelle Vague...

→ Intégrale Jean Vigo, coffret Blu-Ray Gaumont Prestige (dans lequel figure également le film avec Luce parmi d'innombrables bonus), 56,61€
→ Leïla Férault-Levy, Luce, à propos de Vigo, DVD La Huit, 13€
La Huit publie quantité de documentaires comme le DVD sur Jean-François Pauvros chroniqué mercredi dernier, Brigitte Fontaine, reflets & crudité dont j'avais parlé à sa sortie cinéma en 2013 et que j'ai revu hier avec grand plaisir ou les films d'André S. Labarthe que j'évoquerai prochainement...

jeudi 12 décembre 2019

Time Elleipsis de Frederick Galiay


Le travail de Frederick Galiay tient d'une sublimation du bouddhisme par la puissance du son. Lauréat du programme de résidence "Hors les murs" initié par l'Institut Français, le bassiste, fan d'électronique autant que d'électricité, s'est immergé pendant plusieurs mois, et après vingt ans de voyage dans la région, dans les cérémonies millénaires du Bouddhisme Theravāda et divers rituels animistes au Myanmar, au Laos, en Thaïlande et au Cambodge. Il y a composé une suite pour six instrumentistes qui marie sa quête asiatique avec le free jazz et le drone. La Bouddhisme n'est de toute manière pas ce que les Occidentaux en imaginent. J'en veux pour preuve, par exemple, l'intolérance meurtrière à l'égard des musulmans Rohingyas au Myanmar ou le financement du Dalaï Lama par la CIA. Le Theravāda, proche du bouddhisme primitif, échappe peut-être au dévoiement habituel de toutes les religions qui continuent à faire des ravages sur la planète. J'imagine néanmoins que pour s'approcher des intentions de Frederick Galiay il faut diffuser Time Elleipsis - Chamæleo Vulgaris à fort volume. La saturation est son premier pays. Les percussions massives de Sébastien Brun et Franck Vaillant ponctuent les continuum joués par Antoine Viard au saxophone baryton électrifié, Jean-Sébastien Mariage à la guitare électrique, Julien Boudart au synthétiseur analogique et Galiay à la basse électrique. Vers la fin l'orchestre explose comme un faux ensemble avant de trouver une sérénité espérée depuis le début de cet étonnant cérémonial.

→ Frederick Galiay, Time Elleipsis - Chamæleo Vulgaris, CD Ayler Records, 13€ (existe aussi en version numérique), à paraître le 9 février 2020

mercredi 11 décembre 2019

7 fois Pauvros en images


C'est crade. L'idée que le rock doit être crade. Out of control. Un jeu de rôle. Sortir de son corps. La transe par le volume sonore. Hendrix à Monterey met le feu à sa guitare. L'écrase contre les enceintes. Wall of sound. Coups de reins suggestifs. Le sexe et la mort conjugués. MC5. Jean-François Pauvros entretient cet héritage. Au début de Don Pauvros de La Manche, un des sept films que Guy Girard lui consacre et le principal du coffret DVD, le guitariste se fait cuire un œuf sur le plat, mais il le fait de cinquante centimètres de haut et le jaune explose dans la poêle qu'il gratte avec sa fourchette, c'est l'omelette free. Sur le manche les doigts se libèrent de la discipline. Partout où il passe, la guitare trépasse. Résurrection. Elle tient le coup. Lui aussi. Il y a toujours une guitare dans le champ. Ça cogne. Ça piétine. Ses fréquentations sont souvent sulfureuses, le guitariste japonais Keiji Haino, le poète Charles Pennequin ou le trompettiste Jac Berrocal. De temps en temps il met de l'eau dans son vin, il n'est plus à ça prêt, il croise le pianiste anglais Tony Hymas, il joue le blues, il chante, bien. Il accompagne les images grattées de Vincent Fortemps. Dans le livret, le dialogue avec le journaliste Bertrand Loutte, le photographe Jean-Marc Rouget et Guy Girard, qui le filme depuis plus de trente ans, revient sur la chronologie. Sa silhouette, courbée avec ou sans caisse, écorchée, tient de Cervantès et d'Egon Schiele. On le voit faire le drone avec le guitariste Arto Lindsay. Il taille sa haie en donnant des coups de cisaille n'importe comment. Le geste compte. Seul, il s'éclate, formel. En compagnonnage, il compose, dramatique. Où que ce soit, il conduit l'électricité. Par vent sur la plage, il ensevelit sa guitare sous des poignées de sable.


Sur le second DVD, les autres films s'échelonnent dans le temps. Foutoir nocturne à la réception d'un petit hôtel. Girard monte les images du Batofar en mer, rescapé d'Irlande, et les spectateurs lunettés de l'éclipse avec les hurlements des cordes de Pauvros et celles vocales de Haino. Escale à Bruxelles avec le trio Catalogue. Marteau Rouge avec Joe McPhee. Et pour terminer un hommage au Studio Campus où Pauvros s'est beaucoup investi. Ça bouge dans tous les sens et l'ensemble fait sens. Pour fêter la sortie du coffret au Souffle Continu, il a entonné quelques notes de l'Internationale au milieu d'un déferlement de notes tout en lisant Citroën, le poème de Jacques Prévert qu'il a griffonné sur un bout de papier jauni.

Jean-François Pauvros, 7 films de Guy Girard, coffret 2 DVD La Huit, ESC distribution, 19,99€

mardi 10 décembre 2019

Physique contre dématérialisé


Je ne comprends pas que les labels de musique envoient à la presse leurs nouveautés CD sous pochette cartonnée au lieu du digipack ou du packaging qui sera commercialisé. Si les disques ont encore une petite chance de survivre à la dématérialisation, c'est bien à leur présentation graphique qu'ils le devront. Lorsqu'un journaliste ou un blogueur chronique un album, il a besoin des notes de pochette, des paroles des chansons, du nom des musiciens, etc. Le désir naît de cet ensemble. Je me souviens avoir acheté nombre de vinyles uniquement sur la foi du recto verso 30 centimètres. J'avais trouvé ainsi à leur sortie Electric Storm de White Noise ou le Bonzo Dog Band sans savoir ce que j'allais écouter ! Envoyer un lien vers Internet pour écouter le disque est absurde si l'on espère décrocher un article. J'écoute les disques sur ma chaîne hi-fi, alors que les fichiers mp3 ou wav passent par l'entonnoir des haut-parleurs de mon ordinateur portable. Quant aux films sur DVD ou Blu-Ray, ils perdent en route leurs bonus en plus des informations que contiennent généralement leurs boîtiers. Sans compter l'objet qui me rappelle à lui quand le lien chiffré se perd parmi les centaines de mails reçus chaque jour.
Que justifie alors cette pratique ? Des frais postaux atténués ? Une économie de fabrication tout aussi mineure ? Les raisons me semblent ridicules lorsqu'on sait que, pour la plupart, les ventes sont si dérisoires que le disque est devenu avant tout un objet de communication. Il n'y a vraiment qu'à la fin des concerts que les ventes sont significatives, à condition que l'enregistrement soit fidèle au spectacle auquel on vient d'assister. Envoyer un lien s'explique lorsqu'il s'agit d'inédits exclusivement disponibles sur Internet, comme je le pratique régulièrement sur drame.org. C'est pareil pour les vidéos réclamées aujourd'hui par les programmateurs qui ne croient plus leurs oreilles et ont besoin de voir pour le croire. À l'étranger certains exigent d'ailleurs un support physique pour se décider. Mais s'il s'agit d'objets physiques, seule sa version définitive est véritablement convaincante, permettant éventuellement au chroniqueur de l'attraper par un bout inattendu. Lorsqu'on a mis tant de soin et de passion à produire un disque ou un DVD/Blu-Ray, pourquoi envoyer à ceux ou celles qui en parleront un résumé riquiqui ? C'est dévaloriser son travail et celui de ses collaborateurs.
Dans un autre genre, je ne fais jamais écouter de maquette à un client, essentiellement parce que je suis incapable de mettre tout mon cœur dans quelque chose qui finira à la poubelle. Si le client adore, on est coincé pour la suite ; et si ce n'est pas parfait ses commentaires sont contrariants à juste titre. Je préfère livrer du définitif provisoire, corrigeant gentiment un contresens ou un détail qui ne serait pas à sa place. Évidemment je prends un risque de travailler pour rien, mais ce dans tous les cas ! Alors autant se donner à fond pour être le plus convaincant...

lundi 9 décembre 2019

Mélusine d'Emmanuelle K


La poésie a le grand mérite d'être circonlocutoire. Elle ne vise pas le centre. Elle tourne autour. Et contrairement aux sciences dites exactes, elle n'est jamais démentie par l'Histoire. J'ignore si elle est mieux considérée dans les autres pays, mais en France on se targue d'avoir de grands poètes en évitant soigneusement de les lire. Le genre reste l'apanage de l'underground. J'ai enregistré deux CD avec Michel Houellebecq qui se sont plutôt moins bien vendus que mes propres œuvres alors que c'est ce qu'il a fait de mieux, de son propre aveu et à mon goût, sans parler de sa notoriété ! Ses livres de poésie ont d'ailleurs une audience cent fois moins grandes que ses romans. Alors lorsqu'on est une poétesse et sans battage médiatique, j'imagine que c'est forcément un sacerdoce.
Il y a une décennie j'avais reçu un émouvant coffret de quatre livres d'Emmanuelle K intitulé Quand l'obéissance devient impossible. Il rassemblait les recueils Vertige de l'écart, Les brutes, L'indépendance du sourire et Les chemins du désir. L'année précédente, soit en 2007, Emmanuelle K avait publié Mélusine, un livre d'artiste à tirage limité avec 26 aquarelles de Pierre Jaouën. Le prix de l'objet le rendant inaccessible à la plupart, il est heureux que le texte de Mélusine soit sorti accompagné d'un DVD et d'un CD. Le premier réunit trois films d'Emmanuelle K, le second treize "chansons" interprétées par l'autrice avec Emmanuel Bex au piano et à l'orgue Hammond, Simon Goubert à la batterie, François Verly aux percussions et l'électro-acousticien David Trescos. La voix est traitée par de nombreux effets spatiaux s'inspirant de réverbération, délai, harmoniseur, etc., mais sans utiliser aucun artifice électronique, tandis que le trio se livre à un jazz virtuose qui donne des ailes aux textes érotiques transformés en chansons. Quant au livre d'artiste, il est actuellement exposé à la Galerie Hebert à Paris.


Le DVD présente d'abord le projet né il y a plus de 20 ans, puis Emmanuelle K filme les aquarelles de Pierre Jaouën, aujourd'hui disparu, en lisant son texte. Le ton souligne les années passées depuis ce qui l'a dicté, transformant l'aventure en récit. La musique paysagère, soutien rythmique de la voix, substitue la profondeur du champ au chant éclaté du CD. Sur les quatorze mètres de frise sur papier velin, les taches de couleurs vives deviennent abstraites et renvoient à l'espace qui distille les mots imprimés. Le va-et-vient dément la chronologie. Sous couvert de making of, le troisième film raconte ce qu'est un livre d'artiste avec le témoignage de Dominique Bernard, éditeur à l'origine, et de l'imprimeur Didier Guibert qui explique la technique de l'estampe numérique. Le terme d'abstraction lyrique, mouvement auquel Pierre Jaouën est plus ou moins rattaché, convient tant à la poésie et à la musique en général qu'au texte d'Emmanuelle K.
Pour la petite histoire, elle réalisa en 1983 le premier film sur Un Drame Musical Instantané pour la télévision libre Antène 1.

→ Emmanuelle K, Mélusine, livre avec DVD et CD, 35€ - Commandes : melusine.cie(at)sfr.fr
→ Exposition jusqu'au 21 décembre 2019 à la Galerie Hebert, 18 rue du pont Louis-Philippe, Paris 4e.

vendredi 6 décembre 2019

Stop Making Sense


Lorsqu'en décembre 1983 les Talking Heads jouèrent au Pantages Theatre à Hollywood, j'avais un peu délaissé le rock, et même le jazz, pour la musique contemporaine. J'étais passé totalement à côté du punk, préférant le free jazz qui réfléchissait la lutte des Afro-Américains. J'écoutais néanmoins de tout, mais ce mouvement me semblait passager, sorte de révolte œdipienne contre les aînés, à grands coups de provocations éructives. J'avais été séduit par MC5 ou les Stooges à leurs débuts, mais je restais attaché aux belles mélodies ou à des formes franchement plus radicales de restructuration du langage musical. L'énergie du punk s'exprimait au détriment d'autres composantes, me laissant penser que les adeptes de cette nouvelle branche évolueraient rapidement vers d'autres parties de l'arbre, que ce soient les racines ou les cimes. Les Talkinhg Heads glissèrent ainsi vers la new wave.
Comme souvent avec le rock et ses dérivés, j'ai toujours regretté que nous adoptions ces chansons sans en comprendre les paroles. Le DVD/Blu-Ray du film de Jonathan Demme sur le concert des Talking Heads n'offre hélas aucun sous-titre lorsque chante David Byrne, comme c'est la cas la plupart du temps avec les publications musicales vidéographiques. Il est probable que si nous comprenions le sens des paroles de nos idoles anglo-saxonnes nous serions souvent moins emballés. Est-ce qu'exceptionnellement le film Stop Making Sense justifie cette absence ? J'en doute. Le non-sens est un art de l'absurde, souvent comique, qui n'a rien à voir avec ce groupe new-yorkais, même à enfiler un costume trop grand pour donner l'illusion d'une tête toute petite !


Stop Making Sense est remarquablement filmé aux cours de trois concerts mythiques de la tournée Speaking in Tongues par Jonathan Demme. Je n'irai pas jusqu'à clamer, comme tous les journalistes recopiant gentiment le dossier de presse, que c'est "un sommet inégalé du genre". Une captation de concert quasi in extenso est toujours un peu laborieuse et ne rend jamais l'émotion du direct. Ce n'est ni Step Across The Border, ni Straight No Chaser, ni Gimme Shelter, ni même Woodstock ou Monterey Pop. La scénographie de David Byrne, sobre mais intelligemment évolutive, mâche certes le travail à Jonathan Demme. La restauration en haute définition est très belle, et s'y ajoutent une heure de conférence de presse lors du 15e anniversaire du film à San Francisco où les quatre membres du groupe répondent à Peter Scarlet, un petit auto-entretien humoristique de David Byrne avec David Byrne à propos de David Byrne, deux chansons absentes du film, un montage promotionnel et la bande-annonce. À propos de promotion, il semble que Carlotta ait passé un accord avec la Fnac pour diffuser en exclusivité une version contenant un intéressant livret de 36 pages illustré, écrit par Christophe Conte.

→ Jonathan Demme, Stop Making Sense, DVD/Blu-Ray Carlotta, 20€ ou 24,99€ le Mediabook exclusivité de la Fnac

jeudi 5 décembre 2019

Art en grève


Que se passe-t-il aujourd'hui ?

Ce 5 décembre, c’est jour de grève. Cette date marquera le départ d’une mobilisation que nous espérons puissante. La raison de cette grève ? La réforme des retraites, qui pourrait porter un coup fatal à la Sécu. Le contexte ? Depuis 2016, la lutte n’a jamais cessé : loi Travail, ordonnances Macron, réforme de la SNCF, justice climatique, mouvements féministes, antiracistes, Gilets jaunes, mobilisations étudiantes, mouvement des sans-papiers.

C’est quoi cette réforme ?

Comme la santé, la retraite, c’est la Sécu. Dans le régime général, la pension est la poursuite du salaire de référence. Les militant·es qui ont bâti ce système ont commencé à déconnecter le salaire de l’emploi en socialisant les ressources dans une caisse commune. Contre cette avancée, le gouvernement entend imposer un système de retraite par points qui calculerait le montant des pensions en fonction d’un simulacre d’épargne individuelle. Tout au long de sa carrière, chaque travailleur·euse cumulerait des points qui lui permettraient, le moment venu, d’obtenir la stricte contrepartie de son « mérite ». C’est une individualisation de la protection sociale qui met fin au droit au salaire pour les retraité·es.

Pourquoi se mobiliser en tant que travailleur·euses de l’art ?

En attaquant les droits sociaux les plus avancés (ceux des fonctionnaires et des salarié·es du privé), cette réforme va parachever une politique libérale qui tire tout le monde vers le bas. Nous avons les mêmes intérêts que ces travailleur·euses qui, dans les différents secteurs de la société, vont se mobiliser pour défendre des droits remis en cause au nom d’une idéologie qui confond intentionnellement libéralisme économique et liberté individuelle. Pour des raisons historiques, les artistes sont hélas à l’avant-garde de l’absence de protection sociale et, au nom de leur passion ou de leur engagement, voient ainsi la plupart de leurs activités être non reconnues comme du travail. C’est pourquoi notre lutte pour faire reconnaître nos activités comme productrices de valeur économique peut être profitable à tou·tes et permettrait de combattre cette idéologie qui tente de nous faire croire que l’absence de protection sociale favorise la « liberté », la « créativité » ou « l’autonomie ».

Comment faire grève ?

Pour les salarié·es du privé (salarié·es du secteur associatif et des entreprises culturelles) : n’importe quel·le salarié·e peut faire usage de son droit de grève. Pas besoin de préavis, il suffit de ne pas venir bosser. La justification peut être donnée à votre employeur a posteriori.

Pour les salarié·es du public (fonctionnaires du ministère de la Culture, enseignant·es en ENSA ou en fac, contractuel·les, etc) : plusieurs syndicats ont déposé un préavis national. Vous avez le feu vert.

Pour les indépendant·es : en théorie, vous faites ce que vous voulez. En pratique, à vous de juger en fonction de votre situation actuelle. Plusieurs modalités sont envisageables : programmer une réponse automatique sur votre boîte mail (nous allons faire circuler un visuel « Art en grève » sur les réseaux sociaux), en cas d’interruption de votre activité le 5 décembre, en préciser les motifs et vous joindre à la manifestation la plus proche de chez vous, etc.

Pour les artistes-auteur·rices : la situation est la même que pour les indépendant·es, l’essentiel étant de faire en sorte que votre grève soit visible : encart sur votre site internet, communication sur les réseaux sociaux, décrochage d’une de vos œuvres exposées, port d’un brassard inspiré des méthodes des soignant·es (du type « artiste en grève »), blocage d’un événement culturel, etc.

Pour les étudiant·es : toutes les actions matérielles (assemblées générales, blocages) ou symboliques qui vous sembleront pertinentes.

Dans tous les cas de figure : Nous appelons les travailleur·euses de l’art à se fédérer, à se rapprocher d’un syndicat de lutte (CGT, CNT, CNT-SO, FSU, Solidaires, etc) et/ou de l’un des collectifs signataires de cet appel. On est toujours plus fort·es ensemble, dans la solidarité et le partage d’informations juridiques et politiques.

J'ajoute : "ou de n'importe quelle autre manière !"

mercredi 4 décembre 2019

Thou Sonic Friend : Cinemateria


Les Danois ont de la chance. Il y a quelques années ils ont récupéré la chanteuse Birgitte Lyregaard qui avait émigré en France. Tant pis pour nous, tant mieux pour eux. Le trio Thou Sonic Friend qu'elle a formé avec la clarinettiste irlandaise Carolyn Goodwin et le guitariste Peter Tinning est un cousin scandinave proche de mes élucubrations musicales, en plus délicat ! À l'écoute de leur nouveau vinyle, Cinemateria, j'ai cru me reconnaître dans leurs silences ; pour un maximaliste comme moi c'est un comble... J'ignore si leur musique est plus cinématographique que théâtrale, mais elle est si imagée qu'elle nous transporte dans des paysages imaginaires qui ne ressemblent à aucun existant. Parfois on voit la neige qui tombe sur Copenhague, à d'autres moments on se promène au bord de la Seine ou l'on prend le train vers je ne sais où. Chaque pièce est un court-métrage poétique aux couleurs particulières. Lorsqu'elle ne joue pas de la clarinette ou de la clarinette basse, Carolyn fait les secondes voix. Peter utilise des effets. Birgitte bricole et joue des percussions. J'ai enregistré cinq albums avec elle jusqu'à monter le trio El Strøm formé à Paris avec Sacha Gattino et plusieurs spectacles avec Linda Edsjö. Si elle est prête à toutes les facéties vocales, jouant avec les accents et les langues étrangères, Birgitte est une tendre attachée à la mélodie. Dommage que Björk ait été happée par le show-biz, elle aurait pu nous offrir de telles petites merveilles improvisensationnelles. Carolyn et Peter fabriquent des écrins ou rebondissent langoureusement, s'imbriquant comme les pièces d'un jeu d'enfant qui s'emboîtent parfaitement, cube, boule ou triangle. Une évidence.



→ Thou Sonic Friend, Cinemateria, LP Barefoot, env. 19€ sur Bandcamp et en numérique env. 10€

mardi 3 décembre 2019

Un homme nommé cheval


En tournant Un homme nommé cheval en 1969, Elliot Silverstein a réalisé un western d'indiens considéré comme le renouvellement du genre. Même s'il s'agit du point de vue d'un aristocrate britannique kidnappé par une tribu Sioux, le comparer à Little Big Man ou Soldat Bleu, sortis l'année suivante, est erroné, tant il se rapproche d'un film ethnographique sur la culture indienne. Adapté d'une nouvelle de l’auteure américaine Dorothy M. Johnson à qui l'on doit également L'homme qui tua Liberty Valance et La colline des potences, le scénario s'appuie sur une étude sérieuse à laquelle ont participé eux-mêmes des Indiens. Contrairement à John Ford qui s'était fait berner par des figurants facétieux sur Les Cheyennes, la langue est bien celle des Sioux, les costumes sont calqués sur les tableaux de George Catlin, les coutumes rapportées par des natifs, témoins oculaires de la fin du XIXe siècle !

Attention, la bande-annonce tient du spoiler, en français elle divulgâche !


Dans le passionnant bonus L'Ouest, le vrai, Silverstein raconte que la célèbre Danse du Soleil, interdite par le gouvernement américain de 1885 à 1974, était en réalité beaucoup plus cruelle que celle qu'il a mise en scène. Il réussit à convaincre le comité de censure que dans leur religion les Sioux n'étaient pas différents de ceux qui encensent la crucifixion ! Il fut néanmoins critiqué de l'avoir montrée comme une épreuve initiatique plutôt qu'une cérémonie religieuse. Tout le film est en effet le récit initiatique d'un Anglais désœuvré qui découvre les valeurs authentiques d'un peuple si différent du sien. Richard Harris joue le rôle de John Morgan, un lord anglais parti chasser dans le Nord-Ouest des États-Unis, capturé par des indiens Sioux, qui se laissera apprivoiser...
J'ai eu envie de réécouter ensuite les magnifiques disques de Tony Hymas, Oyaté qui dessine le portrait de douze chefs indiens, Remake of the American Dream et Left For Dead avec Barney Bush et auxquels participèrent nombreux Indiens (shawnee, navajo, cree, shoshone, comanche, ojibway, cowichan, blood, montagnais...) aux côtés de Michel Doneda, Jeff Beck, Tony Coe, Jean-François Pauvros, Evan Parker...

→ Elliot Silverstein, Un homme nommé cheval, Blu-Ray/DVD Carlotta, à paraître le 4 décembre 2019
→ Les disques de Tony Hymas sont sur le label nato dans de superbes éditions illustrées

lundi 2 décembre 2019

Jachère


Toutes ces dernières années je partais au moins un mois dans un endroit où il n'y avait ni Internet ni téléphone. Cela me faisait des vacances de ne plus pouvoir écrire quotidiennement. Je mettrais bien le blog en jachère, mais les tentations sont nombreuses et les évènements se précipitent. Quand arrive l'hiver je rêve de l'autre hémisphère, soleil et mer turquoise. Au lieu de cela je travaille à mon nouvel album qui me donne du fil à retordre. Ce n'est pas tout à fait vrai. Je ne m'y mets que lorsque vient l'inspiration et j'ai déjà bien avancé. L'après-midi j'aurais plutôt tendance à m'allonger avec un bouquin. À la place du soleil je gobe deux gouttes de vitamines D3 chaque matin, suivies de quinze de pépins de pamplemousse pour éviter le rhume. Avec l'huile essentielle de gaulthérie couchée pour le dos (elle porte bien son adjectif), c'est à peu près tout ce que je consomme, si je ne compte pas les exactions gastronomiques. Je suis passé chez Izraël me réapprovisionner en poivre sanshô (plus effervescent que le séchouanais), du vadouvan et quelques autres condiments. De retour à la maison, j'admire le jardin en rêvant de tropiques. Je ferme les yeux en pensant à des îles. Ne s'entendent que le ronronnement des chats, le bruit des croquettes sous leurs quenottes, la turbine du réfrigérateur, les gouttes de pluie explosant sur les vitres, et la musique de temps en temps. Mais ces dernières semaines peu de nouveaux disques trouvent grâce à mes oreilles. J'ai envoyé quelques bouteilles à la mer, mais les réponses à mes propositions de performances audiovisuelles ne se bousculent pas au portillon. Rappeler les organisateurs est vraiment trop humiliant. J'attends que le téléphone sonne. De temps en temps j'inscris tout de même une date sur le calendrier et je recommence à rêver. On me qualifie le plus souvent d'hyperactif, moi qui ai l'impression de ne pas faire grand chose ! Enfant puis adolescent, ma mère me demandait ce que je fabriquais les coudes sur mon bureau. Je répondais : "je rêve". J'y retourne. Ce billet est une vacance. Demain je rempile !

dimanche 1 décembre 2019

Comme c'est étrange !


Je ne fais pas cela d'habitude, mais je déroge à la règle parce que là c'est ma fille Elsa qui a besoin de votre participation au crowdfunding lancé avec sa partenaire Linda Edsjö. Elle ne me l'a pas demandé, mais vous savez ce que c'est, un papa ! Comme en plus c'est un disque (génial) pour la jeunesse, je me suis senti concerné, comme éternel gamin évidemment, en plus de mon nouveau rôle de grand-père de garde... Toutes les deux avaient déjà publié un autre CD pour la jeunesse intitulé Comment ça va sur la Terre ? avec Michèle Buirette qui était super bien...



Un deuxième teaser :



On ne peut plus les arrêter !



Un dernier pour la route ?



→ Participez à KissKissBankBank en pré-achetant le CD ou plus...