Un air de violence souffle sur l'Hexagone. Beaucoup de gens semblent énervés. Il aura suffi que je conduise une demi-heure pour me faire agresser trois fois et que je sois témoin de deux altercations physiques entre plusieurs automobilistes. Des amis me confient avoir vu le même genre de comportement dans les transports en commun.
Comme toujours, lorsque le mauvais exemple est donné par les plus hautes instances de l'État, les dominos s'écroulent jusqu'au bas de l'échelle. Trop jeune pendant la Guerre d'Algérie, je ne me souviens pas avoir connu d'époque plus inquiétante que celle que nous fait vivre l'actuel gouvernement aux ordres des banques et des grandes entreprises. Jamais la police n'aura bravé la loi comme aujourd'hui, jamais la justice n'aura été aussi inique. La violence sociale des réformes à l'œuvre est relayée par la violence physique des lanceurs de grenades en uniforme ou des voltigeurs. Combien d'yeux ont-ils crevés, combien de mains arrachées, combien de corps matraqués ? Leur sentiment d'impunité me rappelle terriblement les évènements dont mon père avait été témoin en Allemagne à la fin des années 30. Si Macron est réélu, son second mandat sera encore plus carnassier. Si Marine Le Pen l'était, ce qui est évidemment peu probable, il lui aura ouvert la voie pour les pires exactions. Si le mouvement de La République En Marche représente bien la France, c'est celle de Pétain, un ramassis d'opportunistes, et donc d'incompétents, que seule l'arrogance leur permet d'assumer.
Je m'étais faufilé sur une file libre, laissé passer une camionnette arrivant de la gauche (n'y voyez aucune allusion politique !) et rabattu lors du rétrécissement de la voie. Après avoir klaxonné, le type de derrière descend de son véhicule, métaphore récurrente de sa masculinité, pour hurler à ma fenêtre que je l'avais gratté. Je me suis excusé, lui expliquant que mon intention était de dégorger l'embouteillage derrière nous. "Non, vous m'avez gratté ! Avec votre voiture..." insiste le costaud menaçant en cherchant vainement la trace d'un frottement sur nos carrosseries. J'ai évité le pire en faisant profil bas. A quoi bon ? J'ai fredonné à Sacha, assis à côté de moi, les paroles "surréalistes" d'Apollinaire mises en musique par Poulenc : "Grattez-vous si ça vous démange, aimez le noir ou bien le blanc, c'est bien plus drôle quand ça change, suffit de s'en apercevoir !" Plus tard sur le boulevard, une autre scène du même acabit. Deux rues plus loin, un piéton sur le trottoir semble chercher sa direction ; comme il ne bronche pas, je démarre, et là il donne un grand coup de poing sur ma portière. En voyant d'autres usagers en venir aux mains Porte de Vincennes, je me dis qu'il est plus sage de rentrer à la maison et d'attendre que cela se tasse.
Pourtant, cela ne s'arrangera pas de sitôt. L'atmosphère est tendue. Les gens sont malheureux. Ils ne comprennent pas ce qui leur arrive. Certains incriminent les grévistes qui les empêchent de partir en vacances ou d'aller se faire exploiter par leur patron alors que la manœuvre du gouvernement est une provocation sciemment engagée à la veille des fêtes. Peut-être vaut-il mieux rater le ski cette année et que nos enfants aient de quoi vivre lorsque nous ne serons plus là ! Il n'y a pas que la retraite pour mettre en colère. La casse s'exerce sur tous les fronts.Comment les écologistes qui ont voté Macron au premier tour peuvent-ils cautionner la politique gouvernementale ? Comment les socialistes peuvent-ils encore croire une seconde aux promesses du commis des banques ? Les gens s'en veulent. Ou s'ils en sont incapables, ils en veulent à la Terre entière. Certains invoquent la lutte contre le populisme, ils ont raison, Macron ne l'est pas puisqu'il fait cadeau sur cadeau aux plus riches. S'il monte les citoyens les uns contre les autres, il ne faut pas s'étonner qu'à la moindre contrariété ils se tapent sur la figure... Cela ne présage rien de bon si le véritable adversaire n'est pas clairement identifié.